« L’espace pénal européen peut-il sortir renforcé de cette crise »
Anne Weyembergh
Présidente de l’Institut d’études européennes de l’Université libre de Bruxelles (ULB)
Le mandat d’arrêt européen, c’est la success story de l’espace pénal européen, et cette affaire entre l’Espagne et la Belgique est un véritable test en la matière. L’Espagne a en effet demandé à la Belgique d’inter- peller l’ancien président de la Catalogne, Carles Puigdemont. De la réussite de cette entreprise dépend la crédibilité de cette procédure introduite par une décision-cadre de 2002, qui a déjà fait ses preuves (par exemple, après les attentats de Paris et Bruxelles avec Salah Abdeslam ou celui du Musée juif avec Mehdi Nemmouche).
Dans l’UE, depuis les années 1990, la coopération judiciaire s’est en effet réellement accélérée. Des mécanismes autrefois assez lourds et lents ont été réformés et rendus plus flexibles. Ils dépendent d’un principe nouveau : celui de la reconnaissance mutuelle, selon lequel un État membre reconnaît les décisions judiciaires d’un autre État membre. Les relations des Vingt-Huit reposent donc sur la confiance mutuelle, notamment parce qu’ils sont tous soumis à la compétence de la Cour de justice de l’UE (CJUE) et de la Cour européenne des droits de l’homme.
Ainsi, le mandat d’arrêt européen est venu remplacer l’extradition. Plus encore, toute la procédure a été judiciarisée. En d’autres termes, la coopération se noue aujourd’hui entre autorités judiciaires alors qu’auparavant, elle relevait de l’exécutif, avec des décisions souvent prises par des ministres. Cela a été une manière de dépolitiser les débats.
Bien que leur éventail ait été réduit, des motifs de refus de « remise » d’une personne existent. L’un d’eux touche aux droits fondamentaux : s’il y a des raisons sérieuses de croire que la personne risque de faire l’objet d’une violation des droits de l’homme dans le pays émetteur du mandat d’arrêt, la procédure peut être bloquée. Quant au motif qu’une infraction pénale doit être reconnue comme telle dans les deux États – ce qu’on appelle la double incrimination –, il a été supprimé pour 32 catégories d’infraction grave. Mais certaines infractions reprochées à Carles Puigdemont – comme la rébellion et la sédition – n’y figurent pas. L’autorité d’exécution devra donc examiner si ces infractions ont leur pendant en droit belge.
Dans tous les cas, ce conflit peut faire avancer l’Europe sur le volet pénal puisque l’autorité d’exécution belge pourrait poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’UE sur la manière d’interpréter la décision-cadre de 2002. Ce conflit catalan est hors norme ; il serait très intéressant d’entendre ces juges se prononcer notamment sur les manières d’appliquer le motif de refus lié au non-respect des droits fondamentaux.
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« Ce conflit politique, en fait, est interne à un État »
Bruno Coppieters
Spécialiste des conflits sécessionnistes et professeur de sciences politiques à la Vrije Universiteit Brussel (VUB)
Cette crise en Catalogne relève typiquement de ces conflits que l’Union européenne n’arrive pas à résoudre car elle n’a pas les structures nécessaires pour le faire. Elle est certes fondée sur des structures puissantes, les tables de négociation y sont nombreuses et les conflits entre États membres finissent toujours par être résolus. Mais entre Madrid et Barcelone, le conflit dépend de l’échelon des régions qui, à part au sein du Comité des régions, n’ont pas voix au chapitre au sein de l’UE. Ce conflit politique, en fait, est interne à un État.
Une action de médiation paraît, par ailleurs, difficile. Certains présentent cette idée comme la bonne solution pour l’UE, une option facile et appropriée, mais il faut garder à l’esprit que peu d’expériences de médiation se soldent par un succès. Entre la Serbie et le Montenegro, l’Union européenne en avait certes engagé une, mais le cadre constitutionnel de ces entités était plus simple que celui de l’Espagne. En d’autres termes, la médiation ne fait pas de miracles. Les positions de l’Espagne et de la Catalogne sont trop opposées pour pouvoir y recourir.
Et de toute façon, qui devrait endosser ce costume de médiateur ? La Commission ? Je ne crois pas. Certains États ? L’Allemagne, qui a demandé, pendant le Conseil européen d’octobre, au président du conseil des ministres espagnol Mariano Rajoy de faire rapport à ses homologues de la situation dans son pays, est déjà allée loin.
Dans le cas d’une « vraie » médiation, les capitales seraient vite aux prises avec Madrid. Il n’y a qu’à regarder le conflit diplomatique qui agite l’Espagne et la Belgique au sujet du mandat d’arrêt lancé contre Carles Puigdemont : tout de suite, cette dernière a été pointée du doigt du fait des propres difficultés qu’elle peut rencontrer (à cause des tendances séparatistes en son sein, NDLR). Dans une telle situation, les parties exercent des pressions sur le médiateur – et celles-ci peuvent aller très loin.
L’option de la médiation pose aussi un autre problème : elle renforce toujours une partie et affaiblit l’autre. À ce stade, elle rimerait avec une forme d’internationalisation du conflit, qui est souhaitée par les indépendantistes catalans. Il peut arriver qu’un conflit empire du fait d’une médiation. Particulièrement dans cette crise, où les deux parties ne veulent pas entendre parler de compromis. Mais où l’une des deux doit céder.
Recueilli par Céline Schoen