2 septembre 2016
Voici donc le texte de ce premier échange de correspondance. C’est Mgr DUPUCH qui écrit d’abord à l’Emir ceci : « Si je pouvais monter à cheval sur le champ, je ne craindrais ni l’épaisseur des ténèbres, ni les mugissements de la tempête, je partirais, j’irais me présenter à la porte de ta tente, et je te dirais d’une voix à laquelle, si on ne me trompe point sur ton compte, tu ne saurais résister : donne-moi, rends moi celui de mes frères qui vient de tomber dans tes mains guerrières… mais je ne peux partir moi-même. Cependant, laisse-moi dépêcher ver toi l’un de mes serviteurs et suppléer par cette lettre, écrite à la hâte, à la parole que le ciel eut bénie, car je t’implore du fond du cœur. « Bienheureux les miséricordieux, car un jour il leur sera fait miséricorde à eux-mêmes » .
Abdelkader répond à l’évêque la lettre suivante, dans laquelle l’intelligence et l’humour de l’Emir apparaissent avec évidence : « J’ai reçu ta lettre. Elle ne m’a pas surpris d’après ce que j’ai entendu de ton caractère sacré… Pourtant permets-moi de te faire remarquer qu’au double titre que tu prends de serviteur de Dieu et d’ami des hommes, tes frères, tu aurais du me demander non la liberté d’un seul mais bien plutôt celle de tous les chrétiens qui ont été faits prisonniers depuis la reprise des hostilités.
Bien plus, est-ce que tu ne serais pas deux fois digne de la mission dont tu me parles si, ne te contentant pas de procurer un pareil bienfait à deux ou trois cent chrétiens, tu tentais encore d’en étendre la faveur à un nombre correspondant de musulmans qui languissent dans vos prisons. Il est écrit : « Faites aux autres ce que vous voudriez que l’on fasse à vous-mêmes ! ».
PIONEU, Vie de Dupuch, p.247.
L’abbé SUCHET nous a rapporté lui-même l’essentiel de son dialogue avec l’Emir. En voici les principaux passages :
L’Emir : « Vous n’avez qu’un seul Dieu comme les musulmans ? »
Suchet : « Nous n’avons qu’un seul Dieu en trois personnes ». « Là je lui donnais, dit Suchet à qui nous devons le récit de l’entretien, quelques explications sur le mystère de la sainte Trinité ».
L’Emir : « Mais par qui le monde a-t-il été créé ? »
Suchet : « Par le Verbe de Dieu »
L’Emir : « Ce Verbe de Dieu, est-ce sa parole ? »
Suchet : « Oui, c’est sa parole incarnée par amour pour les hommes »
L’Emir : « Est-ce que Jésus-Christ est mort ? »
Suchet : « Oui, il est véritablement mort ». – « Mais non, reprit-il vivement, Jésus-Christ n’est pas mort ».
L’Emir : « Et où est-il maintenant ? »
Suchet : « Il est maintenant au ciel, à la droite de Dieu son Père. »
L’Emir : « Et Jésus-Christ reviendra-t-il sur la terre ? »
Suchet : « Oui, il reviendra à la fin du monde pour juger tous les hommes et pour donner son paradis aux bons et précipiter les méchants dans l’enfer ».
L’Emir : « Où est le paradis ? »
Suchet « Là où est Dieu ; c’est-à-dire qu’il est partout où Dieu se manifeste, tel qu’il est sans voile à ses élus ».
Il demeura un instant pensif, puis il continua.
L’Emir : « Quel est le ministère des prêtres catholiques ? »
Suchet : « Tu as pu le savoir, surtout depuis qu’il a un évêque à Alger ; c’est de continuer sur la terre le ministère, la mission de Jésus-Christ, de faire du bien à tous les hommes, que nous regardons comme nos frères, quelle que soit leur religion ».
L’Emir : « Mais puisque ta religion est si belle, si bienfaisante, pourquoi les Français ne l’observent-ils pas ? S’ils la suivaient, ils seraient meilleurs ».
Suchet : « Tu vas me répondre toi-même à cette question : ta religion, tu la crois bonne aussi ; eh ! Pourquoi tous les musulmans ne l’observent-ils pas ? »
L’Emir leva les mains et les yeux au ciel, et, après un instant de silence, il me demanda à continuer ses questions sur notre religion » .
Abbé SUCHET, Lettres édifiantes et curieuses sur l’Algérie, Tours, 1840, 432 p., pp.405-406.
lyon.catholique.fr/IMG/Teissier_Boutaleb_L_Emir_et_les_chretiens_071204.rtf