Jérémy André (à Karakoch), le 22/02/2017 à 6h40
Mis à jour le 22/02/2017 à 11h05
Depuis sa libération fin 2016, ville chrétienne proche de Mossoul, n’a toujours pas repris vie. Malgré tout, le P. Georges documente le saccage à grande échelle de sa ville natale, à l’avenir plus qu’incertain.
2016 fut une amère revanche. Fin octobre, les forces irakiennes ont commencé à reconquérir Mossoul et ont arraché Karakoch à l’EI. Mais les cris de victoire ont immédiatement fait place à la stupeur et aux larmes. La belle cité chrétienne est inhabitable, aucune famille n’est retournée y vivre. Beaucoup ont baissé les bras. Pas Georges : il s’est donné pour mission d’inventorier maison par maison toutes les destructions, pour demander justice.
Selon le rapport auquel il met la dernière touche, un tiers des 6 800 habitations de la ville ont été incendiées. « Aucune maison n’est restée intacte. Toutes ont été pillées ou vandalisées ! », explique-t-il.
Au volant d’un 4 × 4 blanc, Georges part donc en mission dès 7 heures du matin. Avec son bob noir sur son crâne chauve, son blouson noir et son pantalon noir, ses chaussures de marche et ses petites lunettes rondes, on dirait un pêcheur du dimanche. Seul le col romain trahit l’homme d’Église.
Huit barrages militaires
Noor, la vingtaine, un jeune volontaire très enrhumé, l’accompagne. Ils sont suivis d’un bus, rempli de volontaires qui partent nettoyer les lieux publics. La région est recouverte d’un brouillard blanc comme un linceul.
La route serait l’affaire de moins d’une heure, sans les huit barrages militaires. Lors de la reconquête contre l’État islamique, Bagdad et Erbil se sont partagé la région.
Karakoch fut réservée à l’armée irakienne. La limite entre Kurdes et Irakiens n’est pas encore une frontière bien tracée : c’est un dégradé d’uniformes kakis.
Les contrôles sont tatillons, générant d’immenses embouteillages. Mais, au premier d’entre eux, le P. Georges descend de sa voiture, en sort une soutane d’un sac et l’enfile, et les hommes en armes le laissent passer d’un geste de la main.
Au bout de cette route, Karakoch est plongée dans les limbes. Cerbères aux sourires de Pierrot, des jeunes des Nineveh Plain Protection Units (NPU) tiennent un barrage à l’entrée. Cette unité paramilitaire chrétienne assure la sécurité à l’intérieur. Aucun civil ne s’est réinstallé dans la ville. Seul l’hôpital a rouvert, pour les blessés qui affluent du front de Mossoul, à 25 km à l’ouest.
À peine arrivé à destination, Georges se débarrasse de sa soutane et salue les bénévoles qui vont s’occuper d’une école. Puis commence sa tournée.
Le 4 × 4 cahote sur les avenues, toutes éventrées de longs sillons. Rien à voir avec la bataille, explique le prêtre. « Avant Daech, l’État irakien a commencé des travaux de canalisation. C’est fou parce qu’ils ont cassé toutes les rues de la ville. Tout a été arrêté avec l’occupation. Il n’y a pas de volonté de finir ces travaux maintenant. »
Ce faisant, il se gare dans le quartier de l’église Saint-Georges. Noor sélectionne dans un tas des feuilles imprimées de lettres et de numéros que lui dicte le prêtre, puis court dans une boutique et commence à photographier, en incluant dans la vue générale une des fiches.
Le P. Georges étudie des cartes rangées dans un classeur. Ce sont des reproductions du cadastre de la ville. « Nous avons divisé la ville en dix quartiers, de A à I, selon un plan en escargot, comme à Paris, et nous avons attribué un numéro à chaque maison. »
Avant le séminaire, dans les années 1980, le P. Georges avait étudié la physique à l’université de Mossoul. À l’automne, en quatorze jours, il a fait photographier quasiment toutes les maisons de la ville par une quinzaine de jeunes qui lui ont prêté main-forte. Depuis le mois de janvier, il fignole, corrige des erreurs et des oublis. C’est normalement l’avant-dernier jour de terrain. « Il faut vraiment faire toutes les maisons. Toutes. Pour qu’il y ait une trace de l’état de la ville après sa libération. »