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 HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.

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Pierresuzanne

Pierresuzanne



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MessageSujet: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 3:57

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06.04.2014


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HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES : archéologie, sciences et spiritualité.


INTRODUCTION : page 1 : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

1. LA CRÉATION. De 13 milliards d'années à 3000 avant l'ère commune.
page 1 :
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2 . ABRAHAM ET LES PATRIARCHES. De 3000 à 1700 avant l'ère commune.
page 1 :
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3 . L'EXODE ET L'INSTALLATION DES HÉBREUX EN CANAAN. De 1700 à 1050 avant l'ère commune.
page 1 :
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4 . LES DEUX ROYAUMES HÉBRAÏQUES : DAVID, SALOMON, LA REINE DE SABA... De 1025 à 727 avant l'ère commune.
page 1 :
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5 . LA CROYANCE EN UN DIEU DES COMBATS : LE DERNIER ROYAUME HÉBRAÏQUE, CELUI DE JUDA, MET LA BIBLE PAR ÉCRIT. De 727 à 7 avant l'ère commune.
page 1 :
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6 . LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST : HUMANITÉ, DIVINITÉ. De 7 avant l'ère commune à 30 après.
page 1 :
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7 . LE CHRIST ET LA LOI : IL LA MAINTIENT POUR LES JUIFS, L'ACCOMPLIT ET LA TRANSGRESSE AVEC SES DISCIPLES. De 31 à 33 de l'ère commune.
page 1 :
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8 . LE CHRIST INSTAURE LA NOUVELLE ALLIANCE POUR L'HUMANITÉ. Avril 33.
page 1 :
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9 . LES DÉBUTS DE L'ÈRE CHRÉTIENNE. De 33 à 130.
page 2 :
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10 . LES RELIGIONS PRÉISLAMIQUES. De 130 à 610.
page 2 :
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11 . Mohamed À LA MECQUE. De 610 à 622.
page 2 :
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12 . Mohamed À MÉDINE. De 622 à 632.
page 2 :
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13 . DEUX CIVILISATIONS S’AFFRONTENT. De 632 à 1099.
page 2 :
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14 . DEUX VISIONS DE LA SCIENCE. De 1099 à 1798.
page 3 :
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15 . LA DÉMOCRATIE : JUSTICE... ÉGALITÉ ET LIBERTÉ ? De 1798 à nos jours.
page 3 :
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CONCLUSION : page 3 : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

BIBLIOGRAPHIE : page 3 :


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Pierresuzanne





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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 5:46

9 : LES DÉBUTS DE L'ÈRE CHRÉTIENNE.
De l'an 33 à l'an 130.


9. 1. Le dimanche 5 avril 33, le jour se lève, Marie-Madeleine constate que la pierre a roulé : le Tombeau est ouvert.
9. 2. Traces non chrétiennes de la Résurrection, écrits juifs, musulmans et romains.
9. 3. Le Christ ressuscité apparaît à Marie Madeleine.
9. 4. « Pourquoi chercher parmi les morts Celui qui est vivant ? » (Luc 24, 5).
9. 5. La Résurrection du Christ le révèle en plénitude : vrai homme et vrai Dieu ; le seul Prêtre, Prophète et Roi.
9. 6. Le Christ pardonne à Pierre et le confirme dans sa vocation de pasteur universel : péché et miséricorde ; doute et liberté.
9. 7. L’Ascension du 14 mai 33 : le Christ monte aux cieux.
9. 8. Un autre monothéisme : « L’Église de Jésus Christ des Saints des derniers jours » : les Mormons.

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9. 9. Les Actes des Apôtres sont écrits par l’Évangéliste Luc.
9. 10 . La Pentecôte, le 24 mai 33.
9. 11 . L’histoire du Peuple Élu trouve son accomplissement dans le don de l'Esprit Saint.
9. 12 . Qu'est devenue Marie ?
9. 13. Pierre accueille les nouveaux convertis juifs et païens, les sacrements.
9. 14 . Le christianisme n'appelle pas à la révolution : soumission fraternelle, égalité et amour mutuel.
9. 15 . Paul, autobiographie.

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9. 16. Paul et les femmes.
9. 17 . Les faux prophètes, les faux docteurs.
9. 18 . Géopolitique et auteurs romains au premier siècle.
9. 19. En 62 débute la mise par écrit des Évangiles.
9. 20. Les synoptiques : Matthieu, Marc et Luc.
9. 21 . En 64, Pierre est enterré à Rome.

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9. 22. L'Évangile selon Saint Jean, le plus historique des Évangiles.
9. 23 . Prédiction ou hasard, les chrétiens fuient Jérusalem en 66, juste avant que le piège romain ne se referme.
9. 24.  En 68, le site de Qumrân est détruit.
9. 25. La destruction du Temple d'Hérode en 70.
9. 26. Yohanan Ben Zakkaï sauve le judaïsme. Naissance du rabbinisme : Thora écrite, Thora orale.
9. 27. Entre -200 et 200, le judaïsme entre persécution et apostolat.
9. 28. Vers 170, Canon de Muratori et apparition du mot Trinité.
9. 29. Le Talmud de Jérusalem et le Talmud de Babylone : la Vérité naît du doute.
9. 30. Comment les juifs, les romains et les païens perçoivent-ils le Christ aux deux premiers siècles.

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Dernière édition par Pierresuzanne le Dim 6 Avr 2014 - 6:02, édité 4 fois
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 5:49

9 : LES DÉBUTS DE L'ÈRE CHRÉTIENNE.

De l'an 33 à l'an 130.


9. 1. Le dimanche 5 avril 33, le jour se lève, Marie-Madeleine constate que la pierre a roulé : le Tombeau est ouvert.

Le dimanche 5 avril 33, le 16 de Nisan, c'est la fête de l'Omer. La Pâque juive s'est superposée au culte ancestral des récoltes, mais elle ne l'a pas supprimé. Ce jour là, le Grand Prêtre reçoit les premières gerbes des futures récoltes et les présente à Dieu.

« Le premier jour de la semaine, Marie de Magdala vient de bonne heure au tombeau comme il faisait encore sombre, elle aperçoit la pierre enlevée du tombeau. Elle court alors et vient trouver Simon-Pierre, ainsi que l'autre disciple, celui que Jésus aimait [Jean l'évangéliste] et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l'a mis. » » (Jean 20, 1- 2).

Pierre et Jean partent tout de suite
: « Pierre sortit donc, ainsi que l'autre disciple, et ils se rendirent au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble. L'autre disciple, plus rapide que Pierre, le devança à la course, et arriva le premier au tombeau. Se penchant, il aperçoit les linges, gisant à terre ; pourtant il n'entra pas... » (Jean 20, 3-5).

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Pierre et Jean courent au matin de Pâques (Eugène Burnand, 1898).

Jean, plus jeune que Pierre, court plus vite, mais il n'entre pas dans le tombeau... Ce comportement étrange a une explication :
« Yahvé dit à Moïse : Parle aux prêtres, tu leur diras : Aucun d'eux ne se rendra impur près du cadavre de l'un des siens, sinon pour la parenté la plus proche : père, mère, fils, fille, frères. » (Lévitique 21, 1). En n'entrant pas dans le tombeau, Jean l’Évangéliste confirme qu'il est prêtre. Sur lui pèse l'interdit absolu du contact avec les morts.

… « Se penchant, il aperçoit les linges, gisant à terre ; pourtant il n'entra pas. Alors arrive Simon-Pierre, qui le suivait ; il entra dans le tombeau ; et il voit les linges, gisant à terre, ainsi que le Suaire qui avait recouvert sa tête, non pas avec les linges, mais roulé à part dans un endroit. » (Jean 20, 5-7).
Pierre voit le Suaire d'Oviedo, qui a couvert la tête, là où il a été posé dans un coin le vendredi. Le linge qui a entouré le Christ (le Suaire de Turin) est sur le sol, vide.

« Alors entra aussi l'autre disciple, arrivé le premier au tombeau. Il vit et il crut. En effet, ils ne savaient pas encore que, d'après l’Écriture, il devait ressusciter d'entre les morts » (Jean 20, 8-9).
Jean, le disciple discret, signe pourtant son Évangile : « C'est ce disciple qui témoigne de ces faits et qui les a écrits, et nous savons que ce témoignage est véridique. » (Jean 21, 24).
Qui se cache sous le « nous » collectif de la dernière partie du verset : des scribes, des disciples, des anciens de la communauté qui auraient aidé Jean dans sa rédaction ? Mais cette fin confirme que Jean, l'auteur de l'évangile du même nom, est bien le « disciple », ou encore le « disciple bien aimé » qui parcourt son récit.
Jean l’Évangéliste est le premier à comprendre et à croire que le Christ est ressuscité et il en porte témoignage, avec humilité et discrétion, mais néanmoins avec une parfaite conviction !

Le Suaire apporte d'autres informations. Les cheveux inscrits sur le Suaire ne tombent pas en arrière, ils sont en apesanteur. La face dorsale de l'image n'est pas empâtée comme le voudrait la projection d'un corps pesant sur le sol. L'image semble s'était inscrite à un moment où le corps ne touchait plus le sol. Le Corps a disparu, sans brouiller l'image, sans arracher les caillots de sang coagulé, sans déchirer de fibre de tissu imprégné de lymphe et de sang séché. L'homme du Suaire s'est dématérialisé*.
L'image n'est pas une peinture. Personne n'a jamais pu reproduire l'image du Suaire et aucun autre tissu n'a jamais été imprimé par un corps d'une façon comparable. L'image s'est formée par une oxydation acide et une déshydratation à la cellulose du lin. L'épaisseur du brunissement est proportionnelle à la distance du corps au tissu, imprimant une image en négatif selon un concept qui apparaîtra avec la photographie au XIXe siècle. Selon l'hypothèse du Père Rinaudo, maître de conférences à la faculté de médecine de Montpellier, les noyaux de deutérium présents dans le corps se sont désintégrés irradiant le Suaire de neutrons et de protons*. Personne ne sait comment une telle réaction - chimique ou nucléaire - a eu lieu*.

Le Christ s'est relevé d'entre les morts, Il est vivant ! Telle est la foi des chrétiens.


Al Qaida a été suffisamment perturbée par cette énigme qu'elle a mis le Suaire de Turin sur ses cibles dans les années 1990 (du moins selon les services secrets italiens)*.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
Selon les chrétiens, Jésus est descendu aux enfers après sa mort pour rejoindre les âmes qui n'ont pas reçu le baptême et les conduire au salut
éternel. Éternellement uni au Père dans sa divinité, son humanité embrasse l'humanité entière - jusqu'au tréfonds du péché - sur laquelle
est désormais répandue la grâce de La Rédemption
(Saint-Sauveur-de-Chora, fresque du XIVe siècle ; Constantinople/Istanbul).

*: Jésus, Jean-Christian Petitfils, p : 572, Fayard, 2011.

9. 2. Traces non chrétiennes de la Résurrection, écrits juifs, musulmans et romains.
Les soldats qui gardaient le tombeau ont assisté à la Résurrection du Christ. « Et tout à coup, il se fit un grand tremblement de terre ; car un ange du Seigneur descendit du ciel... Son visage était brillant comme un éclair et ses vêtements blancs comme la neige. Les gardes en furent tellement saisis de frayeur qu'ils devinrent comme morts. » (Matthieu 28, 3-4).

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Résurrection du Christ, avec les gardes aveuglés
(Hendrik van den Broeck, fresque de 1575 ; chapelle Sixtine).

Les soldats pensent avoir vu un ange brillant de lumière ou un éclair. Est-ce cet éclair qui a accompagné la Résurrection ? Est-ce lui qui a brûlé le linceul, imprimant les détails du corps et des objets déposés autour : bouquets de fleurs, pièces de monnaie posées sur les yeux et papyrus autour du visage ? Aucun de ces objets ne sont peints, leur trace ne provient pas d'une technique picturale connue, mais d'une oxydation du tissu.
Les gardes courent prévenir les grands prêtres. Ceux-ci conviennent alors de raconter que le corps du Christ a été volé par ses disciples, « Et cette histoire s'est colportée parmi les juifs jusqu'à ce jour. » (Matthieu 28, 15). Pour les juifs, les chrétiens auraient donc caché le corps de Jésus pour faire croire en sa résurrection.

Le Coran raconte également la fin du Christ, mais ce qu'il en dit est ambigu et contradictoire. Un verset raconte que le Christ est substitué en croix par un sosie « ils ne l'ont pas crucifié, mais nous leur avons donné quelque chose de semblable » (S. 4, 158) ; un autre raconte que le Christ meurt puis ressuscite : « [Jésus dit] : Et paix sur moi le jour où je naquis, et le jour où je mourrai, et le jour où je serai ressuscité comme vivant. » (S. 19, 33). Pourtant la sourate 4 dit que Jésus est monté aux cieux sans mourir : « Ils ne l’ont pas tué réellement. Dieu l’a élevé à lui » (S. 4, 158). Mais le Coran a été rédigé plus de six siècles après la mort du Christ et son témoignage historique n'est pas fiable. Seule une démarche de foi peut faire croire qu'il dit vrai malgré ses contradictions internes.

Cependant, on possède deux écrits non chrétiens du premier siècle qui confirment la mort du Christ et évoquent la foi des chrétiens en sa résurrection.

Le premier est un édit impérial du début du premier siècle qui a été placardé à Nazareth. Il serait la réponse de Rome à un rapport de Pilate. Les historiens Justin, Tertullien et Eusèbe racontent que Pilate a écrit à Rome pour rendre compte de la disparition du corps de Jésus. Ce rapport se trouvait toujours dans les archives romaines au IIe siècle. Comment expliquer que Pilate ait écrit un rapport sur l'exécution du Christ, petit agitateur de province, mort sans gloire et sans avoir suscité de réels troubles à l'ordre public ? En fait, Pilate a déjà plusieurs fois fait l'objet de critiques de la part de l'empereur Tibère après avoir provoqué les juifs (Philon d'Alexandrie, Légation à Caïus, 38). En envoyant ce rapport, Pilate aurait voulu prévenir une nouvelle remarque*. Ce courrier s'est perdu, il n'est pas parvenu jusqu'à nous... Il est cependant possible que la réponse de Rome à Pilate, gravée sur une plaque en marbre, se trouve dans les collections du Louvre. En 1879, une plaque en marbre de 60 cm sur 40 a en effet été mise en vente à Nazareth et achetée par le Louvre. Par paléographie, elle a été datée de la première moitié du Ier siècle. Il s'agit d'un édit impérial qui ordonne de respecter les morts et qui interdit aux habitants de Nazareth d'enlever les corps des tombeaux : ceux qui « par une tromperie maligne les auraient transférés en d'autres lieux » seront condamnés à mort ! Il est tellement contraire à toutes les traditions juives de déplacer les cadavres qu'on peut se demander si cet étrange édit, placé dans la ville d'origine du Christ, Nazareth, n'est pas la réaction impériale romaine au rapport de Pilate relatant l'étrange disparition du corps du Christ *.

Flavius Josèphe a donné le second témoignage non chrétien de la mort en croix du Christ et de la foi de ses disciples en sa résurrection. Flavius Josèphe est un juif originaire de Terre sainte. Général juif vaincu par les romains pendant la grande révolte juive, il est fait prisonnier en 67. Flavius Josèphe décide ensuite de collaborer avec ses vainqueurs au point d'adopter le nom de la dynastie flavienne.
En 93, Flavius Josèphe rédige les Antiquités juives. Il y parle de Jean-Baptiste et de son exécution commandée par Hérode Antipas. Il nomme Jacques « le frère de Jésus, appelé Messie ». Le Testimonium flavianum, le témoignage flavien (surnommé ainsi par les chrétiens) parle du Christ, Messie vertueux et doué de puissance surnaturelle, Messie crucifié et ressuscité. Certaines copies conservées en occident ont été suspectées d'avoir été intentionnellement mal retranscrites. Il se serait agi, pour les scribes chrétiens, de faire correspondre le texte de Flavius Josèphe à la foi chrétienne en insistant sur ses miracles. Une version copiée au Xe siècle par un arabe chrétien (Agapios de Menbidji) a été découverte par l'historien israélien Shlomo Pinès. Elle semble davantage fidèle à l'original de Flavius Josèphe : il n'y est pas fait allusion aux miracles du Christ, mais sa résurrection reste toujours évoquée. Elle dit : « À cette époque vivait un sage qui s'appelait Jésus. Sa conduite était juste et on le connaissait pour être vertueux. Et un grand nombre de gens parmi les juifs et les autres nations devinrent ses disciples. Pilate le condamna à être crucifié et à mourir. Mais ceux qui étaient devenus ses disciples continuèrent à être ses disciples. Ils disaient qu'il leur était apparu trois jours après sa crucifixion et qu'il était vivant : ainsi il était peut-être le Messie au sujet duquel les prophètes ont raconté des merveilles. » (Antiquités juives,  XVIII, 63-64). La seule allusion aux miracles du Christ est dans le dernier mot du texte qui parle de « merveilles ».
Voilà ce qu'écrivait Flavius Josèphe en 93 : le Christ est mort par crucifixion et « Ses disciples... disaient qu'il leur était apparu trois jours après sa crucifixion et qu'il était vivant ».

L'existence de la foi en la Résurrection du Christ a donc laissé des traces historiques non chrétiennes dès le premier siècle, tout comme l’archéologie a conservé des preuves de la foi précoce des chrétiens en sa divinité.


« Ô filii », l'hymne traditionnel de Pâques, est chanté par le chœur de Notre-Dame de Paris :
«
Après le sabbat, à l'aube du premier jour de la semaine, Marie-Madeleine et l'autre Marie allèrent voir le sépulcre. Et voici qu'il y
eut un grand tremblement de terre ; car un ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s'assit dessus. Son aspect
était comme l'éclair et son vêtement blanc comme la neige... Mais l'ange prit la parole et dit aux femmes : N'ayez pas peur,
car je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié. Il n'est pas ici ; en effet, il est ressuscité, Comme il l'avait dit. »

* : Revue d'histoire, p. 241-266, F. Cumont, n° 163, 1930.

9. 3. Le Christ ressuscité apparaît à Marie Madeleine.

C'est à une femme en premier que le Christ ressuscité se montre. Dans la journée du dimanche, Marie de Magdalena est seule devant le tombeau ouvert.

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Marie-Madeleine déplore la disparition du corps du Christ à la grotte
(marbre de Jean Antoine Houdon (1741-1828) ; Sainte Baume).

« Marie se tenait près du tombeau tout en pleurs. Or, tout en pleurant, elle se pencha vers l'intérieur du tombeau et elle voit deux anges, en vêtements blancs, assis là où avait reposé le corps de Jésus, l'un à la tête et l'autre aux pieds. Ceux-ci lui dirent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? »
Elle leur dit : « Parce qu'on a enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où on l'a mis. » Ayant dit cela, elle se retourna, et elle voit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c'était Jésus.
» (Jean 20,11-14).

Marie de Magdalena ne reconnaît pas Jésus ! Les larmes lui ont-elles brouillé la vue ? Ou simplement le Corps glorieux du Christ ne serait-il pas différent de ce qu'il était dans son humanité ?

« Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? ». Le prenant pour le jardinier, elle lui dit :« Seigneur, si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis, et je l’enlèverai. » Jésus lui dit : « Marie ! » Se retournant, elle lui dit en hébreu, « Rabbouni ! », ce qui veut dire « Maître » » (Jean 20, 15-16).

Il faut que le Christ appelle Marie par son nom pour qu'elle le reconnaisse. Ainsi, Jésus a t-il choisi d'instaurer une relation personnelle avec chacun : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que veut faire le maître, mais je vous appelle mes amis, car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître. » (Jean 15, 15). Il y a une intimité, une proximité et une bienveillance dans la façon dont Dieu nous appelle, chacun par notre prénom : « J'ai gravé ton nom sur la paume de mes mains. » (Is 49,16) disait déjà Yahvé à Isaïe.

Mais cette familiarité du Christ avec les hommes ne retire rien à sa divinité : « Jésus lui dit : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver tes frères et dis-leur : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » » (Jean 20, 17).

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« Ne me touche pas » dit le Christ à Marie-Madeleine
(Giotto di Bondone, 1304-1306 ; chapelle Scrovegni, église de l'Arena à Padoue).

Une fois de plus, Jésus marque la distance entre la façon dont Dieu est son Père et celle dont Il est notre Père, à nous, êtres humains. Ce Dieu est son Dieu et son Père. Il est également Le Nôtre, mais toujours avec cette petite séparation verbale qui montre que la distance entre nous êtres humains et Dieu est plus grande que celle qui existe entre le Fils et son Père : « mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. ». Le « Ne me touche pas » confirme cette nécessité théologique de marquer la distance. Le Christ, lui le tout proche dans son Incarnation, est le Tout Autre dans sa Divinité.
Ce « Ne me touche pas » peut sembler néanmoins étrange et incompréhensible. Avec prosaïsme, certains pensent que le Christ souffrait des séquelles de la crucifixion. Comme si le Christ n'était pas réellement mort en croix, mais simplement évanoui lors de sa mise au tombeau. Ils nourrissent leur incrédulité de cette phrase. Mais le corps du Christ ressuscité n'est pas un corps normal. Avec son corps glorieux, ressuscité, le Christ passe au travers des murs (Jean 20, 19-20 ; Jean 20, 26 ; Actes 1, 8). Il n'est pas reconnu tout de suite par ses disciples, comme s'il était changé (Luc 24, 13-35 ; Jean 20, 15-16). Enfin, il ne semble pas souffrir quand on le touche (Jean 20, 25-27). Le Christ ressuscité tel qu'il apparaît aux disciples n'a rien d'un grand blessé à peine sorti d'un coma. Les romains savent exécuter un condamné. Que Jésus soit mort entre leurs mains est une certitude. Seule sa résurrection peut faire l'objet de doute et d'un choix de foi.

« Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. ». De nos jours, cette phrase du Christ peut également parler à nos contemporains : les prêtres sont appelés à la plus stricte chasteté et ils ne peuvent, ni ne doivent « toucher » personne, ni adultes... ni enfants... Dans un autre domaine, moins tragique mais tout aussi contemporain, cette parole peut également trouver son sens. Depuis Vatican II, il arrive que l'on demande aux paroissiens de se tenir par la main au moment où on récite le « Notre Père » pendant la messe. Cela part d'une bonne idée : il s'agit de signifier la fraternité entre les croyants. Mais ce geste présuppose une intimité qui peut être troublante et désagréable pour les laïcs. Si ce geste peut être utile pour maintenir le calme dans une assemblée d'enfants, il devient source de trouble au moment où des adultes se tournent vers leur Père des cieux et tentent de Le prier sans distraction. Il semble bien que le strict respect de la liturgie puisse prévenir ce type d’initiative. Les chrétiens ne sont pas tous des enfants pré-pubères : vivre la chasteté ne s'obtient pas en niant la réalité de la sexualité. Nous tourner spirituellement vers Notre Père des cieux demande que nous ne soyons touchés par personne.

Marie de Magdalena est envoyée témoigner auprès de ses frères. Cela contrevient à la tradition hébraïque qui récuse le témoignage des femmes. Peu importe pour le Christ. Il ne refuse pas aux femmes la grâce de sonder les mystères insondables de Dieu et d'en transmettre la connaissance à leurs frères. Prophètes d'exception ou du quotidien, les femmes voient en Marie-Madeleine la confirmation de leurs capacités spirituelles.

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Marie-Madeleine, l'apôtre des apôtres « Apostola Apostolorum »
(icône orthodoxe).

Le Coran refusera le rôle de prophète aux femmes : « Nous n’avons envoyé avant toi que des hommes ... à qui Nous avions fait révélations. » (S. 12, 109).
Le judaïsme avait accepté, quant à lui, la vocation féminine de prophète, même si elle est restée marginale. Esther a vu ses exploits célébrés dans un livre de la Bible. Aucune femme, néanmoins, n'a vu sa prophétie intégrée dans la Bible hébraïque, mais la pratique existait : « Il y avait à Jérusalem une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. » raconte Luc (Luc 2, 23).

« Marie de Magdala vient annoncer aux disciples qu'elle a vu le Seigneur et qu'il lui a dit cela. » (Jean 20, 18). Chaque chrétien va devenir prophète par le Baptême ; il recevra la charge de transmettre aux autres hommes quelque chose des vérités divines. Le simple témoignage de sa foi dans la mort du Christ en croix, dans sa Résurrection et dans sa divinité suffit pour que chaque chrétien soit prophète et fidèle en cela aux grâces de son baptême.

9. 4. « Pourquoi chercher parmi les morts Celui qui est vivant ? » (Luc 24, 5).

Le soir même, la seconde apparition du Christ ressuscité est pour les disciples. « Le soir, ce même jour et les portes étant closes, là où se trouvaient les disciples par peur des Juifs, Jésus vint et se tient au milieu et il leur dit : « Paix à vous ! » (Jean 20, 19).

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Le Christ apparaît aux disciples toutes portes closes
(Duccio-di-Buoninsegna, 1308-1311 ; Cathédrale de Sienne).

Le disciple bien aimé, Jean, est le seul à avoir eu l'intuition que le Christ est ressuscité. Marie de Magdalena leur a communiqué l’incroyable nouvelle, mais les Apôtres ne l'ont pas cru. Soudain, sans passer par la porte, le Christ apparaît au milieu d'eux. Ils sont terrorisés. Il les réconforte et prouve son identité en montrant ses blessures.
« Ayant dit cela, il leur montra ses mains (ses poignets ?) et son côté. Les disciples furent remplis de joie à la vue du Seigneur. Il leur dit alors, de nouveau : « Paix à vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » Ayant dit cela, il souffla et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis.  Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » (Jean 20, 20-23).
Les Apôtres viennent de recevoir la mission de pardonner au nom de Dieu. L’Église nommera cette grâce de différentes façons : pénitence, confession ou bien, depuis Vatican II, sacrement de réconciliation. Elle est offerte par l’intermédiaire des successeurs des apôtres, les évêques et leurs prêtres. La miséricorde divine est gratuite et non le résultat d'un calcul entre bonnes et mauvaises actions. Chez les catholiques, le pardon est reçu au cours d'un entretien en tête-à-tête avec le prêtre. Chez les orthodoxes, le pardon est reçu collectivement à la fin de l'Eucharistie, par ceux qui le souhaitent. Pour les protestants, il s'agit d'une démarche intime : le croyant fait son examen de conscience et demande pardon à Dieu.

Le Coran n’instaurera pas de clergé. Seul Allah reste dépositaire de la miséricorde et aucun homme ne peut se faire l'intermédiaire entre Allah et les croyants. « Cela afin que les gens du Livre (c'est à dire les juifs et les chrétiens) sachent qu’ils ne peuvent en rien disposer de la Grâce d’Allah et que la Grâce est dans la main d’Allah. Il la donne à qui Il veut et Allah est le Détenteur de la grâce immense. » (Sourate 57, 29).
Mais, l'islam n'est pas une doctrine immuable donnée une fois pour toute. Un travail d'élaboration a eu lieu. En fait, Mohamed occupera cette place d'intermédiaire au début de sa révélation. Au début, le pardon passe par son intersession : « Si, lorsqu'ils se sont manqués à eux-mêmes, ils venaient près de toi et demandaient pardon à Dieu, et que le messager demandât pardon pour eux, certes ils trouveraient Dieu accueillant au repentir, miséricordieux. » (S. 4, 64). Une petite gratification financière est même la bienvenue (S. 58, 12-13). Mais à la fin de la vie de Mohamed, il en va autrement. Le nombre de croyants réclamant son intercession est devenu trop important : « Les bonnes actions font partir les mauvaises. » annonce la Sourate 11 (114). C'est ce verset qui va désormais porter l'espérance en la miséricorde divine. C'est un glissement théologique majeur qui fait passer de la grâce salvatrice de Dieu, au salut par les œuvres. Il semble bien que ce soit pour des raisons matérielles – Mohamed ne pouvait pas recevoir tout le monde en privé - que cette importante décision théologique ait été prise. Une fois de plus, elle creuse la distance avec le christianisme qui prêche le salut par la grâce. Dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, les courants gnostiques – considérés comme hérétiques par l’Église - prêcheront un salut par la connaissance personnelle et par le respect de rituels plus ou moins ésotériques. Les chrétiens, quant à eux, en resteront au salut par la grâce de Dieu et par la foi en la rédemption acquise par le Christ : « Car c'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu. Ce n'est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie » (Éphésiens 2, 8-9). Promouvoir le salut par les œuvres transforme l'islam en orthopraxie et l'apparente aux religions gnostiques. Pour être sauvé, il s'agit de respecter des rituels convenus, des pratiques droites, d'où le terme d'orthopraxie.

Quand le Christ instaure le sacrement de réconciliation, il s'adresse à ses Apôtres. Les Apôtres sont tous des hommes. C'est un point incontestable historiquement. C'est pourquoi l’Église ordonne prêtres uniquement des hommes. Pour le Christ, le prêtre est serviteur. À aucun moment, le Christ n'a signalé la supériorité ou bien la domination des hommes. La place des femmes est différente, mais non inférieure.

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Prêtre célébrant l'Eucharistie (Catacombe de Priscilla à Rome, IIIe siècle). Certains veulent voir des femmes dans ces représentations de prêtres dans les
catacombes... Pourtant, jamais aucun texte historique n'a signalé de femme prêtre. D'ailleurs, curieusement, chacune de ces fresques antiques semble
ambiguë : le vêtement du célébrant sur la représentation picturale peut facilement être un attribut féminin autant que masculin, et inciter les
visiteurs du XXIe siècle à trouver de quoi nourrir leur conviction iconoclaste. Un visage rasé n'est pas non plus spécialement féminin...

Aux hommes, l'humilité du serviteur, prêtre chaste, conduisant l’Église en se sacrifiant à l'image du bon Pasteur. Aux femmes, la proximité de Dieu, prophètes du quotidien à la suite de leurs sœurs aînées auxquelles le Christ a confié chaque étape de sa mission. L'Incarnation a été confiée à Marie (Lc 1, 38). Sa divinité a été révélée à Élisabeth (Luc 1, 43), sa vocation messianique à la Samaritaine (Jean 4, 6-26), l'universalité de son message à la Syro-phénicienne (Mt 15, 21-28), sa victoire sur la mort à Marthe (Jean 11, 22), sa mort prochaine à Marie de Béthanie (Jean 12, 3) et, enfin, sa Résurrection à Marie Madeleine.
L'évolution actuelle des idéologies athées montre qu'il était sage de ne pas considérer qu'hommes et femmes sont identiques et leurs vocations semblables. De nos jours, en perdant leur ancrage spirituel, nos sociétés en sont venues à confondre l'égalité en droits (droit de vote, exercice des responsabilités professionnelles...) avec le refus d'accepter les différences naturelles. Les hommes et les femmes n'ont pas la même anatomie, c'est une évidence. Ils n'ont donc pas les mêmes capacités physiques : l'un est fort physiquement, l'autre donne la vie aux enfants. Les rapports qu'ils instaurent avec leurs enfants sont donc de nature différente et les enfants ont besoin de cette double parentalité. Les hommes et les femmes n'ont pas les mêmes capacités cérébrales : dès les premières heures de vie, l'un a une aptitude à la vision dans l'espace prépondérante, là ou l'autre a une fonction verbale supérieure. Une égalité de droits n'est donc pas une similitude en tout, à moins de nier les réalités anatomiques, psychologiques, physiologiques et intellectuelles. Finalement, pourquoi ne pas considérer que la différence des vocations spirituelles des hommes et des femmes dans l’Église du Christ n'est que l'affirmation prophétique de ces différences naturelles et incontournables ? De nos jours, l’Église demeure une boussole : elle rappelle les grandes vérités de Dieu et protège l'humanité de ses dérives idéologiques. Les musulmans sont hélas restés étrangement discrets lors des débats qui ont agité nos sociétés au sujet des lois qui favorisent l'homoparentalité. Quand les états oublient leurs idéaux démocratiques - la protection des plus faibles et ici des enfants – les croyants, juifs et chrétiens, restent les seuls à dire la vérité. Quasiment tous les psychanalystes ont en effet préféré leurs convictions politiques à leur savoir freudien. Finalement, ce sont presque exclusivement des gens de foi qui ont parlé. Sylviane Agacinski - une femme – a été une exception. Le courage d'exprimer publiquement des vérités dérangeantes ne reste-t-il pas l'apanage – ou la grâce - des femmes ? Préoccupées prioritairement de la survie de leurs petits, les femmes ne seraient-elles pas moins soumises que les hommes au conformisme tribal ou à la discipline de meute... ?
La femme n'est-elle pas plus naturellement prophète, là où l'homme est davantage prêtre ?
Les hommes et les femmes ont donc des vocations différentes dans l’Église, mais ils reçoivent néanmoins le même Baptême et sont donc tous prêtres, prophètes et rois.
En supprimant la circoncision réservé aux hommes, le christianisme insiste en effet sur cette égalité fondamentale de tous les êtres humains, enfants du même Père. Rien ne différencie le sacrement qui accueille la femme dans l’Église de celui qui y inclut l'homme.

9. 5. La Résurrection du Christ le révèle en plénitude : vrai homme et vrai Dieu ; le seul Prêtre, Prophète et Roi.
Avec la Résurrection, le Christ se révélé. Sa divinité devient connue, acceptée et proclamée. Il est roi, le Roi par excellence, Dieu Lui-même.

Quand Jésus est apparu aux Apôtres, Thomas était absent : « Or Thomas, l’un des Douze, appelé le Didyme, n’était pas avec eux, lorsque vint Jésus. Les autres disciples lui dirent donc : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur dit : « Si je ne vois par dans ses mains [ses poignets (?)] la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous et si je ne mets pas ma main dans son coté, je ne croirai pas. »
Huit jours après,
(nous sommes le dimanche 23 de Nisan de l'an 33) ses disciples étaient à nouveau à l’intérieur et Thomas avec eux. Jésus vient, les portes étant closes, et il se tient au milieu et dit : « Paix à vous ». Puis il dit à Thomas : « Porte ton doigt ici : voici mes mains, avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule mais croyant. » Thomas lui répondit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Jésus lui dit : « Parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru.
» (Jean 20, 24-29).

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L'incrédulité de Thomas
(Padoue, auteur incertain, vers 1300-1350 ; musée du Louvre).

La divinité du Christ éclate à sa résurrection dans la proclamation de foi de Thomas : Il est Dieu, le seul Roi éternel.
Tout au long des Évangiles, le Christ a exprimé Sa divinité de façon implicite. Finalement, à la Résurrection, elle devient explicite. Elle est proclamée par Thomas et le Christ confirme la profession de foi de Thomas : ceux qui croient en sa divinité sans l'avoir vu ressuscité sont qualifié d' « heureux ». Voilà la dernière Béatitude des Évangiles : « Heureux ceux qui ne [l’]ont pas vu [ressuscité, mais] qui ont cru » néanmoins que Jésus était Leur « SEIGNEUR ET DIEU ». Voilà à nouveau le salut promis à ceux qui croient en sa divinité.

Le Coran parlera de la Trinité pour en refuser l'idée avec indignation, il l'associe au polythéisme : « Quand Allah dira : « O Jésus, fils de Marie, est-ce toi qui as dit aux gens : prenez-moi, ainsi que ma mère, pour deux divinités en dehors de Dieu ? Il dira : « Pureté à Toi ! Qu’aurais-je à dire ce à quoi je n’ai aucun droit ? Si je l’avais dit, alors Tu l’aurais su, certes : Tu sais ce qu’il y a en moi, et je ne sais pas ce qu’il y a en Toi. » (Sourate 5, 116). Le Coran pense que la Trinité des chrétiens est constituée de Jésus-Christ, de Marie et de Dieu ! L'auteur du Coran ignore donc qui compose la Trinité des chrétiens. La Trinité réunit Le Père, le Fils et l'Esprit : Trois Personnes divines en un Seul Dieu. Dans le Coran, Jésus est Verbe de Dieu (S. 3, 45), Parole de Dieu, mais ce Verbe de Dieu affirme néanmoins ne rien connaître de l'intimité de Dieu (Sourate 5, 116). On touche là une particularité de l'islam que ne comprennent pas toujours les chrétiens qui sont familiers de la proximité avec le Christ des Évangiles. Pour les musulmans, Allah est un Être impossible à connaître, impossible à comprendre et avec Lequel nul ne peut communiquer : Il est une Transcendance absolue. On se soumet à Sa Loi - souvent dans la crainte - mais on ne Le connaît pas. Selon le Coran, même le Verbe de Dieu, Jésus le fils de Marie, ignore tout d'Allah (Sourate 5, 116). L'Évangile affirme l'inverse : le Fils, Prophète d'excellence, connaît parfaitement le Père (Jean 7, 29) et il nous l'a fait connaître (Jean 14, 7). En cela, Jésus est le Prêtre parfait, celui par lequel Dieu communique avec l'humanité et en qui l'humanité communique avec Dieu.

Prêtre, prophète et roi, ainsi le Christ s'offre-t-il à chacun. Le baptême propose à ceux qui croient de revêtir cette grâce christique et de devenir, à sa suite, prêtres, prophètes et rois. Mais, chacun est libre d'accepter le Christ ou de le rejeter. La Royauté divine du Christ n'est pas l'esclavage de l'homme !

9. 6. Le Christ pardonne à Pierre et le confirme dans sa vocation de pasteur universel : péché et miséricorde ; doute et liberté.
Pendant 40 jours, le Christ ressuscité prépare ses disciples à ce qui les attend. Il apparaît à plus de « 500 personnes », des hommes comme des femmes qui, du temps de Paul, étaient toujours vivants et pouvaient témoigner (1 Co 15, 6).
Le Christ prépare ses disciples à la suite de leur mission. Pierre, en particulier, se voit confirmé dans sa vocation alors qu'il l'a renié au moment de la passion. Le Christ va pardonner à Pierre. Encore une fois, la relation du Christ à Pierre est emblématique. Être un saint ne signifie pas que l'on soit un pharisien pétri de certitudes et convaincu de toujours bien agir, mais que l'on accepte de se repentir et de recevoir la miséricorde du Christ après avoir péché.

Pierre et les disciples sont prosaïquement retournés à leur vie d'avant : ils sont retournés pêcher sur la mer de Galilée, le lac de Tibériade (Jean 21, 1). « Ils sortirent, montèrent dans le bateau, mais cette nuit-là, ils ne prirent rien. Or, le matin déjà venu, Jésus se tient sur le rivage : pourtant les disciples ne savaient pas que c'était Jésus. Jésus leur dit : « Les enfants, vous n'avez pas de poisson ? » Ils lui dirent : « Non ! » Il leur dit : « Jetez le filet à droite du bateau et vous trouverez. » Ils le jetèrent donc et ils n'avaient plus la force de tirer, tant il était il était plein. Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Simon-Pierre mit son vêtement, car il était nu - et se jeta à l'eau... Jésus leur dit : « Venez déjeuner ». Aucun des disciples n'osait lui demander : « Qui es-tu ? » sachant que c'était le Seigneur... Quand ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon fils de Jean m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il lui répondit : « Oui  Seigneur, tu sais que je t'aime. Jésus lui dit : « fais paître mes agneaux. » » (Jean 21, 3-18).

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Jésus ressuscité apparaît à Pierre au lac de Tibériade
(Duccio di Buoninsegna, 1308 ; Sienne).

Par trois fois, le Christ lui demande s'il l'aime. Par trois fois, Pierre répond... Ainsi, Pierre est-il pardonné de son triple reniement et confirmé dans la vocation : « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Matthieu 16,8-19). C'est Pierre également qui détient les « clés du royaume » (Mathieu 16, 19), le salut passe donc par sa prédication et celle de ses successeurs.

Le fait que Pierre soit dépositaire des clés du Royaume a une signification importante : un chrétien ne peut pas se dire inspiré par l'Esprit Saint s'il raconte un Évangile personnel et divergeant de celui de Pierre. Le salut passe par sa prédication et celle de ses successeurs. Le Christ l'avait déjà dit pendant sa vie, mais il le confirme ici. Il ne peut y avoir de vérité divine autre que celle dont témoignent ceux qui l'ont accompagné pendant toute sa vie terrestre. « Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de Vérité, qui vient du Père, lui me rendra témoignage. Mais vous aussi, vous témoignerez, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement. » (Jean 15, 26-27).

Le témoignage des Apôtres est donc mis sur le même plan que le témoignage de l'Esprit-Saint. En effet, les hommes se font facilement des illusions et peuvent, par orgueil, se croire inspirés par l'Esprit-Saint, là où seule leur imagination s'exprime. Le premier critère pour discerner que l'Esprit-Saint a bien inspiré un prophète, c'est la conformité de sa prophétie avec le témoignage de Pierre et des Apôtres. Pour les catholiques, les évêques ont succédé aux apôtres et le pape a succédé à Pierre : la fidélité à l'enseignement du magistère de l’Église devient donc un critère de discernement incontournable. Pour les protestants, la parole divine est limitée au contenu de la Bible. Le prêche doit donc être fidèle à la parole du Christ et à la prédication des Apôtres telles que la Bible les contient.
Cette double fidélité, aux apôtres et à l'Esprit, permet une juste adaptation aux évolutions sociales. Il s'agit de ne pas refuser toutes les nouveautés, sous prétexte qu'elles n'ont pas été établies par le Christ : « N'éteignez pas l'Esprit...  mais vérifiez tout : ce qui est bon, retenez-le. » (1 Thes 5, 19). Par exemple, dès les débuts de l’Église, la circoncision a été abandonnée par les premiers chrétiens : ils ont décidé - discerné est le terme précis - que le Baptême et l'imposition des mains suffisaient au salut.

Lors d'une autre rencontre avec Jésus ressuscité, les onze apôtres sont confirmés dans leur mission : « Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait donné rendez-vous. Et quand ils le virent, ils se prosternèrent ; d'aucuns cependant doutèrent. S'avançant, Jésus leur dit ces paroles : « Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde. » » (Matthieu 28, 16-20).

La transmission de la Parole du Christ passe donc par le témoignage des Apôtres... et par la parole de leurs successeurs. En effet, les disciples ne sont que des hommes mortels. La présence du Christ au milieu d'eux « jusqu'à la fin du monde » est une promesse qui ne peut s'adresser qu'aux disciples du futur.
Les hommes choisis par le Christ sont frappés par le doute alors même qu'ils sont en face du Ressuscité.
C'est une chose essentielle : les hommes n'ont pas de certitudes... Ne peut-on pas dire que seuls les fous ou les enfants ont une foi dépourvue de doute ? Les hommes avancent habituellement dans la nuit de la foi. Doutant chacun à leur tour, les disciples mettront à l'épreuve leur propre fidélité envers Dieu. Par les fulgurances de l'Esprit-Saint, ils expérimenteront la grâce divine qui soulagera parfois leur cœur et éclairera leur intelligence. Mais, la foi d'un adulte sain, d'un apôtre choisi, passe par l'humilité d'un chemin sans certitude. Au risque de sombrer dans le pharisaïsme, le fidèle doit être éprouvé par la nuit du doute.
Les hommes, librement, peuvent accepter ou rejeter le Christ. La liberté de la foi suppose l'incertitude. Aucune preuve ne leur sera donnée qui amoindrirait leur liberté. Sans possibilité de douter, la foi ne serait pas.
Le Christ est si parfaitement respectueux de la liberté des hommes qu'il a été jusqu'à anticiper une défection totale de l'humanité face à sa Parole : « Le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » (Luc 18, 8).
Aux chrétiens, librement, de choisir de se taire ou de témoigner, d'être fidèle ou de renoncer.

La Royauté divine du Christ n'est pas l'esclavage de l'homme !

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L'ascension du Christ. Les apôtres forment une couronne majestueuse tout autour de la coupole
(mosaïque du XIIIe siècle, basilique Saint-Marc ; Venise).

9. 7. L’Ascension du 14 mai 33 : le Christ monte aux cieux.
Le Christ ressuscité a achevé la préparation de ses disciples. Il leur annonce son départ et leur demande de rester à Jérusalem dans l'attente de l'Esprit-Saint.

La venue de l'Esprit n'est pas renvoyée à un futur lointain et inconnu, le Christ dit clairement aux Apôtres d'aller L'attendre à Jérusalem : « C'est encore [aux Apôtres], qu'avec de nombreuses preuves, il s'était présenté vivant après sa passion, il leur était apparu et les avait entretenus du Royaume de Dieu. Alors, au cours d'un repas que Jésus partageait avec [les apôtres], il leur en enjoignit de ne pas s'éloigner de Jérusalem, mais d'y attendre ce que le Père avait promis ; « ce que, dit-il, vous avez entendu de ma bouche : Jean, lui, a baptisé avec de l'eau, mais vous, c'est dans l'Esprit Saint que vous serez baptisé sous peu de jours. » (Actes des Apôtres 1, 4-5).

Mais la promesse du Christ n'est pas comprise. Les apôtres appartiennent toujours à l'Ancienne Alliance et ils attendent encore la restauration politique de l'état d'Israël : « Étant donc réunis, ils l'interrogeaient ainsi : « Seigneur, est-ce maintenant, le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël ? » Il leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et moments que le Père a choisis de sa propre autorité. Mais vous allez recevoir une force, celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. » (Actes 1, 6-8). Il est à remarquer que les Apôtres n'ont toujours pas saisi la dimension spirituelle du Royaume. Ils attendent toujours un Royaume politique. Seule la venue de l'Esprit-Saint va les faire changer de perspective.
« À ses mots, sous leurs regards, [Jésus] s'éleva, et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils étaient là, les yeux fixés au ciel pendant qu'il s'en allait, voici que deux hommes vêtus de blanc se trouvèrent à leurs côtés, ils leur dirent : « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? Ce Jésus qui, d’auprès de vous, a été enlevé au ciel, viendra comme cela de la même manière que vous l'avez vu s'en aller vers le ciel. » (Actes 1, 6-8).

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L'Ascension du Christ
(Giotto di Bondone, 1303-1306 ; fresque de l'Arena, Padoue).

L’Ascension du Christ n'a été racontée que par le Nouveau Testament. Il n'y a donc aucune trace épigraphique ou archéologique de cette Ascension aux cieux du Christ ressuscité. Elle est néanmoins dans la continuité de la Résurrection du Christ. Sept siècles plus tard, le Coran ne sera précis, ni sur la mort du Christ, ni sur sa Résurrection ; mais il évoque cette Ascension : « Dieu l’a élevé à lui » (Sourate 4, 158).

Le Christ aurait donc été élevé aux cieux. Il ne sera plus jamais visible dans son corps physique.

Les apôtres partent à Jérusalem. Ils y restent dans l'attente de ce que leur à promis le Christ pour bientôt : la « force, celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous ».
Pendant ces jours d'attente, sous la conduite de Pierre, ils choisissent un autre homme pour remplacer Judas. Ils tiennent à rester douze, à être fidèles à ce nombre symbolique qui représente les douze tribus d'Israël, c'est à dire la totalité du Peuple Élu. Les apôtres prient et sélectionnent deux hommes pieux au milieu des 120 disciples présents. Le choix ultime entre ces deux hommes se passe par tirage au sort : Matthias remplace Judas et devient le douzième apôtre. C'est la seule et unique fois que les apôtres auront le souci de rester douze (Actes 1, 15-26). Avec l'extension de l’Église, les successeurs des apôtres deviendront les évêques, les chefs de chaque province de l’Église grandissante. Respecter le nombre symbolique de douze ne sera plus jugé utile. L’Église va rapidement s'ouvrir aux païens. Elle a vocation à atteindre les dimensions du monde et ne se limite plus à Israël.

De nos jours, si on ne considère que l’Église catholique, il existe plus de 5000 évêques.

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Les douze apôtres représentés comme issus du Christ, de la Vierge Marie et de
Saint Jean Baptiste : la
Nouvelle Alliance puise ses racines dans l'Ancienne Alliance

(icône du XVe siècle, Sainte-Sophie de Novgorod ; Galerie nationale Tretiakov, Moscou).


9. 8. Un autre monothéisme : « L’Église de Jésus Christ des Saints des derniers jours » : les Mormons.
Les Douze Apôtres sont institués au début du ministère de Jésus. Ils symbolisent des 12 tribus, la totalité du peuple juif.
En 33, entre l'Ascension du Christ et la venue de l'Esprit Saint, les Apôtres ont éprouvé le besoin de remplacer Judas (Actes 1, 23-26). Mais en 44, l’Apôtre Jacques, le fils de Zébédée, est martyrisé (Act 12, 2) : il n'est pas remplacé. L’Église s'est déjà ouverte aux païens (Actes 10). La venue de l'Esprit à la Pentecôte a changé les perspectives. En 44, se limiter aux 12 tribus d’Israël n'a déjà plus de sens. Les successeurs des apôtres seront donc les évêques dans une infinité de diocèses ; ils représentent la totalité de l'humanité, comme les 12 apôtres représentaient les 12 tribus. Le Christ n'était venu que pour le peuple d'Israël (Mt 15, 24), mais les apôtres doivent désormais porter sa parole jusqu'aux extrémités de la terre (Mt 28, 19). Ainsi l'ont compris les chrétiens.

Bien plus tard, certains protestants verront une apostasie dans cette interprétation chrétienne.
En 1830, aux États-Unis, Joseph Smith dit avoir reçu une vision de Jésus lui demandant de restaurer le vrai culte. Joseph Smith nomme « la grande apostasie » la période de 18 siècles qui le sépare de l'Ascension Jésus. L' Église des Saints des derniers jours, autrement appelée Église des Mormons, est née. Depuis, elle est dirigée depuis par un prophète vivant qui se dit directement inspiré par Jésus-Christ et par un collège de douze apôtres. En restant fidèle à ce collège des douze apôtres, les disciples de Joseph Smith pensent préparer et hâter la seconde venue du Christ. Au milieu du XIXe siècle, ils sont persécutés aux États-Unis. Des massacres ont lieu et leur Temple est incendié. Joseph Smith est finalement martyrisé en 1848 dans le village de Carthage en Illinois. Pendant cette période de persécutions, des Mormons partent à pied dans un exode de plus de 2000 km et trouvent refuge en 1847 autour du lac salé de l'Utah où ils fondent la ville aujourd'hui prospère de Salt Lake City.

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Joseph Smith, fondateur de l' Eglise des Saints des derniers jours (XIXe siècle).

L'origine de la foi de Joseph Smith remonterait à Léhi, prêtre hébreu censé être arrivé en Amérique au moment de la destruction du Premier Temple de Jérusalem sous Nabuchodonosor en 590 avant JC. Avec sa famille, Léhi aurait fui le royaume de Juda en traversant l'atlantique en bateau. Il aurait engendré les peuples Néphite et Jarédite qui vivraient en Amérique depuis lors.
Jésus-Christ leur aurait rendu visite trois jours après sa mort …

Moroni, un archiviste des peuples hébreux vivant aux États-Unis du IVe siècle après JC, aurait gravé leur histoire millénaire en égyptien sur des plaques d'or.
Ces fameuses plaques d'or du Livre de Moroni sont supposées avoir été découvertes en 1823 sur la colline de Cumorah dans l'état de New-York par Joseph Smith qui aurait été guidé vers elles par une vision. Elles ne sont pas parvenues jusqu'à nous... Joseph Smith a raconté qu'elles avaient été reprises par Moroni lors d'une apparition en 1830, après qu'il eut terminé leur traduction en anglais. Ces peuples hébraïques - censés avoir vécu depuis 590 avant JC en Amérique - n'ont laissé aucune trace archéologique dans le sol des États-Unis ...

Les Mormons ont pratiqué la polygamie - le mariage plural - officiellement jusqu'en 1889. Joseph Smith a inauguré cette licence en convolant avec 22 épouses avec lesquelles il a conçu plus de 40 enfants. Suite à cette expérience, les jeunes États-Unis inscriront clairement dans leur loi l'interdiction de la polygamie. Antérieurement, la monogamie avait simplement été supposée normale. Le mariage plural mormon est réservé aux prêtres. La majorité des femmes mormones se sont ainsi retrouvées engagées dans des mariages polygames au XIXe siècle. La pratique de la polygamie a persisté marginalement jusqu'à nos jours, mais elle appartient maintenant à un courant mormon fondamentaliste et déviant. Dans un autre domaine, les Mormons noirs n'ont pu accéder à la prêtrise qu'après 1978. En cela, les Mormons ont reproduit les discriminations raciales des États-Unis.

Les Mormons font une lecture littérale de la Bible à partir de sa traduction anglaise du XIXe siècle. Ils en sont venus à croire que le baptême individuel n'était pas suffisant au salut. Il faut, pour être sauvé, que tous les ancêtres d'un baptisé soient également baptisés. Les Mormons sont donc devenus des généalogistes d’exception. La France leur a donné libre accès à ses registres paroissiaux, charge à eux de les microfilmer et d'en remettre un exemplaire aux archives françaises. Si les Mormons baptisent leurs morts, c'est en application de ce verset de Paul : « Si les morts ne ressuscitent absolument pas, pourquoi se fait-on baptiser pour eux ? » (1 Co 15, 29-30). Une traduction de ce verset plus fidèle au texte grec primitif donne : « Que font-ils, ceux qui, au cours du baptême, sont morts ? ». En fait, ce verset est une simple allusion au baptême chrétien lors duquel le nouveau chrétien est plongé spirituellement dans la mort du Christ, pour ressusciter avec lui. D'autres versets de Paul confirment cette lecture : « Ensevelis avec le Christ lors du baptême, vous êtes vous aussi ressuscités avec lui » (Colossiens 2, 12). « Ignorez-vous que, baptisés dans le Christ-Jésus, c'est dans sa mort que, tous, nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions, nous aussi, dans une vie nouvelle. » (Romains 6, 3-4). Dès les origines du christianisme, le baptême chrétien s'inscrit dans la reproduction mystique de la passion du Christ qui va de sa mort à sa résurrection.

Les Mormons ne font plus partie des chrétiens puisqu'ils ne croient pas en la divinité du Christ. Benoît XVI a confirmé que leur baptême n'était pas le même que celui des chrétiens ; mais il a noué le dialogue avec eux. Les Mormons disent que la divinité du Christ n'est pas proclamée dans les Évangiles. Nous avons vu que l'affirmation de la divinité du Christ y est discrète mais néanmoins explicite. Pour les Mormons, Jésus est le Sauveur, il est bien le Fils de Dieu, le premier né dans l'Esprit mais sans être Dieu Lui-même. Jésus est donc uniquement homme et il a été conçu par ses deux parents naturellement (Encyclopedia of Mormonism, Jésus-Christ, 1992), il s'est marié lors des noces de Canna avec plusieurs femmes (Orson Pratt, apôtre mormon installé le 26-4-1835, The Seer, page 172). Il a pour frère le diable, celui-ci étant un autre fils de Dieu : « la mission de Jésus d’être le Sauveur du monde fut contestée par un des autres fils de Dieu. Il fut appelé Lucifer … » (Milton R. Hunter, The Gospel Through The Ages, 1945, page 15).

Dieu est qualifié de « Dieu des armées » par le Livre de Mormon. Issue du protestantisme, l’Église mormone pratique une lecture littérale de la Bible qui donne à l'Ancien Testament une place particulière. Ainsi, les Mormons ne voient-il pas dans l'Ancien Testament une révélation progressive des vérités divines mais un absolu à appliquer au premier degré. « C'est pourquoi, ce peuple gardera mes commandements, dit le Seigneur des armées, sinon le pays sera maudit à cause de lui. » (Jacob 2-29, 3e Livre de Mormon). Nous avons vu ce que l'archéologie a révélé du Dieu des combats hébraïque, qui a vaincu dans des guerres imaginaires (celles de Josué, de Saül ou de David,) et n'a pas soutenu son peuple lors de ses défaites historiques (celle d'Osée, d'Ézéchias ou de Josias). Ainsi perdure chez Joseph Smith, l'hypothèse du roi Josias, celui qui a mis par écrit l'Ancien Testament au VIIe siècle avant JC et y a développé et officialisé l'hypothèse spirituelle du Dieu des combats. Vision d'un Dieu des combats, ô combien séduisante aux yeux des hommes, mais que Jésus-Christ et l'histoire ont récusé.

Combien il est difficile d’offrir une religion qui résiste au passage du temps, échappe aux mythes, survive aux découvertes scientifiques et archéologiques, et ne soit pas le reflet des archaïsmes sociologiques de son temps, que ce soit par la pratique de la polygamie ou le rejet des hommes noirs. L'universalité et l'objectivité ne sont pas à la portée de tous les prophètes ...
L’Église des Saints des derniers jours s'est fait connaître par ses œuvres caritatives, qu'elle offre à tous, même à ceux qui ne partagent pas sa foi. Les Mormons sont actuellement 14 millions, principalement aux États-Unis.

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Le temple des Mormons construit là où serait apparu l'ange Moroni (Birmingham, en Alabama). Gros plan de la statue de l'ange Moroni
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 5:51

9 : LES DÉBUTS DE L'ÈRE CHRÉTIENNE.
De l'an 33 à l'an 130.


9. 1. Le dimanche 5 avril 33, le jour se lève, Marie-Madeleine constate que la pierre a roulé : le Tombeau est ouvert.
9. 2. Traces non chrétiennes de la Résurrection, écrits juifs, musulmans et romains.
9. 3. Le Christ ressuscité apparaît à Marie Madeleine.
9. 4. « Pourquoi chercher parmi les morts Celui qui est vivant ? » (Luc 24, 5).
9. 5. La Résurrection du Christ le révèle en plénitude : vrai homme et vrai Dieu ; le seul Prêtre, Prophète et Roi.
9. 6. Le Christ pardonne à Pierre et le confirme dans sa vocation de pasteur universel : péché et miséricorde ; doute et liberté.
9. 7. L’Ascension du 14 mai 33 : le Christ monte aux cieux.
9. 8. Un autre monothéisme : « L’Église de Jésus Christ des Saints des derniers jours » : les Mormons.

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9. 9. Les Actes des Apôtres sont écrits par l’Évangéliste Luc.
9. 10 . La Pentecôte, le 24 mai 33.
9. 11 . L’histoire du Peuple Élu trouve son accomplissement dans le don de l'Esprit Saint.
9. 12 . Qu'est devenue Marie ?
9. 13. Pierre accueille les nouveaux convertis juifs et païens, les sacrements.
9. 14 . Le christianisme n'appelle pas à la révolution : soumission fraternelle, égalité et amour mutuel.
9. 15 . Paul, autobiographie.

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9. 16. Paul et les femmes.
9. 17 . Les faux prophètes, les faux docteurs.
9. 18 . Géopolitique et auteurs romains au premier siècle.
9. 19. En 62 débute la mise par écrit des Évangiles.
9. 20. Les synoptiques : Matthieu, Marc et Luc.
9. 21 . En 64, Pierre est enterré à Rome.

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9. 22. L'Évangile selon Saint Jean, le plus historique des Évangiles.
9. 23 . Prédiction ou hasard, les chrétiens fuient Jérusalem en 66, juste avant que le piège romain ne se referme.
9. 24.  En 68, le site de Qumrân est détruit.
9. 25. La destruction du Temple d'Hérode en 70.
9. 26. Yohanan Ben Zakkaï sauve le judaïsme. Naissance du rabbinisme : Thora écrite, Thora orale.
9. 27. Entre -200 et 200, le judaïsme entre persécution et apostolat.
9. 28. Vers 170, Canon de Muratori et apparition du mot Trinité.
9. 29. Le Talmud de Jérusalem et le Talmud de Babylone : la Vérité naît du doute.
9. 30. Comment les juifs, les romains et les païens perçoivent-ils le Christ aux deux premiers siècles.

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 5:52

CHAPITRE 9 (SUITE) : LES DÉBUTS DE L'ÈRE CHRÉTIENNE.

De l'an 33 à l'an 130.


9. 9. Les Actes des Apôtres sont écrits par l’Évangéliste Luc.
Les actes des apôtres ont été écrits par Luc, l'auteur du troisième Évangile. Il les a écrits pour raconter les débuts de l’Église chrétienne. Il y a une continuité parfaite entre l’Évangile de Luc et les Actes des apôtres : il s'agit du même livre présenté en deux volumes.
L’évangéliste Luc est connu par les écrits de Paul. Luc est médecin (Col 4, 14). Paul le cite parmi ses collaborateurs : « Luc, le médecin bien-aimé, vous salue, ainsi que Démas » (Col 4, 14). Selon toute évidence, Luc est grec. En effet, son style et son écriture dans cette langue sont parfaits. En raison des sémitismes qu'ils contiennent, les trois autres Évangiles portent la trace de l'origine linguistique araméenne de leurs auteurs. Luc s'est probablement converti au christianisme à la fin des années 50. En effet, les trois épîtres de Paul, qui citent Luc comme un de ses compagnons et disciples, ont été écrites après 60, exactement entre 61 et 62 (Philémon 1, 24 ; 2 Timothée 4, 11 ; Colossiens 4, 14).

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Saint Luc l’Évangéliste
(Chapelle Saint-Joseph ; cathédrale d'Amiens).

Par ailleurs, les écrits de Luc sont datés par les éléments culturels qui s'y trouvent :
- Luc parle de Pilate comme étant procurateur de Judée
(Luc 3, 1). Or, le titre de procurateur n'a été donné au préfet de Judée que sous l'empereur Claude. Claude ayant régné de 41 à 54, on ne sait pas avec plus de précision à quel moment le préfet de Judée a pris le titre de procurateur. Philon d'Alexandrie est décédé en 54 et il écrit lui aussi que Pilate est procurateur... Luc a donc accompli son travail de rédaction forcément après 41 et sans doute après 54. Cela est vraisemblable, puisque la conversion de Luc au christianisme date des années 50.
- Luc ne fait aucune allusion à la destruction du Temple. Le Temple n'était donc pas encore détruit lorsque son travail d'écriture s'est achevé. En fait, les Actes des Apôtres ne racontent aucun événement postérieur à 62. Ils ne racontent, ni la mort de Pierre, ni celle de Paul. Les actes se terminent par la mise en détention de Paul à Rome.
L’analyse des événements historiques des Actes des Apôtres date donc leur rédaction dans une fourchette allant de 41 à 62 et plus probablement entre la fin des années 50 et l'an 62.

Les Actes des apôtres contiennent des noms propres qui correspondent tous à des notables de la moitié du premier siècle. Des sources extérieures ont confirmé leur existence :
- Les membres des familles sacerdotales de Jérusalem sont cités dans les Actes : « Avec Hanne, le souverain sacrificateur, Caïphe, Jean, Alexandre et tous ceux qui étaient de la race des principaux sacrificateurs » (Actes 4, 4). Ces noms propres des membres des familles sacerdotales sont connus par ailleurs par les écrits de Flavius Josèphe.
- Le proconsul Sergius Paulus de l’île de Chypre (Actes 13, 7) a vu son existence confirmée par la découverte en 1887 à Rome d'une borne frontière. Nommé par l'empereur Claude (qui règne de 41 à 54), son nom est inscrit sur la borne à côté de ceux de 47 « curateurs des rives et du lit du Tibre » (curator riparum et alvei Tiberis).
- Le proconsul d'Achaïe Gallion est amené à juger Paul (Actes 18, 12). On a retrouvé son nom sur une dalle trouvée à Delphes au XXe siècle. L'empereur Claude y évoque le proconsul d’Achaïe, Gallion, dans une inscription datée avec précision de 52.

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Plaque de marbre en neuf fragments découverte à Delphes, attestant de l'existence de Gallion, proconsul : « Tibère Claude César Auguste
Germanicus, 12e année de puissance tribunicienne, acclamé empereur pour la 26e fois, père de la patrie, envoie son salut à... Comme
me l'a rapporté récemment mon ami et proconsul L. Iunius GALLION et désirant que Delphes retrouve son ancienne splendeur. ».

- Le gouverneur de Césarée, Félix (Actes 23, 24), son épouse Drusille (Actes 24, 24), et leur successeur deux ans plus tard, Porcius Festus (Actes 24, 27) sont cités par Luc. Flavius Josèphe confirme leur existence (Antiquités juives, XX, 12). Tacite confirme également d'une plume acerbe qu'ils sont contemporains de Claude : « Antonius Felix, donnant toute carrière à sa débauche et à sa cruauté, exerça le pouvoir d'un roi avec l'esprit d'un esclave. Il avait épousé Drusilla, petite-fille d'Antoine et de Cléopâtre, en sorte qu'il était gendre au second degré du même triumvir dont Claude était petit-fils. » (Tacite, Histoire, V, 9, 8).
- Luc cite le roi Agrippa et Bérénice (Actes 25, 13). Il s'agit du roi Hérode Aggrippa II, qui était de 54 à 92 le souverain fantoche de la Judée sous tutelle romaine. Bérénice est sa sœur. Ils sont connus également par d'autres sources. En fait, Flavius Josèphe était l'ami du roi Aggrippa II et il l'a souvent cité dans ses ouvrages.

Si on compare ces textes au Coran, on peut être surpris de voir à quel point de Coran est pauvre en noms propres qui permettraient de savoir à quel moment il a été rédigé. Les trois seuls hommes cités dans le Coran font partie du cercle étroit de la Mecque. Il s'agit de Mohamed, cité quatre fois (Sourate 3, 144 ; S. 47, 2 ; S. 48, 29 ; S. 33, 40) ; de Zaïd, son fils adoptif dont il convoite l'épouse, cité une fois (S. 33, 37) ; et de l'un des ses oncles paternels, le chef de la Mecque qui s'oppose à lui, Abū Lahab, nommé une fois (S. 111, 1). Quand une sourate annonce la victoire des byzantins, aucun nom propre n'est cité, comme si l'auteur du texte avait oublié - ou jamais su - le nom des souverains des empires voisins de la théocratie de Mohamed : « Les grecs ont été vaincus sur la terre proche. Mais après cette défaite, ils vaincront dans quelques années. » (S. 30, 2-4). Mohamed pouvait-il ignorer le nom des souverains régnants des royaumes voisins qui étaient ses contemporains ? Le Coran n'aurait-il pas été rédigé suffisamment tardivement pour que ses rédacteurs n'aient pas connu ces souverains du passé ? Les sources byzantines, grecques, nous donnent les informations manquantes. Le souverain perse Chosroes II a envahi l'Empire grec byzantin au début du VIIe siècle. En 615, il prend la ville de Jérusalem qui était alors possession byzantine : il la saccage. Chosroes II guerroie ensuite d’Antioche à Damas, toujours en terre grecque de 620 à 627. En 627, à la bataille de Ninive, l'avancée perse est arrêtée par l'empereur byzantin Héraclius. Chosroes II doit fuir, avant d'être assassiné par son fils Kubādh, en 628. Tous ces événements se sont produits pendant la vie de Mohamed qui a prêché de 610 jusqu'à son décès en 632. L'annonce de la victoire byzantine sur les Perses n'est donc pas une prophétie au sens propre, mais plutôt une évocation succincte de l'actualité du moment (S. 30, 2-4). Pour expliquer le manque de précision du Coran, l'interprétation musulmane dira que le Coran ne parle que de choses divines et ne donne pas d'informations que l'on puisse obtenir par d'autres moyens ...

Dans les Actes des Apôtres, les noms des protagonistes, multiples et précis, authentifient l'ancienneté du témoignage de Luc. Leur contenu factuel permet de conclure que les Actes des Apôtres et l’Évangile de Luc ont été mis par écrit à la fin des années 50 ou au début des années 60, et probablement entre 60 et 62, moment où Luc est devenu un des assistants de Paul. Nous connaissons donc les débuts de l'histoire de l’Église par le récit des Actes des Apôtres écrit par Luc moins de 30 ans après les faits.

Luc n'est pas un témoin direct, puisqu'il s'est converti vers 50, mais il a soigneusement interrogé les témoins survivants pour écrire ses chroniques (Luc 1, 3).

9. 10 . La Pentecôte, le 24 mai 33.
La naissance du christianisme, juste après l'Ascension du Christ, est donc racontée par les Actes des Apôtres.

À la mort du Christ, ses disciples étaient une poignée d'hommes terrorisés. La Résurrection les a transformés, mais ils n'ont pas encore compris le sens spirituel de la Parole du Christ : les apôtres attendent toujours la restauration politique d'Israël. La valeur symbolique des paroles du Christ reste encore à comprendre ... Seul l'Esprit Saint va les conduire à la Vérité tout entière, comme l'avait promis le Christ (Jean 16, 13). Seul l'Esprit Saint va leur donner la force de se transformer en évangélisateurs intrépides, quoique désarmés.

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La descente du Saint-Esprit sur les Apôtres
(Icône de l’école de Constantinople, XIIe siècle ; Mont Athos).

Le jour de shavou’ot, de la Pentecôte, les Juifs commémorent le don de la Loi à Moïse. C'est ce jour-là, que l'Esprit-Saint va venir sur les disciples du Christ. L'Esprit-Saint va maintenant accomplir le rôle de Directeur - ou mieux de Conseiller - qu'avait assumé jusque là la Loi de Moïse.
L'Ancien Testament avait préparé à la venue de l'Esprit : « Voici venir des jours où je conclurai avec la maison d’Israël une alliance nouvelle ... Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. Ils n’auront plus à instruire chacun son prochain, chacun son frère, en disant : « Ayez la connaissance de Yahvé ! » Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands. » (Jérémie 31, 31-34).
Dieu va maintenant réaliser la promesse faite à Jérémie.

Le jour de shavou’ot 33 se produit un événement invraisemblable. Les disciples sont réunis à Jérusalem autour de Marie, dans l'attente de ce que leur a annoncé le Christ dix jours auparavant, avant de disparaître à leurs yeux : « Le jour de la Pentecôte étant arrivé, ils se trouvaient tous ensemble dans un même lieu, quand, tout à coup, vint du ciel un bruit tel que celui d'un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils se tenaient. Ils virent apparaître des langues qu'on eût dites de feu ; elles se partageaient, et il s'en posa une sur chacun d'eux. Tous furent alors remplis de l'Esprit Saint et commencèrent à parler en d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer. »

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La Pentecôte (Duccio di Buoninsegna, 1308-1311 ;
musée dell'Opera del Duomo ; Sienne).

« Or, il y avait, demeurant à Jérusalem, des hommes dévots de toutes les nations qui sont sous le ciel. Au bruit qui se produisit, la multitude se rassembla et fut confondue : chacun les entendait parler en son propre idiome. Ils étaient stupéfaits, et, tout étonnés, ils disaient : « Ces hommes qui parlent, ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il alors que chacun de nous les entende dans son propre idiome maternel ? ...Tous nous entendons publier dans notre langue les merveilles de Dieu ! » Tous étaient stupéfaits et se disaient perplexes, l'un à l'autre : « Que peut bien être cela ? » D'autres encore disaient en se moquant : « Ils sont pleins de vin doux ! » » (Actes 2, 1-12).

Dès lors, le lien entre Dieu et les croyants devient individuel. Dieu va parler à chacun et entrer en relation directement avec tous.


Le « Veni creator » est un hymne implorant l'Esprit Saint, composé par Raban Maur (780-850), moine bénédictin et évêque de Mayence : « Viens,
Esprit Créateur, visite l'âme de tes fidèles, emplis de la grâce d'En-Haut, les cœurs que tu as créés. Toi qu'on nomme le Consolateur,
le don du Dieu très-Haut, la source vivante, le Feu, la Charité, l'Onction spirituelle. Tu es l'Esprit aux sept dons, le doigt de la
main du Père, Son authentique promesse, Celui qui enrichit toute prière. Fais briller en nous ta lumière, Répands
l'amour dans nos cœurs, soutiens la faiblesse de nos corps, par ton éternelle vigueur ! ».

Les musulmans reprochent souvent aux chrétiens d'avoir besoin de l'intermédiaire de leurs prêtres pour entrer en communication avec Dieu. En fait, il s'agit d'une méconnaissance de la foi chrétienne. Par l'Esprit-Saint, les chrétiens entrent chacun intimement en contact avec Dieu. Les prêtres sont alors nécessaires pour aider au discernement et éviter les illusions spirituelles. Ils ont un rôle de modérateurs et non d'intermédiaires obligés entre Dieu et Ses fidèles.

Pour les chrétiens, l'Esprit-Saint est la Troisième Personne de la Trinité. Il est pleinement Dieu et reçoit même adoration et même gloire que le Père et le Fils. Ensemble, ils sont un seul Dieu et, séparément, Ils sont chacun pleinement Dieu. Sans l'Esprit-Saint, nul ne peut avoir l'intelligence de Dieu, ni comprendre la Parole du Christ.
Contrairement à ce que pourrait penser un non chrétien, l'Esprit-Saint n'est pas une invention du Nouveau testament. À la Création, l'Esprit planait sur les eaux (Genèse 1, 2). Quand Yahvé choisit d’apparaître à Abraham, celui-ci voit trois hommes (Genèse 18, 1-2). De même, selon l'Ancien Testament, l’Esprit est Celui qui inspire les prophètes et donne l’intelligence de Dieu (Isaïe 63,7-14 ; Psaume 51, 13 ; Livre de la Sagesse 1, 5-6).
La venue de l'Esprit-Saint va changer radicalement la vie des Apôtres. D'enfants pleins d’enthousiasme et sans sagesse, ils vont acquérir la faculté de saisir la Volonté de Dieu et de discerner ce qui est juste de ce qui est faux.

Paul va longuement parler de l’Esprit Saint dont la présence et l'action sont perceptibles par des manifestations sensibles : la joie, la paix, la douceur, la patience, la bonté, la fidélité dans la foi, l'intelligence de Dieu et la compréhension d'autrui. Quand un chrétien apprend à connaître le Christ, il se laisse toucher par sa bonté, il accepte d'être émerveillé par sa parole de libération, il se laisse renouveler par son pardon. Il goutte alors intérieurement les manifestations sensibles de l'Esprit-Saint : la paix, la joie et la douceur. Celles-ci laissent en lui la mémoire d'une expérience indicible et inoubliable qui sert de boussole au croyant. Là où reposent la paix, la joie et la force du Christ, là sera le chemin que choisira le disciple. Comment ne pas se détourner du goût amer du péché et de ces vaines joies, quand on a éprouvé la grâce de Dieu. Paul en témoigne : « Or je dis : laissez-vous mener par l’Esprit et vous ne risquerez pas de satisfaire la convoitise charnelle. Car la chair convoite contre l’Esprit et l’esprit contre la chair... Mais si l’Esprit vous anime, vous n’êtes pas sous la Loi. Or on sait bien tout ce que produit la chair : fornication, idolâtrie, haines, discordes, jalousie, emportements, disputes, dissensions ... ceux qui commettent ces fautes n’hériteront pas du Royaume de Dieu. Mais le fruit de l’Esprit est charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi : contre de telles choses il n’y a pas de loi.... Puisque l’Esprit est notre vie, que l’Esprit nous fasse aussi agir. » (Galates 5, 16-24).

Dans ses épîtres, Paul expliquera aux chrétiens comment différencier ce qui vient de l’Esprit de Dieu, de ce qui vient des illusions spirituelles. Les critères de discernement sont logiques et dans la suite de l'enseignement du Christ à ses Apôtres lors de la Cène. Le principal critère de discernement est d'être fidèle aux témoignages des Apôtres : « Lorsque viendra ... l'Esprit de Vérité, qui vient du Père, lui me rendra témoignage. Mais vous aussi, [les Apôtres] vous témoignerez, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement. » (Jean 15, 26-27).

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Le Pape inspiré par l'Esprit-Saint, représenté sous forme de colombe qui lui parle à l'oreille
(
Les Riches Heures du duc de Berry, vers 1450 ; musée de Condé, Chantilly).

À la suite du Christ, Paul affirme que chacun doit être subordonné au discernement des apôtres, en particulier dans l'exercice des charismes qui, par définitions, sont les manifestations sensibles de l'Esprit : « Or, vous êtes, vous, le corps du Christ, et membres chacun par sa part. Et ceux que Dieu a établis dans l’Église, sont premièrement les apôtres, deuxièmement les prophètes, troisièmement les docteurs... » (1 Corinthiens 12, 27-28).

C'est à Ses fruits que le chrétien remarque le passage de l'Esprit-Saint. Cela demande l'éducation du discernement, mais cela est accessible à tout chrétien qui prie, qui se forme et écoute la parole de la Bible et l'enseignement de l’Église. Le discernement de l'Esprit-Saint sera la clé de voûte de la vie spirituelle des chrétiens affranchis de la Loi.
« N'éteignez pas l'Esprit ... mais vérifiez tout : ce qui est bon, retenez-le. » (1 Thessaloniciens 5, 19).

9. 11. L’histoire du Peuple Élu trouve son accomplissement dans le don de l'Esprit Saint.

La révélation des réalités divines s'est faite progressivement. Pour les chrétiens, cette révélation culmine avec la venue du Christ et s'achève avec le don de l'Esprit-Saint sur l’Église. Mais cette révélation progressive, sur des millénaires, a un sens profond. L’Ancien Testament n'est pas une révélation primitivement erronée ou un texte saint qui ne serait que partiellement inspiré. Cette révélation progressive racontée dans la Bible reproduit le cheminement de chaque homme et, à ce titre, elle est porteuse d'une vérité divine, même dans ses approximations historiques. Une fois de plus, la Bible n'est pas un livre de sciences ou d'histoire. La Bible est un texte saint. Elle dit la vérité sur Dieu et sur Ses relations avec les hommes. L'histoire du Peuple Élu peut et doit être lue en parallèle avec celle de chaque homme.

La première révélation du Dieu unique est offerte à Abraham.
La seconde révélation fondamentale est donnée à Moïse : Dieu n'est pas esclavagiste.
Ce n'est qu'après la libération de l'esclavage d’Égypte, que Moïse reçoit la Loi pour guider le peuple. L'homme libéré de l'esclavage a besoin de règles pour exercer sa liberté à bon escient.
Dieu se révèle peu à peu par les prophètes : Il est Amour. Cet amour inattendu dans un monde si dur traverse l'Ancien Testament. Michée (Mi 6, 2-8), Sīrac (Sīrac 1, 12), Joël (Jo 2, 12-13), Osée (Os 2, 21-22), Isaïe (Is 66, 12-13), autant de prophètes qui annoncent un Dieu amour. « Tu es le Dieu des pardons, plein de pitié et de tendresse, lent à la colère et riche en bonté ! » (Néhémie 9, 17). Mais dans le même temps, les hommes racontent un Dieu des combats qui agit, s'il le faut, par la violence pour sauver son peuple et tirer vengeance des ennemis d'Israël.
La révélation de l'amour de Dieu s'achève avec le Christ venu sauver les hommes de la mort et du péché, même si cela le conduit à la plus atroce des morts. Sa souffrance aurait bien été vaine si elle n'avait été qu'humaine. Mais par sa divinité, le Christ nous obtient le salut.
La dernière étape de la révélation s'accomplit avec la venue de l'Esprit-Saint. La vie dans le Royaume de Dieu - Royaume qui est présent parmi nous depuis que le Fils-Unique-Engendré s'est incarné - est enfin rendue accessible à tout homme par le don de l'Esprit.

Et l’histoire sainte de chacun de nous correspond de fait à l'Histoire Sainte du peuple hébreu.
Enfant, nous apprenons à discerner le bien du mal en nous soumettant à une loi. Cette loi n'est pas toujours divine, mais toujours indispensable pour vivre en société. À la suite de la révélation du Peuple élu, nous pouvons également apprendre à obéir aux Dix Commandements. Il s'agit de ne pas voler, de ne pas m entir, de ne pas être violent, d'honorer ses parents et d'adorer un Dieu Unique. L’acceptation de la Loi – d'une loi – est en effet indispensable à la structuration psychique de l'être humain.
Mais, dans l'enfance, lors de notre apprentissage de la vie spirituelle, nous souscrivons également volontiers à l'hypothèse du Dieu des combats. Trop fragiles pour assumer seuls notre vie, nous recherchons dans la Toute puissance de Dieu une solution magique à nos problèmes. Nous Lui demandons des miracles, là où notre travail, notre courage ou notre persévérance pourraient trouver des solutions. Le Dieu des combats, avec son efficacité guerrière, reste le fantasme enfantin de ceux qui ignorent que la responsabilité de la terre leur a été laissée à la Création ou de ceux qui sont tout simplement trop jeunes, trop fragiles ou trop immatures pour en assumer la réalité. Cette étape est nécessaire et fait partie de la vie spirituelle de chacun. La Providence divine peut d'ailleurs agir matériellement dans le monde. Mais, le rôle essentiel de Dieu n'est probablement pas là. D'autant que l'observation du monde nous prouve chaque jour que Dieu ne fait pas de miracle pour s'opposer à l'exercice du libre-arbitre. En effet, combien souvent Dieu reste-t-Il silencieux quand l'homme se sert de sa liberté pour pécher.

Pour certains, être fidèle aux Dix Commandements et prier Dieu pour qu'Il règle nos soucis les plus lourds, sera la seule façon d’être croyant, d'être chrétien... et cela semble suffisant pour obtenir le salut. Le Christ l’a confirmé avec une petite précision cependant : il faut être bon pour les pauvres. Il n'y a pas d’adoration authentique du Dieu Unique sans amour du prochain (Mat 25, 31-46).
Enfin, les chrétiens peuvent également accéder à la plénitude de la vie dans l’Esprit-Saint.

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La Pentecôte  (Les Riches Heures du duc
de Berry, vers 1450 ; musée de Condé, Chantilly).

La grâce essentielle de Dieu semble bien être ce don de l'Esprit-Saint, bien davantage que l'octroi de biens matériels : « Si donc, méchants comme vous l'êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison le Père céleste donnera-t-il le Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent » (Luc 11, 13). Pour cela, il faut pour cela être prêt à suivre les impulsions de l'Esprit sans forcément savoir où cela nous mènera : « Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais, ni d'où il vient, ni où il va, ainsi en est-il de quiconque est né de l'Esprit. » (Jean 3, 8). Voilà la promesse faite dès sa vie publique par le Christ à ses disciples.
Il ne s'agit donc pas d'attendre de Dieu des biens matériels pour réussir et en particulier pour évangéliser.
Le peuple chrétien des origines n'a ni argent, ni pouvoir, ni moyen de communication, ni armée... il a néanmoins grandi. Chacun de ses membres reçoit les dons de l'Esprit nécessaires au bien commun. Les hommes comme les femmes prophétisent (Actes 21, 9). Les païens reçoivent l'Esprit, aussi bien que les juifs baptisés (Ac 10, 47-48).

Certains dons de l'Esprit sont à l'évidence surnaturels.
- La connaissance de l'avenir est l'un d'eux.
« En ces jours-là, les prophètes descendirent de Jérusalem à Antioche. L'un d'eux nommé Agabus, se leva et, sous l'action de l'Esprit, se mit à annoncer qu'il y aurait une grande famine dans tout l'univers. C'est celle qui se produisit sous Claude. Les disciples décidèrent alors d'envoyer, chacun selon ses moyens, des secours aux frères de Judée. » (Ac 11, 27-29). Le prophète Agabus ne fait pas un tour de force pour impressionner les foules, mais son don spirituel permet la solidarité envers les plus nécessiteux.

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Pierre ressuscite Tabitha (Actes 9, 36 ;
mosaïque du XIIe siècle ; chapelle Palatine de Palerme).

- La lecture des cœurs est une autre de ces dons surnaturels qui impressionnent les païens. Le prophète révèle quelque chose de caché dans l'esprit d'une des personnes présentes, ce qui conduit à sa conversion (1 Co 14, 24-25). Plus près de nous, en France au XIXe siècle, Saint Jean Marie Vianney (1796-1859) le curé d'Ars, possédait ce charisme surprenant. Quand il confessait un pénitent, il ne savait plus faire la distinction entre ce que lui avait dit cette personne et ce que lui avait révélé l'Esprit-Saint. Il parlait alors spontanément de ce que son pénitent n'avait confié à personne, et pas même à lui en confession. Là encore, la conversion du pécheur était le premier fruit du passage de l'Esprit.

Mais le rôle le plus naturel et le plus simple des prophètes, relais de l'Esprit-Saint, est de parler devant l'assemblée pour encourager le peuple et expliquer la Parole de Dieu (Ac 15, 32). « Celui qui prophétise parle aux hommes, il édifie, exhorte, réconforte. » (1 Co 14, 3). Le rôle du prophète est de comprendre les mystères de Dieu, « révélation d'un mystère enveloppé de silence aux siècles éternels, mais aujourd'hui manifesté » (Romains 16, 25) et de les expliquer à tous, y compris aux païens (Éphésiens 3, 5-6). Expliquer le sens des écritures est donc la grâce du prophète, que ce soit le prêtre en chaire ou le pasteur, la femme qui fait le catéchisme ou l'enfant qui explique sa foi. La prophétie n'est pas un charisme d'exception, mais c'est la manifestation ordinaire de Dieu au cœur de son Église par l'action de l'Esprit-Saint. Être prophète signifie que l'on dit la vérité et en particulier La Vérité divine.

Ces dons spirituels ne donnent aucune supériorité aux croyants qui les exercent. Ceux-ci ne sont pas propriétaires de la grâce qu'ils exercent : il s'agit d'un don ponctuel pour l'édification de l'assemblée (1 Corinthiens 12, 7). Ces dons de l'Esprit, même quand ils sont surnaturels, ne doivent donc pas susciter l'orgueil : « Quand j'aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j'aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. » (1 Corinthiens 13, 2). La charité est le don de l'Esprit qui prédomine sur tous les autres.

Par les dons de prophétie, d'enseignement, de foi, de charité fraternelle et de discernement, la parole du Christ s'est répandue, sans aucune force armée, sans pouvoir politique et sans aucune puissance financière.

9. 12 . Qu'est devenue Marie ?
La Vierge Marie disparaît du Nouveau Testament dès le début des Actes des Apôtres. À la mort de son fils, elle avait à peu près 55 ans, si on suppose qu'elle avait environ 15 ans à la naissance du Christ. Lors de la Pentecôte, elle est avec les disciples au moment où ils reçoivent l'Esprit Saint. Elle fait partie de ceux qui sont restés à Jérusalem pour attendre le Paraclet (Ac 1, 14). Puis, on ne parle plus d'elle dans le Nouveau Testament.

La Tradition chrétienne a suggéré qu'elle avait vécu à Éphèse où Jean l'aurait mise à l'abri. En 431, le texte du concile d’Éphèse signale que Marie et Jean séjournèrent à Éphèse. Il n'existe pas de preuve de ce séjour en dehors de ce texte tardif et de passages d'évangiles apocryphes. Le texte le plus ancien parlant de Marie est le Protévangile de Jacques ; il n'a été écrit qu'à la fin du IIe siècle. Il raconte la naissance et l'enfance de Marie. Le Pseudo évangile dit de Jean, qui raconte la vie de l'évangéliste Jean et de Marie à Éphèse, n'a été rédigé qu'au IVe siècle. Le décès de Marie y est raconté dans un texte rempli de fantastique.

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Détail de la dormition de la Vierge ( XVIe siècle ; abbaye de Solesme).

Selon le Pseudo évangile dit de Jean, au moment de mourir, Marie aurait été transportée d’Éphèse à Bethléem par l'Esprit-Saint. Venant de plusieurs continents où ils étaient en mission, les apôtres auraient été ramenés également par l'Esprit à Bethléem pour l'assister dans ses derniers instants. Ils auraient ensuite porté son corps jusqu'à Jérusalem pour l'enterrer à Gethsémani. Son corps aurait disparu mystérieusement trois jours après. Il s'agit d'un écrit tardif contenant trop de merveilleux pour être crédible. Cette histoire surnaturelle cache-t-elle néanmoins quelques informations exactes sur la fin de la Vierge Marie ? Une chapelle antique dédiée à la Vierge a été découverte à Éphèse, au XIXe siècle, par des religieux qui suivaient les révélations d'une mystique, Anne Catherine Emmerich (1774-1824). Cette religieuse allemande avait reçu des visions montant Marie au cours de ses dernières années à Éphèse.

Cependant, les fouilles archéologiques de Jérusalem ont montré que Marie était décédée quelques années après le Christ, probablement vers l'an 40, quand elle avait environ 60 ans. Cela explique que la dernière mention faite sur la Vierge Marie dans la Bible se trouve au début des Actes des Apôtres (Actes 1, 14). En effet, en 1972, les archéologues ont fouillé et restauré une minuscule chambre funéraire avec une banquette en marbre, au fond d'une crypte sous l’Église de Gethsémani au sommet du mont des Oliviers à Jérusalem. Aucun corps n'y a été retrouvé. Cette chambre funéraire a été datée de l'an 40*. Un texte antique du deuxième siècle, le Transitus Mariae, racontait l'enterrement de Marie à cet endroit, dans la vallée de Jehosaphat à Jérusalem.
Dès le IIe siècle, ce lieu est particulièrement vénéré par les chrétiens comme étant l'endroit où Marie a été enterrée. Il est alors à la charge de chrétiens d'origine juive. Un culte marial persista à cet endroit pendant des siècles et une église y fut bâtie en 614.

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La tombe de Marie sur le mont des oliviers,
au niveau archéologique du premier siècle.

Les protestants pensent que Marie a été simplement enterrée. Catholiques et Orthodoxes croient qu'elle est montée au ciel avec son corps immaculé. C'est ce que les catholiques appellent l'Assomption de la Vierge Marie qu'ils fêtent le 15 août. Les orthodoxes parlent de la Dormition de la Vierge.

Pour les archéologues, Marie est morte en 40. Elle avait entre 60 et 65 ans, puisqu'elle avait environ 15 ans la naissance du Christ en -7. Elle a été confiée à Jean l'Évangéliste par Jésus en croix en 33 et il n'est donc pas improbable que le terrain où elle a été enterrée à Gethsémani ait appartenu à Jean. En 40, Jean l’Évangéliste, fils d'une famille sacerdotale, vivait encore à Jérusalem, Marie était donc avec lui. Jean ne quitte Jérusalem qu'en 66, vingt-six ans après la mort de Marie, au moment où tous les chrétiens fuient Jérusalem avant la guerre entre les juifs et les romains. Jean vivra encore plus de 30 ans loin de la Terre Sainte.

Si la Vierge Marie a vécu à Éphèse quelques années, elle n'y est pas décédée. En fait, seules des révélations mystiques et des textes apocryphes tardifs s'en font l'écho.

En revanche, sa tombe vide existe toujours à Jérusalem.


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La Vierge couronnée par deux anges avec l'enfant Jésus sur les genoux
(Sandro Botticelli, XVe siècle).

* : La tombe de Marie à Gethsémani, B. Bagatti, les dossiers de l'archéologie, n°10, mai-juin 1975, p. 122-126.

9. 13. Pierre accueille les nouveaux convertis juifs et païens, les sacrements.
L'impression des non-chrétiens, et même parfois des chrétiens, est que l'on doit à Paul l'accès des non-juifs au christianisme. La réalité est différente.
La Pentecôte a eu lieu à Jérusalem, au milieu de juifs et de païens. Les premières conversions surviennent tout de suite et plusieurs milliers de juifs acceptent le baptême. « Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ, pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint Esprit. » (Actes 2, 38). Dès le début de l’Église, l'initiation du nouveau croyant se fait en deux temps. D'abord le Baptême, au nom du Père, du Fils et de l'Esprit, au cours duquel le converti est plongé dans l'eau pour participer à la mort du Christ et à sa Résurrection. Ensuite, le nouveau baptisé reçoit l'Esprit Saint par l'imposition des mains. L'Église nommera Sacrement de Confirmation cette imposition des mains. Les orthodoxes l'administrent aux enfants en même temps que le Baptême, les catholiques attendent que le baptisé soit un jeune adulte.
Les nouveaux baptisés continuent à aller au Temple de Jérusalem pour prier et annoncer le Christ ressuscité, mais ils pratiquent la rupture du pain (l'Eucharistie) dans leurs maisons (Actes 2, 46). Il semble ne pas y avoir eu de période d'élaboration dans l'instauration de ces sacrements essentiels. Dès la Pentecôte, Baptême, Confirmation et Eucharistie sont offerts et reçus. Le rôle des apôtres, les futurs prêtres de l’Église, est essentiel. Ce sont eux qui baptisent au nom du Père, du Fils et de l'Esprit, imposent les mains pour la confirmation et prononcent les paroles de la consécration de l'Eucharistie.

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Pierre baptise (Les Riches Heures du duc de Berry,
vers 1450 ; musée de Condé, Chantilly).

Pierre évangélise les juifs de Jérusalem, mais c'est lui en premier que Dieu va conduire à évangéliser les païens et encore lui qui recevra la confirmation que les lois de purification sont abolies. En effet, une nuit, Pierre reçoit une vision (Actes des Apôtres 10, 9). Il voit un linge empli d'aliments impurs - interdits par la Loi de Moïse - descendre vers lui, tandis qu'une voix divine l'invite à se nourrir. Il refuse ces aliments impurs, mais la Voix confirme que « Ce que Dieu a purifié, toi, ne le dis pas souillé. » (Ac 10, 16).
Pierre s'interroge sur le sens de cette vision quand des étrangers frappent à sa porte : ce sont les serviteurs du centurion romain Corneille. Informés par une motion de l'Esprit, ces païens savent qu'un certain Pierre est ici et qu'il peut leur parler du salut. Pierre comprend alors le sens de sa vision : il ne se souillera pas en rendant visite à Corneille (Ac 10, 17-23). À peine arrivé chez Corneille, Pierre est témoin d'une scène qui ressemble à la Pentecôte : l'Esprit Saint descend sur les membres de la famille du centurion dont aucun n'est circoncis (Ac 10, 44-48).

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Pierre prêche, inspiré par l'Esprit (toujours sous forme d'un oiseau qui lui parle à l'oreille), avec les clés, symbole
de son autorité, à la main
(Les
Riches Heures du duc de Berry, vers 1450 ; musée de Condé, Chantilly).

Mis devant l'évidence du don de Dieu offert à des païens, Pierre accepte de mettre de coté ses préjugés religieux. Il a reçu la leçon. Désormais, le Baptême et la Confirmation seront offerts à tous : « Alors Pierre prit la parole et dit : « Je constate que Dieu ne fait acception des personnes, mais qu'en toute nation celui qui le craint et pratique la justice Lui est agréable. » (Ac 10, 34). Et Pierre conclue ainsi sa visite chez Corneille : « Peut-on refuser l'eau du baptême à ceux qui ont reçu l'esprit Saint aussi bien que nous ? » Il ordonna de les baptiser au nom de Jésus Christ. » (Ac 10, 47-48).

Le Coran raconte le rêve de Pierre dans la Sourate dite de La Table servie : « Quand les Apôtres dirent : « O Jésus, fils de Marie, se peut-il que ton Seigneur fasse descendre du ciel sur nous un plateau servi ? » lui de dire : « Craignez Dieu si vous êtes croyants. ». Ils dirent : « Nous voulons en manger, et que nos cœurs se tranquillisent, et que nous sachions qu'en effet tu nous as dit vrai, et que nous en soyons témoins. « O Dieu, notre Seigneur, dit Jésus fils de Marie, fais descendre du ciel sur nous un plateau servi qui soit une fête pour nous, … ainsi qu'un signe de Toi. Et nourris-nous, tandis que Tu es le meilleur des nourrisseurs. » (Sourate 5, 112-114). Dans les Actes des Apôtres, Pierre comprenait, grâce à sa vision, que Dieu confirmait qu'aucune nourriture n'était plus interdite. L'islam qui récuse ce point, ne nie pas que Pierre ait eu une vision, mais il en transforme le sens en simple signe de Dieu. Dans le Coran, Allah nourrit miraculeusement les disciples du Christ, là où, dans la Bible, Yahvé les instruit et les libère des archaïsmes de la Loi.

Pierre va devoir s'expliquer à Jérusalem. Tout chef de l’Église qu'il est, ses décisions sont discernées par ses frères (Ac 11, 1-18). Le discernement de l'Esprit-Saint passe par la collégialité.

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Pierre siégeant avec l'autorité du premier des Apôtres
(XIIe siècle, cathédrale Monreale ; Palerme).

9. 14 . Le christianisme n'appelle pas à la révolution : soumission fraternelle, égalité et amour mutuel.
En promouvant le pardon des offenses, le Christ a interdit à ses disciples de réussir par les moyens ordinaires de l'humanité : la violence et la vengeance. Tout leur ministère devra être ordonné par la bienveillance.

Le Christ a refusé la lutte armée et la révolution. Les chrétiens doivent donc se soumettre aux pouvoirs civils en place. Les chrétiens des premiers siècles n'exerçaient pas le pouvoir et ils ont accepté l'autorité des païens qui les gouvernaient. Dieu ayant accepté que ces pouvoirs existent, ils en deviennent légitimes : « Soyez soumis à cause du Seigneur à toute institution humaine : soit au roi, comme souverain, soit aux gouverneurs, comme envoyés par lui pour punir ceux qui font le mal et féliciter ceux qui font le bien. Car c'est la volonté de Dieu qu'en faisant le bien, vous fermiez la bouche à l'ignorance des insensés... Honorez tout le monde, aimez vos frères, craignez Dieu, honorez le roi. » (1 Pierre 2, 13-17). Cette soumission doit être acceptée sereinement « non seulement par crainte du châtiment, mais par motif de conscience » dit Paul (Romains 13, 5).

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Denier d'argent frappé à l'effigie de Néron. Néron a régné de 54 à 68.

Il faut prier pour ceux qui incarnent l'autorité. Le Christ n'appelle pas à la révolution mais à la conversion individuelle qui permet la sanctification progressive des lois. Ainsi, Paul écrit-il à Timothée : « Je recommande donc, avant tout, qu'on fasse des demandes, des prières, des actions de grâces pour tous les hommes, pour les rois et tous les dépositaires de l'autorité, afin que nous puissions mener une vie calme et paisible en toute piété et dignité. » (Tim 2, 1-2). Que l'autorité soit légitime ne signifie donc pas qu'elle soit sainte, mais le moyen de la réformer passe par des procédés pacifiques : on manifeste, on pétitionne... et on prie. Aucune action violente n'est légitime pour un disciple du Christ.

La soumission des chrétiens n'est pas qu'envers les autorités en place, elle est générale. Au sein de la famille, les enfants doivent obéir à leurs parents (Éphésiens 6, 1-4) et les femmes à leur mari : (1 Pi 3, 1-2). La soumission concerne chaque chrétien dans ses relations à son frère, son alter ego : « Que votre charité soit sans feinte,... que l'amour fraternel vous lie d'affection entre vous, chacun regardant les autres comme plus méritants » (Romains 12, 9-10). Par delà le respect fraternel, chacun doit obéir aux chefs de la communauté : « Obéissez à vos chefs [dans l’Église] et soyez leur dociles, car ils veillent sur vos âmes, comme devant en rendre compte ; afin qu'ils le fassent avec joie et non en gémissant, ce qui vous serait dommageable. Priez pour nous, car nous croyons avoir une bonne conscience, résolus que nous sommes à nous bien conduire en toutes choses. » (Hébreux 13, 17-18). Dans un autre domaine particulièrement contesté, les esclaves doivent également être soumis à leurs maîtres (1 Tim 6, 1-2 ; 1 Co 7, 22 ; Éph 6, 5-9 ; Col 3, 22).

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Un esclave courbé (en bas à gauche) déchausse un invité avant un festin
(premier siècle ; fresque de Pompéi).

Les maîtres doivent, eux, se souvenir que leur « Maître est dans les cieux et devant lui, il n'y a d'exception pour personne » (Éphésiens 6, 9). Pour Dieu, tous les hommes sont égaux, maîtres et esclaves. Afin de réguler le désir de toute puissance des maîtres, il leur est d'ailleurs recommandé d' « accorder à leurs esclaves le juste et l'équitable, sachant que [eux] aussi, [ont] un Maître au ciel. » (Col. 4, 1).
Paul reprend la sociologie de son époque. L'esclavage est légitime puisqu'il existe, mais il perd son contenu humiliant. L'égalité de chaque homme rend acceptable ce que le conseil de soumission pourrait avoir d'incompréhensible et d'insupportable. En effet, dès les débuts du christianisme, les esclaves, considérés comme des choses par les romains, accèdent aux sacrements et participent à la liturgie au coté des hommes libres : « Aussi bien est-ce en un seul Esprit que tous avons été baptisés en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres et tous nous avons été abreuvés d'un seul Esprit. » (1 Co 12, 13).

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Collier d'esclave romain portant inscrit : « Si je m'échappe, attrapez-moi et retournez-moi à mon maître
Zonimus, vous recevrez une pièce d'or » (VIe siècle, musée archéologie de Rome).
On mesure
la distance entre l'idéal chrétien et la réalité sociologique des premiers siècles.

De grands principes chrétiens sont affirmés avec force et ils sont totalement nouveaux :
- Désormais, tous les hommes sont égaux, … du moins en espérance et dans le cœur de Dieu : « Il n'y a ni Juif ni Grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu'un dans le Christ. » (Galates 3, 28).

Dans un empire où l'esclavage est généralisé et l'esclave réduit à l'état de chose, l'espérance vient d'être rendue aux plus humbles. Quant aux femmes, quoiqu'appelées à l'obéissance conjugale, elles deviennent les égales de leur époux.

- Désormais, tous les hommes sont libres … du moins spirituellement dans le Christ : « Celui qui est esclave lors de l'appel de dieu, devient l'affranchi du Seigneur » (1 Corinthiens 7, 22). La libération offerte par le Christ est spirituelle et l'esclave se sait désormais « enfant de Dieu » par son baptême, au même titre que son maître. Mais cette libération spirituelle touche prioritairement les esclaves de la Loi. « C’est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés. Donc, tenez bon et ne vous remettez pas sous le joug de l’esclavage. C’est moi, Paul, qui vous le dis : si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien. De nouveau, je l’atteste à tout homme qui se fait circoncire : il est tenu à l’observance intégrale de la Loi. Vous avez rompu avec le Christ, vous qui cherchez la justice dans la Loi ; vous êtes déchus de la grâce. Car pour nous, c’est l’Esprit qui nous fait attendre de la foi les biens qu’espère la justice. En effet, dans le Christ Jésus, ni circoncision, ni incirconcision ne comptent, mais seulement la foi par la charité. » (Galates 5, 1-6).

- Désormais, chacun peut bénéficier de l'amour fraternel. Il sera le ciment de l’Église, selon la parole du Christ, et rendra supportable les tribulations du moment : « Je vous donne un commandement nouveau, vous aimer les uns les autres, comme je vous vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres » (Jean 13, 34-35). Jean expliquera à quel point il n'y a pas de réelle foi chrétienne sans amour du prochain. « Aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour est de Dieu et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est Amour » (1er Jean 4, 7-8).

La France qui a refusé que les racines chrétiennes de l'Europe soient signalées dans le préambule de la Constitution européenne, et qui est si fière de sa démocratie - qu'elle pense issue de l'esprit des Lumières et des « bienfaits » de la révolution française - devrait s’interroger sur les origines de sa devise qu'elle imagine laïque et universelle : « Liberté, égalité, fraternité ».

Car c'est bien par le ressort de l'amour fraternel – avec l’humilité et la maîtrise de soi qui lui sont associés – , par l'affirmation de l'égalité de tous et par la foi en la liberté spirituelle, que le christianisme s'est répandu dans toutes les couches de la société romaine, sans bruit, sans révolution, sans moyens de coercition.


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Un repas eucharistique (IIIe siècle ; catacombe romaine de Priscilla). Tous les convives
sont sur le même plan, hommes et femmes ensemble.

9. 15 . Paul, autobiographie.

On connaît Paul par ses propres écrits et par les Actes des Apôtres écrits par Luc.
Paul est né à Tarse, entre 5 et 10. Son père est juif et citoyen romain. Son nom juif est Saül, son nom romain Paul. Selon les Actes des apôtres, il est éduqué à Jérusalem par le maître pharisien Gamaliel. Il est donc un pharisien convaincu et bien formé intellectuellement. « Je suis Juif, né à Tarse en Cilicie ; mais j'ai été élevé dans cette ville-ci (Jérusalem), et instruit aux pieds de Gamaliel dans la connaissance exacte de la loi de nos pères, étant plein de zèle pour Dieu, comme vous l'êtes tous aujourd'hui. » lui fait dire Luc dans les Actes (Ac 22, 3).
Quand le diacre Étienne est lapidé en 36 à Jérusalem pour avoir annoncé la mort du Christ (Actes 7, 52), sa Résurrection et son Ascension à la droite de Dieu (Ac 7, 56), Saül approuve sa condamnation à mort. Saül ne participe pas à la lapidation d’Étienne, mais il veille sur les vêtements des hommes qui se sont mis à l'aise pour le lapider (Ac 7, 58). Puis, Saül part à Damas pour y persécuter l’Église naissante.
En chemin, de Jérusalem vers Damas, Saül reçoit une vision miraculeuse du Christ : il se convertit instantanément (Ac 9, 1-9).

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Saül-Paul, foudroyé par l’apparition du Christ, se convertit brutalement
(mosaïque de la cathédrale Monreale, XIIe siècle ; Palerme).

Nous sommes en 36. Le Christ lui révèle sa vocation : il est « Apôtre des païens » (Ac 22, 15). Rendu aveugle par sa vision, Saül se fait conduire à Damas. Un disciple de Damas, un certain Ananie, est prévenu lui-aussi par une vision du Christ. Malgré sa conversion miraculeuse et surnaturelle, Saül se plie au discernement de l’Église. Il reçoit la confirmation de l'enseignement des vérités chrétiennes de la bouche d'Ananie et celui-ci lui impose les mains et le baptise (Ac 9, 10-19). Alors seulement, Saül retrouve la vue.

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Baptême de Paul par Ananie
(mosaïque de la cathédrale de Monreale, XIIe siècle ; Palerme).

Saül reste dans la région de Damas et se met tout de suite à prêcher la divinité du Christ : « Il passa quelques jours avec les disciples à Damas et aussitôt il se mit à prêcher Jésus dans les synagogues, proclamant qu'il est le Fils de Dieu » (Ac 9, 19-20). Certains juifs se convertissent tout de suite et Saül se voit menacé par les autres juifs restés fidèles à l'Ancienne Alliance. Se passe alors le rocambolesque épisode des murailles de Damas : Saül doit fuir la ville dont les portes sont closes pour la nuit, en se faisant descendre le long des murailles dans un panier (Ac 9, 25).

En 37, il retourne à Jérusalem. Mal accueilli par les chrétiens qui se méfient de lui et rejeté par les juifs qu'il a trahis, il y reste peu et part à Antioche avec Barnabé. Son œuvre missionnaire porte ses fruits à Antioche : « C'est à Antioche que, pour la première fois, les disciples reçurent le nom de « chrétiens » » (Ac 11, 26).

À partir de 40, Saül prend son nom romain de Paul.
Paul est chaste ; il a une vocation au célibat. Il manifeste sa préférence pour cet état mais n'en généralise pas la pratique. « Je voudrais que tous les hommes fussent comme moi, mais chacun reçoit de Dieu son don particulier. » (1 Co 7, 7). Paul semble très heureux de cet état de célibataire, au point qu'il plaint même les hommes mariés : « Ceux-là connaîtront la tribulation dans leur chair, et moi, je voudrais vous l'épargner. » (1 Co 7, 28). Ce point de vue semble étrange aux gens mariés. Mais Paul témoigne à quel point Dieu donne à chacun la vocation qui le conduira au bonheur, même dans le célibat. Libre de toutes attaches, Paul rayonne dans tout le Moyen-Orient. Entre 47 et 51, il atteint l'Europe et évangélise Corinthe en Grèce.

À partir de 50, Paul commence à écrire aux communautés qu'il a fondées pour les aider à résoudre leurs problèmes. En 50, il écrit l'épître aux Thessaloniciens : c'est le plus ancien écrit du Nouveau Testament. Ses Épîtres sont des sommets théologiques mais, initialement, elles n'avaient pas vocation à être intégrées à la Bible. Du temps des douze Apôtres et tout au long du premier siècle, la Bible des chrétiens était toujours celle des juifs. Il s'agit de la Bible appelée la Septante depuis sa traduction en grec au IIe siècle avant JC et que nous appelons de nos jours l'Ancien Testament. Au moment où Paul rédige ses lettres, le Nouveau Testament n'est pas écrit, ni même en projet. Paul s'adresse simplement aux communautés chrétiennes pour les aider à prendre des décisions conformes à la volonté du Christ.
Le Christ a donné un message universel dans une forme qui s'était affranchie des préjugés de son temps. Verbe de Dieu, il avait refusé de résumer sa Parole à un catalogue de consignes et s'était donné en exemple. Paul va permettre à la communauté chrétienne d'actualiser la Parole du Christ, c'est à dire de voir comment l'appliquer à son époque. Un exemple marquant porte sur le voile des femmes. Les Corinthiennes non voilées étaient les prostituées. En conseillant le voile aux chrétiennes de Corinthe, Paul leur dit seulement de ne pas s'habiller en prostituées (1 Co 11, 2-6). Conclure des lettres de Paul que les chrétiennes de tous les temps et de toutes les civilisations doivent se voiler est un contre-sens. Paul n'invente pas une « charī'a », une loi divine, il actualise la parole de Jésus à la ville de Corinthe du premier siècle. Penser le contraire serait totalement contraire aux convictions habituelles de Paul qui prêche la libération de la Loi de Moïse par la foi en Jésus Christ (Galates 5, 1).

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Temple dédié à Apollon à Corinthe (VIe siècle avant JC).

En 52, Paul retourne à Jérusalem pour le concile apostolique qui permet aux païens convertis de ne pas à suivre la Loi. Les païens peuvent désormais être baptisés sans passer par la circoncision. En se rendant à Jérusalem, Paul prend le risque d'être arrêté et persécuté, mais il souhaite participer à ce concile essentiel. Veut-il l'influencer ? Sans doute. Néanmoins, il agit en collégialité : ses décisions théologiques ne sont pas que le fruit de ses convictions personnelles. Elles sont confirmées - discernées - par les sages de l’Église naissante. Pierre, Jacques, Barnabé et Paul, tous sont d'accord : les païens peuvent accéder au baptême sans être circoncis (Actes 15, 5-29). Les intuitions de l'Esprit Saint ne peuvent pas s'affranchir du discernement des Apôtres.

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Saint Pierre et Saint Paul se rencontrent
(Baptistère de Néon, mosaïque du Ve siècle ; Ravenne).

Paul sympathise avec Luc à la fin des années 50 et celui-ci devient son assistant au début des années 60.
En 58, Paul est arrêté à Jérusalem à l'instigation des juifs (Actes 21, 27-40).
Les romains perçoivent parfaitement qu'on lui reproche une position doctrinale et non un crime de droit commun. Sa dignité de citoyen romain permet à Paul d'en appeler à l'empereur (Actes 22, 29). Sa comparution à Rome devient alors inévitable. Il reste deux ans prisonnier à Césarée (Actes 24, 22-12), avant que le procurateur Festus ne l'envoie à Rome par bateau (Actes 27, 1-8). En route, il fait naufrage à Malte et y reste prisonnier pendant tout l'hiver avant de pouvoir reprendre la mer (Actes 28, 1-10). Paul profite de son séjour forcé à Malte en 61 pour évangéliser.
Avant d'être jugé, Paul reste deux ans prisonnier à Rome, de 61 à 63. Il est en semi liberté dans un logement loué par ses soins, gardé par deux soldats romains. Il continue son œuvre d'évangélisation (Actes 28, 30-31). Il écrit alors ses dernières épîtres, celles aux Colossiens, aux Éphésiens et les deux lettres à Timothée.

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Paul remet ses épîtres à Tite et à Timothée
(mosaïque de la cathédrale de Monreale, XIIe siècle ; Palerme).

Les informations que l'on a de la fin de sa vie sont moins précises. Certains pensent que le jugement romain lui a été favorable et qu'il a voyagé en Europe vers 64. Mais ces textes sont des écrits tardifs. Les épîtres de Paul et les Actes des apôtres de Luc ne parlent pas de ce séjour en Europe.
En 64, Paul aurait été de nouveau fait prisonnier. Il serait mort martyr entre 64 et 68. Il n'y a aucune certitude sur la date de sa mort. La mort de Paul n'est évoquée par aucun texte du Nouveau Testament. À la fin du premier siècle, Clément, l’Évêque de Rome, nous apprend, en style imagé mais finalement peu précis que Paul a été martyrisé : « Sept fois enchaîné, exilé, lapidé, héraut du Christ en Occident et en Orient, [Paul] vient de recueillir la merveilleuse gloire de sa foi...C'est ainsi qu'il a quitté ce monde et qu'il est parvenu au Lieu-Saint. ».

Sa tombe, via Ostiensis, au delà des limites de la Rome antique du premier siècle, est préservée par les premiers chrétiens qui bâtissent au dessus un petit monument commémoratif : la Cella Memoriae. Constantin fait construire une basilique par dessus au IVe siècle, à laquelle succédera plus tard la Basilique Saint-Paul-hors-les-murs qui existe toujours de nos jours à Rome.
En 2005, sous le pontificat de Benoît XVI, les archéologues ont exploré la tombe vénérée depuis presque 2000 ans comme étant celle de Paul. Les ossements prélevés dans la tombe ont été datés dans une fourchette allant du premier au deuxième siècle. Il est donc possible que ce soient les ossements de Paul qui s'y trouvent. Mais depuis quand y sont-ils ?

Le 18 juillet 64, Rome brûle. Les chrétiens de Rome sont alors martyrisés (Tacite, Annales, XV, 44). Les épîtres de Paul ne font aucune allusion, ni au martyr des chrétiens de Rome, ni à la mort de Pierre.

En 64, les épîtres de Paul sont déjà achevées.
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 5:55

9 : LES DÉBUTS DE L'ÈRE CHRÉTIENNE.
De l'an 33 à l'an 130.


9. 1. Le dimanche 5 avril 33, le jour se lève, Marie-Madeleine constate que la pierre a roulé : le Tombeau est ouvert.
9. 2. Traces non chrétiennes de la Résurrection, écrits juifs, musulmans et romains.
9. 3. Le Christ ressuscité apparaît à Marie Madeleine.
9. 4. « Pourquoi chercher parmi les morts Celui qui est vivant ? » (Luc 24, 5).
9. 5. La Résurrection du Christ le révèle en plénitude : vrai homme et vrai Dieu ; le seul Prêtre, Prophète et Roi.
9. 6. Le Christ pardonne à Pierre et le confirme dans sa vocation de pasteur universel : péché et miséricorde ; doute et liberté.
9. 7. L’Ascension du 14 mai 33 : le Christ monte aux cieux.
9. 8. Un autre monothéisme : « L’Église de Jésus Christ des Saints des derniers jours » : les Mormons.

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9. 9. Les Actes des Apôtres sont écrits par l’Évangéliste Luc.
9. 10 . La Pentecôte, le 24 mai 33.
9. 11 . L’histoire du Peuple Élu trouve son accomplissement dans le don de l'Esprit Saint.
9. 12 . Qu'est devenue Marie ?
9. 13. Pierre accueille les nouveaux convertis juifs et païens, les sacrements.
9. 14 . Le christianisme n'appelle pas à la révolution : soumission fraternelle, égalité et amour mutuel.
9. 15 . Paul, autobiographie.

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9. 16. Paul et les femmes.
9. 17 . Les faux prophètes, les faux docteurs.
9. 18 . Géopolitique et auteurs romains au premier siècle.
9. 19. En 62 débute la mise par écrit des Évangiles.
9. 20. Les synoptiques : Matthieu, Marc et Luc.
9. 21 . En 64, Pierre est enterré à Rome.

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9. 22. L'Évangile selon Saint Jean, le plus historique des Évangiles.
9. 23 . Prédiction ou hasard, les chrétiens fuient Jérusalem en 66, juste avant que le piège romain ne se referme.
9. 24.  En 68, le site de Qumrân est détruit.
9. 25. La destruction du Temple d'Hérode en 70.
9. 26. Yohanan Ben Zakkaï sauve le judaïsme. Naissance du rabbinisme : Thora écrite, Thora orale.
9. 27. Entre -200 et 200, le judaïsme entre persécution et apostolat.
9. 28. Vers 170, Canon de Muratori et apparition du mot Trinité.
9. 29. Le Talmud de Jérusalem et le Talmud de Babylone : la Vérité naît du doute.
9. 30. Comment les juifs, les romains et les païens perçoivent-ils le Christ aux deux premiers siècles.

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 5:57

CHAPITRE 9 (SUITE) : LES DÉBUTS DE L'ÈRE CHRÉTIENNE.

De l'an 33 à l'an 130.



9. 16. Paul et les femmes.

On critique fréquemment les Épîtres de Paul en raison de quelques versets sexistes (1 Corinthiens 11, 2-16, Éphésiens 5, 21-33). « Le chef de tout homme, c'est le Christ ; le chef de la femme, c'est l'homme. » (1 Co 11, 3). Les femmes, libérées par la prédication du Christ, auraient-elles pris une place excessive conduisant Paul à équilibrer leur rapport d'autorité avec les hommes ? Ces versets sont-ils réellement de Paul ? Cette sujétion féminine semble néanmoins devoir être remise dans son contexte, puisque ailleurs, Paul affirme l'égalité de tous : « Il n'y a ni Juif ni Grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu'un dans le Christ. » (Gal 3, 28).

La Lettre de Paul aux Corinthiens suscite toujours la controverse. En effet, il y conseille aux femmes de se voiler : « Voilà pourquoi la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion, à cause des anges » (1 Co 11, 11). Nous avons déjà vu pourquoi : les Corinthiennes non voilées étaient des prostituées. En fait, la femme doit être décente, mais l’expression de cette décence n'est pas institutionnalisée : « Que les femmes aient une tenue décente ; que leur parure, modeste et réservée, ne soit pas faite de cheveux tressés, d'or, de pierreries, de somptueuses toilettes, mais plutôt de bonnes œuvres, ainsi qu'il convient à des femmes qui font profession de piété. » (1 Tim 2, 9-10). Cela est exactement confirmé par Pierre (1 Pi 3, 3-4). De nos jours, le conseil de pudeur demeure. À chaque culture d'en déterminer l'expression.
Tout en préconisant le voile des femmes, Paul reconnaît que les femmes peuvent prophétiser dans les assemblées : « Tout homme qui prie ou prophétise le chef couvert fait affront à son chef. Toute femme qui prie ou prophétise le chef découvert fait affront à son chef, c'est exactement comme si elle était tondue » (1 Co 11, 4-5). Mais un autre verset attribué à Paul interdit aux femmes de prendre la parole dans les assemblées : « Je ne permets pas à la femme d’enseigner, ni de faire la loi à l'homme. Qu'elle garde le silence ! » (Tim 2, 12). Paul tient donc des discours contradictoires dans ses épîtres. Des circonstances différentes peuvent-elles exprimer cette contradiction ? Est-ce réellement Paul qui a rédigé l'intégralité des épîtres qui lui sont attribuées ?

Face à ces contradictions, la seule vraie référence des chrétiens reste donc l’attitude du Christ envers les femmes. Le Christ en a fait les témoins de chaque grande étape de sa révélation, nous l'avons vu. La Parole et l'attitude du Christ sont universelles, les Épîtres de Paul, quant à elles, ont été écrites à des communautés particulières pour répondre à des besoins spécifiques. Le sexisme supposé de Paul n'a d'ailleurs pas engendré de discrimination envers les femmes dans les premières générations de l’Église. Les Lettres de Pline le Jeune écrites en 112 prouvent que des chrétiennes assumaient avec fidélité et courage des responsabilités au sein de leurs communautés : « J'ai cru d'autant plus nécessaire de soutirer la vérité à deux esclaves que l'on disait diaconesses, quitte à les soumettre à la torture. Je n'ai trouvé qu'une superstition déraisonnable et sans mesure. » (lettre 10, 96). De plus, Paul a été aidé par des femmes au cours de son ministère (Ac 16, 13) et il leur rend hommage (2 Tim 4, 19). Il faut donc remettre les versets réputés sexistes de Paul dans leur contexte, puisqu'ils rendent pas compte des réalités historiques du premier siècle de l’Église. Les lire littéralement est de toute façon impossible, tant ils contiennent de contradictions internes.

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Priscille et Aquila, un couple de juifs romains convertis au christianisme.
Ils ont accueilli Paul à Corinthe qui leur témoignera sa reconnaissance (icône moderne).

La conception que Paul a du mariage fait également polémique. Pour être objectif, il faut constater que les écrits de Paul sont souvent tronqués par ceux qui le critiquent. Paul affirme, en fait, que les droits et devoirs des époux chrétiens sont symétriques : « Que le mari s’acquitte de son devoir envers sa femme, et pareillement la femme envers son mari. Ce n'est pas la femme qui dispose de son corps, c'est son mari. De même, ce n'est pas le mari qui dispose de son corps, c'est sa femme. Ne vous refusez pas l’un à l’autre, si ce n’est d’un commun accord, pour un temps, afin de vaquer à la prière : et de nouveau soyez ensemble, de peur que votre incapacité à vous maîtriser ne donne à Satan l'occasion de vous tenter. » (1 Co 7, 3-5). Au sein de la vie conjugale, Paul le célibataire préconise une parfaite symétrie de droits.

Paul n'a pas de mépris pour le mariage. En effet, il se sert de l'image du mariage humain pour illustrer l'union mystique du Christ et de l’Église. Le mariage humain, monogame et hétérosexuel, en devient définitivement sanctifié par cette comparaison. Néanmoins, là où on pourrait n'y voir que la sanctification du mariage, certains y verront la marque de la sujétion des femmes. En effet, Paul écrit : « Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ. Que les femmes le soient à leurs maris comme au Seigneur : en effet, le mari est chef de sa femme, comme le Christ est chef de l’Église, lui le sauveur du Corps ; or l’Église se soumet au Christ ; les femmes doivent donc, et de la même manière, se soumettre en tout à leur mari. Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église : il s'est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant, car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni rien de tel, mais sainte et immaculée. » (Éph 5, 21-28).

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Suite à l'image inventée par Paul, l’Église a été personnifiée sous forme de figure féminine (ici en rouge) pendant toute l'histoire chrétienne.
Les chrétiens sont les membres de l’Église, et, au sein de l'Église, ils communiquent avec le Christ, avec la même confiance et la même
spontanéité qu'une épouse communique avec son époux.
(Bible historiale de Guiard des Moulins, Paris, XIVe siècle ; BnF).

« De la même façon, les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propre corps. Aimer sa femme, c'est s'aimer soi-même. Car nul n'a jamais haï sa propre chair ; on la nourrit au contraire et on en prend soin. C'est justement ce que le Christ fait pour l’Église : ne sommes-nous pas les membres de son Corps ? Voici donc que l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne ferons qu'une seule chair : ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu'il s'applique au Christ et à l’Église. Bref, en ce qui vous concerne, que chacun aime sa femme comme soi-même, et que la femme révère son mari. » (Éph 5, 29-33).

Il ne s'agit nullement de prôner l'obéissance générale des femmes envers les hommes, mais, au sein d'un mariage monogame, hétérosexuel et indissoluble, d'appeler à l'obéissance la femme, image de l’Église, envers son mari, image du Christ. Par ailleurs, pourquoi ne pas remarquer que le devoir de la femme n'est pas plus exigent que celui du mari ? En effet, si la femme est appelée à l'obéissance, son mari doit se tenir prêt à donner sa vie pour elle. Car c'est bien à cela que l'homme marié est appelé : il doit « aimer sa femme comme le Christ a aimé l’Église : il s'est livré pour elle ». La femme doit donc obéir à un homme qui l'aime suffisamment pour être prêt à se sacrifier pour elle.
Il est exact cependant que l'obéissance se pratique au quotidien alors que le don de sa vie reste exceptionnel... Aux hommes de savoir être attentifs aux conseils de leur épouse, prophète du quotidien. À eux de savoir exercer leur autorité en « bon pasteur » et non en « mercenaire », selon les critères définis pour les prêtres dans leur propre rapport d'autorité avec l’Église.

9. 17 . Les faux prophètes, les faux docteurs.

Rapidement, les chrétiens sont confrontés à de faux docteurs et à de faux prophètes qui enseignent des erreurs théologiques. Paul va donc définir les critères pour les identifier. Ces critères sont d'abord d'ordre théologique.
La non fidélité à l'enseignement des Apôtres est l’élément essentiel pour reconnaître les faux docteurs (2 Thes 2, 14-15).
« Or, nous vous prescrivons, frères, au nom du Seigneur Jésus-Christ, de vous tenir à distance de tout frère qui mène une vie désordonnée et ne se conforme pas à la tradition que vous avez reçue de nous. » (2 Thes 3, 6).
Nier la divinité du Christ prouve également que l'on n'est pas inspiré de l'Esprit Saint, donc de Dieu : « Personne, parlant avec l’Esprit de Dieu, ne dit : « Anathème à Jésus, et nul ne peut dire : « Jésus est Seigneur, s’il n’est avec l’Esprit Saint. » (1 Co 12, 3). Voilà les deux critères théologiques fondamentaux de discernement d'un vrai prophète : la fidélité à la parole des apôtres et la reconnaissance de la divinité du Christ au sein de la Trinité.

À l'opposé, bien plus tard, Mohamed affirmera ne rien savoir de l'Esprit-Saint : « Ils te questionnent sur l’Esprit. Réponds-leur : l’Esprit est du [seul] ressort de mon Seigneur ; il ne vous est donné que peu de science » (Sourate 17, 85 ; trad. J. Chabbi). Avec le refus de croire en la divinité du Christ (Sourate 4, 171), la méconnaissance de l'Esprit qui caractérise Mohamed, forme un tout cohérent. Aux yeux des chrétiens formés au discernement de Paul, ces deux versets coraniques permettent de récuser que Mohamed soit porteur d'une vérité divine.

Tout au long de son ministère, Paul expliquera la figure singulière du Christ, Fils de Dieu et Seigneur, donc Dieu Lui-même. Paul, le théologien développe ce point central de la foi chrétienne : « Car dans le Christ habite corporellement toute la plénitude de la Divinité. » (Colossiens 2, 9).
Le Fils est co-créateur : « Dieu… nous a parlé par un Fils, qu'Il a établi héritier de toutes choses, par qui Il a fait les mondes. Resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance, lui qui soutient l'univers pas sa parole puissante, ayant accompli la purification des péchés, s'est assis à la droite de la Majesté dans les hauteurs. ». Le Fils domine la création et toutes les créatures : « Tout lui est soumis » explique la lettre aux Hébreux (2, 8), tandis que le Père « dit à son Fils : « Ton trône, Ô Dieu, subsiste dans les siècles des siècles. » (Hébreux 1, 8).
« Jésus-Christ, lui de condition divine, ne retient pas jalousement le rang qu'il l'égalait à Dieu, mais il s'est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, … il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort et à la mort sur une croix. » (Philippiens 2, 6-8). Tout est dit : le Christ est Dieu, le Christ est homme et il est mort en croix. Cette foi en la divinité du Christ et la foi en la rédemption acquise par la croix est une condition du salut : « Si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur, si tu crois dans ton cœur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, alors tu seras sauvé » (Romains 10, 9).

Reconnaître l'autorité des 12 Apôtres et affirmer la divinité du Christ sont donc les deux critères par excellence pour identifier les vrais docteurs et, par opposition, reconnaître les faux.
Mais, selon Paul, des critères moins théologiques sont également pertinents :

- L’appât du gain désigne le faux docteur (2 Thes 3, 8).
« Portrait du faux docteur : « Quant à ceux qui veulent amasser des richesses, ils tombent dans la tentation, dans de multiples désirs insensés et pernicieux qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition. Car la racine de tous les maux, c'est l'amour de l'argent. » (1 Tim 6, 7-10).
- Ensuite, la violence signale le faux prophète en opposition au bon serviteur : « Or le serviteur du Seigneur ne doit pas être querelleur, mais accueillant à tous, capable d’instruire, patient dans l'épreuve ; c'est avec douceur qu'il doit reprendre les opposants, en songeant que Dieu, peut-être, leur donnera de se convertir et de connaître la vérité. » (2 Tim 2, 24-25).
- Finalement, ceux qui préconisent le retour à la Loi et aux interdits alimentaires se désignent comme faux prophètes (Tite 1, 10-16), « car tout ce que Dieu a créé est bon et aucun aliment n'est à proscrire ; si on le prend avec action de grâces, la parole de Dieu et la prière le sanctifient. » (1 Tim 4, 1-4).

Si on applique au prophète de l'islam les critères chrétiens pour reconnaître un vrai envoyé de Dieu, on remarque qu'à la suite du Christ, Paul a donné tous les critères qui permettent de récuser Mohamed. Non seulement, Mohamed nie la divinité du Christ et ignore tout de la révélation du Christ sur la Trinité qui est Père, Fils et Esprit, mais il ne remplit aucun des critères moraux signalant le vrai prophète. Par sa prédication, Mohamed s'est enrichi personnellement (S. 8, 1 ; S. 58, 12-13) ; il a triomphé par la violence (S. 8, 5) ; il a attendu la conversion des peuples de la victoire militaire donnée par Allah (S. 110, 1-2) et il a restauré les interdits alimentaires de la Loi (S. 5, 3).

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Mohamed reçoit une révélation au moment d'une bataille
(manuscrit ottoman, XVIe siècle ; musée de Topkapi).

Pour les chrétiens, Mohamed ne peut donc être un authentique prophète, d'autant que Paul, dans des versets d'une puissance prophétique exceptionnelle, a prévenu : « Je m’étonne que si vite vous abandonniez Celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un Évangile différent, qui n’est rien d’autre que ceci : il y a des gens en train de jeter le trouble parmi vous et qui veulent bouleverser l’Évangile du Christ. Eh bien ! Si nous-mêmes, si un ange venu du ciel vous annonçait un Évangile différent de celui que nous avons prêché, qu’il soit anathème ! Nous l’avons déjà dit, et aujourd’hui je le répète : si quelqu’un vous annonce un Évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! » (Galates 1, 6-9).

Même la possibilité que Mohamed ait été renseigné par un ange, ne suffit donc pas pour authentifier sa révélation. Le contenu du Coran étant en contradiction avec les Évangiles, Mohamed, même inspiré par un ange, en devient anathème aux yeux des chrétiens. Selon Paul, l'islam est une hérésie avant même d'avoir existé. Face à la fermeté des prophéties de Paul, mises par écrit six siècles avant l'existence de Mohamed, il est donc compréhensible que les musulmans lui soient particulièrement hostiles.

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L'ange Gabriel quittant Mohamed, représenté chevauchant Burāq, le cheval à tête de femme inventé
aux premiers siècles de l'islam
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

À ceux qui pourraient être surpris de voir représenter Mohamed, il faut rappeler que, jusqu'au XVIe siècle, le Prophète
de l'islam a été dessiné sans réticence par les musulmans. Pour ne pas créer d'inutiles polémiques,
seules ses représentations réalisées par des musulmans ont été retenues ici.

Les musulmans ont d'ailleurs une autre raison de critiquer Paul. On a vu que, selon eux, la vérité est dans le Coran. Les musulmans pensent donc sincèrement que le Coran peut leur apprendre la vérité sur ce qui s'est réellement passé lors de la vie du Christ, et cela bien mieux que les écrits de ses contemporains, que ce soient ceux de Paul ou ceux des Évangélistes. Cela peut sembler irrationnel aux non-musulmans, mais il s'agit de la logique habituelle de l'islam. Ainsi le Coran fait-il parler le Christ six siècles après sa mort et les musulmans sont convaincus que Jésus a réellement parlé ainsi : « Quand Allah dira : « O Jésus fils de Marie est-ce toi qui as dit aux gens : « Prenez-moi, ainsi que ma mère, pour deux divinités en dehors de Dieu ? » Il dira : « … Je ne leur ai dit que ce que Tu m’avais commandé, à savoir : « Adorez Dieu, mon Seigneur tout comme votre Seigneur ». Et Je suis resté témoin sur eux aussi longtemps que j'ai demeuré parmi eux. Puis quand Tu m'as achevé, c'est Toi qui es resté leur surveillant. » (S. 5, 116-117). Selon le Coran, Jésus n'aurait donc jamais proclamé sa divinité et cette hérésie ne serait née qu'après qu'il eut été « achevé », c'est à dire après sa mort. Les musulmans vont donc refuser de voir que les Évangiles proclament la divinité de Jésus et que le Christ, Verbe de Dieu, a transgressé, donc aboli, la Loi pendant sa vie publique. Ils imagineront que Paul est le responsable de ces supposées hérésies. Que Paul n'ait pas inventé ces concepts mais qu'il les ait seulement théorisés, après leur introduction par le Christ, n'est ni compris ni accepté par les musulmans.

Foi dans la Divinité du Christ, dans son Incarnation et sa Résurrection, connaissance de l'Esprit, acceptation de l'accomplissement de la Loi, désintérêt financier, non violence, Paul donne tous les critères qui séparent les vrais prophètes des faux. Paul pose donc avec assurance les bases théologiques qui permettent d'affirmer de façon argumentée que le christianisme et l'islam sont deux religions totalement différentes et non la simple réforme l'une de l'autre.
Quant à Mohamed, sa prédication et lui-même sont « anathèmes » au regard des Évangiles et des Épîtres (Galates 1, 9).

9. 18 . Géopolitique et auteurs romains au premier siècle.

Philon d’Alexandrie est un philosophe et historien juif né en -20 et décédé en 45. Il est donc un contemporain du Christ. Il écrit une histoire du monde où il tente d'expliquer aux romains la pertinence de la religion juive. Philon veut leur faire comprendre la supériorité de la foi sur la philosophie. Il défend l'idée que le jeûne a des vertus spirituelles et qu'il n'est pas une mortification stérile. Ignorance ou désintérêt, il ne fait aucune allusion au Christ. Peut-être simplement n'en avait-il jamais entendu parler, lui qui ne vivait pas en Terre Sainte, mais en Égypte, à Alexandrie.

En 36, Pilate est démis de ses fonctions. Il quitte la Terre sainte et l'on perd sa trace.
En 37, Tibère décède, Caligula accède au pouvoir.

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Caligula (marbre du Louvre).

En 41, l'empereur Claude remplace Caligula à Rome. Claude nomme roi de Judée Hérode Agrippa Ier, un petit fils d’Hérode le grand. Le royaume d'Hérode englobe les ethnarchies et les tétrarchies des fils d'Hérode le Grand. Il demeure sous contrôle romain, mais il s'agit du dernier état juif constitué avant une éclipse de presque 2000 ans. Hérode Agrippa Ier fait modifier le tracé des remparts de Jérusalem au début des années 40 : le Golgotha où a été crucifié le Christ, se trouve désormais à l'intérieur des remparts de la ville sainte.

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Maquette de Jérusalem au premier siècle. La ville contemporaine de Jésus est entourée du premier cercle de remparts (pastille bleue).
L'esplanade du Temple est marquée d'une pastille rouge. La seconde ligne de remparts (pastille verte) a été construite par Hérode
Agrippa à partir de 40. Le Golgotha est identifié par le polygone noir juste en dehors de la première ligne de remparts.

(photographie de la maquette du musée de la citadelle de David à Jérusalem).

À la mort de Hérode Agrippa Ier en 54, son fils Hérode Agrippa II devient un roi fantoche. Les romains exercent le pouvoir sans son soutien. Ce sont Hérode Agrippa II et sa sœur Bérénice qui sont évoqués dans les Actes des Apôtres de Luc (Actes 25, 13).

Entre 49 et 50, les juifs se rebellent à Rome et sont chassés de la ville. Quelques dizaines d'années après, l'historien Suétone (69-125) raconte cette révolte juive : « Comme les juifs se soulevaient continuellement à l'instigation de Chrestus, [l'empereur Claude] les chassa de Rome. » (Suétone, Vie des Douze Césars, Claude, XXV). Le mot Chrestus a-t-il été écrit à la place de celui de « Christus », pour Christ en latin ? Il y a alors un contresens dans cette phrase de Suétone. Il semble bien que Suétone ignore la doctrine pacifique du Christ. Ce sont donc vraisemblablement des juifs non chrétiens qui se sont révoltés. D'autant que les Actes des Apôtres confirment que les juifs ont été chassés de Rome sous Claude, « à la suite d'un édit de Claude qui ordonnait à tous les juifs de s'éloigner de Rome. » (Act, 18, 2). La seule chose que l'on puisse déduire avec certitude de cette phrase ambiguë de Suétone, c'est que le Christ était suffisamment connu à Rome la fin du premier siècle, quand Suétone écrit, pour être présenté comme un chef emblématique du judaïsme.

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L'empereur Claude sculpté en Jupiter
(marbre romain de 50).

En 54, l'empereur Claude décède, Néron lui succède.
Entre 64-65, Pétrone, le génie littéraire et ami de l'empereur Néron, écrit le Satiricon. Il s'agit d'une satire païenne et assez crue, mais des éléments de la foi chrétienne y ont été identifiés. Le Professeur Ramelli de l'université de Milan a en effet repéré dans le Satiricon des éléments étrangers à la culture romaine. Il pense qu'ils ont été inspirés par le christianisme et qu'ils y ont été introduits par dérision. Un coq chante pour annoncer un funeste événement, rappelant le reniement de Pierre, alors qu'habituellement le coq était bénéfique chez les romains. Trimalcion demande une ampoule de nard pour préparer sa sépulture, comme Marie de Béthanie l'a fait avec le Christ. Eumolpe promet son héritage à qui mangerait sa chair, ce qui pourrait être une allusion à l'Eucharistie*.
En 93, Flavius Josèphe, nous l'avons déjà vu, parle du Christ pour signaler qu'il est considéré comme le Messie par ses disciples. Flavius Josèphe raconte qu'il a été condamné à mort par crucifixion et exécuté sous Pilate. Il signale que ses disciples le disent ressuscité au troisième jour (Antiquités juives,  XVIII, 63-64).
Tacite est historien et sénateur romain. Il naît en 58 et décède en 122. Ses écrits datent donc de moins d'un siècle après les faits qui nous intéressent. Tacite raconte l'histoire de Rome et nous donne d'intéressantes informations sur les persécutions contre les chrétiens du premier siècle. Nous y reviendrons.

Les allusions au Christ dans la littérature romaine sont donc ténues, mais néanmoins réelles. Mais d'autres témoignages du premier siècle existent.... les lettres de Paul naturellement, mais également les quatre Évangiles.

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Épître paulienne (aux corinthiens) sur un support daté de 200
(papyrus P. 46 ; collection Chester Beatty).

* : Jésus, p. 487, Jean-Christian Petitfils, Fayard, 2011.

9. 19. En 62 débute la mise par écrit des Évangiles.

Les originaux des Évangiles, écrits sur des supports fragiles, probablement des papyrus, ont disparu. Il n'existe plus que des copies de copies.
Le fragment des Évangiles le plus ancien parvenu jusqu'à nous, dont la datation et l'identification sont absolument certaines, est un extrait de l'Évangile de Jean retrouvé en Égypte. Il s'agit du papyrus P. Rylands GK. 457, conservé à la John Rylands Library de Manchester : il a été écrit entre 110 et 120.
Les milliers d'autres fragments antiques nous sont parvenus datés des IIe au IVe siècles, mais aucun Évangile entier copié avant le IVe siècle ne nous est parvenu.
Les Bibles chrétiennes complètes, rassemblant donc l'Ancien et le Nouveau Testament, datent du IVe siècle. Il s'agit du Codex Sinaïticus, gardé à la British Library de Londres et du Codex Vaticanus, conservé à la Bibliothèque vaticane.

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Le Codex Sinaïticus (ici Matthieu 6, 4-32) est un exemplaire complet du Nouveau Testament
(copié entre 325 et 360 ; Bibliothèque apostolique vaticane).

Du siècle suivant, donc du Ve siècle, seuls Le Codex Alexandrinus et le Codex Bezae ont été conservés.

À la mort du Christ, la Bible des chrétiens est la Bible juive qui est appelée de nos jours Ancien Testament. Paul écrit ses Épîtres entre 40 et 63, mais personne n'a alors le projet de compléter la Bible : le Nouveau Testament n'existe pas. C'est un événement particulier qui va motiver sa rédaction.
En 62, le chef de l’Église de Jérusalem est lapidé. Il s'agit de Jacques le Juste. Flavius Josèphe raconte que le Grand Prêtre Hanne II profite de l'absence du procurateur romain pour décider de sa condamnation à mort (Antiquités juives, XX, 197-203). La succession de Jacques est ouverte et c'est son frère Siméon qui est choisi. Il reste à la tête de l’Église de Jérusalem de longues années et mourra centenaire.

Thébutis, un chrétien d'origine juive, est vexé de n'avoir pas été choisi pour prendre la tête de l’Église de Jérusalem*. Il fait sécession. Il est très attaché à la Loi de Moïse et avait été choqué de la décision du concile de Jérusalem qui avait donné aux païens en 52, accès au baptême sans passer par la circoncision. À partir de 62 et de la succession de Jacques, Thébutis commence à répandre une autre conception du christianisme : Jésus n'est pas Dieu, il est né de ses parents « normalement ». Il aurait reçu l'Esprit de Dieu au Baptême de Jean et l'aurait perdu sur la croix avant de mourir. Thébutis crée le mouvement des ébionites qui subsistera quelques siècles. Ce n'est que par les écrits des Pères de l’Église que le courant ébionite est connu. Aucun écrit originel de leurs mains ne nous est parvenu. Au deuxième siècle, Saint Irénée décrira leur croyance fondée sur la négation de la divinité du Christ. Jésus étant mort en croix, Thébutis considère que cela interdit qu'il soit Dieu.

En 62, Thébutis crée donc le trouble dans la communauté chrétienne de Jérusalem. Pour contrer cette opposition doctrinale, le besoin apparaît de raconter la vie de Jésus. Le Christ est décédé depuis 30 ans, la fin du monde n'est manifestement pas pour tout de suite. On commence à préparer le futur. Les derniers témoins survivants sont interrogés. Il s'agit de collecter les paroles du Christ, telles que les témoins directs se les rappellent. Trois Évangiles sont alors rédigés, les trois Synoptiques, dits de Matthieu, de Marc et de Luc. Ils ont une trame commune et peuvent être lus en parallèle, d’où leur nom de synoptique qui signifie parallèle. Y-a-t-il eu un texte plus ancien qui leur a servi de source commune ? Cela reste une hypothèse vraisemblable. Les auteurs des trois Évangiles synoptiques ont tous les trois choisi de classer la vie publique du Christ par thèmes et non par ordre chronologique. La vie publique du Christ ne semble durer qu'une seule année. Quant au quatrième Évangile, celui de Jean, il s'agit d'un écrit original qui respecte scrupuleusement la chronologie de la vie publique de Jésus : il sera rédigé un peu plus tard.

La rédaction des Synoptiques commence donc après 60. Elle s'achève avant 70. En effet, le Christ a prophétisé la destruction du Temple de Jérusalem au cours de sa vie et les Évangiles rapportent cette prédiction (Mat 24, 1-2 ; Marc 13, 1-4 ; Luc 21, 5-7). Or, aucun des Synoptiques ne parle de la réalisation de cette prophétie qui a eu a eu lieu en 70, quand les romains ont ravagé Jérusalem et détruit le Temple. Pareil cataclysme aurait dû laisser une trace dans les Évangiles. Leur rédaction était donc terminée en 70. De plus, ces Évangiles parlent des taxes versées au Temple comme étant d'actualité : l' « Obole au Temple » (Luc 21, 1 ; Marc 21, 41) et les « didrachmes annuels » (Mat 17, 24-27). Ces impôts ont disparu avec la destruction du Temple. Si les Évangiles avaient été écrits après 70, ses taxes n'auraient pas été présentées comme étant toujours perçues.

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Les quatre évangélistes (Bas relief du Mont-Saint Michel).

* : Jésus, p 453, Jean-Christian Petitfils, Fayard, 2011.

9. 20. Les synoptiques : Matthieu, Marc et Luc.

Les trois Évangiles synoptiques, ceux de Matthieu de Marc et de Luc, ont effectivement une trame commune : les paroles du Christ sont ordonnées par thèmes. Leur différence tient de leur adaptation aux publics spécifiques pour lesquels ils ont été rédigés.

En 62, l'Évangile de Matthieu est écrit en hébreu à l’intention aux Juifs de Jérusalem. Il reprend dans l'Ancien Testament tout ce qui confirme que Jésus est le Messie. Selon la tradition chrétienne, Matthieu est le collecteur d’impôts choisi par le Christ pour être Apôtre (Mat 9, 9). Mais il est possible que ce soit un autre Matthieu qui ait écrit l’évangile éponyme. L’apôtre Matthieu est-il simplement l'auteur de la fameuse source commune aux trois synoptiques ? C'est possible, mais rien ne le prouve. En tout état de cause, quel que soit son auteur, un détail permet de dater la rédaction de cet évangile à une date antérieure à 70. Matthieu raconte que, pris de remords, Judas rend l'argent de sa trahison aux grands prêtres. Ils se servent de cet argent impur pour acheter un champ destiné à enterrer les étrangers (Mat 27, 7). Ce « champ du potier » va être, selon les propos de l’évangéliste, « appelé champ du sang, jusqu'à ce jour. » (Mat 27, 8). De quel « jour » parle le texte ? Forcement du jour contemporain au travail d'écriture de Matthieu. Or, Jérusalem sera ravagée par les romains et sa population décimée en 70. Le fameux « jour » dont parle Matthieu se situe forcement avant l'an 70 : après, il ne restait personne pour se souvenir d'un lieu disparu*.

Marc, l'auteur du deuxième Évangile synoptique, est un disciple de Pierre. Il rédige son Évangile pour les romains. Marc apparaît dans les Actes des Apôtres quand Luc signale que Pierre « se rendit à la maison de Marie, mère de Jean, surnommé Marc » (Actes 12, 12), pour y trouver refuge après s'être évadé par miracle de la prison d'Hérode Antipas. Hérode décède en 39. Marc était donc déjà chrétien en 39. L’apôtre Pierre est un témoin direct de la vie du Christ, mais il est très certainement analphabète. Marc raconte donc les souvenirs de Pierre à sa place. On perçoit la présence de Pierre dans les détails du récit de Marc. Dans le récit du miracle de la tempête apaisée, Marc est le seul à donner un petit détail : « Jésus était à la poupe, dormant sur un cousin » (Marc 4, 38). Marc ne raconte pas que les faits bruts comme les autres évangélistes, il donne de petites précisions, a priori sans intérêt, mais que seul un témoin direct peut connaître. Plus émouvant encore, la personnalité de Pierre transparaît au travers des détails de l'Évangile de Marc. Marc est le seul à signaler que Pierre, plutôt que de garder le silence, raconte la première chose qui lui passe par la tête lors de la Transfiguration du Christ parce : « qu'il ne savait que répondre » (Marc 9, 6). Dernier détail, Marc est le seul à signaler qu'il a fallu du courage à Joseph d'Arimathie pour réclamer le corps de Jésus à Pilate (Marc 15, 43). Que cette précision soit donnée uniquement par celui qui raconte les souvenirs de Pierre est lourd de sens. Pierre garde toujours le souvenir de sa trahison. Joseph d'Arimathie a fait preuve du courage qui lui a défaut.
Marc a suivi Pierre à Rome en 58.
Paul parle de lui dans des épîtres tardives (1 Colossiens 4, 10 ; 2 Timothée 4,11 ; Philémon 1, 24) au moment où il est lui-même prisonnier à Rome. Marc vit donc à Rome quand il écrit son Évangile et il pense aux païens de Rome, des gens qui ne connaissent pas l'Ancien Testament. Son Évangile est donc le plus accessible pour quelqu'un qui ne connaît pas la Bible. Il se termine avec l'apparition des anges aux femmes qui fuient devant le tombeau vide (Marc 16, 8).

Le dernier chapitre qui résume la Résurrection et l’Ascension du Christ (à partir de Marc 16, 9) n'est pas de Marc. Son contenu le date au plus tôt de la fin du IIe siècle. Il contient un passage ésotérique qui affirme que les disciples peuvent saisir des serpents sans souffrir de leurs morsures (Marc 16, 18). Ce passage est similaire aux contenus des chapitres 42 et 43 de l'évangile arabe de l'enfance qui a été écrit au IIe siècle. C'est le seul passage des Évangiles qui soit apocryphe. Les Bibles les plus anciennes conservées, le Codex Sinaïticus (IVe siècle) et le Codex Bezae Cantabrigensis (Ve siècle), ne le contiennent pas. Mieux, dans le Codex Vaticanus (IVe siècle), un espace a été laissé vide à sa fin, avec juste la place pour le copier, mais cela n'a finalement pas été fait ! Ce chapitre existait donc, mais a été récusé au IVe siècle. L'affirmation qu'un chrétien peut avoir des conduites dangereuses et que Dieu viendra faire un miracle pour le protéger de sa sottise ou de son irresponsabilité est totalement en contradiction avec la théologie chrétienne. Tenter Dieu – exiger de Lui un miracle pour compenser nos erreurs - est un péché, et non une pratique chrétienne. Un disciple ne saurait donc prendre un serpent à mains nues juste pour démonter – ou tester - la Toute puissance de Dieu.
On attribue deux épîtres à Pierre, mais la seconde par son contenu, semble dater du IIe siècle.
Le contexte culturel de la première lettre de Pierre, la situe au début des années 60. En effet, aucune allusion aux persécutions de l'état romain n'y est faite : les exactions romaines n'avaient donc pas encore commencé. Elle est dans un grec excellent, ce qui dénote un auteur instruit. Celui-ci est nommé à la fin de l’épître qui précise que Pierre a écrit « par Sylvain » (1 Pi 5, 12). Dans cette épître, Pierre appelle « Marc, son fils » (1 Pierre 5, 13). À la fin de la vie de Pierre, Marc occupe donc une place privilégié auprès de lui. C'est donc à Marc que Pierre a confié ses souvenirs...

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Marc voguant vers Alexandrie
(mosaïque du XIIIe siècle, Basilique Saint-Marc ; Venise).

Entre 62 et 63, Luc écrit en grec son Évangile, le troisième synoptique, et les Actes des Apôtres. Il écrit pour les païens. Il est grec, donc païen d’origine, et disciple de Paul. Il donne de très anciens témoignages de la vie de Jean le Baptiste, de Zacharie et d'Élisabeth. Est-ce Marie, la femme de Clopas, qui a témoigné de l'Annonciation faite à Marie et de l'enfance du Christ ? « Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d'après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole, j'ai décidé, moi aussi, après m'être informé exactement de tout depuis les origines, d'en écrire pour toi l'exposé suivi, excellent Théophile, pour que tu te rendes bien compte de la sûreté des enseignements que tu as reçus. » (Luc 1, 1-4). Luc témoigne de deux choses essentielles : premièrement, plusieurs autres personnes ont entrepris ce même travail de rédaction en même temps que lui, secondement il s'est soigneusement renseigné avant d'écrire. Que Luc ne soit pas un témoin direct transparaît dans de petites erreurs qu'il a commises. Ainsi, désigne-t-il Pilate comme procurateur de Judée ; alors qu'il était préfet de Judée. C'est sous Claude, de 41 à 54, que la fonction de préfet fusionnera avec celle de procurateur. Tacite (58-120), Philon d'Alexandrie (12 avant JC - 54 après JC) et Flavius Josèphe (37-100) commentent le même anachronisme, Matthieu également. Mais, ni Marc, ni Jean ne commettent cette erreur.

* : Jésus, p. 323 ; Jean-Christian Petitfils, Librairie Arthème Fayard, 2011.

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Les quatre évangélistes
(enluminure vers 830, dessinée en région parisienne ; BnF).


9 . 21 . En 64, Pierre est enterré à Rome.
En 58, Pierre arrive à Rome. Il est accompagné de Marc.
Le 18 juillet 64, Rome brûle. La ville est construite en bois et l’incendie fait des ravages. Néron a-t-il trop rapidement décidé du nouvel urbanisme de la ville ? Le peuple commence à murmurer qu'il a fait mettre le feu lui-même à la ville. Néron va donc trouver un bouc émissaire et il désigne les chrétiens. Les chrétiens étaient donc suffisamment nombreux à Rome pour avoir été remarqués et leur comportement était suffisamment atypique pour qu'ils puissent constituer des boucs émissaires vraisemblables. Chasteté et fidélité dans le mariage, honnêteté et mépris de l'argent, sobriété et pondération, responsabilité individuelle et rejet du parasitisme, autant d’aspirations morales qui tranchaient sur celles de leurs concitoyens. Leur refus de tuer était mal compris dans un état perpétuellement en guerre et qui s'enrichissait depuis des siècles par des guerres de conquête. Leur monothéisme strict impliquait le refus de rendre un culte à l'empereur, mais aussi le rejet des jeux du cirque. Les jeux du cirque contrevenaient à deux commandements : celui de ne pas tuer et celui de n'adorer qu'un seul Dieu. En effet, les jeux n'étaient pas que de simples distractions – extrêmement populaires quoique cruelles – ils célébraient également un culte rendu aux dieux.

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Combat de gladiateurs (premier siècle ; Jamahiriya Museum, Tripoli, Libye.)

De plus, la conviction chrétienne que tous étaient égaux : esclaves comme hommes libres, femmes comme hommes, romains comme barbares, fragilisait la stabilité sociale de l'empire. Dès la fin du premier siècle, les stoïciens préconiseront, eux-aussi, la modération envers les esclaves. Or, les esclaves sont le pivot de la production économique. La  mansuétude envers eux fait craindre une perte financière. Autant de raisons qui expliquent que les chrétiens soient peu aimés et même méprisés par bon nombre de romains.

Au début du IIe siècle, Tacite (56-118) raconte les circonstances de la persécution des chrétiens. Néron les désigne comme responsables de l’incendie de Rome pour se disculper.

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Néron (marbre romain ; British muséum).

« Pour apaiser ces rumeurs, [l'empereur Néron] offrit d'autres coupables et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d'hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient du Christ que le procurateur Ponce Pilate, sous le principat de Tibère, avait livré au supplice. Réprimée sur le moment, cette détestable superstition perçait de nouveau, non seulement en Judée où le mal avait pris naissance, mais encore à Rome où, ce qu'il y a de plus affreux et de plus honteux dans le monde, afflue et trouve une nombreuse clientèle. On commença donc par se saisir de ceux qui confessaient leur foi, puis, sur leurs révélations, d'une multitude d'autres qui furent convaincus, moins du crime d'incendie que de haine contre le genre humain. On ne se contenta pas de les faire périr : on se fit un jeu de les revêtir de peaux de bêtes pour qu'ils fussent déchirés par les dents des chiens ; ou bien ils étaient attachés à des croix, enduits de matières inflammables et, quand le jour avait fui, ils éclairaient les ténèbres comme des torches. Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle, et donnait en même temps des jeux du cirque, où tantôt il se mêlait au peuple en habit de cocher, et tantôt conduisait un char. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les cœurs s'ouvraient à la compassion, en pensant que ce n'était pas au bien public, mais à la cruauté d'un seul, qu'ils étaient immolés. » (Tacite, Annales, XV, 44).

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Mosaïque des gladiateurs : montrant un homme livré aux fauves
(premier siècle, Jamahiriya Museum ; Tripoli, Libye.)

Dans des récits du IIe siècle, la Tradition chrétienne raconte que Pierre a été martyrisé avec eux. D'après un texte tardif (l’Évangile de Pierre, daté de 130), il aurait été crucifié la tête en bas.
Selon ces écrits de la Tradition chrétienne, Pierre aurait été enterré sur le lieu de son supplice, au pied de la Colline Vaticane.
En 217, Gaïus, un ecclésiastique érudit, signale l’existence d'un monument commémoratif sur la colline vaticane : le Trophée de Saint Pierre. Il écrit alors que ce monument existe depuis un siècle.
Au IVe siècle, l'empereur Constantin fera construite une basilique au dessus du Trophée de Saint Pierre décrit par Gaïus. À cette occasion, il fera rassembler les ossements découverts sous le Trophée et les enveloppera d'un tissu de pourpre et d'or avant de les y replacer.
Au XVe siècle, le pape Jules II fera rebâtir la Basilique Saint Pierre de Rome à la place de celle de Constantin. C'est celle que nous connaissons aujourd'hui. Il préservera la crypte antique sous le bâtiment et fera placer l'autel central juste au dessus du lieu supposé de la tombe de Pierre.
Le 26 juin 1968, le pape Paul VI annonce au monde la découverte des archéologues : les restes de Pierre ont été identifiés ! Le Trophée du début du IIe siècle décrit par Gaïus est toujours en place. C'est sous le Trophée qu'à été découvert un loculus (une simple niche de pierre) plus ancien encore et contenant des ossements humains. Ils sont accompagnés de fragments de tissu antique pourpre et or. Ces ossements sont ceux d'un homme robuste de 60 à 70 ans *. De multiples inscriptions marquent les parois du loculus. Ce sont elles qui vont permettre de le dater (la technique du carbone 14 n'était pas encore utilisée). En 1952, une de ces inscriptions est repérée et déchiffrée par Margherita Guarducci, titulaire de la chaire d’épigraphie et d'Antiquité grecque à l'université de Rome. Au milieu de plusieurs graffitis antiques d'invocations chrétiennes des premiers siècles, se trouve écrit en grec dans un graphisme typique du premier siècle : « Petros eni », « Pierre est ici » *.

Au XIIIe siècle, les Vaudois affirmaient que Pierre n'était jamais venu à Rome. En 1545, Martin Luther en doutait lui-même : « Personne ne sait avec certitude où repose Saint Pierre »...
L'archéologie a parlé. Simon, le pécheur de Galilée,  la « Pierre » sur laquelle est construite l’Église, est enterré dans la crypte antique, sous la Basilique Saint Pierre à Rome.

Et il y est toujours !



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Tombe de Saint Pierre dans la crypte de Saint-Pierre-de Rome : loculus où ont été trouvés ses ossements
et des graffitis parmi lesquels se trouve en grec
« Petros eni », « Pierre est ici ».

* : Saint Pierre retrouvé. Le martyre, la tombe, les reliques. Margherita Guarducci, éditions Saint-Paul, 1974.


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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:00

9 : LES DÉBUTS DE L'ÈRE CHRÉTIENNE.
De l'an 33 à l'an 130.


9. 1. Le dimanche 5 avril 33, le jour se lève, Marie-Madeleine constate que la pierre a roulé : le Tombeau est ouvert.
9. 2. Traces non chrétiennes de la Résurrection, écrits juifs, musulmans et romains.
9. 3. Le Christ ressuscité apparaît à Marie Madeleine.
9. 4. « Pourquoi chercher parmi les morts Celui qui est vivant ? » (Luc 24, 5).
9. 5. La Résurrection du Christ le révèle en plénitude : vrai homme et vrai Dieu ; le seul Prêtre, Prophète et Roi.
9. 6. Le Christ pardonne à Pierre et le confirme dans sa vocation de pasteur universel : péché et miséricorde ; doute et liberté.
9. 7. L’Ascension du 14 mai 33 : le Christ monte aux cieux.
9. 8. Un autre monothéisme : « L’Église de Jésus Christ des Saints des derniers jours » : les Mormons.

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9. 9. Les Actes des Apôtres sont écrits par l’Évangéliste Luc.
9. 10 . La Pentecôte, le 24 mai 33.
9. 11 . L’histoire du Peuple Élu trouve son accomplissement dans le don de l'Esprit Saint.
9. 12 . Qu'est devenue Marie ?
9. 13. Pierre accueille les nouveaux convertis juifs et païens, les sacrements.
9. 14 . Le christianisme n'appelle pas à la révolution : soumission fraternelle, égalité et amour mutuel.
9. 15 . Paul, autobiographie.

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9. 16. Paul et les femmes.
9. 17 . Les faux prophètes, les faux docteurs.
9. 18 . Géopolitique et auteurs romains au premier siècle.
9. 19. En 62 débute la mise par écrit des Évangiles.
9. 20. Les synoptiques : Matthieu, Marc et Luc.
9. 21 . En 64, Pierre est enterré à Rome.

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9. 22. L'Évangile selon Saint Jean, le plus historique des Évangiles.
9. 23 . Prédiction ou hasard, les chrétiens fuient Jérusalem en 66, juste avant que le piège romain ne se referme.
9. 24.  En 68, le site de Qumrân est détruit.
9. 25. La destruction du Temple d'Hérode en 70.
9. 26. Yohanan Ben Zakkaï sauve le judaïsme. Naissance du rabbinisme : Thora écrite, Thora orale.
9. 27. Entre -200 et 200, le judaïsme entre persécution et apostolat.
9. 28. Vers 170, Canon de Muratori et apparition du mot Trinité.
9. 29. Le Talmud de Jérusalem et le Talmud de Babylone : la Vérité naît du doute.
9. 30. Comment les juifs, les romains et les païens perçoivent-ils le Christ aux deux premiers siècles.

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:01

CHAPITRE 9 (FIN) : LES DÉBUTS DE L'ÈRE CHRÉTIENNE.

De l'an 33 à l'an 130.


9. 22. L'Évangile selon Saint Jean, le plus historique des Évangiles.

Entre 64 et 65, Jean, toujours installé à Jérusalem, commence la rédaction de son Évangile dans un grec riche de sémitismes
. Le plus ancien fragment conservé jusqu'à nous de l’Évangile de Jean est le papyrus P. Rylands GK. 457, conservé à la John Rylands Library de Manchester. Il a été retrouvé en Égypte et est daté d'avant 120.

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Le Papyrus  P. Rylands GK. 457 au recto... ... et le Papyrus  P. Rylands GK. 457, au verso.

Le plus ancien Évangile complet de Jean parvenu jusqu'à nous est le papyrus 66, collection Bodmer de Genève, daté de la fin du IIe siècle.

Jean est un témoin direct et l'analyse de son Évangile le démontre.
Jérusalem a été remaniée à de multiples reprises, puis finalement détruite en 70. Jean ne commet aucune erreur sur sa topographie. Il décrit bien Jérusalem telle qu'elle était pendant les trois années de vie publique du Christ, de 30 à 33.
En effet, de 41 à 44, Hérode Agrippa 1er modifie le tracé de l'enceinte de Jérusalem, le Golgotha se trouve compris dans les nouvelles murailles de la ville, ainsi que le tombeau du Christ à 30 mètres de là. L’Évangile de Jean les situe bien hors de la ville comme ils l'étaient effectivement au moment de la mort du Christ (Jean 19, 20). Dès 44, cette configuration avait changé.

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Jérusalem au temps du Christ : le Golgotha est hors les murs (2) -- et Jérusalem au IVe siècle au moment des travaux sous l'empereur
Constantin : le temple (1) est en ruine et le Golgotha (2) est dans la ville
(musée de la citadelle de David, Jérusalem)

Au XXe siècle, on a retrouvé une maison sacerdotale appartenant à un prêtre contemporain du Christ. Elle est entourée d'un mur avec un portail qui donne sur une cour. Une grande pièce de réception s'ouvre sur cette cour. La maison de Hanne, où a été jugé Jésus, a exactement le même plan dans l’Évangile (Jean 18, 12-27). Les datations scientifiques ont prouvé sa destruction par le feu en 70.
En 70, Jérusalem et le Temple sont totalement détruits par les romains lors de la révolte juive. Ce qui reste de la ville est rasé après la seconde révolte juive de 130. Jérusalem a été alors reconstruite sur le plan romain qu'elle a encore de nos jours, avec un cardo principal et un cardo secondaire. Un temple à Jupiter est construit à la place du Temple juif. Le Golgotha et le tombeau du Christ sont recouverts de plusieurs mètres de terre et disparaissent pour trois siècles. Un temple dédié à Vénus est bâti au dessus au milieu d'une place publique. Dès 134, il ne restait plus rien de visible du rocher en forme de crâne et du tombeau à banquette où fut enterré le Christ, tel que les décrivent les Évangiles. Ce n'est qu'au IVe siècle, précisément en 325, que le tombeau et le Golgotha sont retrouvés par Hélène (247- 330), la mère de l'empereur Constantin. Les Évangiles étaient déjà écrits, témoignant d'une réalité topographique qui avait disparu depuis trois siècles. En 325, Hélène fait creuser sous le temple dédié à Vénus et découvre le Golgotha et à 30 mètres de là, le tombeau creusé dans la falaise avec une banquette à droite, identiques aux descriptions des Évangiles (Mc 16, 5) et en particulier à celle de Jean (Jn 19, 41).
Jean raconte que le Christ a envoyer l'aveugle de naissance se baigner les yeux à la « piscine de Siloé » (Jean 9, 6-7). À la fin du premier siècle, Flavius Josèphe la nomme « fontaine de Siloé ». En 130, cette simple résurgence est totalement transformée par l'empereur Hadrien qui y construit un sanctuaire avec quatre portiques dédié aux Nymphes de Jérusalem. Mais c'est bien la simple piscine qui est décrite par Jean et non le sanctuaire aux Nymphes.
Dans le siècle qui a suivi la mort du Christ, Jérusalem a donc été totalement détruite puis reconstruite. L’Évangile de Jean décrit la Jérusalem contemporaine de la vie du Christ sans commettre aucune erreur. Il est donc impossible de penser que son Évangile est un écrit tardif du IIe siècle, ou que lui-même n'a pas été un témoin oculaire.

En fait, les circonstances de la rédaction de l’Évangile de Jean ont été racontées par les historiens chrétiens des premiers siècles. Au IIIe siècle, Eusèbe (265-340) explique comment Jean a été poussé à écrire un complément aux trois Évangiles synoptiques par des chrétiens qui voulaient les compléter. « Jean fut prié de transmettre dans son Évangile les épisodes passés sous silence par les évangélistes précédents et les actions faites par le Sauveur durant ce temps, c'est à dire avant l'emprisonnement du Baptiste ». Jean écrit donc après 63, après la rédaction des synoptiques.
Un texte daté de 150, le Canon de Muratori, raconte comment est écrit « le quatrième Évangile, celui de Jean, l'un des disciples. Quand ses condisciples et évêques l'encouragèrent, Jean dit : « Jeûnez avec moi trois jours à partir d'aujourd'hui et ce qui sera révélé à chacun de nous, nous le raconterons. » Cette nuit-là, il fut révélé à André, l'un des apôtres, que tous devaient le corriger, mais que Jean, en son propre nom, devrait tout écrire. [Jean] affirme être non seulement un témoin oculaire et un auditeur, mais aussi celui qui a écrit dans l'ordre toutes les merveilles que fit le Seigneur ». André a été martyrisé sous Néron (règne 54-68) vers l'an 60. Encore un indice qui place les débuts de la rédaction de Jean aux cours des années 60.
Seul des quatre évangélistes, Jean évoque le martyr de Pierre, en rapportant un propos du Christ qui annonce qu'on conduira un jour Pierre là où il ne veut pas aller (Jean 21, 19). L’Évangile de Jean a donc été achevé après le martyr de Pierre en 64.
Par ailleurs, lui non plus ne parle pas de la destruction totale de Jérusalem et du Temple en 70, cela signifie que son Évangile était achevé à cette date.

Jean a donc rédigé son Évangile entre 65 et 69.
Dans une interview donnée à hebdomadaire le Point du 29 novembre 2011, l'historien Jean-Christian Petitfils dit : « Jean se présente comme un témoin oculaire, et il l'est certainement, à la différence des autres évangélistes. Il faut donc lui faire confiance sur le déroulement des faits. Jean l'Évangéliste n'est pas l'un des douze apôtres... Il s'agit d'un prêtre important de Jérusalem, issu de la haute aristocratie sacerdotale. De ce fait, il connaît parfaitement sa ville et la topographie de la Judée. Il a assisté à de nombreux discours de Jésus et peut-être aussi à sa comparution devant Ponce Pilate. Sur ce point, les latinismes qui ont été repérés dans le discours du préfet romain, prononcé en grec, tel que le rapporte Jean, confèrent à son témoignage une incontestable véracité... L'Évangile de Jean est ainsi à la fois le plus mystique et le plus historique, fournissant des détails très précis, par exemple dans le récit des noces de Cana ». Jean-Christian Petitfils est l'historien auteur du remarquable ouvrage, Jésus, édité chez Fayard en 2011. Je ne peux que le remercier de sa contribution involontaire à mon petit travail.

On connaît la fin de la vie de Jean l’Évangéliste par les écrits des Pères de l’Église. Au milieu du IIe siècle, Clément d'Alexandrie raconte que l'Évangéliste a séjourné à Patmos pendant le règne du « tyran » Domitien, qui est mort en 96. Toujours selon Clément d'Alexandrie, c'est à Patmos que Jean aurait rédigé l'Apocalypse.

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Jean sur l’île de Patmos au moment de la rédaction de l' Apocalypse
(Les Très Riches Heures du duc de Berry, vers 1450 ; musée de Condé, Chantilly).

Finalement, Jean décède à Éphèse en 101. Il a plus de 80 ans. À la fin du second siècle, Irénée raconte sa fin qu'il tient de Polycarpe, évêque de Smyrne, qui connaissait Jean.

Jean a personnellement connu le Christ et l'a suivi de son Baptême jusqu'à la croix. Il met par écrit ses souvenirs entre 64 et 69. Jean affirme dès le Prologue de son Évangile que Le Verbe est Dieu et qu'Il a pris chair en Jésus-Christ.  


9. 23 . Prédiction ou hasard, les chrétiens fuient Jérusalem en 66, juste avant que le piège romain ne se referme.
Le Temple de Jérusalem est enfin terminé après plus d'un siècle de travaux. Des milliers d'ouvriers juifs se retrouvent au chômage. Le paganisme règne dans les cités dirigées par les successeurs d'Hérode. Pour restaurer leur souveraineté, les Juifs sont toujours tentés par la révolte armée. La misère ambiante va servir de détonateur.

En 66, la population chrétienne quitte précipitamment Jérusalem pour Pella en Arabie.
Jérusalem est la proie des factions juives qui s’entre-tuent au cœur même du Temple. Flavius Josèphe a raconté ces querelles qui se terminent dans le sang. Cela a-t-il servi de signe d’alerte pour les chrétiens prévenus par l’Évangile de Matthieu ? « Lorsque vous verrez l'abomination de la désolation, dont a parlé le Prophète Daniel, installée dans le saint lieu (que le lecteur comprenne !), alors que ceux qui seront en Judée s'enfuient dans les montagnes. » (Mat 24, 15-14). Cette prophétie donnée par le Christ reprend une prophétie de Daniel (Dn 9, 27 ; Dn 11, 31 et Dn 12, 11). Au IVe siècle, Eusèbe de Césarée (mort en 339) raconte que les chefs de la communauté chrétienne auraient été incités à fuir par une révélation spirituelle : « Le Christ leur avait dit d'abandonner Jérusalem et de se transférer ailleurs parce que la ville serait assiégée. »*.

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Des juifs s’entre-tuant auprès de l'autel, curieuse fresque de Doura Europos,
peinte en 246
(musée de Damas, Syrie).

Assez étrangement, on trouve une trace d'un événement surnaturel daté de 66 dans des récits historiques non chrétiens. Flavius Josèphe raconte qu'en 66, lors des rites de la Pentecôte, les prêtres juifs à l'entrée de la cour intérieure du Temple entendirent un grondement et comme un écho plusieurs fois répétés : « Partons d'ici ! » (La guerre des Juifs, VI ; 299) *. Tacite, un païen, raconte le même phénomène surnaturel entendu par des juifs : « Les portes du sanctuaire s'ouvrirent d'elles-mêmes, et une voix plus forte que la voix humaine annonça que les dieux en sortaient ; en même temps fut entendu un grand mouvement de départ ». (Tacite, Histoire, V, 12,  3).
Est-ce en raison de cet événement particulier ou d'une intuition spirituelle ? Toujours est-il que les chrétiens fuient Jérusalem en 66 et se réfugient à Pella, ville à l'Est du Jourdain*. C'est alors que Jean l’Évangéliste quitte Jérusalem avec ses frères chrétiens. Ils échappent ainsi à la mort qui frappera les rebelles juifs quelques années après.

La même année, en 66, Méhahem, fils de Judas le Galiléen, se rebelle. Il rassemble des groupes de juifs pieux qui souhaitent libérer la terre d'Israël par les armes. Ils seront nommés zélotes ou sicaires dans les écrits de Flavius Josèphe. Méhahem attaque Massada, le nid d'aigle édifié par Hérode le Grand. Il prend la forteresse aux romains et massacre blessés et prisonniers. Puis il se rend à Jérusalem, prétendant être le Messie. Il va rapidement décevoir l'attente du peuple et un complot va le destituer. Il fuit Jérusalem et est exécuté dès la fin 66. Massada, la forteresse inexpugnable, est aux mains des rebelles juifs. La grande révolte juive commence !
Le peuple juif rêve toujours que le Dieu des combats restaure son autonomie politique par les armes. Les chrétiens, eux, ont déjà renoncé à cette vision de Dieu.

Le Dieu des combats n'est pas Celui du Christ : « Dieu est amour » a résumé Jean (1 Jean 4, 16).

* : Jésus de Nazareth, de l'entrée à Jérusalem à la Résurrection, p. 45, Benoît XVI, édition du Rocher.

9. 24.  En 68, le site de Qumrân est détruit.
Les Esséniens sont connus par Flavius Josèphe (Antiquités juives, 13-V-9, 18-I-5 ; Guerres juives, 2-8) et par Philon d'Alexandrie. Leur communauté apparaît au IIe siècle avant JC, au moment de la persécution d'Antiochus IV Epiphane. Le Grand Prêtre de Jérusalem, Onias, est alors assassiné par Antiochus. Son successeur, Onias II, fuit au désert avec quelques fidèles. Leur lignée sacerdotale est la seule légitime aux yeux des Esséniens puisqu'elle est supposée remonter à Sadoc, le Grand Prêtre du temps de David. Onias reste le symbole de la perfection sacerdotale, il représente le « Maître de Justice », personnage mystérieux qui apparaît dans les archives des Esséniens.
Les Esséniens vivent séparés du reste du peuple et pratiquent des rituels de purification très rigoureux. Ils tiennent Hérode pour illégitime et ne fréquentent pas le Temple de Jérusalem. Ils vivent dans plusieurs communautés en Juda, en Égypte en Syrie. Ils y entrent après avoir abandonné tous leurs biens, ils restent célibataires et pratiquent à la lettre la Loi de Moïse au point de laisser périr leurs bêtes plutôt que de s'en occuper le jour du sabbat. Le message du Christ diverge donc radicalement du leur. Ils ne l'ont d'ailleurs pas reconnu pour Messie. En fait, les Esséniens attendent deux messies. Un Messie d’Israël, dit l’Élu, descendant de David, qui aura des fonctions civiles et militaires. Ce messie  exterminera leurs ennemis. Le second Messie, Grand Prêtre parfait ou « messie d’Aaron » dirigera le peuple.

En 68, les romains combattent la révolte juive : ils ravagent la Judée. À Qumrân, la communauté essénienne de la Mer Morte est alors détruite à tout jamais. Ses archives, constituées depuis 250 ans, sont alors oubliées dans les grottes qui les abritent. Elles seront découvertes par un berger en 1947. Traditionnellement chez les juifs, les textes sacrés, une fois usagés, ne sont pas détruits mais stockés dans un dépôt sacré nommé une gueniza. À Qumrân, les archives étaient placées dans des amphores au fond de grottes perdues dans le désert. En 1947, ce sont ainsi 870 livres qui sont retrouvés, souvent en plusieurs exemplaires. La plupart sont écrits en araméen, langue choisie au II s. avant JC pour écrire l'hébreu. La datation de ces textes va du IIIe siècle avant JC à 68 après JC. La vie de la communauté essénienne y est détaillée dans le Manuel de Discipline. La Bible hébraïque, l’Ancien Testament des chrétiens, y est au complet, en plusieurs exemplaires identiques aux versions recopiées jusqu'à nos jours par des générations de scribes. En particulier, le livre d’Isaïe a été reprouvé en parfait état et en plusieurs exemplaires. Qumrân prouve que l'Ancien Testament n'a pas été falsifié. Le Christ, Messie des chrétiens et prophète de l'islam, a puisé sa foi juive dans le même Ancien Testament que le nôtre.

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La grotte numéro 4 de Qumran et des amphores contenant les rouleaux.

Seul le livre d'Esther manque dans les manuscrits de Qumrân pour que la Bible hébraïque soit au complet. Le livre d'Esther est le seul livre de l'Ancien Testament où le nom de Dieu n'est pas cité. Ceci a suffi pour que les Esséniens le récusent. Les catholiques et les orthodoxes ont adjoint à la Bible hébraïque, quelques textes écrits entre le Ve siècle et l'époque du Christ qui ne modifient pas la doctrine biblique mais complètent son histoire : les livres de la Sagesse, de Tobie, de Judith, d'Esdras, d’Hénoch, de Baruch, des Macchabées et l’Ecclésiastique. Les protestants s'en sont tenus à la Bible hébraïque identique à celle de Qumrân.

Il est possible que l'on ait trouvé des extraits de l’Évangile de Marc à Qumrân, donc forcement mis par écrit avant 68. Le doute provient de l'extrême fragmentation des parchemins qui les supportent.
Sur le papyrus 7 Q 5 est écrit : « En effet, ils n'avaient rien compris à propos des pains car leurs cœurs étaient endurcis. Ayant terminé la traversée, ils abordèrent à Générareth ». Il s'agit de Marc (6, 52-53) racontant la réaction des disciples après la multiplication des pains. Les disciples restent incrédules : leur cœur est endurci et ils refusent de voir l'évidence... Si on se permet un parallèle, de nos jours, combien parfois le cœur de certains est endurci quand ils refusent d'admettre que le Nouveau Testament a été écrit avant 70 …

9. 25. La destruction du Temple d'Hérode en 70.
En quelques années, les romains ont repris le contrôle d'Israël. Seules Jérusalem et la forteresse de Massada résistent encore.
Vespasien devient empereur en 69. Il nomme son fils Titus à la tête de l'armée qui assiège Jérusalem. L'empereur Vespasien souhaite que le Temple soit préservé, mais la défense acharnée des juifs va en décider autrement.
Flavius Josèphe a raconté ce combat dans La guerre des Juifs. Initialement, il participe à la révolte en tant que général d'une des armées juives. Il est battu en 67 par les romains. Après deux ans d'emprisonnement, il accepte en 69 de devenir intermédiaire entre les juifs et les romains. Il devient alors un fidèle serviteur des romains.

Lors du siège de Jérusalem, les romains déboisent sur 18 kilomètres autour de Jérusalem pour fabriquer leurs engins de guerre et leurs fortifications. Au cours de l'été 70, ils repoussent les juifs affamés et pris au piège de Jérusalem vers l’intérieur du Temple.
Le 5 août 70, les sacrifices d'animaux sont interrompus.

Le culte rendu à Yahvé par des sacrifices sanglants s’interrompt pour toujours.
Il avait commencé 1300 ans plus tôt sur le mont Ébal : il ne sera jamais repris. Les Juifs n'ont pas reconnu Jésus comme Messie ; néanmoins 37 ans après sa mort, ce culte, qui, selon les chrétiens, était devenu inutile, s'interrompt.
Deux éléments majeurs parlent aux chrétiens pour leur dire la légitimité du Peuple Élu, mais aussi celle du Christ, Messie incarné et sauveur du monde.
D'abord, les sacrifices sanglants du Temple disparaissent peu de temps après la mort du Christ. Dieu n'a rien fait, n'a inspiré personne pour qu'ils reprennent. En 536 avant JC, la Bible raconte que Yahvé avait suggéré à Cyrus, le roi Achéménide, d'ordonner la reconstruction du Temple (Esdras 1, 1-11). Après la Résurrection du Christ, Dieu n'a plus rien fait de comparable. Deux tentatives de restauration auront néanmoins lieu. En 135, la tentative juive de Bar Korba sera à nouveau noyée dans le sang par les romains. Au IVe siècle, l'empereur romain Julien l'Apostat voudra reconstruire le Temple, mais la mort l'en empêchera *.
Second élément troublant, plus jamais Israël ne reconnaîtra de prophète annonçant le Messie. Les Juifs auront des sages, des spécialistes de la Loi, mais plus jamais de prophètes. Pour les chrétiens, cela devrait être le signe que le Peuple Élu reste guidé par Dieu, même 2000 ans après la venue du Christ. En effet, depuis la naissance du Christ, aucun prophète juif reconnu par le Peuple Élu ne s'est fourvoyé à annoncer le Messie ! La période prophétique des juifs est close ! En fait, seuls les prophètes de l’Ancien Testament annoncent le Messie. Les juifs attendent la Venue du Messie ; les chrétiens attendent son Retour. Leur attente est donc la même et prendra fin le même jour. Les chrétiens pensent que ce sera à la fin des temps. Selon les musulmans, le Christ doit également revenir à la fin des Temps selon la suggestion de ce verset : « [Jésus, fils de Marie] sera un signe au sujet de l’Heure [dernière] » (S. 43, 61). Les exégètes musulmans extrapoleront donc sur ce verset pour reprendre la conviction chrétienne du retour du Christ à la fin des Temps. Par ailleurs, il est à noter que Mohamed n'est prophète, ni pour les juifs, ni pour les chrétiens.

Au cours de l’été 70, Jérusalem est incendiée, la ville est totalement détruite et la campagne dévastée à 18 kilomètres alentour. Les archéologues retrouveront les traces des destructions massives dans tous les quartiers de Jérusalem. Le Temple est finalement lui-aussi incendié. Seules trois tours restent debout, ainsi que le mur ouest de soutènement qui est devenu « le mur des lamentations », le Cotel, si cher aux cœurs des juifs. Il ne reste rien, ni de Jérusalem, ni de ses habitants. Lors du siège, les Juifs sont morts de faim ou les armes à la main. Les survivants sont réduits en esclavage. Les romains massacrent 1 100 000 juifs, selon Flavius Josèphe (La guerre des juifs, VI, 420), 600 000 selon Tacite (Tacite, Histoire, V, 12,  6).
Ni les Évangiles, ni les Actes des apôtres, ni les Épîtres n'y font la moindre allusion... Ils étaient déjà écrits.
À Rome, les romains organisent un triomphe à Titus. Les survivants juifs défilent dans les rues avant d'être exécutés lors de jeux du cirque.

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Destruction de Jérusalem et pillage du Temple racontés sur l'arc
de triomphe de Titus à Rome, au Ier siècle après JC.

L'arc de Triomphe de Titus est alors érigé près du forum à Rome. Il y est toujours. On peut admirer les bas-reliefs qui racontent le pillage du Temple. On voit la menorah (le chandelier à sept branches) portée par des prisonniers juifs. Le nom de « menorah » provient d'un nom de plante, Moriah, en araméen. Il s'agit également du nom du Mont du Temple (2 Ch. 3, 1) et de celui du lieu du sacrifice d'Isaac (Genèse 22, 2)... Au travers de ses symboles, c'est toute la foi du peuple juif qui est détruite, ainsi que Jérusalem et ses habitants.

En 73, la forteresse de Massada est reprise par les romains. La grande révolte juive s'achève là où elle avait commencé. Nid inexpugnable assiégé par les romains au milieu d'un pays ravagé, elle a résisté encore trois ans après la chute de Jérusalem. Les rampes de terre construites par les romains pour investir Massada sont toujours visibles de nos jours.

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La forteresse de Massada, construite sur un surplomb naturel, avec,
à droite, la rampe construite par les romains lors du siège.

Plutôt que de se rendre, les derniers résistants se suicident. Seule une vieille femme et cinq enfants survivent cachés dans un égout. De nos jours, Massada reste le symbole de la persévérance et du sens du sacrifice d’Israël. C'est devenu un mythe fondateur de l'état moderne d'Israël.

L'échec est complet. La foi d'Israël a perdu tout ancrage matériel avec la destruction du Temple et toute force militaire avec la chute de Massada.
C'est un cataclysme sans commune mesure.
Et Israël a survécu.

* : Jésus de Nazareth : de l'entrée à Jérusalem à la Résurrection, p 48-49, Benoît XVI, édition du Rocher, 2011.

9. 26. Yohanan Ben Zakkaï sauve le judaïsme. Naissance du rabbinisme : Thora écrite, Thora orale.
Malgré cette défaite écrasante, le peuple juif va survivre. Dieu semble effectivement s'occuper de son Peuple Élu. Cependant, la venue du Christ est curieusement contemporaine d'une modification radicale du culte juif, cela semble bien confirmer que Jésus est le Messie.
L'évolution du culte juif va aller dans le sens de prophéties anciennes : « Un sacrifice, tu n'en veux pas. Le sacrifice à Dieu, c'est un esprit brisé. » (Ps 51, 18-19). « [Yahvé] prendra-t-Il plaisir à des milliers de béliers, à des libations d'huile par torrents ? Faudra-t-il que j'offre mon aîné pour prix de mon crime, le fruit de mes entrailles pour mon propre péché ? On t'a fait savoir, homme, ce qui est bien, ce que Yahvé réclame de toi : rien d'autre que d'accomplir la justice, d'aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu. » (Michée 6, 7-8). Les sacrifices d'animaux ont définitivement cessé. Les sadducéens et la forme de judaïsme qu'ils incarnaient avec les sacrifices et le commerce qu'ils réclamaient, disparaissent avec eux.

Avant la révolte juive, Yohannan Ben Zakkaï est un maître pharisien célèbre qui regroupe des disciples autour de lui à Jérusalem. Prisonnier de la ville assiégée, il parvient à s'enfuir avec l'aide de ses élèves. Alors que les combattants juifs interdisent à tous de quitter la ville, ses disciples le font passer pour mort. Ils réclament aux combattants juifs l'honneur de pouvoir l'enterrer rapidement pour qu'il ne connaisse pas la corruption avant sa mise en terre. Ils obtiennent le droit de sortir de Jérusalem en portant le corps de leur maître... et ils se rendent au camp romain. Yohannan Ben Zakkaï obtient l'accord des romains pour se réfugier à Yavné en Galilée où il va fonder une nouvelle école. Il y invente un nouveau judaïsme. Depuis deux siècles, les pharisiens insistent sur l'étude et l'interprétation de la loi. Cette conception va devenir le fondement du judaïsme.
La biographie de Yohannan Ben Zakkaï raconte qu'il « n'a jamais connu de moment d'inactivité ; il n'a pas fait quatre mètres sans réfléchir sur la Torah et sans phylactères. Il a toujours été le premier dans la Maison du Midrash, il n'y a jamais dormi et a toujours été le dernier à la quitter ; jamais personne ne l'a trouvé occupé à autre chose qu'à l'étude. » (Suk. 28a).

Pendant les trois siècles qui suivent, en attendant que l'empire romain ne devienne chrétien, un des deux centres spirituels du judaïsme sera en Galilée, à Yavné, autour des successeurs de Ben Zakkaï. L'autre pôle se trouvera dans l'empire perse. Le titre de rabbin que prendra Ben Zakkaï veut simplement dire Monsieur. Ce titre sera ensuite attribué à ceux qui connaissent parfaitement la Thora et sont aptes à l'interpréter.

Le rabbinisme est né, marquant l'évolution du judaïsme vers un culte plus intellectuel, centré sur l'étude des Textes saints et les rites de purification. Yohannan Ben Zakkaï élabore le judaïsme rabbinique qui fonde ses travaux de recherche sur deux Thoras : la Thora écrite et la Thora orale.
La première Thora est la Loi écrite donnée par Dieu à Moïse parallèlement aux Dix Commandements. Cette révélation est connue de tous et se trouve dans la Bible. Les Juifs n'y auraient pas été fidèles après s'être établis vers -1250 en Canaan, c'est pourquoi ils auraient perdu le pouvoir.

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Rouleau de la Thora du XIIe siècle (Boulogne).

La seconde Thora aurait été révélée oralement à Moïse. Il l'aurait communiquée à ses successeurs, à Josué, aux prophètes, qui à leur tour l'aurait transmise aux hommes de la grande assemblée qui dirigeait le peuple au moment du retour de Babylone. Il existe donc deux Thoras, une Thora écrite, connue, et une Thora orale, à découvrir par l’étude. Quand un rabbin fait une découverte par l'étude de la Thora écrite, il s'agit d'une mise en lumière de cette révélation cachée, le Thora orale, connue de Moïse. En effet, Moïse, détenteur de la Thora cachée, est le parfait modèle pour les Juifs : il est « Moshe Rabeinû », « Moïse notre Maître »*. La Thora orale est un absolu que suivent les anges... mais également Dieu pour établir ses jugements au ciel.
Pour les juifs, la Thora parfaite n'est pas celle que l'on trouve dans les cinq premiers livres de la Bible, le Pentateuque : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome. La Thora parfaite est orale et s'enrichit à chaque génération. La croyance en ces deux Thoras résulte d'un glissement de raisonnement intéressant : il ne s'agit pas de redécouvrir un texte qui existerait depuis toujours auprès de Dieu et serait défini par avance. Il s'agit pour les juifs, d'enrichir une révélation toujours en devenir. Dieu, Lui-même, accepterait de se soumettre à cette loi nouvellement découverte. Un célèbre passage du Talmud fait ainsi parler Yahvé : « Mes enfants m'ont vaincu, mes enfants m'ont vaincu ! »*. Dieu se dit donc prêt à obéir à la Loi élaborée par ses enfants !
La vérité du judaïsme n'est donc pas un absolu éternel et déjà défini, son contenu reste en perpétuelle élaboration.
Comme pour les chrétiens, pour qui la Vérité est ouverte sur la personne du Christ, la vérité des juifs n'est donc pas limitée à un texte au contenu fixé.


* : Encyclopédie des religions, Tome I, p 296, Bayard éditions.

9. 27. Entre -200 et 200, le judaïsme entre persécution et apostolat.
En Égypte, avant l'ère chrétienne, la dynastie grecque des Ptolémée a permis aux Juifs de ne pas rendre de culte à Pharaon. Souvent enrichie par les métiers des armes et le don de propriété terrienne en fin de carrière, la minorité juive a prospéré. Jalousie plutôt qu’antisémitisme racial, les premières critiques reprochant aux juifs leur origine étrangère apparaissent sous Ptolémée IV Philopator, 200 ans avant JC.
Après la conquête romaine (en 63 avant JC), les juifs gardent le droit de ne pas sacrifier aux dieux. Les romains ont besoin de cette élite hellénisée et l’exempte d'impôts. Cela cristallise les jalousies. À Alexandrie en 38 (après JC), un notable païen, Isidôros, soulève le peuple. Les juifs sont brûlés vifs au cours de la révolte populaire déclenchée par Isidôros. Philon, le savant juif d'Alexandrie, va à Rome pour défendre ses frères. Il n'est pas reçu par l'empereur Caligula et, à la mort de celui-ci en 41, les juifs d'Alexandrie se vengent en massacrant la population alexandrine. L’empereur Claude, le successeur de Caligula, fait exécuter Isidôros et écrit aux juifs d'Alexandrie : « Je vous dirai donc simplement que, si vous ne mettez pas fin à ces détestables fureurs mutuelles, je serai forcé de vous montrer de quoi est capable un prince bienveillant quand il est pris d'une juste colère. » (Claude, Lettre aux Alexandrins). L'empereur Claude rétablit la paix, mais les antagonistes religieux persistent.

Entre 49 et 50, les juifs se rebellent à Rome et ils en sont chassés par Claude.
En 66, nouvelle révolte des juifs d'Alexandrie : ils sont massacrés (Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, II, 490-493). La même année débute la révolte juive en Terre Sainte. Le Temple de Jérusalem est détruit et la population juive de Jérusalem disparaît en 70.

Les juifs d’Égypte se soulèvent à nouveau en 115. Ils luttent jusqu'à leur extermination totale en 117. Eusèbe de Césarée (265-339), un historien chrétien, racontera leur révolte. Des ostraca retrouvés en 1930 à Edfou, montrent la chute rapide des revenus fiscaux versés par la population juive d’Égypte à partir de 117. Depuis la destruction du Temple, Vespasien avait converti l’impôt annuel, versé par chaque homme juif au Temple, en un impôt versé au temple de Jupiter Capitolin. Ni l' « Obole au Temple » (Luc 21, 1 ; Marc 21, 41), ni les « didrachmes annuels » (Mat 17, 24-27) n'étaient plus perçus. La comptabilité de l'impôt versé au temple de Jupiter Capitolin permet donc de dénombrer la population. Les ostraca d'Edfou et ceux de la communauté juive agricole de Karanis, dans le Fayoum, prouvent que moins d'un juif sur mille a survécu en Égypte après les massacres de 117 : il s'agit d'une extermination totale (article de J. Mélèze-Modrzejewski, professeur d'histoire ancienne de l’université de Paris I).

L'empereur Hadrien règne de 117 à 138. En 130, l'empereur Hadrien reconstruit Jérusalem sous le nom de « Ælia Capitolina ». Le nom de Jérusalem disparaît. Son souvenir persiste dans la Bible mais le Coran l'ignore : Jérusalem n'est jamais citée dans le Coran, ni sous son nom de Jérusalem ni sous son nom d'Ælia. Un temple dédié à Jupiter remplace le Temple de Jérusalem. Un temple dédié à Vénus est construit au dessus du Golgotha et du tombeau du Christ.
Entre 132 et 135, une derrière révolte juive est dirigée par Bar Korba. Il se rebelle contre le blasphème des romains qui ont construit un temple dédié à Jupiter sur les ruines du Temple juif. Bar Korba reprend la ville de Jérusalem et réussit à restaurer les sacrifices sanglants pendant quelques mois. Mais sa révolte échoue. En 135, les juifs sont chassés définitivement de Jérusalem et aussi de la Judée. La diaspora juive commence... Pendant les 2000 années suivantes, les juifs espéreront sans se lasser leur retour sur leur Terre promise.

Malgré ses difficultés, le judaïsme s'est néanmoins répandu pendant les deux premiers siècles de l'occupation romaine. Même au sein des élites romaines, certains se sont convertis au judaïsme, ce qui avait déplu aux empereurs. En effet, la foi juive répond aux questions existentielles. Elle est dépourvue des mythes invraisemblables présents dans les polythéismes romain et grec. Pour lutter contre ces conversions au judaïsme, Hadrien fait interdire la circoncision dans tout l'empire. En fait, la circoncision n'était pas une pratique identifiée à une religion mais bien davantage à une région. Elle était pratiquée dans tout le Moyen-Orient, du territoire d'Israël jusqu'à l’Égypte où les prêtres du panthéon égyptien devaient s'y soumettre, en passant par l'Arabie où les païens arabes étaient circoncis. Les romains réunissaient dans la même détestation circoncision et castration qu'ils considéraient comme équivalentes (Origène, Contre Celse, II, 13).

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Scène de circoncision en 2500 avant JC
(tombe d'Ankhomahor ; Saqqarah, Égypte).

En 138, l'empereur Antonin le Pieux (138-161) permet à nouveau aux juifs de circoncire leurs enfants nouveau-nés ; seuls les convertis au judaïsme sont interdits de circoncision.

9. 28. Vers 170, Canon de Muratori et apparition du mot Trinité.
Le Nouveau Testament est le fruit du travail de plusieurs auteurs et leurs motivations sont diverses : raconter l'histoire du Christ, aider les communautés chrétiennes naissantes, prévenir des temps derniers... De multiples auteurs ont pris la plume. Réaliser un tri dans tous ces écrits est rapidement devenu nécessaire pour conserver un contenu cohérent à la révélation chrétienne.

Entre 150 et 180, un texte grec est rédigé par des auteurs inconnus. Il est nommé Canon de Muratori, du nom de l'italien qui a imprimé le manuscrit antique au XVIIIe siècle. Ce texte antique établit la liste de tous les textes retenus pour constituer le Nouveau Testament : les quatre Évangiles, les Actes des Apôtres de Luc, les épîtres de Paul, de Pierre, de Jacques, de Jean et l'Apocalypse de Jean.
En 180, l'évêque de Lyon Irénée donne exactement la même liste. Ces textes forment le Nouveau Testament que nous connaissons aujourd'hui.

Certains Évangiles sont d’emblée signalés comme apocryphes par le Canon de Muratori : les Évangiles d’André, de Thomas, de Pierre, de Pilate, le Proto Évangile de Jacques, ou l'Évangile de Judas... Sans doute ne contiennent-il pas que des erreurs, ils n'ont cependant pas été considérés comme suffisamment rigoureux. C'est par eux que nous connaissons le nom des parents de Marie et des détails de la mort de Pierre.

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Marie cajolée par ses parents, Anne et Joachim (mosaïque
du monastère de Sainte Chora, Constantinople / Istanbul).

En fait, on reproche plusieurs choses aux Apocryphes : soit d'avoir été écrits trop tardivement, au IIe siècle, pour prétendre à la fiabilité, soit d'être en contradiction avec les textes du premier siècle, soit de contenir des récits fantastiques. Le dernier chapitre de l'Évangile de Marc (à partir de Marc 16, 9) entre dans cette catégorie : saisir des serpents à mains nues ne fait pas partie de l'orthodoxie chrétienne. D'ailleurs jusqu’au Ve siècle, le Nouveau Testament n'a pas contenu ce chapitre de Marc.

Les textes du Nouveau Testament, comme ceux de l'Ancien Testament, ont été écrits par des hommes. Les chrétiens l'ont toujours su. Le Christ n'a rien écrit : Verbe de Dieu, il a parlé et il a agi. Il a ensuite confié à ses Apôtres le soin de transmettre fidèlement son message. Il était donc du devoir de leurs successeurs de réaliser un tri parmi les multiples textes qui existaient, afin de présenter et de préserver la vérité christique. De plus, au cœur même des textes retenus, d'autres paroles du Christ, d'autres événements de sa vie auraient pu être rapportés et avec un autre vocabulaire. Jean évoque ce choix éditorialiste à la fin de son Évangile (Jean 21, 25). Le Christ ne peut donc pas être limité à ce qu'en racontent les Évangiles, il est bien au-delà. Il est « la Vérité » des chrétiens. Néanmoins, Vatican II l'affirme : « Les livres de l’Écriture enseignent nettement, fidèlement et sans erreur la vérité telle que Dieu, en vue de notre salut, a voulu qu'elle fût consignée dans les Saintes Écritures. » (Constitution Dei Verbum de Vatican II, 3, 11). Le contenu de la Bible, tel qu'il est défini au IIe siècle, présente la vérité de Dieu, celle qui permet accéder au salut : telle est la conviction de l’Église.

Au même moment, en 180, apparaît pour la première fois par écrit le mot grec de Τριας/Trias pour décrire le Dieu chrétien. On trouve cette appellation de Τριας/Trias sous la plume de Théophile, évêque d'Antioche du IIe siècle (A Autolycus, II, 15). Théophile précise qu'il n'a pas inventé le mot Τριας. En 180, d'autres appellent déjà Dieu ainsi. Puis le mot Τριας/Trias est traduit en latin par Trinitas sous la plume d'Hippolyte de Rome (170-235) (Contre Noët, 14). On le retrouve chez Tertullien (155-220) (Contre Praxeas). « Trinitas » deviendra « Trinité » en français.

Les Évangiles ont ceci de particulier qu'ils ne nomment pas la Trinité. Le Christ parle de son « Abbā » et de l'Esprit, mais jamais il ne nomme Dieu. Mais si le Christ ne nomme pas Dieu, il L'a en revanche donné à voir lors de son baptême par Jean le Baptiste (Mt 3, 13-17 ; Mc 1, 1-8 ; Lc 3, 21-22). Par ailleurs, Jésus cite chacune des Personnes de la Trinité comme Trois Entités distinctes : Son Père (Jn 15, 9), Lui-même, le Fils (Mt 11, 25-27 ; Lc 10, 21-22) et l'Esprit (Jn 14, 26 ; Jn 15, 26). Et Jésus le fait tout en affirmant l'unicité absolue de Dieu (Mt 22, 34-40 ; Lc 10, 25-28, Mc 12, 28-33). Il affirme également sa parfaite union avec le Père : « Moi et le Père, nous sommes Un » (Jn 10, 30).

Dieu Trinité ne ressemble pas à un homme et Il n'a aucune raison de ressembler à un homme. Que Dieu choisisse de créer l'homme et la femme à son image (Genèse 1, 27) ne signifie pas que Dieu ressemble aux hommes. En fait, cela signifie l'inverse : cela signale que Dieu aspire à nous attirer vers Sa divinité. Dieu a des capacités dont aucun homme ne peut se prévaloir. Aucun homme ne saurait être apte à la création de l'univers. Dieu n'est pas un homme, mais après avoir créé l'homme à Son image, Il choisit de se faire homme, ce qui est tout à fait différent. Que Dieu choisisse de s'incarner dans un corps d'homme en Jésus-Christ est l'expression de sa souveraine liberté et la manifestation de son amour. Mais cela ne retire rien à Sa Nature divine qui n'est en rien humaine. Dieu est Le Tout Autre.
Dieu est Immuable. Quand le Père affirme, lors du baptême de Jésus-Christ « Tu es mon fils ; moi, aujourd'hui je t'ai engendré » (Lc 3, 22), Il nous apprend l'état permanent de Dieu : Le Père engendre le Fils en permanence. Pour parler un langage humain et donner une image compréhensible du Dieu des chrétiens, peut-on comparer la Trinité à un cœur qui palpite ? Il se contracte et se dilate. Dieu se dilate : Le Père engendre le Fils. Dieu se contracte : L’Esprit-Saint réunit Père et Fils et irrigue l'humanité. Voilà l’état permanent de la Trinité, l'Être même du Dieu unique : un cœur qui palpite. Le nom de Trinité n'est que la description humaine de ce mouvement interne à Dieu : Dieu expire et inspire. Dieu est Amour : Père, Fils et Esprit, Trois Êtres de même âge, éternellement jeunes dans leur immuabilité sans commencement. Dieu n'est pas un être humain et Il n'a rien d'un être humain ... Mais si Dieu choisit de se faire homme en Jésus-Christ, Lui qui est Le Tout Autre, pourquoi le Lui reprocher ? Comment le Lui interdire?
Dieu est Unique et Trois Personnes divines vivent en Lui - Jésus-Christ nous l'a enseigné - Chacune étant individuellement Dieu et ensemble étant Dieu, Chacune aspirant à entrer en communication avec nous. Les chrétiens l'ont compris depuis la Résurrection du Christ et ils Lui donnent enfin un nom au IIe siècle : La Trinité.

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La Trinité de Roublev. Le moine moscovite Andreï Roublev représente au XVe siècle les trois anges
venus visiter Abraham au chêne de Mambré. Les Trois Personnes divines sont représentées
sous l'apparence de trois hommes de même âge et éternellement jeunes.

Le fait que le nom de « Trinité » ne soit pas dans les Évangiles, prouve une fois de plus, s'il était nécessaire, que leur rédaction était achevée bien avant que ce nom ne soit inventé, quelques années avant l'an 180… Néanmoins, les Évangiles nous avait déjà appris que Le Verbe vient de Dieu, que le Verbe est Dieu, qu'Il s'est fait chair par l'Esprit-Saint en Jésus et qu'il a habité parmi nous (Prologue de l'Évangile de Saint Jean).

9. 29. Le Talmud de Jérusalem et le Talmud de Babylone : la Vérité naît du doute.
L'enseignement oral des rabbins va peu à peu être mis par écrit : Rabbi Akiva ben Yosseph (mort en 135) en sera le rédacteur le plus emblématique. Suite aux révoltes juives d’Égypte et de Terre Sainte, le centre de gravité de la communauté juive se déplace. Un centre intellectuel se trouve toujours à Yavné en Galilée, où est élaboré le Talmud dit de Jérusalem. Mais le plus important travail de recherche et de mise par écrit va se passer en dehors de l'empire romain.

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Mosaïque de la synagogue de Beth Alpha construite en Terre Sainte au Ve siècle.
La Terre Sainte est restée un foyer du judaïsme, malgré la diaspora  imposée par les romains.

C'est maintenant dans l'empire rival de Rome que la communauté juive va se développer. En effet, la Perse des Parthes a choisi d'accueillir et de protéger les juifs qui ont été persécutés par leurs ennemis, les romains. La communauté juive va donc s’installer à Babylone et élaborer, dans de multiples écoles, le corpus impressionnant du Talmud dit de Babylone.

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Cérémonie religieuse avec musique et danse à la synagogue de Doura Europos, en Perse,
où se développe une communauté juive florissante
(fresque datée de 246 ; musée de Damas, Syrie).

L'étude de la Thora et du Talmud nécessite une discussion avec un contradicteur. Le doute est nécessaire à la recherche de la vérité, car c'est de l'opposition que naît la vérité : telle est la conception du judaïsme rabbinique. La recherche de la vérité est un acte saint qui sanctifie la totalité du Peuple Élu. Les spécialistes de la Thora vont être considérés dans les siècles à venir, comme supérieurs aux Prophètes. L'ère prophétique du judaïsme est bien close. Par sa connaissance parfaite de la Thora, le rabbin devient lui-même une Thora vivante. De nos jours encore, les hommes juifs les plus pieux passent les 30 premières années de leur vie à étudier la Thora. Le Messie est toujours attendu, certes, mais il prendra la figure d'un rabbin, d'un spécialiste de la Thora. Au cours des siècles, des écoles rabbiniques imagineront à tour de rôle que leur maître est le Messie attendu,...  avant de revenir sur leur position. De nos jours, les juifs attendent toujours le Messie...

De la mise par écrit de ces inlassables travaux de recherche naît le Talmud de Babylone. Puis de l'étude du Talmud, à partir de 300, le Midrash s'élabore dans une recherche toujours recommencée. Le Midrash contient d'une part, la Halakha, la norme légale définissant toutes les activités humaines et religieuses réparties en six grandes sections et, d'autre part, des commentaires de l'histoire du Peuple Élu rédigés sous forme d'homélies. Le Midrash continuera à être élaboré au fil des siècles.

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Une page du Talmud, ici de Jérusalem, avec le texte surchargé de commentaires.

L'empire Perse est adepte du zoroastrisme. Un million de juifs y vivent au IIe siècle. La chute des Parthes et l'avènement de la dynastie des Sassanides en 224 fragilise la communauté juive.
Les Sassanides veulent imposer à tous le culte d'Ahura Mazda et d'Anahita, la mère de Mithra, les divinités du zoroastrisme. Samuel, un grand commentateur juif, arrive à un compromis avec le roi Shapur Ier (241-272). Selon le principe qui veut que « La loi du pays est la loi », il se soumet à toute la législation sur la propriété et la fiscalité, en échange de la liberté de culte. Malgré quelques massacres ponctuels, les juifs parviennent à conserver l'amitié de la dynastie régnante.
Mais cette tolérance est précaire. En 474, les synagogues sont finalement fermées et l'éducation des enfants juifs est confiée au clergé mazdéen. Sous Kavad Ier (488-531), un prophète, Mazdak, prône la communauté des biens et des femmes. Les juifs se rebellent et luttent pendant 7 ans.

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Drachme d'argent à l'effigie de Kavad Ier, frappée à Bishapur. Les Sassanides ont effectivement frappé des drachmes
d'argent qui auront toujours cours lors de la vie de Mohamed, d'où l'anachronisme du prophète de
l'islam au sujet de la vente du patriarche Joseph, au XVIIIe siècle avant JC.

En 499, le Talmud de Babylone est définitivement clos.

9. 30. Comment les juifs, les romains et les païens perçoivent-ils le Christ aux deux premiers siècles.
En 85, les nouvelles autorités rabbiniques de Yavné renoncent à la traduction grecque de la Bible, dite La Septante. Ils  reviennent à la Bible en hébreu parce que la Bible en grec confirme un point de la foi chrétienne : selon Isaïe, dans la traduction grecque de la Septante, le Messie devait naître d'une vierge. Le texte originel en hébreu d'Isaïe disait simplement que le Messie devait naître d'une jeune fille nubile. « Voici que la jeune fille nubile [la vierge ?] est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. » (Isaïe 7, 14). Le développement du christianisme est déjà suffisant pour justifier que les juifs reviennent à leur Bible en hébreu et, depuis 85, ils lui sont restés fidèles.

Le Talmud de Babylone évoque Jésus : « La tradition rapporte : la veille de la Pâque, on a pendu Yeshu. Un héraut marcha devant lui durant quarante jours disant : il sera lapidé parce qu’il a pratiqué la magie et trompé Israël. Que ceux qui connaissent le moyen de le défendre viennent et témoignent en sa faveur. Mais on ne trouva personne qui témoignât en sa faveur et donc on le pendit la veille de la Pâque. Ulla dit – Croyez-vous que Yeshu était de ceux dont on recherche ce qui peut être à sa décharge ? C’était un séducteur ! Et la Torah dit : tu ne l’épargneras pas et tu ne l’excuseras pas. » (Sanhédrin, 43a).
D'après ce texte, Jésus pratiquait la magie : est-ce une reconnaissance implicite de ses miracles ? Mais, selon le Talmud, les thaumaturges d'Israël aux premiers siècles accomplissaient également des tours impressionnants.
Jésus est condamné à être pendu : la pendaison était un synonyme de la crucifixion. Il est également condamné à être lapidé. La lapidation est le symbole de son crime, selon le Deutéronome, c'est le châtiment infligé à ceux qui adorent d'autres dieux (Deutéronome 13, 7-11). Le Talmud, en infligeant au Christ le châtiment appliqué à ceux qui incitent à adorer d'autres dieux, reconnaît implicitement que le Christ a affirmé sa divinité.

Un autre texte rabbinique parle de Jésus qu'il nomme Jeshua ben Pentera. Il suggère que Jésus est le fils d'un soldat romain nommé Panthéra et de Marie. Étymologie de « Panthéras » viendrait du mot « Vierge » en grec. Façon ironique de douter de la virginité de Marie, qui aurait conçu Jésus avec un soldat de passage. Au IIe siècle, l'auteur romain Celse reprendra la même légende sarcastique.

Aucun de ces textes ne met en doute l’existence historique de Jésus.
À la fin du premier siècle, la littérature romaine évoque elle-aussi l'existence du Christ et sa mort en croix.

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Reconstitution du forum de Rome et une vue du forum de nos jours.

Flavius Josèphe, en 93, dans son Testament Flavien parle de la mort du Christ sous Pilate et de la foi de ses disciples en sa résurrection. Nous l'avons vu.
Au début du IIe siècle, en 110, Tacite évoque les chrétiens. « Ce nom leur vient du Christ, que le procurateur Ponce Pilate, sous le principat de Tibère, avait livré au supplice. » (Annales, XV, 44).
En 170, Lucien de Samosate écrit dans La mort de Pérégrinos que les chrétiens « adoraient ce sophiste crucifié et suivaient ses lois ».

En 178, Celse,  philosophe romain platonicien, écrit dans Discours véritable que les chrétiens se sont « donnés pour Dieu un personnage qui termina une vie infâme par une mort misérable. »

La mort en croix de Jésus est donc une certitude : chrétiens, juifs, romains, ébionites, païens, tout le monde est d'accord. Seule sa divinité est niée par ceux qui ne sont pas chrétiens. Qu'il soit le Messie d’Israël est également refusé par les juifs qui rejettent absolument l'idée d'un Messie souffrant. Pendant tout son ministère, Paul se heurtera sur ce sujet à la colère des juifs et à la dérision des païens : « Alors que les Juifs réclament les signes du Messie et que le monde grec recherche une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les peuples païens. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu'ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie est puissance et sagesse de Dieu. Car la folie de Dieu est plus sage que l'homme et la faiblesse de Dieu est plus forte que l'homme. » (Co 1, 22-25).

Quelle que soit la signification de sa mort, Jésus-Christ a bien été crucifié sous Ponce Pilate. Seule sa résurrection et sa divinité sont l'objet d'un choix de foi.

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Descente de Croix, Jésus décédé repose sur les genoux de sa mère
(Enguerrand Quarton, Pietà de Villeneuve-lès-Avignon, 1454 ; musée du Louvre).


Au début du IIe siècle, chrétiens, juifs et païens, personne n'en doute. Il s'agit d'un fait historique incontesté et incontestable : Jésus est mort en croix.







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Les Riches Heures du duc de Berry, (bordure de texte ; musée de Condé, Chantilly).
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:08

10 . LES RELIGIONS PRÉISLAMIQUES.
De 130 à 610.



10. 1. Les cultes orientaux d'Isis, de Cybèle et de Mithra.
10. 2. La Gnose et les mouvements gnostiques.
10. 3. Au milieu du IIe siècle, Basilide invente la substitution du Christ par un sosie sur la Croix.
10. 4. Influences des textes apocryphes juifs et du Midrash sur l'islam à venir.
10. 5. Les Apocryphes chrétiens.
10. 6. Les Apocryphes chrétiens inspirateurs de Mohamed ? La vie de Marie.
10. 7. Apocryphes inspirateurs de Mohamed ? La vie et la mort du Christ.

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10. 8. En 150, la première occurrence historique de la Mecque.
10. 9. Mani (216-274) et le manichéisme, un monothéisme oublié ?
10. 10. L’influence du manichéisme sur l'islam.
10. 11. Trois siècles de persécutions envers les chrétiens.
10. 12. Une légende apologétique chrétienne qui contaminera le Coran : les sept dormants d'Éphèse.

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10. 13. Constantin (306 à 337) et l'organisation de la foi chrétienne.
10. 14. L'arianisme : les pouvoirs politiques et religieux sont entre les mêmes mains.
10. 15. L'empereur et les patriarches : « Les choses divines ne sont point sous dépendance de l’Empereur ».
10. 16. Philosophie et foi chrétienne, Saint Augustin (354-430).
10. 17. Le savoir grec est préservé en terre chrétienne.
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10. 18 . La Djāhiliyya : paganisme, judaïsme, christianisme, hérésie, autant d'inspirations pour le Coran.
10. 19. Les hommes des tribus du Hedjāz au temps de la Djāhiliyya : organisation sociale, tabous et mythologie.
10. 20. La Kaaba préislamique.
10. 21 . Au VIe siècle, au Moyen-Orient : juifs et chrétiens s'opposent ; Perses et Byzantins s'affrontent.
10. 22. En 570, Mohamed vient de naître, ou comment les faits historiques sont retranscrits dans le Coran.

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Al-Juzūlī, Dala’il al-khayrāt (Maghreb, 1698 ; BnF)




CHAPITRE 10 : LES RELIGIONS PRÉISLAMIQUES.

De 130 à 610.

10. 1. Les cultes orientaux d'Isis, de Cybèle et de Mithra.

Aux premiers siècles de l'ère chrétienne, plusieurs cultes païens provenant du Moyen-orient se répandent dans l'empire romain. Ces cultes orientaux permettent, mieux que le polythéisme romain ou grec, de répondre aux questions métaphysiques.

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Apollon et Artémis. Avec leur polythéisme exubérant, les cultes antiques tiennent de la mythologie
(coupe attique à figures rouges du potier Brygos et du peintre de Briséis, 470 avant JC ; Le Louvre).

Les cultes orientaux connaissent un grand succès dans l'empire romain et se répandent parallèlement au christianisme.
Ces religions orientales sont nombreuses, mais présentent des traits communs.Leur initiation est basée sur des rituels secrets.
Cela explique que ces cultes n'aient pas laissé d'écrits, puisque seule la transmission orale entre initiés était usitée. Il est donc difficile de les connaître précisément. Plutarque a donné un des rares témoignages connus. Il raconte comment les rituels initiatiques font ressentir aux croyants les mystères de la vie et de la mort. Par le rêve ou la transe, souvent favorisés par l'usage de drogues, ces rituels donnent l'illusion d'entrer en contact avec les dieux (Plutarque, de Iside, 80).
Les souffrances physiques purifieraient l'homme. Les adeptes de Cybèle se tatouent avec des aiguilles incandescentes. Au milieu de pratiques acétiques et d’auto flagellation, certains vont jusqu'à se castrer pour s'identifier au dieu Attis, l'amant déçu de la Grande Mère, Cybèle, qui est née de la semence de Zeus répandue sur la terre. Au IIe siècle, l'empereur Hadrien interdira la castration des disciples de Cybèle, sans toutefois interdire leur culte.

Le culte d'Isis provient d’Égypte. Son succès repose sur un culte de la maternité et des rituels d'intercession pour les malades. Isis est veuve de son frère Osiris, qu'elle ressuscite le temps de concevoir avec lui, leur fils Horus. Son culte est donc centré sur des rituels de mort et de renaissance.

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Le dieu Nil emporte la jeune Io vers la déesse Isis (fresque de Pompéi, Ier siècle).

Mais la religion orientale qui remporte le plus grand succès est le culte dédié à Mithra, au point qu'il a autant d'adeptes que le christianisme au IIIe siècle.
Venant de Perse, issu du mazdéisme et du zoroastrisme, le culte rendu à Mithra se répand  à partir du IIe siècle dans l'empire romain. Adhérer au mithraïsme suppose une démarche individuelle qui fait tout son succès. Sa limite est d'avoir été réservée aux hommes ; les femmes en sont en effet exclues. Le culte de Mithra propose sept degrés d'initiation basés sur l'acceptation de la souffrance. Tous les adeptes reçoivent une brûlure au milieu du front. Au second degré, l'adepte devient l'« épouse » du dieu et vit la chasteté. Au septième degré, l'initié se couche au fond d'une cuve, un taureau est égorgé au dessus de lui, l'aspergeant de son sang, il devient ainsi éternel, comme en porte témoignage l'inscription dite de Sextus Agesilaus qui affirme être « re-né pour l'éternité » (Ant. Van Dale, Dissert. de orac. ethnicorum, Amst., 1683; in-8o, p. 225).

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Mithra égorgeant un taureau : rite censé obtenir la vie éternelle (IIe siècle ; Le Louvre-Lens).

Ces cultes orientaux, d'Isis, de Cybèle ou de Mithra possèdent des caractéristiques communes qui ont fait leur attrait. D'abord, ils s'adressent à l'individu et demandent son adhésion libre. Ensuite, ils permettent la prise en compte des interrogations métaphysiques. Enfin, l'apprentissage passe par une initiation d'une vérité cachée sur la création, la vie, la mort, l'éternité. Cette initiation suppose le secret et un apprentissage d'initié à initié. Ces cultes orientaux permettent l'accès au salut par le respect de rituels, indépendamment du bon vouloir d'un dieu. On appelle une orthopraxie, toute religion qui base l'attente du salut sur l'obéissance à des rituels. Ainsi, au IVe siècle, l'empereur Julien, dit l'apostat, exprimait-il sa foi en Mithra : « Observe ses commandements, tu ménageras ainsi à ta vie une amarre et un havre assuré. Et, à l'heure où il te faudra quitter ce monde, tu auras l'heureuse espérance de ce divin guide, qui sera toute bienveillance envers toi. » (Banquet des Césars).

Les cultes orientaux qui irriguent l'empire romain pendant les trois premiers siècles de l'ère chrétienne, sont donc des orthopraxies. Le christianisme, qui confesse la miséricorde offerte par Dieu, s'oppose à cette vision du salut obtenue par orthopraxie. « C'est bien par la grâce que vous êtes sauvés, à cause de votre foi. Cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu. » (Éphésiens 2, 8). En revanche, l'islam évoluera, lui, vers l'orthopraxie suite à ce verset du Coran : « Les bonnes actions font partir les mauvaises. » (S. 11, 114).

10. 2. La Gnose et les mouvements gnostiques.
Les mouvements gnostiques ont des points communs avec les cultes orientaux. Ils apparaissent à la même période. Ils prônent eux aussi une initiation basée sur le secret, un salut acquis par une connaissance secrète et le respect de rituels. Parmi les cultes orientaux, la particularité de la gnose reste son inspiration chrétienne. Néanmoins, les gnostiques ne s'intéressent pas à la réalité historique du Christ ; leur démarche est uniquement philosophique. Au IIIe siècle, les Actes de Thomas  posent les interrogations fondamentales de la gnose « Qui étions-nous ? Que sommes-nous devenus ? Où étions-nous ? Où avons-nous été jetés ? D’où et par quoi, sommes-nous rachetés ? ».

Cerinthé est un Juif d'Antioche qui a étudié à Alexandrie à la fin du premier siècle. Cerinthé élabore une synthèse entre le christianisme et la philosophie grecque. Il prétend que le salut s’obtient par la connaissance, mais une connaissance cachée transmise par initiation. Il professe plusieurs dieux. Un Dieu souverain, père du « Christ d'en haut », et un Dieu inférieur, le démiurge, qui organise le monde matériel. Le « Christ d'un haut » ou « Christ divin » serait venu habiter le corps de Jésus de Nazareth, un homme ordinaire, au moment de son baptême par Jean, et l'aurait quitté sur la Croix. On voit là une conviction puisée chez Thébutis, celui qui s'était opposé aux chrétiens de Jérusalem en 62. La foi de Cerinthé avec la dualité divine, responsable du bien comme du mal, est issue du mazdéisme et du zoroastrisme qui existaient en Perse depuis le IVe siècle avant JC. Cerinthé ne nie pas, néanmoins, la mort de Jésus-Christ en croix..., il refuse seulement sa divinité et l'unicité de Dieu.

Dès la fin du premier siècle, on voit les prémisses des croyances gnostiques qui se développeront pendant cinq siècles et trouveront encore des émules au Moyen Âge. Mais il n'est pas encore question de nier la mort du Christ en Croix.

Au XXe siècle, des textes gnostiques ont été retrouvés, permettant de connaître la gnose d'après ses propres écrits. Auparavant, seules les citations des Pères chrétiens qui la considéraient comme une hérésie multiforme, l'avait fait connaître. En 1947, à Khénoboskion en Égypte, aujourd'hui appelée Nag Hammadi, 45 textes ont été retrouvés dans une falaise par un paysan. Ils étaient protégés à l'intérieur d'une jarre scellée dans la tombe d'un moine enterré au IVe siècle, près du monastère copte de Saint-Pacôme. Le Livre secret de Jacques, l'Apocalypse de Paul, l’Évangile de vérité de Valentin, l'Évangile de Philippe, l'Évangile de Thomas, et des fragments de l'Évangile de Pierre, sont maintenant étudiés au musée copte du Caire. Les manuscrits de Nag Hammadi portent le nom des Apôtres du Christ, mais cela ne suffit pas pour les dater. Attribuer un évangile à Philippe, Thomas ou Pierre, n'est qu'un procédé littéraire, leur datation demande des critères plus objectifs. Ces documents gnostiques parvenus jusqu'à nous sont des copies du IVe siècle. Mais, la rédaction initiale de ces textes remonte à la fin du IIe siècle pour les plus anciens et s'est étalée sur deux siècles. Leur contenu culturel le démontre.

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Codex de papyrus reliés de cuir de Nag Hammadi (IVe siècle ; musée copte du Caire).

Plusieurs éléments font de la Gnose une hérésie aux yeux des chrétiens.
- Selon la Gnose, le salut n'est pas obtenu par la grâce divine.

Dès le IIe siècle, l'évangile de Thomas prêche ce salut obtenu par la connaissance de secrets : « Voici les paroles cachées que Jésus le vivant a dites et qu’a écrites le Jumeau, Jude Thomas. Il a dit : Celui qui trouvera l’interprétation de ces paroles ne goûtera pas la mort. Jésus a dit : Celui qui cherche, qu’il ne cesse de chercher jusqu’à ce qu’il trouve ; quand il aura trouvé, il sera troublé ; troublé, il s’étonnera et il régnera sur le Tout. ». (Logion, 1 à 2(3), traduction Jean-Marie Sevrin, professeur à l'université de Louvain).
Il est à noter que l'Évangile de Thomas est organisé en 114 chapitres. Certains voient dans les 114 sourates du Coran un désir de reprendre la même structure, mais il peut ne s'agir que d'un hasard.
- Ensuite, la Gnose prêche la dualité divine, la corruption du monde et le mépris du corps.
Le dieu de la Gnose règne sur un monde où bien et mal s'affrontent. Le dieu suprême, dieu bienveillant, crée le démiurge, la puissance du mal. C'est le démiurge qui va créer le monde. L'univers ainsi créé par la puissance du mal, est ordonné autour de sept cieux (pour les sept planètes visibles) ou douze cieux (pour les douze signes du zodiaque). On voit l'influence de la Perse dans ce besoin de structurer le ciel en sept cieux, ou peut-être le souvenir de Platon... Voilà que les sept astres mobiles visibles à l’œil nu continuent d'inspirer des croyants. Entre les II et IVe siècle, l'idée que la création de l'univers soit structurée en sept cieux se précise dans la gnose, étonnamment proche de ce que racontera le Coran quelques siècles après.
- Selon les spiritualités gnostiques, ce n'est donc pas Dieu qui est le Créateur du monde, mais le démiurge, le dieu mauvais. Dieu étant étranger au monde, il ne peut pas s'y incarner en Jésus. En fait, Jésus, Verbe de Dieu, n'a que l'apparence d'une présence corporelle. Son corps est une illusion et il n'a donc pas réellement souffert. Les chrétiens, et même les juifs, ont une autre vision de Dieu : Yahvé est Le Créateur du monde et non un Dieu hors du monde tel que Le suppose la Gnose.
Le corps, créé par le démiurge, est une prison pour l'âme porteuse de lumière divine. Dieu ne s'étant plus incarné en Jésus, le corps est méprisé : le mariage et la procréation sont interdits. Là encore, en raison de la résurrection de la chair promise par l’Église après la Résurrection du Christ dans son corps glorieux, la théologie chrétienne s'oppose à cette diabolisation du corps. Pour l’Église, le corps peut être sanctifié : « Que chacun de vous sache user du corps qui lui appartient avec sainteté et respect, sans se laisser emporter par la passion comme font les païens. » (1 Thes 4, 4-5).

- Finalement, la Gnose affirme que les hommes peuvent être prédestinés à mal agir par Dieu.
En 1978, le Codex Tchacos est découvert à al Minya dans un cimetière copte de moyenne Égypte.

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Une page du Codex Tchacos.

Écrit entre les III et IVe siècles, c'est un papyrus de 66 pages dont 25 sont réservées à l’Évangile de Juda. Une Pseudo lettre de Pierre et une apocalypse de Jacques le complètent. Le Codex Tchacos appartient à la mouvance gnostique : la création est l’œuvre d'un démiurge mauvais et l'esprit de l'homme, pour accéder au salut, doit s'en libérer par l’ascèse et une connaissance secrète partagées entre initiés. L'Évangile de Judas présente la trahison de Judas comme un acte méritoire permettant l'accomplissement du Christ : « Tu les surpasseras tous, [lui dit Jésus,] car tu sacrifieras l'homme qui me sert d'enveloppe charnelle. ». Judas accéderait donc à une forme de perfection par sa trahison, selon la promesse du Christ. On a vu que, même si la trahison de Judas ou les péchés des grands prêtres ont été nécessaires à la Rédemption, ceux-ci ont néanmoins agi librement pour le mal et sans y être conduits par une quelconque volonté divine. Le Dieu des chrétiens connaît à l'avance les décisions que prendront les hommes (il s'agit de la prescience de Dieu), mais Il ne décide pas à leur place de ce qu'ils choisiront par l'exercice de leur libre arbitre (ce qui correspondrait à la prédestination de l'homme), en particulier quand cette prédestination les conduirait à mal agir. Selon la théologie chrétienne, les hommes exercent leur libre-arbitre. Ainsi, selon les chrétiens, Judas ne peut-il pas être prédestiné à pécher par le Christ historique, mais Dieu sait qu'il va le faire.

Tous les écrits gnostiques sont donc des hérésies aux yeux des chrétiens. Leur date de rédaction est de toute façon bien trop tardive pour les rendre crédibles historiquement. Ils nous en apprennent donc davantage sur les groupes qui les ont écrits que sur les vraies paroles du Christ.
Basilide, Valentin et Marcion furent chacun les brillants théologiens de leurs propres courants gnostiques. Ils forcèrent l’Église à leur opposer les ressources de sa philosophie pour lutter contre ceux qu'elle considérait comme hérétiques. La gnose s’installe dans tout l'empire romain, y compris au Moyen-Orient où vivra Mohamed. Malgré leur manque de  fiabilité historique, les mouvements gnostiques inspireront de nombreuses spiritualités, de l'islam aux cathares au XIIIe siècle.
Ainsi retrouvera-t-on dans l'islam la Création en sept cieux, la dualité divine (avec l’origine divine du bien comme du mal), le salut par l'orthopraxie et la prédestination de l'homme.

10. 3. Au milieu du IIe siècle, Basilide invente la substitution du Christ par un sosie sur la Croix.
Au début du IIe siècle,  juifs, chrétiens, païens, romains, tout le monde est d'accord : le Christ est mort en croix. C'est au cours du IIe siècle que va émerger une autre conception.

Basilide a enseigné à Alexandrie de 125 à 155. C'est un philosophe de génie, sans doute le premier qui a conceptualisé l’existentialisme. Sa foi est polythéiste et il appartient au courant gnostique. En effet, selon lui, le monde est créé par un démiurge, un dieu inférieur qui règne sur le monde matériel. Ce démiurge, ce dieu inférieur, correspondrait à Yahvé, le dieu redoutable de l'Ancien Testament. Yahvé entretiendrait la violence et le désordre sur terre. Un dieu tout puissant,  dominant Yahvé, est lui, bienveillant. Basilide croit en la transcendance de ce dieu bon et souverain :  la Pensée, puis la Parole, puis la Prudence, la Sagesse et la Force émanent de Lui. Le dieu bon envoie le Christ céleste, l'expression de sa Pensée, prendre chair dans Jésus de Nazareth, un homme ordinaire, afin de corriger les querelles engendrées par Yahvé. Basilide pense que ce Christ céleste vient en l'homme Jésus à son baptême et le quitte sur la croix. Il reprend la thèse de Thébutis élaborée à partir de 62.
Mais Basilide va compléter la foi de Thébutis. Thébutis n'avait jamais douté de la mort en croix du Christ ; il avait juste refusé de croire en sa divinité. Basilide va refuser d'admettre que le Christ céleste, l'émanation de Dieu, soit mort en Croix. Le premier, il va imaginer que le Christ a été remplacé par un sosie.
Même si Basilide ne croit pas en la divinité du Christ, le seul fait qu'il soit l'envoyé de Dieu, lui rend insupportable qu'il ait souffert et qu'il soit mort en croix. Il va donc inventer la substitution du Christ en croix...
Il écrit :

« Le Christ ne souffrit pas lui-même la Passion, mais un certain Simon de Cyrène fut réquisitionné et porta sa croix à sa place. Et c'est ce Simon qui, par ignorance et erreur, fut crucifié après avoir été métamorphosé par Jésus pour qu'on le prît pour lui. Jésus s'est  métamorphosé lui-même en l'image de Simon et il l'a livré pour être crucifié à sa place. Quand Simon fut crucifié, Jésus se tenait en face en riant de ceux qui avaient crucifié Simon à sa place. Quant à lui, il … s'est retiré au ciel sans souffrir. Quant à Simon, c'est lui qui a été crucifié et non Jésus. ».
Est-il vraisemblable que Jésus-Christ, celui décrit par les quatre Évangiles chrétiens, se réjouisse de voir un homme crucifié et qui, de plus, l'aurait été à sa place et par sa volonté ?
Les premiers textes racontant la croyance de Basilide sont mis par écrits à partir de 190. Ce sont les Pères de l’Église qui nous les ont fait connaître : Clément d'Alexandrie (150-220) (Adversus Haereses, I, XXIV, 1), ou Hippolyte de Rome (170-230).

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Hippolyte de Rome (170-230) (Musée du Latran ; Rome).

La seconde hérésie annonçant la substitution du Christ en Croix est celle de Valentin, qui a prêché à Rome entre 135 et 160. « Le deuxième traité du Grand Seth » retrouvé à Nag Hammadi reprend la théologie de Valentin. Il comprend 22 pages de 35 lignes chacune et il est en parfait état de conservation. L'écriture du scribe et la reliure du codex permettent de le dater du milieu du IVe siècle, mais son contenu culturel le fait remonter à l'hérésie gnostique de Valentin.
Le Sauveur est identifié à Jésus-Christ (p. 69, 19-70, 10), il est le Fils de l'Homme (p. 69, 20). Ce sauveur affirme dès le prologue (49, 10-50, 1) son origine céleste et sa mission de Révélateur de la Pensée et de la Parole du Père. Il est d'ailleurs lui-même cette Pensée et cette Parole (p. 49, 20-25). Jésus-Christ, le sauveur céleste, envoie son double s'incarner dans un corps humain. L'homme né à Nazareth n'est donc qu'un double du vrai Jésus, le Christ céleste. Lors de la passion, le Sauveur céleste descend victorieusement à travers les sphères des archontes pour ravir dans la hauteur son double terrestre (p. 56, 14-57,27) ; puis la dépouille charnelle de celui-ci est élevée sur la croix comme signe à la fois de la remontée du Sauveur et de la ruine de la domination des archontes sur le monde (p. 51l, 13-9, 9).

À leur suite, au VIIe siècle, le Coran proclamera que le Christ n'est pas mort en croix. Un sosie aurait pris sa place : « [les juifs disent] : « Nous avons vraiment tué le Christ ; Jésus, fils de Marie, le messager de Dieu ! … Or, ils ne l'ont pas tué ni crucifié ; mais on leur a apporté quelque chose de ressemblant ! Oui, et ceux qui divergent, à son sujet, en ont certainement un doute : ils n'en ont d'autre science que la poursuite d'une conjoncture. Car ils ne l'ont certainement pas tué, mais Dieu l'a élevé vers Lui... » (Sourate 4, 157-158 ; traduction Muhammad Hamidullah).

Voilà mise en évidence l'origine de cette étrange affirmation du Coran de la substitution du Christ en croix : des convictions confuses, jugées immédiatement hérétiques par les chrétiens. Par ailleurs, ces écrits gnostiques sont trop tardifs pour prétendre à l'historicité. Ainsi naît le docétisme. « Docétisme » provient du mot « illusion ». Tout mouvement religieux prônant la substitution du Christ au cours de sa passion et l'illusion de sa mort en croix appartient au docétisme, courant apparu au IIe siècle et jugé immédiatement hérétique par l’Église.

Les Évangiles et les lettres de Paul étaient déjà écrits depuis 100 ans : ils affirmaient, quant à eux, la divinité du Christ et sa mort en croix.

10. 4. Influences des textes apocryphes juifs et du Midrash sur l'islam à venir.
Le Livre des Jubilés a été écrit entre 130 et 100 avant JC. C’est un apocryphe juif dont douze fragments ont été retrouvés à Qumrân. Sa rédaction s'est déroulée en même temps que celle du livre des Chroniques qui, lui, a été intégré dans la Bible. Ces deux livres témoignent des oppositions doctrinales qui ont présidé à leur élaboration. L'orthodoxie juive des Chroniques s'oppose à l'hérésie du Livre des Jubilés. Dans plusieurs domaines, les juifs l'ont contesté, mais une erreur trop manifeste l'a totalement discrédité. En effet, le Livre des Jubilés tient de longs discours sur le calendrier, mais l'année qu'il choisit ne fait que 364 jours ... Un livre censé être inspiré par Dieu ne peut pas commettre une erreur si grossière. Bien plus tard, l'islam ne fera pas preuve de la même rigueur concernant l'année coranique de 355 jours...

- La Loi, élaboration humaine ou texte éternel ?
Dans le Livre des Jubilés, la Loi transcende le temps. Le Livre des Jubilés réclame comme indispensable la séparation du peuple juif des non-juifs supposés impurs. Les juifs hellénisés du IIe siècle avant JC étaient prêts à accepter que la Loi soit adaptée aux mœurs grecques pour favoriser leur intégration. Le Livre des Jubilés s'oppose à ce point de vue et introduit la notion de Loi incréée, gardée par les anges auprès de Dieu et révélée à l'humanité à partir des Patriarches.
La position du Livre des Jubilés sera reprise par les sunnites dans leur façon de considérer le Coran. En effet, ils affirment que le Coran est incréé. Le Coran contient donc les fondements de la charī'a, la loi éternelle voulue par Allah, qui sera élaborée dans les premiers siècles de l'islam à partir de l’interprétation du Texte Saint.

- Y-a-t-il une langue sacrée parlée au Paradis ?
Au deuxième siècle avant JC, les juifs hellénisés avaient éprouvé le besoin de traduire la Bible hébraïque en grec pour avoir accès à leur texte sacré dans une langue qu'ils comprenaient. Avant l'avènement du christianisme, le judaïsme avait estimé que la langue d’expression importait peu, pourvu que le sens soit compris. En opposition, le Livre des Jubilés  introduit la notion nouvelle de langue sacrée parlée au Paradis : il s'agit naturellement de l'hébreu. Avec l'émergence du Christianisme, les juifs reviendront à la version hébraïque de la Bible et abandonneront la Septante, l'Ancien Testament en grec. La notion de langue éternelle, divine, parlée au paradis se retrouvera dans l'islam. Pour les musulmans, il s'agit évidemment de l'arabe.

- La lapidation de Satan.
Le Livre des Jubilés raconte la lapidation de Satan. Elle sera suggérée dans le Coran (Sourate 67, 5) et reprise dans le rite de la lapidation des stèles lors du pèlerinage à la Mecque.
Par ailleurs, le refus de Satan de se prosterner devant Dieu existe dans un récit syrien dit le Trésor attribué à Barhadh Bechabba Arbaya. On le retrouve dans le Coran : « Et quand Nous dîmes aux Anges ; « Prosternez-vous devant Adam » ; Ils se prosternèrent alors, sauf Satan, qui refusa. » (S. 20, 116).

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Rite de la lapidation de Satan à la Mecque en 2006.

L'auteur du Coran puise donc ses sources dans plusieurs traditions, y compris dans des textes juifs plus tardifs et plus orthodoxes que les Jubilés, comme le Midrash juif qui a été écrit après 300. En 1930, David Siderski, dans Origines des légendes musulmanes dans le Coran, met en parallèle le Midrash juif avec le contenu du Coran. Au Ve siècle, le Midrash Abraham, les idoles de Menrod, écrit par  R. Hiyya petit-fils de R.Ada de Yaffoau, raconte comment Abraham détruit les idoles dont sont père fait commerce. L'anecdote est reprise très exactement dans le Coran (S. 14, 35 ; S. 37, 92-95 ; S. 21, 51-59).

Le Moïse coranique se voit lui aussi décrit à partir de sources juives tardives. Alors qu’il cherche à atteindre l’extrémité du monde, Moïse est confronté à un serviteur de Dieu (S. 18, 60-82). La Tradition musulmane l'assimile au personnage du « verdoyant » (khidr ou khadir), avatar du dieu oriental du printemps (Tammūz). En fait, il s'agit d'une légende d’origine Haggadique appartenant au Midrash, écrite par le rabbi Josué ben Lévi au IIIe siècle*.

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Le Verdoyant, Al-Khiḍr, ce personnage mystique, parfaitement soumis à Dieu, dont le nom proviendrait au dieu
perse Tammūz
(Khidr et Élie à la fontaine de la vie, Amīr Khosrow, Khamseh, XVe siècle).

Ces écrits juifs, quoique considérés comme orthodoxes par les juifs, sont bien trop tardifs pour avoir des prétentions historiques, tant sur Abraham que sur Moïse. Ce sont des allégories, des contes philosophiques.

L'auteur du Coran puise donc son inspiration dans des traditions juives, orthodoxes mais aussi hérétiques. En effet, le Livre des Jubilés a été jugé hérétique, avant même la naissance de Jésus-Christ, prophète de l'islam. Par ailleurs, l'islam transforme les contes spirituels du Midrash - textes allégoriques - en vérités historiques avec tout le poids que donne l'affirmation de l'origine divine et de l'absolue exactitude du Coran (S. 41, 41-42).

* : Les origines des légendes musulmanes dans le Coran et dans les vies des prophètes, p. 92, Sidersky, Paris, 1933.

10. 5. Les Apocryphes chrétiens.
Un intérêt passionnel entoure les apocryphes, comme s'ils pouvaient nous renseigner sur le vrai Jésus que l’Église catholique souhaiterait nous dissimuler.
La définition des Apocryphes provient du canon de Muratori élaboré entre 150 et 180. Tout texte d'inspiration chrétienne, mais qui n'a pas été retenu dans le Nouveau Testament par le canon de Muratori, est considéré comme un apocryphe chrétien. Cela ne signifie donc pas qu'il soit totalement erroné - il peut naturellement raconter des choses justes - mais, que, pour diverses raisons, il n'a pas été retenu dans le Canon chrétien. En général, ils appartiennent au courant gnostique et contiennent donc des erreurs, ou des approximations théologiques. Mais, la raison la plus simple de leur rejet est que leur contenu historique est en contradiction avec les récits évangéliques. En effet, les apocryphes ont été écrits trop tardivement pour contredire les Évangiles de façon convaincante. Aucun des écrits apocryphe n'a été écrit au premier siècle, ni même au début du IIe siècle. En général, on ne possède que des copies du IVe siècle, ce qui est compréhensible tant leur support de papyrus étaient fragiles. Leur datation repose donc sur l’analyse de leur contenu et non sur la datation de leur support. Le plus ancien texte apocryphe chrétien parvenu jusqu'à nous, sur son support d'origine, date de la fin du IIe siècle. Il s’agit du papyrus Egerton 2, gardé au British Muséum.

Tous ces textes ont été attribués à un Apôtre pour augmenter leur crédibilité, mais il ne s'agit que d'un artifice littéraire. Par exemple, l'analyse de l'Évangile apocryphe de Pierre date sa rédaction des années 140 et situe son contenu culturel à la Syrie. L'auteur de l'Évangile apocryphe dit de Pierre ne peut pas être l’Apôtre Pierre, juif galiléen devenu chef de l’Église. En effet, l'auteur déteste les juifs et ignore leurs traditions. On voit ici que c'est au IIe siècle que date le début d'une lecture antisémite dans l’Église, mais elle s'est développée à partir d'écrits apocryphes et non d'écrits reconnus. Par ailleurs, l'Évangile apocryphe de Pierre raconte le séjour de l’Apôtre Pierre à Rome : c'est par lui que sont connus les détails de sa mort, crucifié la tête en bas.

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Une représentation de Cimabue (1240-1302) du martyr de Pierre,
d'après ce que nous ont appris les apocryphes.

Ce texte minore les souffrances du Christ et insiste sur sa divinité plus que sur son humanité. Cet évangile appartient au courant docète. Un exemplaire du IVe siècle a été retrouvé dans la tombe du moine de Nag Hammadi. Mais dès 190, l’Évêque d'Antioche, Sérapion, le dénonça comme hérétique.

Les Apocryphes ont donc été rejetés très tôt, dès le IIe siècle, par le canon de Muratori et par les Pères de l’Église. On y trouve des croyances qui reprennent des préjugés humains et sont en contradiction avec le christianisme.

Dans les Apocryphes, les miracles du Christ ne sont pas orientés exclusivement vers la bienveillance.
Le Christ des Apocryphes n'hésite pas à se servir de son pouvoir pour nuire à ses contradicteurs, y compris quand un maître d'école le corrige de son arrogance enfantine. Ainsi, trouve-t-on dans un écrit de la fin du IIe siècle découvert à Nag Hammadi : « Jésus lui dit : « Si tu es véritablement un maître, et si tu connais bien tes lettres, dis-moi la signification de l'alpha, et moi je te dirai celle du bêta. » Vexé, le maître lui envoya une gifle. L'enfant, sous le coup de la douleur, le maudit : aussitôt le maître perdit connaissance et tomba face contre terre. » (Évangile apocryphe de Thomas, XIV. 2).
Dans un écrit également attribué à Thomas, mais qui est d'un autre auteur puisqu'il est du IVe siècle, Jésus enfant va jusqu'à tuer un camarade qui l'a contrarié : « Cependant, le fils d'Anne le scribe, qui se trouvait là, avec Jésus, saisit une branche de saule et dispersa les eaux drainées par Jésus. Ce que voyant, Jésus se fâcha, et lui dit : « Méchant ! Impie ! Insensé ! Quel mal te faisaient mes canaux et cette eau ? Eh bien, maintenant, deviens comme un arbre sec... ». Aussitôt l'enfant se dessécha, des pieds à la tête » (Évangile de l'enfance du pseudo Thomas, III.1-III.3).
Selon les chrétiens, ces récits sont hérétiques à plus d'un titre. D'une part, le Christ est parfait, il n'est donc ni arrogant, ni insolent, ni cruel. D'autre part le Christ ne s'est jamais servi de sa puissance miraculeuse pour nuire à quiconque. L’Évangile de Luc signale même que Jésus interdit à ses disciples de punir des Samaritains qui ont refusé de les accueillir. En effet, les Apôtres voulaient leur envoyer « le feu du ciel » en mesure de rétorsion (Luc 9, 51-62). Les hommes, y compris les Apôtres, ont bien de la difficulté à ne pas se servir de leur puissance pour s'imposer, pour châtier ou pour dominer. Dans sa perfection divine, seul le Christ n'a jamais été tenté de se servir de la puissance qu'il détenait pour nuire à quiconque.

Autre point de rupture avec l'orthodoxie, les apocryphes témoignent de misogynie.
« Simon Pierre leur dit : « Que Marie sorte de parmi nous, car les femmes ne sont pas dignes de la vie ! » Jésus dit : « Voici ; moi, je l'attirerai pour que je la rende mâle afin qu'elle aussi devienne un esprit vivant pareil à vous, les mâles ! Car toute femme qui sera faite mâle entrera dans le Royaume des cieux. » (Évangile de Thomas, 114).

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L'évangile de Thomas (codex II de Nag Hammadi). L'évangile de Thomas est organisé en 114 paragraphes :
est-ce le hasard si le Coran reprend la même division en 114 sourates ?

Le Christ a toujours manifesté un parfait respect des femmes, au point d'en faire les témoins de toutes les étapes de sa vie. Son attitude a été tellement atypique pour son époque qu'un croyant peut facilement y voir le signe de son inspiration divine. A contrario, la misogynie des Apocryphes prouve leur inspiration humaine. En effet, s'il est exact que la force physique des femmes est inférieure à celle des hommes, il est erroné d'y voir la preuve de leur infériorité globale. En effet, si l'homme est plus fort, la femme, elle, enfante. Là où la science a remplacé depuis longtemps la force par la machine, la médecine moderne n'a pas encore su fabriquer d'utérus artificiel. Cette misogynie est d'autant moins justifiée que ce qui distingue l'homme de l'animal est l'intelligence et la faculté d'avoir des interrogations métaphysiques et non la force physique.

Le Christ a tiré l'humanité pécheresse vers la transcendance divine, vers le pardon des offenses, vers l'humilité et la bonté ; les Apocryphes la ramènent à son animalité : le désir de puissance, le besoin de dominer et le culte de la force avec leur corollaire, la misogynie.
Bien plus tard, l'islam proclamera l'infériorité des femmes (Sourate 2, 228 ; S. 4, 34) et le soutien d'Allah manifesté par des victoires militaires ou par la violence (Sourate 8, 12-19). Il semble bien que cela inscrive le Coran dans cette filiation apocryphe bien davantage que dans la fidélité au Christ.


10. 6. Les Apocryphes chrétiens inspirateurs de Mohamed ? La vie de Marie.
Le Coran donne des détails sur Marie qui n'existent pas dans les Évangiles, mais que l'on retrouve dans plusieurs apocryphes tardifs écrits entre les IIe et IVe siècles.

Marie aurait été consacré à Dieu dès sa naissance, selon le Proto-évangile de Jacques qui raconte l'enfance de Marie. Il est connu par le papyrus Bodmer 5 daté de l'an 200. Son auteur est d'origine païenne car il méconnaît les traditions juives. Pour la première fois, on y trouve la notion de la consécration de Marie à la naissance : « Et voici qu'un ange du Seigneur parut, disant : « Anne, Anne, le Seigneur Dieu a entendu ta prière. Tu concevras, tu enfanteras et l'on parlera de ta postérité dans la terre entière. » Anne répondit : « Aussi vrai que vit le Seigneur Dieu, je ferai don de mon enfant, garçon ou fille, au Seigneur mon Dieu et il le servira tous les jours de sa vie. » (Proto-évangile de Jacques, IV, 1).
La consécration de Marie dès la naissance est reprise par le Coran : « Quand la femme d'Imran dit : « Seigneur, je T'ai voué en toute exclusivité ce qui est dans mon ventre. Accepte-le donc, de moi. C'est Toi certes l'Audient et l'Omniscient ». Puis, lorsqu'elle en eut accouché, elle dit : « Seigneur, voilà que j'ai accouché d'une fille » ; or Allah savait mieux ce dont elle avait accouché ! Le garçon n'est pas comme la fille. « Je l'ai nommée Marie et je la place, ainsi que sa descendance, sous Ta protection contre le Diable, le banni » (Sourate 3, 35-36).

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Présentation de la Vierge Marie au Temple (Monastère de la Présentation de la Vierge ; Ovčar Banja, Serbie). Le contenu
des apocryphes nourrira la Tradition chrétienne mais se retrouvera également dans le Coran, donnant aux musulmans
une preuve d'authenticité historique non justifiée à certaines circonstances de la vie de la Sainte Famille.

Marie aurait été nourrie miraculeusement au Temple.
Le Proto-évangile de Jacques raconte l'enfance de Marie au Temple (chapitre VII, 2).
C'est suite à cet écrit que la Présentation de la Vierge au Temple est fêtée le 21 novembre chez les catholiques.
Marie aurait trouvé chaque jour de la nourriture près d'elle (Proto-évangile de Jacques, chap. VIII et XII). Dans une réécriture du IVe siècle du Proto-évangile de Jacques, on trouve : « Marie ne cessait de prier jusqu'au moment où l'ange du Seigneur lui apparaissait ; elle recevait sa nourriture de sa main. » (Pseudo évangile de Mathieu, chap. VI).
À leur suite, le Coran reprendra quelques siècles plus tard : « [Le Seigneur] en confia la garde à Zacharie. Chaque fois que celui-ci entrait auprès d'elle dans le Sanctuaire, il trouvait près d'elle de la nourriture. Il dit : « Ô Marie, d'où te vient cette nourriture ? » - Elle dit : « Cela me vient d'Allah ». Il donne certes la nourriture à qui Il veut sans compter. » (Sourate 3, 37).

Le protecteur de Marie aurait été tiré au sort selon plusieurs apocryphes, alors qu'aucun texte du Ier siècle ne parlait de ce fait. Le Proto évangile de Jacques (chap IX), le Pseudo évangile de Matthieu (Chapitre VIII et IX) et l'Évangile arabe de l'enfance racontent le mariage de Marie et le choix qui a été fait de Joseph par tirage au sort.
« Joseph ayant jeté sa hache, vint avec les autres. Et s'étant réunis, ils allèrent vers le grand-prêtre, après avoir reçu des baguettes. Le grand-prêtre prit les baguettes de chacun, il entra dans le temple et il pria et il sortit ensuite et il rendit à chacun la baguette qu'il avait apportée, et aucun signe ne s'était manifesté, mais quand il rendit à Joseph sa baguette, il en sortit une colombe et elle alla se placer sur la tête de Joseph. Et le grand-prêtre dit à Joseph : « Tu es désigné par le choix de Dieu afin de recevoir cette vierge du Seigneur pour la garder auprès de toi. » (Proto évangile de Jacques, IX)
Le Coran reprendra cette version du tirage au sort de Joseph : « Car tu (Mohamed) n'étais pas là lorsqu'ils jetaient leurs calames, à qui se chargerait de Marie. » (Sourate 3, 44 ; traduction de Muhammad Hamidullah qui signale qu'il s'agit bien d'un système de tirage au sort).

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Les jeunes filles doivent se marier, y compris Marie
(monastère de la Présentation de la Vierge ; Ovčar Banja, Serbie).

La naissance virginale de Jésus aurait été annoncée par un jeune homme inconnu qui ne consulte pas Marie.
On évalue la datation du Pseudo évangile de Mathieu au IVe siècle.
Il fait la synthèse de textes manifestement plus anciens, probablement du IIe siècle. Ce texte raconte la vie de Marie et les miracles qui l'ont accompagnée : « Il se présenta à elle un jeune homme dont la beauté ne pouvait être contée. Le voyant, Marie fut prise d'effroi et tressaillit. Et il lui dit : « Ne crains pas, Marie, tu as trouvé grâce devant Dieu. Voici que tu concevras et enfanteras un roi qui gouverne non seulement sur terre, mais aussi dans les cieux, et qui régnera dans les siècles des siècles. » (Pseudo évangile de Mathieu, IX). Le « jeune homme dont la beauté ne pouvait être contée » n'est pas nommé. L'ange Gabriel qui est nommé dans l’Évangile de Luc (Luc 1, 26), est ici inconnu.
Pas davantage, le Coran ne parlera de l'ange Gabriel au moment de l’Annonciation. Le Coran cite l'ange Gabriel à quelques reprises, seulement trois fois, mais son auteur ne semble pas connaître son rôle dans l'Annonce faite à Marie. En fait, le Coran reprend un récit plus proche du pseudo évangile de Mathieu que de celui de l’Évangile de Luc : « Nous lui envoyâmes Notre Esprit qui se présenta à elle sous la forme d'un homme parfait. Elle dit : « Je me réfugie contre toi auprès du Tout Miséricordieux. Si tu es pieux, [ne m'approche point]. » Il dit : « Je suis en fait un Messager de ton Seigneur pour te faire don d'un fils pur ». Elle dit : « Comment aurais-je un fils, quand aucun homme ne m'a touchée, et je ne suis pas prostituée ? » Il dit : « Ainsi sera-t-il ! Cela M'est facile, a dit ton Seigneur ! Et Nous ferons de lui un signe pour les gens, et une miséricorde de Notre part. C'est affaire faite ! Elle devint donc enceinte de l'enfant. » (S. 19, 16-22).
À noter que, ni dans l'Apocryphe de Matthieu, ni dans le Coran, l'envoyé de Dieu ne demande son avis à Marie : elle semble même craindre qu'il n'abuse d'elle. Dans l'Évangile de Luc, l'ange Gabriel est nommé et il ne quitte Marie qu'après avoir obtenu son accord.

Lors de la fuite en Égypte, la Vierge se serait nourrie de dattes et aurait bu une eau miraculeuse.
L'histoire provient toujours de l'évangile du Pseudo Matthieu :
« Alors le petit enfant Jésus dit au palmier : « Penche-toi, arbre, et nourris ma mère de tes fruits ! » Et obéissant à ces mots, le palmier inclina aussitôt sa cime pour qu'on y cueillît des fruits... Alors, Jésus lui dit : « Ouvre de tes racines la source cachée au fond de la terre et que des eaux en jaillissent pour notre soif ! » Aussitôt le palmier se redressa, et d'entre ses racines se mirent à jaillir des sources d'eaux très limpides, très fraîches et très douces. » (Évangile du Pseudo Matthieu, XX).
À la suite du Pseudo évangile de Matthieu, le Coran reprend : « [Marie] dit : « Malheur à moi! Que je fusse morte avant cet instant ! » Alors, il (Jésus tout juste né) l'appela d'au-dessous d'elle, [lui disant :] « Ne t'afflige pas. Ton Seigneur a placé à tes pieds une source. Secoue vers toi le tronc du palmier : il fera tomber sur toi des dattes fraîches et mûres. Mange donc et bois et que ton œil se réjouisse ! » (Sourate 19, 23-25).

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Marie et son fils ʿīsā (Jésus) figurés sous un dattier
(enluminure persane de Qazvīn en Iran, 1595 ; BnF).

Autre anecdote, les apocryphes inventent les juifs persécuteurs de Marie. « Et, parce que tout le peuple était pris de stupeur voyant la grossesse de son ventre, la foule commença à s'agiter dans une grande confusion de paroles. L'un parlait de sainteté, l'autre au contraire, par mauvaise conscience, l'accusait. » (Évangile du pseudo Matthieu, XII, 4).
Le Coran reprend cette légende des juifs persécuteurs :
« Puis elle vint auprès des siens en le portant [le bébé]. Ils dirent : « Ô Marie, tu as fait une chose monstrueuse ! Sœur d'Aaron, ô sœur, ton père n'était pas un homme de mal et ta mère n'était pas une prostituée. » (Sourate 19, 27).
Les Évangiles n'ont pas ce sous-entendu antisémite. Il s'agit d'une invention tardive apocryphe. En effet, selon Matthieu, Joseph est prévenu par l'Age Gabriel de la grossesse miraculeuse de Marie et il la prend chez lui en laissant croire aux yeux du monde qu'il l'a épousée. Il légitime ainsi la naissance de Jésus, avant même que la grossesse de Marie ne soit connue de quiconque.

Pour raconter la vie de Marie, l'auteur du Coran a donc puisé son inspiration dans des Apocryphes tardifs, écrits entre le II et le IVe siècle, qui rapportent des faits qui n'avaient pas laissé de traces antérieures. Ces Apocryphes sont tous trop tardifs pour prétendre à l’historicité.

10. 7. Les Apocryphes inspirateurs de Mohamed ? La vie et la mort du Christ.

Jésus aurait parlé au berceau.
L'Évangile arabe de l'enfance est daté du VIe siècle.
Il raconte comment Jésus parle au berceau : « Caïphe … affirme donc que Jésus parla, étant au berceau, et qu'il dit à sa mère : « Je suis Jésus, le fils de Dieu, le Verbe, que vous avez enfanté, comme vous l'avait annoncé l'ange Gabriel, et mon Père m'a envoyé pour sauver le monde. » (Évangile arabe de l'enfance, chapitre I).
Aucun des quatre Évangiles chrétiens n'a signalé ce miracle. En fait, aux yeux des chrétiens, il s'agit d'une position hérétique. Jésus a une double nature, humaine et divine. Pleinement homme, il partage la réalité de notre vie humaine, de la naissance à la mort. Il a donc dû apprendre à marcher, à parler, à se conduite en société, à prier, à écrire et à lire comme n'importe lequel d'entre nous. Telle est la foi chrétienne à la suite des quatre Évangiles du Nouveau Testament.
Mais le Coran préférera la vision de l’Évangile arabe de l'enfance écrit au VIe siècle : « Elle fit alors un signe vers le bébé. -Ils dirent : « Comment parlerons-nous à un bébé au berceau ? » Mais lui : « Je suis vraiment l’esclave de Dieu. Il m'a apporté le Livre et désigné prophète. » (Sourate 19, 27-30 ; traduction Muhammad Hamidullah). La sourate 3 (46) confirmera que Jésus parlait au berceau.

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Marie et son fils ʿīsā (Jésus) (miniature persane).

Jésus enfant aurait fabriqué des oiseaux de glaise et leur aurait donné la vie par miracle.
L'évangile du Pseudo-Thomas est un texte philosophique écrit au IVe siècle
. On y trouve l'anecdote de l'enfant Jésus qui modèle des oiseaux en glaise : « Ayant pris de la terre glaise, il pétrit douze petits moineaux. C'était un jour de sabbat. Un Juif, voyant à quoi s'occupait Jésus ce jour-là, s'empressa de tout rapporter à Joseph son père. « Dis, ton fils est près de la rivière ; il a pris de l'argile et il a façonné douze moineaux. Il se moque du sabbat ! » Joseph se rendit sur les lieux. Dès qu'il aperçut son fils, il le gronda : « Pourquoi te livres-tu à des activités interdites le jour du sabbat ? » Mais Jésus frappa dans ses mains et cria aux moineaux « Partez ! » Les oisillons déployèrent leurs ailes et s'envolèrent en pépiant. » (Évangile du Pseudo-Thomas, II.2-II.4).
Aux alentours du VIe siècle, l’Évangile Arabe de l'enfance raconte la même anecdote (Évangile arabe de l'enfance, Chap. 46, 1-2).
Le Coran reprend ce conte : « Si je viens à vous, c’est avec un signe de la part de votre Seigneur. Oui, pour vous je pétris de glaise une figure d’oiseau, puis je souffle dedans : et par la permission de Dieu, c’est un oiseau. » (Sourate 3, 49 ; trad. Hamidullah).

La passion et la mort du Christ ont longuement été revues et corrigées par les écrits gnostiques et apocryphes.
On a déjà vu que les docètes nient que le Christ soit mort en croix. En fait, les docètes croient que le Christ est bien Dieu, et cela signifie pour eux qu'il ne peut pas être mort en croix. Selon eux, seul un double est mort à sa place. Le Coran ne reprend donc que partiellement leurs thèses. En effet, le Coran nie la divinité du Christ (S. 5, 17 et S. 5,72), mais le Coran affirme néanmoins que Jésus vient de Dieu (S. 19, 21 ; S. 3, 45), qu'il existait avant sa vie terrestre (S. 3, 45 ), qu'il est l'envoyé d'Allah (S. 5, 75), qu'il est Sa Parole (S. 3, 45 ; S. 4, 171) et Son Messie (S. 3, 45,  S. 4, 171-172, S. 5, 72-75, S. 5-17). Cela suffit pour que le Coran refuse l'idée de la mort du Christ en croix.

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Coran enluminé : Sourate 3, La famille de 'Imrān, versets 186 à 200 à la Sourate 4,
Les femmes, versets 1-12
(Grenade, 1304 ; BnF).

Tout au long des siècles, les textes gnostiques finissent par présenter des versions de plus en plus confuses pour expliquer la crucifixion tout en préservant un statut divin au Christ. Retrouvé en 1945 à Nag Hammadi, l'Évangile de Philippe, daté du IIe siècle, tente de rendre cohérente l’invraisemblable thèse docète : comment expliquer que l'homme crucifié par les romains en 33 ne soit pas mort en croix. « Ceux qui disent que le Seigneur est mort d'abord et qu'il est ressuscité se trompent, car il est ressuscité d'abord et il est mort. Si quelqu'un n'acquiert pas la résurrection d'abord, il ne mourra pas. » (Évangile de Philippe, NH II, 3, 21).
À la suite des textes gnostiques et également avec une certaine confusion, il faut bien le dire, le Coran hésite sur la mort du Christ.
Parfois le Coran affirme que Jésus est bien mort : « Et paix sur moi le jour où je naquis, et le jour où je mourrai, et le jour où je serai ressuscité comme vivant. » (S 19, 33 ; trad. Hamidullah).
Et d'autres fois, selon le Coran, il n'est pas mort mais directement élevé au ciel :
« [les juifs disent] : « Nous avons vraiment tué le Christ ; Jésus, fils de Marie, le messager de Dieu ! … Or, ils ne l'ont pas tué ni crucifié ; mais on leur a apporté quelque chose de ressemblant ! Oui, et ceux qui divergent, à son sujet, en ont certainement un doute : ils n'en ont d'autre science que la poursuite d'une conjoncture. Car ils ne l'ont certainement pas tué, mais Dieu l'a élevé vers Lui... » (S. 4, 157-158 ; trad. Hamidullah).

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ʿīsā, عيسى, Jésus, lors de son ascension au ciel (XVIIIe siècle, manuscrit ottoman).

Le prophète de l'islam ʿīsā, عيسى, n'est donc pas le personnage historique qui est né de Marie en -7 et que les Évangiles chrétiens nomment Jésus. Le prophète ʿīsā de l'islam est un homme à la vie devenue mythique à travers la relecture d'Apocryphes tardifs dont aucun des auteurs n'avait connu le Jésus historique. Au regard des Évangiles canoniques chrétiens, la description que le Coran donne de Jésus-Christ/ ʿīsā est donc erronée, voire hérétique.
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:12

10 . LES RELIGIONS PRÉISLAMIQUES.
De 130 à 610.



10. 1. Les cultes orientaux d'Isis, de Cybèle et de Mithra.
10. 2. La Gnose et les mouvements gnostiques.
10. 3. Au milieu du IIe siècle, Basilide invente la substitution du Christ par un sosie sur la Croix.
10. 4. Influences des textes apocryphes juifs et du Midrash sur l'islam à venir.
10. 5. Les Apocryphes chrétiens.
10. 6. Les Apocryphes chrétiens inspirateurs de Mohamed ? La vie de Marie.
10. 7. Apocryphes inspirateurs de Mohamed ? La vie et la mort du Christ.

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10. 8. En 150, la première occurrence historique de la Mecque.
10. 9. Mani (216-274) et le manichéisme, un monothéisme oublié ?
10. 10. L’influence du manichéisme sur l'islam.
10. 11. Trois siècles de persécutions envers les chrétiens.
10. 12. Une légende apologétique chrétienne qui contaminera le Coran : les sept dormants d'Éphèse.

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10. 13. Constantin (306 à 337) et l'organisation de la foi chrétienne.
10. 14. L'arianisme : les pouvoirs politiques et religieux sont entre les mêmes mains.
10. 15. L'empereur et les patriarches : « Les choses divines ne sont point sous dépendance de l’Empereur ».
10. 16. Philosophie et foi chrétienne, Saint Augustin (354-430).
10. 17. Le savoir grec est préservé en terre chrétienne.
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10. 18 . La Djāhiliyya : paganisme, judaïsme, christianisme, hérésie, autant d'inspirations pour le Coran.
10. 19. Les hommes des tribus du Hedjāz au temps de la Djāhiliyya : organisation sociale, tabous et mythologie.
10. 20. La Kaaba préislamique.
10. 21 . Au VIe siècle, au Moyen-Orient : juifs et chrétiens s'opposent ; Perses et Byzantins s'affrontent.
10. 22. En 570, Mohamed vient de naître, ou comment les faits historiques sont retranscrits dans le Coran.

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:13


CHAPITRE 10 (SUITE) : LES RELIGIONS PRÉISLAMIQUES.

De 130 à 610.

10. 8. En 150, la première occurrence historique de la Mecque.
Depuis quelques années, l'Arabie Saoudite s'ouvre aux explorations archéologiques... mais elle les interdit toujours dans le Hedjāz, la région de la Mecque et de Médine.

L’Arabie Saoudite possède des vestiges d'habitat qui remontent à 9000 ans. La civilisation dite « al-Maqar »* était passée très tôt au néolithique et pratiquait déjà l'élevage et l’agriculture en plein cœur de l'Arabie.
Entre  - 9000 à - 2000 ans, près de l'oasis d'Azraq* en Jordanie, et en Irak, des hommes ont aligné des pierres en cercles de 25 à 70 m de diamètre. On en ignore la raison, mais ces cercles ne peuvent être vus que du ciel.
On a trouvé en 2010,  à Madain Saleh*, dans les environ d'Hégrā, une inscription portant le cartouche en hiéroglyphes de Ramsès III, datée de 1160 avant JC. Les voies commerçantes égyptiennes allaient jusqu'en Arabie dès la fin du IIe millénaire, même si le dromadaire n'était pas encore domestiqué.


Dans l'actuelle Jordanie, la ville de Pétra, dissimulée au fond de son long défilé, est fondée au VIIIe s. avant JC, au moment où le commerce des épices commence à enrichir les bédouins grâce à la domestication du dromadaire qui permet le commerce caravanier à travers les déserts. À partir de -197, les Nabatéens de Pétra tirent profit de la victoire des rois séleucides sur les grecs. Les centres commerciaux se déplacent alors vers leurs territoires et ils s'enrichissent. Ils construisent alors des villes fastueuses dont l'architecture de pierre subsiste jusqu'à nos jours.

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Pétra en Jordanie.

À Pétra, en Jordanie ou à Hégrā en Arabie Saoudite, des monceaux de poteries brisées témoignent de leur vie quotidienne ; des canalisations prouvent leur ingéniosité pour survivre en milieu aride ; leurs monuments sculptés témoignent d'un style architectural original. Rome étend sa domination sur le royaume nabatéen au premier siècle.

Pendant des siècles, deux axes caravaniers parcourent l'Arabie. Un axe caravanier ouest-est part d'Hégrā en Arabie, passe par Dūmat el-Jandal* au nord de l'Arabie actuelle, puis se termine à Babylone plus à l'est*. Une autre voie part de Pétra*, en Jordanie, pour aller vers le sud rejoindre Hégrā, puis Yathrib, la future Médine, jusqu'à Najrān, tout au sud de la péninsule arabique. Cette route ignore le site où se trouve la Mecque de nos jours, à trois jours de marche à l'ouest.

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Des caravanes de chameaux ont voyagé pendant 3000 ans (Pentateuque dit de Tours, réalisé très vraisemblablement
en Afrique du Nord au VI e siècle ; BnF). Elles sont à l'origine de la richesse de la civilisation nabatéenne.

Les vestiges architecturaux de Petra, d'Hégrā et de Babylone disent assez la richesse de ces villes aux premiers siècles de notre ère. Yathrib (Médine) possède sans doute dans son sol des traces de sa richesse antique, mais sa localisation dans le Hedjāz y interdit les fouilles. Néanmoins, dès le VIe siècle avant JC, l'existence de Yathrib est attestée dans les archives du roi babylonien Nabonide. Le nom de Ya-at-ri-bu y a été reconnu et il est probable qu'il s'agit de Yathrib, la ville qui sera dénommée Lathrippa par Ptolémée au IIe siècle, puis Iathrippa dans un document grec d’Étienne de Byzance au VIe siècle. D'après les archives babyloniennes, romaines et grecques, Yathrib, la future Médine, existe donc depuis l'Antiquité. En comparaison, le silence qui entoure la Mecque, devient extrêmement significatif. Ni la Mecque, ni ses habitants n'ont laissé la moindre trace de leur existence avant l'an 150.

En 106, la conquête romaine fera perdre aux Nabatéens leur autonomie politique : la province de l'« Arabie heureuse » sera alors incluse dans l'empire romain.
Au premier siècle, le navigateur grec Hyppalus découvre le régime des moussons. La navigation en haute mer concurrence les caravanes terrestres et ruine le commerce des cités nabatéennes de Pétra, d'Hégrā, de Dūmat el-Jandal et de Yathrib. Entre 111 et 115, le gouverneur romain Claudius Severus essaie de relancer le commerce terrestre en faisant construire une voie romaine sur l'antique route caravanière. Elle va d'Aila, le port de la mer rouge (Aquaba de nos jours), à  la ville de Bostra, au sud de la Syrie actuelle. Le site de la Mecque reste en dehors du réseau caravanier et  demeure toujours inconnue des archives antiques.

Au IIe siècle, Claude Ptolémée (100-170), géographe astronome d’Alexandrie, dresse des cartes du monde réunies dans la Syntaxe mathématique qui sera traduite bien plus tard en arabe sous le nom d'Almageste. Les copies les plus anciennes des cartes de Ptolémée parvenues jusqu'à nous ont été réalisées au XVe siècle.

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Copie du XVe siècle de la carte de Ptolémée.

Entre autres, vers 150, Ptolémée établit une carte de l’Arabie : une petite étape caravanière y est nommée Macoraba. On pense qu'il s'agit de la Mecque. C'est la première fois que Macoraba est citée par écrit, donc que la Mecque est signalée comme existant... s'il s'agit bien de la Mecque.

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La péninsule arabique sur une copie de 1467 de la carte perdue du IIe siècle de Ptolémée - et - une carte d'Arabie de nos jours
(maroraba/La Mecque est entourée d'un rectangle noir).

L’étymologie du mot Mecque fait débat. Le Pr J. Chabbi évoque la possibilité que le nom « Mecque » soit originaire de l'arabe sub-sémitique et issu du mot mekwab qui signifie palais ou lieu-sacré**. Pour le Pr Patricia Crone, le mot Macoraba en latin suggère la présence d'eau pérenne (Meccan Trade And The Rise Of Islam, Princeton University Press (1987)) et Christoph Luxenberg, en partant de la racine syriaque du mot Mecque « Makk », pense qu'il s'agit d'une dépression, d'un point bas ou une vallée (Christoph Luxenberg, Lecture syro-araméenne du Coran, 2000). Ces interprétations semblent complémentaires. La Mecque est effectivement située à un point bas. C'est une cuvette où se collectent les eaux, ce qui rend probable l'apparition d'un culte rendu à l'eau dans cet environnement si aride, donc de la construction d'un temple auprès de cette source miraculeusement pérenne. La Mecque est donc un « point bas » à l'opposé des « Hauts lieux » des cultes hébraïques ou nabatéens.

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À Pétra, haut-lieu où étaient sacrifiés des dromadaires.

En effet, Yahvé, dans l'Ancien Testament, réclame des sacrifices sur des hauteurs. Abraham doit sacrifier Isaac sur une montagne (Genèse 22, 2). De plus, les deux lieux de sacrifices historiques des hébreux se trouvent sur des monts : le mont Ébal et le mont du Temple à Jérusalem. La Kaaba de Mohamed va s'inscrire dans une autre tradition, en rupture avec le culte juif bimillénaire.

Un jour, peut-être, les archéologues pourront-ils fouiller la Mecque, apportant la preuve de son ancienneté ? Pour les musulmans, la vérité est le Coran. Cela explique que les musulmans d'Arabie Saoudite n'entreprennent pas les fouilles qui mettraient à mal leurs convictions. En effet, selon le Coran, Abraham aurait prié ainsi : « Notre Seigneur, s’exclame Abraham, j’ai installé ma descendance dans un val sans culture, près de Ta demeure bien protégée [la Kaaba] pour qu’ils accomplissent la prière. Fais que le cœur des hommes des tribus locales aient de l’inclination pour eux et veuillent bien pourvoir à les nourrir des fruits de la terre. » (Sourate 14, 37, trad. Jacqueline Chabbi). Pour les musulmans, il est donc un fait établi que la Mecque existait du temps d'Abraham... soit 2000 ans avant Jésus-Christ.

Pour les non-musulmans, une datation repose sur des preuves archéologiques et scientifiques ne peut peut se contenter des affirmations d'un livre saint.
Les techniques par carbone 14 pour la datation des débris organiques ou par thermoluminescence pour celle des poteries sont maintenant si précises et si peu onéreuses qu'il serait très facile de dater avec précision la fondation de la Mecque. Actuellement, le sous-sol de la Mecque est dévasté par les programmes immobiliers saoudiens. Les saoudiens n'ont-ils jamais éprouvé la curiosité ou la tentation, de dater les tessons de poterie et les débris de charbon de bois découverts dans les couches les plus profondes ? Si cela a été fait, personne n'en a publié les résultats... Mais, il semble bien que toutes fouilles qui risqueraient de démontrer que le Coran contient des informations historiques erronées soient condamnées à demeurer interdites ou leurs résultats non publiés …

La date de la construction de la Kaaba est donc inconnue et celle de la fondation de la Mecque également. Mais le culte qui y sera rendu un jour à des bétyles, les pierres dressées contenant une divinité, existe ailleurs en Arabie. Vers 190, Clément d'Alexandrie rapporte que « les arabes adorent des pierres ».

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Pièce en bronze représentant le temple d'Élagabal et son bétyle, sa pierre sacrée
(IIIe siècle ; Émèse en Syrie).

* : Archéologia, n° 495, janvier 2012, p 49. UMR 8167.
** : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, p. 47-48, Jacqueline Chabbi, Fayard. 2008.

10. 9. Mani (216-274) et le manichéisme, un monothéisme oublié ?

Découverts au XXe siècle, des écrits d’Asie centrale, de Haute-Égypte et de Chine nous parlent des communautés manichéennes de langues turque, chinoise, copte et iranienne qui survécurent jusqu’au XIe siècle. On a ainsi pu découvrir ce monothéisme disparu par ses propres écrits. Des livres d’hymnes, des formulaires pour la confession des péchés, des homélies et des tables calendaires ont été découverts. En particulier, deux livres fondamentaux nous sont parvenus. D'abord, le Codex manichéen de Cologne nous raconte la vie de Mani en grec. Il date du Ve siècle. Chaque chapitre commence par le nom du disciple qui se porte garant du contenu de la transmission. Le second ouvrage essentiel regroupe des entretiens de Mani avec ses disciples. Il est rédigé en copte dans un ouvrage nommé le Kephalaia. Écrit au Ve siècle, il nous renseigne sur les enseignements de Mani. Au Xe siècle, al-Bīrūnī, un savant musulman, lut le Kephalaia, l’Évangile vivant de Mani, et en donna le compte-rendu*.

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Mani délivre son enseignement à un prince perse (miniature persane, © par François Favre).

Le fondateur du manichéisme est Mani, il a vécu en Perse au IIIe siècle de 216 à 274. Il est éduqué par les Baptistes judéo-chrétiens de Babylone. Ce groupe serait apparenté aux sabéens qui sont encore quelques milliers en Irak. Ils pratiquent le baptême dans l'eau proposé par Jean le Baptiste. Des écrits sabéens, dont l'ancienneté remonterait au IIe siècle, l'apparentent au courant gnostique. Ils pensent que le monde est séparé en deux. Le monde d'en haut est gouverné par un dieu inconnu et lumineux. Issus du chaos, le monde d'en bas représente le monde des ténèbres. Mani a 12 ans quand il a une vision : son double mystique, un jumeau, un Ange du Royaume de Lumière lui apporte la révélation du monde de lumière antérieurement inaccessible. Il lui dit de partir vers l'Inde, ce qu'il fait à 24 ans. Pendant deux ans, il étudie la parole de Bouddha dans le Traité de la Grande Vertu de Sagesse, de Nāgārjuna.
Le monde de Mani sera séparé en deux entités. Le Bien est le domaine de Dieu, de l’âme humaine et de la lumière. Le Mal est le domaine des ténèbres, de Satan et du corps, avec ses pulsions. Son culte de la Lumière se concrétise dans la pratique de la peinture. Il est à l’origine de l’art de la miniature en Perse. Mais, dans les dix commandements du manichéisme repose néanmoins l’interdit absolu de représenter Dieu.

Sa vision de la création repose sur un mythe primordial. À l’origine des temps, bien et mal sont totalement séparés*.
Puis survient un cataclysme, les ténèbres se mêlent à la lumière et la création de l’homme en résulte. L’âme humaine appartient au monde de la lumière et le corps humain au monde des ténèbres. Là est l'aspect emprunté à la gnose.
L’homme doit s’affranchir de ses pulsions pour obtenir que son âme se fonde dans la Lumière divine après sa mort. Hors de cette rédemption qui ne s’accomplit que dans une ascèse absolue, l’homme est condamné à être réincarné jusqu’à ce qu’il soit parvenu au détachement parfait et finalement fondu, après sa mort, dans le Tout divin. Là est l’aspect emprunté au bouddhisme.

Mani se considère comme le dernier envoyé (rasul) d'une chaîne d'envoyés commencée à Adam, puis poursuivie par Seth, Enosh, Sem, Hénoch pour finir à Paul*. Ces premiers transmetteurs auraient consigné la vérité dans des écrits gardés en dépôt pour le moment de la venue de Mani. Mani est également le dernier des Prophètes envoyés à l'humanité. Le Kephalaia explique comment Mani s’est proclamé lui même le « Sceau des prophètes »,  le « Père » des croyants et le « Paraclet » annoncé par Jésus*. C'est en lui que les prophètes antérieurs, Bouddha, Jésus et Zoroastre trouvent leur accomplissement*. Jésus était considéré comme un faux prophète par les sabéens - les disciples de Jean-Baptiste – et Mani lui redonne une place. Néanmoins, si le Christ est l’incarnation de Dieu et le lien entre l’humanité et le monde divin, Mani reprend la croyance du docétisme : le Christ n'est qu'une apparence, il n'a pas de vrai corps. Pour Mani, la souffrance du Christ lors de la Passion n’est qu’une illusion.
Mani considère qu'il est nécessaire d'écrire dans une langue claire la révélation reçue, pour empêcher ses adeptes de la trahir par une réécriture ultérieure. Zoroastre, Bouddha et Jésus ont laissé le soin de la mise par écrit à leurs disciples, Mani écrit lui-même. Cette vision de l'écrit qui empêcherait les modifications s'est révélée tout à fait théorique, puisqu'au fil des siècles, la biographie de Mani va s'enrichir d'actions de plus en plus mythologiques.

Les adeptes du Manichéisme se divisent entre plusieurs classes.
- La classe des élus représente l'élite*.
Ils renoncent complètement à leurs biens ; ils vivent dans une chasteté absolue, sont végétariens et jeûnent fréquemment. Ils recopient et interprètent l'enseignement de Mani. Ils se confessent publiquement chaque semaine. Lors de la fête de Mani, chaque année en juillet, une confession générale est faite, précédée de 26 jours de jeûne. Les élus accèdent au salut en étudiant la pensée de Mani et en transmettant son enseignement. Le manichéisme est une religion universaliste qui se répand par le prosélytisme des élus.
- Les autres croyants se nomment « les auditeurs ». Ils servent les élus. Saint Augustin les connaît bien, puisqu'il fut manichéen avant de se convertir au christianisme : « À ceux qu'on appelait les élus et les saints, nous apportions des aliments avec lesquels, dans l'office de leur panse, ils devaient nous fabriquer des anges et des dieux pour nous libérer. » (Augustin, Confessions, IV, 1,1). Saint Augustin reprochera au manichéisme de présenter Satan, le créateur du mal, comme étant l'égal du Dieu de lumière, ce qui fait du manichéisme un polythéisme. De plus, le manichéisme n'encourage pas la procréation, ce qui en fait une hérésie aux yeux des chrétiens. En effet, si les auditeurs peuvent se marier, il leur est recommandé de ne pas avoir d’enfants. Les auditeurs doivent se confesser chaque semaine après un jeûne et sont en particulier soumis au jeune annuel de 26 jours*. Ils pratiquent l’aumône et les quatre prières quotidiennes. Ils accèdent au salut en servant les élus et en méditant les écrits de Mani. Le manichéisme donne donc une place réelle aux laïcs.

Protégé par l’empereur perse Shapur Ier, Mani peut prêcher*.
Le manichéisme se répand rapidement, elle est totalement pacifique et tranche sur la violence habituelle des civilisations antiques. Vers l’Est, suivant la route de la soie, sa prédication atteint la Mongolie. L’empereur mongol, Bögü, se convertit en 762 et impose à la dynastie chinoise Tang de respecter les marchands manichéens.

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Prêtres manichéens écrivant à leur bureau en écriture en sogdienne (chinoise)
(manuscrit de Khocho, bassin du Tarim, Chine).

Le manichéisme survivra dans certaines régions côtières de Chine jusqu’au XXe siècle : Mani y est nommé le « bouddha de lumière ».

Vers l’Ouest, le manichéisme touche l’empire romain. Ses adeptes se heurtent à la persécution romaine en 297. En effet, ils s’opposent au culte rendu à l’empereur. L’édit de Milan de 314-316, qui met fin aux persécutions contre les chrétiens, autorise également le manichéisme. Le manichéisme se répandra dans tout le Maghreb. Religion à vocation universelle, il aura un succès indéniable, porté par son pacifisme et le sens du sacrifice de ses élus qui portent la Bonne Nouvelle de Mani.

Mani sera finalement martyrisé par un successeur de Shapur dans une agonie qui dura 26 jours.

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Martyr de Mani.

En occident, le manichéisme disparaîtra vers le XIe siècle, suite à la conquête arabo-musulmane... et en Chine au XXe siècle, suite à la dictature maoïste.

* : Encyclopédie des religions, Tome I, p 225-230, Michel Tardieu.

10. 10. L’influence du manichéisme sur l'islam.
Ni l'islam, ni le christianisme, n'ont refusé de donner à la sexualité sa place légitime. L'islam n'a interdit, ni le mariage, ni la procréation à ses fidèles. En ceci, le manichéisme n'a rien à voir avec l'islam. En revanche, dans bien d'autres domaines, on est surpris de voir à quel point Mohamed et les premières générations de musulmans ont été influencés par le manichéisme.

- Les liens de l'islam avec le manichéisme sont naturellement géographiques. Au VIIe siècle, le manichéisme existait au Moyen-Orient. Il y prospérait aux côtés du paganisme, du judaïsme et du christianisme avec toutes ses variantes, orthodoxes ou hérétiques. Ces religions ont toutes laissé des traces identifiables dans le Coran. Le paganisme a laissé des traces inconscientes dans le Coran, nous le verrons. La place du judaïsme et du christianisme y est officielle, puisque le Coran se dit le « confirmateur » de la Bible (S. 5, 48). En revanche, l'influence du manichéisme y est insidieuse, puisqu'il ne fait pas partie des religions autorisées (S. 2, 62). En effet, pour ceux qui l’ignorent, le Coran définit précisément les seules religions autorisées. Ces religions – autres que l'islam naturellement- seront protégées par des lois spéciales et entreront dans le système si particulier de la dhimma. Un dhimmi est exclusivement un juif, un chrétien ou un sabéen, à l'exclusion de tout autre. Le manichéisme ne fait donc pas partie des religions autorisées. Au fil des siècles, l'influence du manichéisme sur l'islam est devenue invisible et a été oubliée quand le manichéisme a disparu au XIe siècle. Mais, depuis les dernières découvertes épigraphiques de textes antiques manichéens, l'importance du manichéisme dans l'élaboration de l'islam redevient explicite.

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Œuvre attribuée à Kamāl-od-Din Behzād (Zafarnāmeh Teymouri, 1528 ; Palais du Golestān). L'esthétique manichéenne
a été imitée dans l'art de l'enluminure persane et dans l'inspiration les décors non figuratifs des bâtiments de la civilisation musulmane.

-Les contenus dogmatiques du manichéisme et de l'islam sont proches.
Les deux religions prônent une origine divine pour le bien comme pour le mal.[/b] Dans le manichéisme, le Dieu de Lumière et Satan, porteur de ténèbres, sont égaux en puissance. Dans l'islam, il n'existe certes qu'un seul Dieu, Allah, mais Il est Créateur du Bien comme du Mal. Y-a-t-il eu  une influence croisée entre le manichéisme et le zoroastrisme dans la façon dont le Coran décrit Allah ? En effet dans le zoroastrisme, le bien comme le mal sont d'origine divine. Dans le manichéisme et l'islam, le respect pour Dieu se manifeste de la même façon : ils interdisent l'un comme l'autre la représentation imagée de Dieu.

- Le statut de Mohamed ressemble étrangement à celui de Mani.
Selon le Codex de Cologne, Mani est l'envoyé (rasul), offrant au monde entier une révélation en « langue claire d'une révélation antérieurement cachée » auprès de Dieu. L'idée d'une révélation cachée se trouvait déjà dans le Livre des Jubilés, l’apocryphe juif du IIe siècle avant JC. Le Coran revendiquera la même « expression claire » (S. 16, 103) d'une révélation cachée auprès d'Allah (S. 3, 7).
Mohamed restera pendant la majeure partie de sa prédication « l'envoyé », selon le même terme de « rasul » employé par Mani (S. 63, 5 ; S. 40, 78 ; S. 35, 4).
Finalement, Mohamed deviendra prophète mais encore une fois à imitation de Mani. En effet, c'est Mani le premier qui introduit la notion de « Sceau des Prophètes ». Selon la Kephalaia rédigée au Ve siècle en copte, Mani est le « Père des croyants »  et le « Sceau des Prophètes », soit le dernier prophète authentique. Mohamed, dans un célèbre verset du Coran, reprendra exactement ces deux épithètes : « Muhammad n’est le père (ab) d’aucun parmi vous, mais il est l’envoyé de Dieu (rasul Allahi) et le sceau des prophètes (hātam al-nabiyyīn). » (S. 33, 40)*. Ce verset du Coran pourrait sembler incompréhensible. En effet, quand il est récité, Mohamed est le père d'une fille adulte, Fatima. Peut-on alors comprendre que Mohamed ne s'adresse pas aux femmes, puisqu'il dit à ses adeptes qu'il n'est le père d'aucun d'entre eux ? Pourtant, la lecture attentive du Coran montre que l'islam s'adresse tout autant aux hommes qu'aux femmes. Ils ont des places différentes, l’infériorité des femmes est officielle dans le Coran (S. 4, 34), mais nul ne peut nier que la prédication de Mohamed s'adresse également aux femmes (S. 33, 35). La connaissance des textes fondateurs du Manichéisme donne un éclairage nouveau à ce verset (S. 33, 40). Mohamed y répond à Mani. Mani se voulait le Père des croyants et le Sceaux des prophètes. Mohamed refuse d'être nommé le « Père des croyants ». Il ne renonce pas totalement à la paternité spirituelle, mais il laisse ce privilège à ses épouses. Elles sont dites les « Mères des croyants » (S. 33, 6). C’est la seule concession qu’il fera à la paternité spirituelle. En revanche, Mohamed revendique hautement le titre de « Sceaux des prophètes » qui fait de lui le dernier prophète, le seul ayant reçu une révélation divine complète. Mohamed reprend là une épithète inventée par Mani pour se désigner lui-même. Au VIIIe siècle, ibn Ishāq, le biographe de Mohamed, achèvera d'attribuer à son Prophète les qualificatifs de Mani. Grâce à une petite m anipulation dans la traduction, il fera de Mohamed le Paraclet annoncé par Jésus dans les Évangiles.

- Les cinq obligations du manichéisme sont parvenues jusqu'à nous dans un manuel de confession en vieux turc du Xe siècle nommé Xwastwaneft*. Ces obligations canoniques concernaient tous les manichéens, élus comme laïcs. Définies au IIIe siècle par Mani, ces cinq obligations manichéennes ne peuvent qu'évoquer les cinq piliers de l'Islam* .
En effet trois sont strictement identiques :

- l’aumône,
- la prière pluriquotidienne. Tous les manichéens prient quatre fois par jour, comme les musulmans du temps de Mohamed. Ce n'est que le deuxième calife, Ali, qui introduira la cinquième prière journalière dans l'islam.
- le jeûne d'un mois tous les ans. Le jeûne durait 26 jours chez les manichéens et concernait tous les croyants.
Deux obligations manichéennes ont des fonctions équivalentes aux deux autres piliers de l'islam :
- Au résumé de la foi manichéenne présentée dans les Dix Commandements de Mani, répond la profession de foi musulmane.
- Le pardon des péchés, obtenu par la confession pour le manichéen, l'est par le pèlerinage à la Mecque pour le musulman.
En fait, le Coran ne parle jamais des Cinq piliers de l'islam. L'expression appartient à la construction ultérieure de la Tradition musulmane. Le Coran donne des consignes dans bien des domaines : alimentaire, vestimentaire, hygiénique, moral, financier, législatif, familial, guerrier, mais ces règles ne sont pas reprises dans les cinq piliers de l'islam. Seules les règles similaires aux cinq commandements du manichéisme ont été organisées en cinq piliers par l'islam. À l'évidence, puisque le Coran n'a pas parlé des cinq piliers, cette organisation a été décidée par les premières générations de musulmans. Néanmoins, ils n'ont pas introduit dans l'islam des concepts étrangers à la prédication de Mohamed. Les éléments des cinq piliers se trouvaient tous dans le Coran, en particulier les plus originaux et les plus typiques du manichéisme : le jeûne d'un mois par an et les prières quatre fois par jour. Les premières générations de musulmans ont manifestement choisi d'organiser leur religion en cinq piliers, en respectant les éléments manichéens du Coran.

Dans un autre domaine, on retrouve dans la rédaction des Hadiths un procédé imaginé par les manichéens pour authentifier les anecdotes de la vie de leur fondateur, Mani, quand ils les ont mises par écrit dans le Codex de Cologne*. Le fait de signaler le nom de la personne fiable qui transmet le récit pour en légitimer l'authenticité sera repris par l'islam avec la chaîne d'isna', c'est à dire de transmetteurs fiables, qui est détaillée en en-tête des Hadiths. Les Hadiths sont les propos supposés avoir été tenus par Mohamed ou par ses compagnons, et ils ont, dans le sunnisme, une aura sacrée, une légitimité législative identique à celle du Coran.

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Le Codex de Cologne.

Le manichéisme a totalement disparu au XIe siècle en occident sous la pression arabo-musulmane. La découverte récente des écrits antiques du manichéisme éclaire donc d’un jour nouveau l’inspiration et les prémisses de l’islam*. Mohamed a largement puisé dans le manichéisme, mais sans citer ses sources. Jésus s'était inscrit dans la lignée du judaïsme sans dissimuler sa filiation et en reconnaissant la légitimité du judaïsme. Le Coran n’offrira pas même le statut de religion tolérée aux manichéens. Les juifs, les chrétiens et les sabéens sont cités dans le Coran dans la liste des religions protégées, mais les manichéens y sont oubliés (S. 2, 62). N’étant pas protégés par le statut si particulier de la dhimma, les manichéens seront persécutés – interdictions, massacres, pendaisons - dans les premiers siècles de l'islam et ils disparaîtront au XIe siècle. Seuls les manichéens de Chine - il est vrai dissimulés sous une apparence bouddhiste - préserveront leur foi jusqu'à la dictature maoïste du XXe siècle.

De nos jours, tant chez les musulmans que chez des non-musulmans, certains sont convaincus que la dhimma était un système moderne, tolérant et finalement acceptable... à condition d'en faire partie naturellement. En effet, bien des religions existaient dont Mohamed refusait la légitimité et d'autres dont il ignorait tout simplement l'existence.

La place du manichéisme est maintenant explicite : il est l'inspirateur oublié de Mohamed et le rival imité et persécuté de l'islam naissant.

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Le Tazhiv manichéen dans l'art de la miniature perse est repris dans
l'ornementation des vêtements musulmans.

* : Encyclopédie des religions, Tome I, p 225-230, Michel Tardieu.

10. 11. Trois siècles de persécutions envers les chrétiens.
Le Christ avait prophétisé : « L'heure vient où quiconque vous tuera pensera rendre un culte à Dieu. » (Jean 16, 2). Au IIe siècle, le carthaginois Tertullien (150-220) rapporte le cri païen : « les chrétiens aux lions ! » et, de Rome, le  Pasteur d'Hermas témoigne que « ceux qui ont souffert à cause du Nom [de Jésus-Christ], [recevront] les coups, la prison, les grandes tribulations, la croix, les fauves ».

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Samson lutte à mains nues contre un lion (catacombe de la via Latin, Rome, vers 350).
À l'heure où les chrétiens sont livrés aux fauves, comment s'étonner qu'ils aient
trouvé courage dans les exploits (sans doute mythologiques) de Samson ?

En 65, Néron accuse les chrétiens de l'incendie de Rome ; il les fait crucifier.
En 93, l'empereur Domitien persécute tous ceux qui contestent son pouvoir absolu, les stoïciens, comme les chrétiens : « Penser librement était un crime à ses yeux. » (Tacite, Histoire, I, 1).

En 112, Pline le Jeune (61-115) est gouverneur impérial de la province du Pont-Bythinie, dans l'actuelle Turquie. Il écrit à l'empereur Trajan pour recevoir ses conseils sur la façon de traiter les chrétiens. Il répugne à exécuter des gens uniquement sur dénonciation : « Ceux qui ont avoué [être chrétiens], je les ai interrogés une seconde fois, et une troisième fois et je les ai menacés du supplice. Quand ils ont persisté, je les y ai envoyés. Car de quelque nature que fût ce qu'ils confessaient, j'ai cru que l'on ne pouvait manquer de punir en eux leur désobéissance et leur invincible opiniâtreté. ».
Finalement, bien peu vont au supplice : « [certains], déférés suite à une dénonciation, ont d'abord reconnu qu'ils étaient chrétiens, et aussitôt après, ils ont nié, déclarant que véritablement ils l'avaient été, mais qu'ils avaient cessé de l'être ». Pline donne à l'occasion de ses interrogatoires qui conduisent à l'apostasie, une description de la liturgie chrétienne qui est d'autant plus intéressante qu'il n'est pas chrétien : « Tous ces gens là ont adoré votre image et les statues des dieux. Tous ont chargé le Christ de malédictions. Ils assuraient que toute leur erreur ou leur faute avait été rassemblées dans ces points : qu'à un jour marqué, ils s'assemblaient avant le lever du soleil, et chantaient tour à tour des vers à la louange de Christ, comme s'il avait été un dieu, qu'ils s'engageaient par serment, non à quelques crimes, mais à ne commettre ni vol, ni adultère, à ne point manquer à leur promesse, à ne point nier un dépôt, qu'après cela ils avaient l’habitude de se séparer puis de se rassembler pour manger en commun des mets innocents. ». La liturgie chrétienne était déjà en deux temps comme de nos jours, avec une première partie d'hymnes et un rappel des prescriptions divines, suivie d'une seconde partie, l'eucharistie, le repas sacré. Le contraste est frappant avec les cultes païens : bacchanales orgiaques, saturnales débridées, transes initiatiques des cultes à mystères, ou même simplement sacrifices d'animaux. La liturgie chrétienne brille par sa sobriété, comme en témoigneront les fresques des catacombes romaines, là où vont se réfugier ceux qui persisteront dans leur foi chrétienne pendant les deux siècles suivants. On ne peut s'étonner que le christianisme ait autant attiré. Mais on ne peut pas davantage être surpris que la cruauté romaine en ait freiné l'expansion : « J'ai jugé nécessaire d'appliquer la torture à deux filles esclaves, qu'ils disaient responsable de leur culte, mais je n'ai trouvé qu’une superstition déraisonnable » (Lettres 96, livre X, Pline le jeune à Trajan).

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Les chrétiens se réfugient dans les catacombes où ils expriment leur foi : ici le banquet céleste
(Catacombe de Saint Pierre et Saint Marcellin ; Rome).

Si Pline fait preuve de mansuétude, c'est uniquement parce que les chrétiens sont devenus trop nombreux pour que l'on puisse raisonnablement tous les exécuter : « L'affaire m'a paru mériter que je prenne ton avis, surtout à cause du nombre des accusés. Il y a une foule de personnes de tous âges, de toutes conditions, des deux sexes aussi, qui sont ou seront mises en péril. Ce mal pernicieux n'a pas seulement infecté les villes, il a gagné les villages et les campagnes. Je crois pourtant que l'on peut y remédier et qu'il peut être arrêté. Ce qui est certain, c'est que les temples qui étaient presque déserts sont fréquentés, et que les sacrifices, longtemps négligés, recommencent. On vend partout des victimes (animaux à sacrifier) qui auparavant ne trouvaient plus d'acheteurs. De là, on peut juger de quelle quantité de gens ont peut ramener de leur égarement, si on fait grâce au repentir. »... (Lettres 96, Livre X, Pline le jeune à Trajan, traduction de Sacy, Nisard, 1850).

La réponse de Trajan servira de base législative aux persécutions romaines pour les siècles suivants : « Mon cher Pline, tu as suivi la conduite que tu devais dans l'examen des causes de ceux qui t'avaient été dénoncés comme chrétiens. Car on ne peut instituer une règle générale qui ait, pour ainsi dire, une forme fixe. Il n'y a pas à les poursuivre d'office. S'ils sont dénoncés et convaincus, il faut les condamner, mais avec la restriction suivante : celui qui aura nié être chrétien et en aura, par les faits eux-mêmes, donné la preuve manifeste, je veux dire en sacrifiant à nos dieux, même s'il a été suspect en ce qui concerne le passé, obtiendra le pardon comme prix de son repentir. Quant aux dénonciations anonymes, elles ne doivent jouer aucun rôle dans quelque accusation que se soit ; c'est un procédé d'un détestable exemple et qui n'est plus de notre temps. » (Trajan, Lettres à Pline, 10, 97 ; 1-2).
Les dénonciations ne sont donc plus suffisantes pour exécuter un chrétien, encore faut-il qu'il ait confirmé sa foi et refusé de sacrifié aux dieux. Cela restera en vigueur dans l'empire romain qui ne verra plus les exécutions arbitraires du premier siècle. Dans les persécutions ultérieures, les chrétiens seront jugés individuellement avant d'être condamnés.

Les chrétiens vont servir de boucs émissaires. Ils seront les victimes faciles d'un pouvoir qui cherche à canaliser la colère du peuple, quitte à entretenir la superstition.
En 170, sous  l'empereur Marc Aurèle, Rome est victime de tremblements de terre et d'inondations du Tibre et du Pô. En représailles, les Romains persécutent les chrétiens à Rome, à Lyon et à Vienne en Gaule. L'évêque Pothin de Lyon est exécuté. L’évêque Irénée lui succède et meurt lui aussi martyr en 202, après avoir évangélisé son diocèse.
En 200, Septime Sévère interdit les conversions au judaïsme et au christianisme.
En 235, l'empereur Maximin le Thrace ordonne l'exécution des chefs de l'Église, particulièrement en Cappadoce (en Turquie actuelle). Victimes de tremblements de terre, les habitants, y avaient vu la responsabilité des chrétiens.
Entre 249 et 250, l'empereur Philippe l'Arabe laisse les chrétiens en paix, à tel point que l'historien Eusèbe de Césarée (265-339) pense qu'il était lui-même chrétien.
En 250, l'empereur Dèce détrône Philippe l'Arabe. Il persécute les chrétiens pendant deux ans. Les biens ecclésiastiques sont confisqués. Cette persécution sera évoquée par le Coran...Nous y reviendrons.
En 260, l'édit de tolérance de Gallien restitue les biens ecclésiastiques.

Mais de nouvelles catastrophes attendent l'empire romain. En 276, sous l'empereur Aurélien, toutes les frontières de l'empire sont enfoncées par des invasions barbares. On va reprocher leur pacifisme aux chrétiens – et également aux manichéens - et les rendre responsables de la faiblesse militaire de l'empire.
En 297, Dioclétien persécute les manichéens, puis en 303, les chrétiens. La persécution de Dioclétien restera tristement dans les mémoires. Les églises sont rasées, les textes saints sont détruits et le clergé arrêté. Les chrétiens ne peuvent plus postuler à des emplois publics. On les force à sacrifier aux dieux, ils sont torturés et exécutés. Les chrétiens étant particulièrement nombreux en Afrique du Nord, la persécution sera féroce au Maghreb.
La persécution de Dioclétien s'arrête en 311 avec l'édit de tolérance de Galère. Les évêques, qui avaient abjuré pour sauver leur vie, seront rejetés par les chrétiens les plus extrémistes, ceux qui sont restés fidèles malgré les horreurs de la persécution. Ils refusent de recevoir les sacrements de ces évêques et fondent le donatisme qui s'opposera à l’Église officielle pendant des siècles au Maghreb. Seule la conquête arabo-musulmane la fera disparaître.

Certains, de nos jours, minorent les persécutions infligées aux chrétiens. Elles n'auraient concerné que la hiérarchie de l’Église, laissant le petit peuple à peu près tranquille*. En effet, sur les 31 évêques qu'a connu Rome en moins de trois siècles, 25 sont morts martyrs. Le témoignage de Pline le Jeune permet néanmoins de comprendre que les persécutions ont été dissuasives pour le peuple. En effet, avant les persécutions de Pline du début du deuxième siècle, le christianisme avait déjà détourné du paganisme des gens de tous milieux, au point que les temples païens restaient vides, alors qu'à la fin des persécutions, en 311, les chrétiens étaient moins de 10 % dans l'empire romain.

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Famille en prière
(catacombe San Gennaro, Ve siècle ; Naples).

Si elles n'ont pas été permanentes, les persécutions ont donc été suffisamment dissuasives pour freiner l'expansion du christianisme. Par ailleurs, elles ont contraint les chrétiens à vivre discrètement. Ils ont réfléchi sans pouvoir mettre en commun leurs idées et en se privant du discernement des successeurs des Apôtres. Cela a-t-il favorisé l'éclosion des hérésies qui naîtront dès que les persécutions cesseront ?

Le christianisme a néanmoins survécu.

* : Histoire vécue du peuple chrétien, Jean Delumeau, p. 47 à 74, 1979, Toulouse Privat.

10. 12. Une légende apologétique chrétienne qui contaminera le Coran : les sept dormants d'Éphèse.
L’Église verra dans la fidélité des martyrs l'accomplissement des Béatitudes du Christ : « Heureux êtes-vous quand on vous insultera, vous persécutera, et quand on dira faussement contre vous toutes sortes d'infamies à cause de moi. Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux. » (Matthieu 5, 11).

L'Église va exalter le réel courage des martyrs, mais elle le fera parfois en déformant la réalité historique. Pour former le peuple chrétien et l'inciter à la fidélité, elle va entretenir le souvenir des persécutions et se servir de l'exemple des martyrs.

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Sainte Thècle dévorée par les lions (fresque de 1310, monastère de Gračanica,
construit par le roi Stefan Milutin Uroš II (1282-1321)).

En 249, les Barbares sont aux portes de l'empire. L'empereur Dèce a besoin de toute la fiabilité des citoyens Il essaie de fédérer le peuple autour du culte traditionnel rendu aux empereurs. Chacun doit sacrifier devant sa statue. Les chrétiens doivent obtenir un certificat écrit prouvant leur fidélité à Rome et ils sont obligés de pratiquer des sacrifices païens pour l'obtenir. La persécution dite de Dèce dure deux ans, de 249 à 250. Le pape Fabien est martyrisé en 250, mais certains chrétiens cèdent pour survivre.

Cette persécution sera racontée 250 ans plus tard dans la légende des « Sept Dormants d'Éphèse ». Il s'agit du sermon de évêque d'Édesse en Syrie, l’évêque Jacques de Saroug de Batnae qui a vécu de 450 à 521
. C'était un poète qui rédigeait ses sermons en vers, 400 d'entre eux nous sont parvenus. Son lyrisme était si apprécié qu'il a été surnommé la flûte du Saint-Esprit. Jacques de Saroug nous raconte donc, 250 ans après, des événements inconnus et qui n'ont encore été relatés par personne. À Éphèse, sept officiers chrétiens, profitant de l'absence de Dèce, auraient aidé des pauvres en distribuant leurs biens. Ils auraient été pourchassés et auraient dû se réfugier dans une caverne. Ils seraient tombés mystérieusement endormis au moment où l’empereur Dèce les auraient rejoints, ils auraient été emmurés vivants et encore endormis. Jacques de Saroug continue son récit et raconte qu'un ouvrier ouvre la grotte par hasard en l'an 418 - 169 ans donc après sa fermeture - et découvre les jeunes gens toujours endormis. En 418, l'empereur Théodose gouverne un empire assiégé par les Barbares. Il est chrétien et serait venu constater le miracle des sept officiers revenus à la vie.

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Dèce fait emmurer les sept soldats
(manuscrit chrétien du XVe siècle).

En 500, 250 ans après les faits, Jacques de Saroug raconte cette légende dans un style fleuri. C'est uniquement par ses écrits qu'est connue cette histoire qui n'a laissé aucune autre trace. En particulier, aucun texte des IIIe, IVe, Ve siècle ne porte témoignage du souvenir de cette histoire merveilleuse.

Néanmoins, le Coran reprend cette légende comme authentique : « Te rends-tu compte de ce que les gens de la Grotte et d'ar-Raqīm constituaient une merveille d'entre Nos signes ? Quand les jeunes gens se furent réfugiés vers la grotte, ils dirent : « O notre Seigneur apporte-nous de ta part une miséricorde ; et arrange-nous une bonne conduite de notre affaire. Alors, Nous avons assourdi leurs oreilles, dans la grotte pendant de nombreuses années. Ensuite, Nous les avons ressuscités, afin de savoir laquelle des deux factions saurait le mieux dénombrer le temps qu'ils avaient séjourné... Nous allons t'en raconter le récit avec vérité. Oui, ce sont des jeunes gens qui croyaient en leur Seigneur... « Alors réfugiez-vous vers la grotte » … « Tu verras le soleil, quand il se lève, s'écartant de leur grotte, vers la droite, et quand il se couche passer à leur gauche tandis qu'eux-mêmes sont là dans un spacieux intervalle... ; et tu les croirais éveillés, alors qu'ils dorment... et ainsi Nous les ressuscitâmes... C'est comme cela que Nous fîmes qu'ils furent découverts, afin qu'on sût que la promesse de Dieu est vérité. » (S. 18, 9-21).

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Ahl al-Kahf, les sept dormants d’Éphèse emmurés
(enluminure ottomane du XVIe siècle).

Avec une charmante naïveté, le récit du Coran se poursuit par une exhortation à ne pas écouter ceux qui se chamaillent au sujet de cette histoire, manifestement des chrétiens et des juifs : « Ne creuse donc, à leur sujet, qu'en apparence, et ne demande, à leur sujet, l'avis de personnes parmi ces gens-là » (S. 18, 22). Et le Coran va nous éclairer au sujet de la controverse de toute la force de son inspiration divine. Il le fait avec le plus grand sérieux, puisqu'il précise même la conversion entre année lunaire et l'année solaire : « Or, ils demeurèrent dans leur grotte trois cents ans et en ajoutèrent neuf » (S. 18, 25).
Cette précision de durée (300 ans) est fausse, même en supposant que l'histoire de Jacques de Saroug soit exacte. Notre évêque poète avait, quant à lui, raconté qu'ils étaient restés endormis du règne de Dèce à celui de Théodose, soit 169 ans...

Douter de la réalité de cette histoire est finalement plein de bon sens, puisqu'il s'agit du comte philosophique d'un évêque qui illustre dans un sermon en vers la nécessité d'être fidèle à Dieu.

L'auteur du Coran semble bien l'ignorer. Une fable, une parabole, un conte philosophique est valable par sa morale et non par l'événement raconté.
La distance intellectuelle entre la lettre du texte et son esprit, utile à la compréhension des fables et des paraboles, semble étrangère au mode de fonctionnement de l'auteur du Coran.
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:19

10 . LES RELIGIONS PRÉISLAMIQUES.
De 130 à 610.


10. 1. Les cultes orientaux d'Isis, de Cybèle et de Mithra.
10. 2. La Gnose et les mouvements gnostiques.
10. 3. Au milieu du IIe siècle, Basilide invente la substitution du Christ par un sosie sur la Croix.
10. 4. Influences des textes apocryphes juifs et du Midrash sur l'islam à venir.
10. 5. Les Apocryphes chrétiens.
10. 6. Les Apocryphes chrétiens inspirateurs de Mohamed ? La vie de Marie.
10. 7. Apocryphes inspirateurs de Mohamed ? La vie et la mort du Christ.

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10. 8. En 150, la première occurrence historique de la Mecque.
10. 9. Mani (216-274) et le manichéisme, un monothéisme oublié ?
10. 10. L’influence du manichéisme sur l'islam.
10. 11. Trois siècles de persécutions envers les chrétiens.
10. 12. Une légende apologétique chrétienne qui contaminera le Coran : les sept dormants d'Éphèse.

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10. 13. Constantin (306 à 337) et l'organisation de la foi chrétienne.
10. 14. L'arianisme : les pouvoirs politiques et religieux sont entre les mêmes mains.
10. 15. L'empereur et les patriarches : « Les choses divines ne sont point sous dépendance de l’Empereur ».
10. 16. Philosophie et foi chrétienne, Saint Augustin (354-430).
10. 17. Le savoir grec est préservé en terre chrétienne.
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10. 18 . La Djāhiliyya : paganisme, judaïsme, christianisme, hérésie, autant d'inspirations pour le Coran.
10. 19. Les hommes des tribus du Hedjāz au temps de la Djāhiliyya : organisation sociale, tabous et mythologie.
10. 20. La Kaaba préislamique.
10. 21 . Au VIe siècle, au Moyen-Orient : juifs et chrétiens s'opposent ; Perses et Byzantins s'affrontent.
10. 22. En 570, Mohamed vient de naître, ou comment les faits historiques sont retranscrits dans le Coran.

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:21

CHAPITRE 10 (suite) : LES RELIGIONS PRÉISLAMIQUES.

De 130 à 610.


10. 13. Constantin (306 à 337) et l'organisation de la foi chrétienne.
Malgré la célébrité de l'empereur Constantin, l'empire romain n'est pas le premier état chrétien. Le premier état chrétien est l'Arménie, suite à  la conversion de son roi Tiridate en 301.

L'empereur Constantin règne de 306 à 337, il est un adepte du Sol invinctus - le Soleil invaincu - qui est une forme de monothéisme instaurée en 274 par l'empereur Aurélien (270-275). Ce culte propose une synthèse du mithraïsme et du culte d'Apollon. Le culte rendu à l'empereur comme à une divinité vivante était en perdition au sein de l'armée, et l'empereur Aurélien voulait offrir une spiritualité plus séduisante, moins primaire, à ses soldats. La fête du Sol Invinctus (Soleil invaincu) était commémorée au solstice d'hiver, le 25 décembre.

En 313, l'empereur Constantin a la vision d'une Croix Glorieuse, avant une bataille qu'il doit logiquement perdre. Ce sera la victoire du Pont Milvius. Peut-être s'est il alors converti ? En fait, il ne reçoit pas le baptême mais il légifère ensuite en faveur du christianisme. Tout de suite, en 313, il promulgue l’Édit de Milan qui donne la liberté de culte à tous. Les chrétiens et les manichéens en bénéficient. Eux qui étaient persécutés, deviennent des citoyens comme les autres, avec les mêmes droits mais sans privilège particulier. On pense de nos jours que les persécutions contre le christianisme avaient atteint leur objectif : les chrétiens représentaient moins de 10% de la population de l'empire romain, avec une grande disparité géographique selon les provinces.

Constantin va modifier les lois dans le sens d'une christianisation. Le repos du dimanche est instauré, le divorce devient plus difficile et la prostitution des servantes d'auberge est interdite. Les lois pénalisant les célibataires ou les couples sans enfants, instituées par Auguste en l'an 9, sont amendées, ainsi que les lois régissant l'esclavage. L'empereur Constantin interdit que l'on sépare les familles d'esclaves et l'affranchissement est facilité. Il devient possible par simple proclamation dans les églises. Le christianisme a toujours proclamé l'égalité des hommes alors que les romains perçoivent l’esclave comme une chose. Aristote pensait qu'une loi naturelle justifiait l'esclavage. Au nom de sa foi chrétienne, Grégoire de Nysse (331-394) conteste cette théorie. Selon lui, la liberté et le libre arbitre des hommes existent dès la création par Dieu (Genèse 1, 26-27 et Genèse 2, 19). Il affirme : « Lorsque vous condamnez à la servitude un homme qui est par nature libre et maître de lui-même, vous faites une loi contraire à celle de Dieu qui établit l'homme comme maître de la terre pour la commander. » (Sur l'Ecclésiste, 4).

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L'esclavage revêtait tous les aspects, même les plus sordides, et la morale chrétienne a contribué à limiter l'esclavage
sexuel des filles, comme des garçons
(Éraste et Éromène, coupe attique à figures rouges Ve avant JC ; musée du Louvre).

La moralité chrétienne influence les lois de Constantin, mais le désintéressement évangélique est inconnu à l'empereur. Sous prétexte de favoriser le christianisme, il pille les trésors des temples païens et s’approprie leurs réserves d'or. Cela lui permet de frapper une monnaie d'or, le solidus qui assure la stabilité financière de l'empire et lui permet de financer sa nouvelle capitale.

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Solidus en or de Constantin frappé en 313
(retrouvé à Ticinum actuelle Pavie en Italie).

En effet, en 324, l'empereur Constantin rebâtit Byzance et l'appelle Constantinople. Pour s'éloigner de la menace des germains qui assaillent la partie occidentale de l'empire, il transfère sa capitale de Rome à Constantinople.
Les lieux saints, à Bethléem, à Nazareth, à Tibériade, au Golgotha et à Rome (les tombeaux de Pierre et de Paul) sont explorés puis protégés par des églises.

En 325, Constantin convoque le Concile de Nicée. Il souhaite que le christianisme soit le ciment de son empire et veut que sa doctrine soit formulée de façon précise et homogène. Les persécutions ont interdit aux chrétiens de se réunir, de discuter et de se mettre d'accord sur la formulation de leur foi. Constantin a manifestement conscience des nuances doctrinales qui traversent le christianisme et il souhaite que les Patriarches se mettent d'accord. Les patriarches de chaque Église locale se retrouvent à Nicée pour décider en commun la façon orthodoxe de décrire le Christ. Le prêtre et philosophe Arius (256-336) vient d'Alexandrie pour le Concile. Il s'est appliqué à définir la Trinité dans le langage d'Aristote. En raison du monothéisme strict de l'Ancien Testament, il pense que les Personnes au sein de la Trinité ne peuvent pas être égales. Si Dieu est incréé, Il ne peut pas être engendré comme le serait le Christ. Or, selon les écritures et la foi de bien des chrétiens, le Christ est homme et Il est Dieu. Mais dans quelle proportion et à quel moment est-il l'un ou l'autre... ? Les patriarches réfléchissent et Constantin doit faire preuve d'autorité pour qu'ils tranchent. Finalement, lors du concile de Nicée, il est convenu que « Jésus Christ est le Fils de Dieu, engendré et non pas fait, consubstantiel au Père. ». Arius est désavoué.

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Icône orthodoxe représentant Constantin et les conclusions du concile de Nicée.

L'« engendrement du Fils »  par le Père, et le fait qu'il ne soit pas créé, provient du Prologue de Jean, mais le terme « consubstantiel » pose problème aux Patriarches orientaux. Ils souhaitent que les termes définissant le Christ soient pris dans le Nouveau Testament. Or, il n'y est pas écrit que le Christ est consubstantiel au Père, ce qui signifie « de même substance, de même métal ».

En 341, les théologiens souscrivent aux critiques des Patriarches orientaux : ils choisissent 26 citations des Écritures pour définir le Christ de façon orthodoxe. Jésus est « le seul Dieu engendré par qui tout a été fait, engendré du Père avant tous les siècles, Dieu de Dieu, tout de tout, unique de l'unique, parfait de parfait, roi de roi, Seigneur de Seigneur, Verbe vivant, sagesse vivante, vraie lumière, voie, vérité, résurrection, pasteur, porte immuable et sans vicissitudes, image adéquate de la divinité, de la substance, de la volonté, de la puissance et de la gloire du Père, premier-né de toute création, qui au commencement était en Dieu, Verbe de Dieu, suivant les Évangiles. »*.

En 354, l’évêque de Rome, Libère, christianise deux fêtes païennes, la première liée au mithraïsme - la renaissance de Mithra fêtée au solstice d'hiver – et la seconde liée au culte du Soleil invaincu - célébré le 25 décembre. Il décide que la naissance du Christ sera célébrée le 25 décembre.
Cependant, dès 385, Saint Jean Chrysostome fait remarquer dans son homélie pour la fête de la nativité que ce choix n'est pas arbitraire**. En effet, le prêtre tiré au sort pour offrir l'encens sur l’autel de Yahvé officiait en septembre, à la fête de Kippour. Zacharie, l’époux d’Élisabeth, servait donc au Temple début septembre (Luc 1, 9).

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L'ange Gabriel apparaît à Zacharie pendant son service au Temple
(vitrail de l'église Saint-Pierre-le-Jeune ; Strasbourg).

Selon la promesse faite par Gabriel (Luc 1, 24), son épouse Élisabeth devient enceinte de Jean Baptiste juste après, donc courant septembre. Le sixième mois de la grossesse d'Élisabeth se situe alors fin mars, c'est le moment où l'ange Gabriel annonce à Marie l'incarnation de Jésus (Luc 1, 36). Marie accouche naturellement neuf mois après l'Annonce de Gabriel, donc fin décembre. On a vu que la conjonction de Jupiter, de Mercure et de Saturne était également très visible en décembre – 7. Finalement, c'est peut-être bien fin décembre -7 que Jésus est né. Le détail de Luc sur les bergers qui gardaient leurs troupeaux dehors (Luc 2, 8) ne suffit peut-être pas pour conclure que Jésus est né en mars – 7...
En 354, Libère, l'évêque de Rome, choisit donc de célébrer la naissance du Christ, Noël, le 25 décembre. Que ce soit le simple remplacement de deux cultes païens ou le moment réel de la naissance de Jésus, Noël est la commémoration de la venue du Fils de Dieu dans l'histoire des hommes.

Au IVe siècle, les patriarches et les Évêques sont soucieux de doctrine chrétienne et de permettre au peuple de célébrer sa foi. Gouverner n'est vraiment pas leur préoccupation.

* : Encyclopédie des religions, Tome I, p. 419 à 423, 1997, Bayard.
** :  Sol Invictus, the Winter Solstice and the Origins of Christmas, Mouseion, S. Hijmans, III-3, 2003, p. 377-398.

10. 14. L'arianisme : les pouvoirs politiques et religieux sont entre les mêmes mains.
Le théologien d’Alexandrie Arius s'est interrogé sur la nature du Christ à partir d'une réflexion philosophique. L'application de sa doctrine va démontrer à quel point nier la divinité du Christ conduit à une religion qui n'a plus rien à voir avec le christianisme. Arius croit que la nature divine du Père est supérieure à la nature humaine du Fils. Le Fils serait inféodé au Père et donc créé par Lui. Le Père ne l'aurait adopté qu'en raison de sa perfection morale. Arius refuse de se soumettre aux décisions du Concile de Nicée. Il crée un schisme et il est excommunié dès 325.

Les ariens se heurtent à l'humanité de Jésus. Il a pleuré Lazare. Ils puissent dans son humanité la conviction qu'il ne peut être Dieu. L’arianisme sombre rapidement dans des divisions incompréhensibles : d'un coté, les anoméens pour lesquels Père et Fils n'ont rien à voir ; de l'autre, la tendance orthodoxe elle-même divisée, entre les Nicéens stricts, pour qui Père et Fils sont consubstantiels, le Père étant supérieur au Fils, et Nicéens modérés, selon lesquels Père et Fils sont semblables mais non consubstantiels.

L'empereur Constantin a favorisé le christianisme, mais il souhaite préserver la cohésion de son empire. Il ne veut pas heurter la religion officielle, païenne et polythéiste de Rome. Il ne reçoit le baptême que sur son lit de mort, en 337. En fait, malgré la décision des patriarches réunis à sa demande à Nicée, Constantin demande le baptême à un évêque arien, Eusèbe de Nicomédie. A-t-il imaginé que le geste intime d'un empereur pouvait prévaloir sur les convictions de foi des Patriarches ? Mais, même quand l'empereur aspire à diriger en chrétien, le pouvoir dans l’Église du Christ lui échappe. Les pouvoirs religieux et temporel seront toujours séparés dans l’Église nicéenne. Ce qui sera le mode de fonctionnement des dirigeants ariens, ne sera jamais celui des chrétiens nicéens.

À la mort de Constantin, sa succession n'est pas réglée, ses trois fils font massacrer leurs cousins pour éviter de partager l'empire. Ils seront tour à tour empereur et conserveront l'arianisme de leur père. Ils continuent de légiférer contre le paganisme et interdisent les sacrifices d'animaux en 356. Ils laisseront finalement le pouvoir à un jeune cousin qu'ils ont épargné et fait éduquer. Il s'agit de Flavius Claudius Julianus, surnommé Julien l'Apostat par les chrétiens.
De 361 à 363, Julien l'Apostat est empereur à Constantinople. Élevé dans l'arianisme, il opte finalement pour le mithraïsme, mais peut-être finalement devient-il simplement athée sous couvert d'un retour au paganisme. Homme de culture formé à la philosophie grecque, il fait preuve de tolérance et restaure les cultes païens, tout en autorisant toutes les religions, y compris le judaïsme et le christianisme.

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Solidus de l'empereur Julien dit l'Apostat (361-363).

L'empereur Julien méprise le christianisme et il lutte contre lui. Il interdit aux chrétiens d'enseigner les disciplines dites profanes, la grammaire, la rhétorique et la philosophie. « Qu'ils cessent d'enseigner ce qu'ils ne prennent pas au sérieux ou qu'ils l'enseignent comme la vérité et instruisent les élèves en conséquence. ». Il souhaite que les chrétiens prennent conscience par eux-mêmes de leurs erreurs mais il ne les y contraint pas. Il écrit un pamphlet, Contre les Galiléens, où il critique l'intolérance du christianisme. Pour lui, le judaïsme est supérieur, même s'il s'étonne que Dieu soit apparu dans un si petit pays. Il tentera de reconstruire le Temple de Jérusalem, mais sa mort interrompra les travaux et un tremblement de terre détruira le peu qui avait été reconstruit.
Quelles que soient les critiques de l'empereur Julien vis-à-vis du christianisme, il constate lui-même que la charité et la moralité des chrétiens restent inégalées. Pour concurrencer les chrétiens, Julien fonde des institutions charitables et préconise une bonne moralité des prêtres païens. Même revenu au paganisme, il garde un attachement aux ariens qui l'ont élevé. Ainsi, condamne-t-il le massacre de l'évêque arien Georges d’Alexandrie par des païens. Considérant que des chrétiens d'Alexandrie ont dû participer au lynchage de l’évêque Georges, Julien ordonne l'expulsion du patriarche chrétien d’Égypte, Athanase. C'est le troisième exil du vieil évêque Athanase. Il défendait la divinité du Christ face aux ariens et était resté un fidèle défenseur de l'orthodoxie chrétienne qui proclame la double nature du Christ, humaine et divine.

Les successeurs de l'empereur Julien jusqu'en 379 - Jovien, Valens et Gratien - sont également ariens. Ils luttent aux frontières contre de multiples invasions : Goths, Perses, Traces, Sassanides.

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Coupole du baptistère des Ariens
(édifié par le roi des Ostrogoths Théodoric l’Amale, au Ve siècle ; Ravenne, Italie).

L'arianisme se répand chez les barbares : Vandales, Burgondes, Ostrogoths, Wisigoths. Pour une raison purement théologique, la version arienne de la foi chrétienne est préférée par les barbares. En effet, avant leur conversion, les chefs barbares détiennent à la fois les pouvoirs politique et religieux, puisque les Goths croient que leurs familles nobles descendent des Ases, les dieux nordiques. Les chefs barbares sont donc censés être habités d'une puissance divine. Selon l'arianisme, Dieu ne s'est pas incarné, Il ne vit pas sur terre et Il ne communique donc pas avec les hommes. Le peuple n'est donc plus en communication directe avec Lui. Le Christ n'étant plus Dieu, mais un « surhomme », les chefs barbares s'identifient à lui. Ils peuvent ainsi continuer d'être les chefs temporels et spirituels de peuples qui attendent toujours de leurs dirigeants la parole divine, puisque eux-mêmes sont exclus de l'intimité de Dieu. Les Burgondes se stabilisent dans le sud-est de la Gaule ; les Ostrogoth en Ukraine et en Russie ; les Wisigoths en Europe centrale, dans le sud-ouest de la Gaule et en Espagne. En raison de la supposée inspiration divine de leurs chefs, ces tribus barbares converties à l'arianisme créent des états où les pouvoirs politiques et religieux sont entre les mêmes mains. En effet, les chefs barbares détiennent naturellement le pouvoir régalien, mais ils sont également les seuls à bénéficier de l'inspiration divine et sont donc seuls aptes à diriger l’Église. La mise en pratique de l'idéologie d'Arius montre ainsi qu'elle est bien une hérésie au regard des Évangiles.
Selon l'arianisme, le peuple ne reçoit donc plus l'Esprit Saint malgré la promesse du Christ (Jean 15, 26-27) : les hommes ne sont plus égaux. Ne recevant plus l'inspiration divine, les ariens du peuple ne sont plus, ni prêtres, ni prophètes, ni rois et ils ne forment plus les membres de l’Église dont le Christ est la tête (1 Corinthiens 12, 27). On voit que la Trinité étant oubliée, l’égalité entre les hommes est rompue : l’Église n'existe plus.

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Inspiration divine par l'Esprit-Saint, représentée ici symboliquement (Bible historiale de Guiard des Moulins,
Paris, XIVe siècle ; BnF). Elle est offerte à tous les chrétiens nicéens et refusée aux ariens du peuple.

Les Vandales se convertissent à l'arianisme en Europe centrale avant d'envahir l'empire romain. Ils traversent la Gaule et arrivent en Espagne, puis ils traversent le détroit de Gibraltar. En 430, ils assiègent Hippone pendant l'agonie de Saint Augustin. Ils conquièrent le Maghreb, retrouvant les terres d'origine d'Arius, et fondent un royaume qui dure jusqu'en 534. Ils nient la divinité du Christ et installent leur foi arienne au Maghreb à coté de l’Église chrétienne, de l’Église donate - apparue après la persécution de Dioclétien - et du manichéisme.

L'arianisme ne disparaîtra des royaumes barbares qu'au VIe siècle, suite à l'influence byzantine. Moins d'un siècle avant le début de la prédication de Mohamed, les ariens perdront le soutien d'un état, mais ils feront le lit de l'islam au Maghreb en reconnaissant le rôle de Messie à Jésus, tout en lui refusant la divinité. À leur suite, les musulmans créeront une civilisation où pouvoirs religieux et temporel sont fusionnés et où le peuple attend de son calife la direction de Dieu : « Obéis à Dieu et obéis au Prophète et à ceux qui parmi vous détiennent l'autorité » (Sourate 4, 59).

En effet, les ariens auront expérimenté la fusion entre les mêmes mains de tous les pouvoirs, politique et religieux, conséquence de la foi en un Dieu silencieux - Absolue Transcendance - qui ne vient plus au devant de son peuple.

10. 15. L'empereur et les patriarches : « Les choses divines ne sont point sous dépendance de l’Empereur ».

En 379, Théodose est proclamé empereur, il s'agit du premier empereur chrétien dont la foi est conforme au concile de Nicée. Il croit en la double nature du Christ, divine et humaine à égalité. Il règne jusqu'en 395. Désormais, l'empire est chrétien, au sens orthodoxe du terme.

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Pièce romaine à l'effigie de l'empereur Théodose Ier.

En 391, par l'édit de Théodose, le christianisme devient religion d’État. Les cultes païens sont interdits en public. Partout dans l'empire, des temples sont détruits. En 389, Marcel, évêque d'Apamée en Syrie, est tué par des paysans révoltés alors qu'il surveille la destruction de leur temple dédié à Bel. À Pétra, à Hélioupolis au Liban, à Raphia en Palestine, des païens se rebellent contre la destruction de leurs temples. L’évêque de Gaza, Porphyre (396-420), obtient en 401 l'aide de l'impératrice Eudoxie qui envoie la troupe pour détruire les temples de Gaza. D'autres temples sont transformés en églises, ce qui les préserve. Ainsi à Damas, le temple principal à Zeus Damacène devient l’église Saint Jean Baptiste, avant que les musulmans ne le transforment en mosquée au VIIIe siècle. En Égypte, les temples de Denderah, d'Esna ou de Koum Oumbo sont réaménagés en églises. La pratique de la momification s'arrête. Quelques prêtres d'Isis se réfugient au sud du pays, dans l'île de Philae sur le Nil, préservant encore quelques années la mémoire des hiéroglyphes. Alexandrie est la proie de divisions entre païens et chrétiens, qu'ils soient ariens ou nicéens. Au cours d’une émeute, en 391, des chrétiens se réfugient dans la bibliothèque d’Alexandrie, le Sérapéion, où la mémoire de l'Antiquité est conservée. Ses chefs-d’œuvre littéraires et scientifiques disparaissent dans l’incendie qui clôt l’émeute. D'après ibn Khaldoum, c'est le calife Omar qui fera disparaître, au VIIe siècle, ce qui restait de la glorieuse bibliothèque d'Alexandrie.
Si la religion chrétienne devient religion d'état, le judaïsme est protégé par l'empereur Théodose. En 388, sur les bords de l'Euphrate, la synagogue de Callinicum est détruite par des moines fanatisés. L’empereur Théodose exige qu'elle soit reconstruite au frais des coupables. L'évêque de Milan, en Italie, Ambroise (339-397) exprime son désaccord face à cette reconstruction, au nom de la véritable religion. Dans cette position contestable d'Ambroise, on voit la manifestation de la séparation des pouvoirs spirituels et temporels, typique du christianisme nicéen.

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Ambroise
(mosaïque du Ve siècle ; basilique de Milan).

Cette indépendance de l'évêque Ambroise se manifeste encore lorsque l’empereur fait massacrer d'innocents païens. En 390, quand le christianisme devient religion d'état, une révolte païenne survient à Thessalonique. L'empereur Théodose feint d’organiser des jeux du cirque pour attirer des païens, les seuls intéressés par ce spectacle. L'armée enferme alors les spectateurs - plusieurs milliers d'adultes et d'enfants dont le seul tort est d'avoir voulu assister aux jeux - et les massacre. Ambroise exigera et obtiendra de l’empereur Théodose une pénitence publique.

L'évêque Ambroise s'oppose toute sa vie aux empereurs successifs dès qu'ils tentent de réintroduire des pratiques païennes : « Si l’empereur me demandait ce qui est à moi, mes terres, mon argent, je ne lui opposerais aucun refus, encore que tous mes biens soient aux pauvres. Mais les choses divines ne sont point sous la dépendance de l’empereur ! » (Ambroise, Lettre 20, 8).
Avec l'évêque Ambroise, dès que l'empereur devient chrétien, on voit apparaître la séparation entre pouvoir temporel et spirituel qui existait déjà en germe dans la parole du Christ. Quelles que soient les fautes des chrétiens, cette séparation est la marque du christianisme et elle évoluera vers la séparation des pouvoirs démocratiques.

En 395, l'empire romain est définitivement partagé entre, à l'Est l'empire d'orient dirigé de Constantinople et, à l'Ouest, celui d'occident gouverné de Rome. Ils resteront séparés, même s'ils sont l'un et l'autre chrétiens.
En 410, Les Wisigoths, conduits par Alaric, pillent Rome.
En 415, la brillante philosophe et mathématicienne Hypatie, fille du dernier directeur de la bibliothèque d’Alexandrie est lynchée par des chrétiens qui lui reprochent de s'opposer à la réconciliation entre le Patriarche et le préfet romain (Socrate le scolastique, Histoire Ecclésiastique (vers 440), VII, 14). Quand ils désobéissent à la parole du Christ, les chrétiens ne sont pas meilleurs que les autres. Seules les spécificités de leur foi les conduiront à la démocratie, là où leur nature humaine ne les aurait pas forcement prédisposés à aller.

En 441, au concile d’Éphèse, les chrétiens nestoriens sont considérés comme hérétiques. Pour eux, la nature humaine du Christ prend le pas sur sa nature divine. Les nestoriens continueront à évangéliser en dehors de l'empire byzantin, en Asie centrale et jusqu'en Chine. Les médecins fondateurs des hôpitaux des empires musulmans seront des chrétiens nestoriens.

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Stèle nestorienne édifiée en 781 en Chine témoignant de l'expansion du christianisme nestorien.

En 451, le concile de Chalcédoine proclamera que « Jésus-Christ notre Seigneur est une seule personne en deux natures, [divine et humaine] qui subsistent sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation. ». Les monophysites, qui en opposition aux nestoriens, croient que la nature divine du Christ a pris le pas sur sa nature humaine, sont à leur tour déclarés hérétiques. Les monophysites persisteront au Moyen-Orient, à la limite de l'empire byzantin. De nos jours, les coptes d’Égypte sont toujours monophysites.

En 455, Rome est prise par les Vandales.
Le 4 septembre 476, le dernier empereur romain d’Occident, Romulus Augustule, rend ses insignes à Odoacre, le roi d'une tribu germanique. C'est la fin de l'empire romain fondé en 753 avant JC. L'empire byzantin de Constantinople devient son seul héritier. Le Nord de la Gaule romaine est conquise par des tribus franques.

En 496, le roi franc Clovis remporte contre toute attente la victoire de Tolbiac contre les Alamans. Avant le combat, il s'était engagé à se convertir au christianisme nicéen si « Jésus que sa femme Clotilde dit Fils de Dieu, lui donne la victoire ». Malgré le risque qu'il court de voir ses hommes l'abandonner s'il perd son aura divine, il refuse l'arianisme et reçoit le baptême chrétien nicéen de Rémi, le charismatique évêque de Reins.

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Baptême de Clovis
(
Les Grandes Chroniques de France, XIVe siècle ; bibliothèque municipale de Castres).

En 529, à Constantinople, l'empereur byzantin Justinien prend deux mesures pour lutter contre le paganisme. D’une part les païens de l'empire byzantin sont obligés de recevoir le baptême. D'autre part, il fait fermer les écoles de philosophie grecque d'Athènes. Les professeurs restés païens fuient vers l'empire perse où ils contribueront à implanter une école de philosophie. Ils préserveront les écrits et le savoir d'Aristote et de Platon dans lesquels puisera l'islam à venir.
En 537, l'empereur Justinien fait fermer, et convertir en église, le dernier temple égyptien qui s'était maintenu clandestinement dans la lointaine Philae (au sud de l’Égypte). Quelques prêtres y avaient maintenu le culte d'Isis ... et entretenu la connaissance des hiéroglyphes. Il faudra attendre Champollion, en 1820, pour qu'ils soient à nouveau compris.

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L'empereur Justinien et sa cour (Mosaïque du VIe siècle ; basilique Saint-Vital à Ravenne).

Il ne s'agit donc pas de prétendre que les chrétiens sont supérieurs ou meilleurs que les autres. Les prêtres - et les évêques eux-mêmes - ont les faiblesses et les tentations qui sont celles des hommes. Simplement le contenu de leur foi chrétienne va les conduire là où leur nature humaine ne les aurait pas prédisposés à aller...

À l'instauration d'états chrétiens nicéens, la séparation des pouvoirs temporel et spirituel est le premier fruit de la civilisation chrétienne.


10. 16. Philosophie et foi chrétienne, Saint Augustin (354-430).
Aristote était convaincu que l'homme est responsable de ses actes, les femmes comme les hommes, les esclaves comme les hommes libres. C'est une position identique à la doctrine chrétienne. Qu'un païen ait découvert la vérité par la raison, donne aux chrétiens le signe que la Sagesse de Dieu instruit tous les hommes de bonne volonté.

Diaboliser le monde païen aurait pu être la tentation des chrétiens. Au IIIe siècle, Tertullien (150-220), un Père de l’Église de Carthage, pense que la sagesse des philosophes antiques s’oppose à la Sagesse divine. Mais Aristote  convainc les docteurs de l’Église du contraire. À la même époque, Clément d’Alexandrie (150-220) réconcilie philosophie et foi : « La foi est greffée sur l’arbre de la philosophie ».

Saint Augustin (354-430), évêque d’Hippone (Annaba en Algérie), achèvera cette synthèse : il se sert des outils de la dialectique grecque pour discourir sur la doctrine chrétienne. Les vérités bibliques peuvent être retrouvées et exprimées dans le langage de la philosophie. Ce n'est qu'au XIIe siècle qu'Averroès s'essayera à la même démarche pour l'islam.

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Saint Augustin d'Hippone (Vittore Carpaccio, XVIe siècle).

Augustin naît à Thagaste dans l'actuelle Algérie en 354. Éduqué par une mère chrétienne, Monique, il apprend enfant la philosophie grecque. Il devient manichéen dans sa jeunesse. Il a une compagne et un fils. Il est déçu par les manichéens qui lisent la Bible littéralement et qui sont incapables de répondre à ses questions métaphysiques. Après sa conversion au christianisme, Augustin expliquera dans ses Confessions (Livre VII, chapitre 3) ce qui fait du manichéisme une hérésie pour les chrétiens. Dieu étant parfait et au-dessus de tout, immuable, Il ne peut entrer en conflit à égalité avec le Diable, nommé Satan ou Baal chez les manichéens. Pour Augustin, le manichéisme est donc une forme de polythéisme, puisque Dieu incarnant le Bien est, selon les manichéens, en équilibre avec Satan représentant le mal, les deux étant aussi puissants. Leur répulsion pour le mariage et la procréation sont également des points de rupture avec le christianisme qui a, lui, sanctifié le mariage (1 Timothée 4, 2) et appelé les chrétiens à purifier leur corps dans l'attente de la résurrection de la chair (Romains 6, 13-14 ; 1 Corinthiens 5, 44). Le rejet du corps, qui est le réceptacle des œuvres sataniques pour les manichéens, est incompatible avec la doctrine chrétienne : « Votre corps est  un Temple du Saint Esprit » (1 Corinthiens 6, 19).

Augustin part s'installer à Rome pour fuir la communauté manichéenne de Carthage qui l'a déçu. À Rome, il se convertit brutalement au christianisme après avoir entendu une voix enfantine (angélique ?) qui lui ordonne « Ouvre et lis ! ». Il ouvre la Bible au hasard et tombe sur ces versets de l'épître aux Romains : « Point de ripailles, ni de beuveries ; point de stupre, ni de débauches ; point de querelles, ni de jalousies. Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ » (Rm 13, 13-14). Sa conversion est immédiate. Il est catéchumène de l'évêque Ambroise qui lui apprend la lecture allégorique de la Bible.

De retour à Carthage, il aspire à la vie monacale, mais il est ordonné prêtre contre son gré lors d'un séjour à Hippone. En 395, il est élu évêque d'Hippone. Il termine donc sa vie à Hippone, instruisant les catéchumènes et luttant par toute la puissance de son verbe contre les manichéens et les donatistes, ces chrétiens qui avaient fait sécession après la persécution de Dioclétien. Il laisse donc de nombreux écrits théologiques destinés à instruire les fidèles et à contrecarrer les hérésies. On y trouve plusieurs concepts originaux. Le concept d’inconscient est en prémisse dans ses Confessions. Ses expériences mystiques nous sont suggérées : « Tu nous a faits pour Toi, Seigneur, et notre esprit est sans repos jusqu'à ce qu'il repose en Toi ». Il décrit ce qu'il perçoit de la Trinité : « Les Personnes divines ne sont plus trois : l’un aimant celui qui tient l’être de lui (le Père), l’autre aimant celui dont il tient l’être (le Fils), et cet amour même (l'Esprit-Saint). » (De Trinitate, VI, 5, 7).

Face aux invasions barbares - en 410, les wisigoths ont pillé Rome - , Augustin théorise sur les principes d'une guerre juste. Dans La Cité de Dieu, il explique qu'une « cause juste » justifie que les chrétiens mènent une guerre défensive. Ils ne peuvent alors se rendre responsables de pillage.

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Allégorie de la cité de Dieu-cité terrestre
(Bible historiale de Guiard des Moulins, Paris, XIVe siècle ; BnF).

On lui a reproché sa diabolisation de la femme. Sa jeunesse manichéenne l'a-t-elle influencé ou bien, peut-être son éducation à la philosophie grecque ? Le discrédit de la chair est exprimé chez Platon dans Gorgias, où on lit que le corps est le « cachot de l’âme ». Pour le stoïcisme, la chasteté est le préalable à la sagesse : Sénèque juge que la perpétuation de l'espèce devrait être le seul but du désir masculin (Sénèque, De beata vita, chapitre IV). Saint Paul avait cependant reconnu une place légitime à la sexualité en reconnaissant qu'un couple puisse être heureux ensemble (1 Corinthiens 7, 3-5). Augustin attribue la Chute d'Adam et Ève à la concupiscence charnelle et qualifie la sexualité de « mouvement honteux ». Seule la procréation justifie la sexualité. Les enfants doivent naturellement être tous accueillis, nourris et éduqués avec soin. Comme tous les chrétiens, Augustin refuse l'idée qu'on laisse mourir les enfants indésirables à la naissance - les filles ou les enfants malformés - comme les romains en avaient l’habitude. Selon lui, le mariage est donc ordonné à l'engendrement des enfants. Il n'a pas vocation à être stérile comme chez les manichéens. Néanmoins, le célibat d'Augustin semble lui avoir pesé. Augustin aura une influence immense – excessive (?) - sur la façon dont l’Église concevra la sexualité.

Augustin philosophe sur la Vérité. La Vérité est incarnée par le Christ. Les hommes aiment avoir raison, car cela correspond à leur vocation humaine : ils ont été créés pour reposer dans le Christ, dans la vérité. Les hommes sont donc furieux quand on parvient à les convaincre qu'ils se trompent : « [Les hommes] aiment la vérité lorsqu'elle leur montre sa lumière ; et ils la haïssent lorsqu'elle fait voir leurs défauts. Car ne voulant pas être trompés, et voulant bien tromper, ils l'aiment quand elle se découvre à eux ; et ils la haïssent quand elle les découvre eux-mêmes. » (Les confessions, livre X, chap. 23).
Ses escarmouches verbales avec ceux qui professent une autre foi qu'il juge mensongère, l'ont instruit sur la colère de ceux que sa finesse doctrinale et sa force de conviction laissent sans voix.

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De Doctrina christiana de Saint-Augustin
(copié en caroline à Saint Riquier dans la Somme à la fin du VIIIe siècle ; BnF).

Augustin meurt de faim en 430, dans Hippone assiégée par les vandales ariens. Les armes l'ont vaincu, mais ses écrits sont toujours lus. Plus tard, l'islam fera disparaître le christianisme du Maghreb, mais bien des Pères de l’Église demeurent africains : Clément d'Alexandrie, Cyprien de Carthage, Lactance, Athanase d'Alexandrie et naturellement Augustin d'Hippone.

Les Confessions, livre X, Saint-Augustin, Flammarion, traduction Arnauld d'Andilly.
Saint Augustin. La conversion en acte. Marie-Anne Vannier. Éditions Entrelacs. 2011.

10. 17. Le savoir grec est préservé en terre chrétienne.
Les grecs antiques avaient inventé la philosophie, mais également les bases des sciences exactes avec le concours de mathématiciens d'exception, Pythagore, Thalès...

Au Ve siècle avant JC, Parménide affirme que la terre est ronde. Hipparque (190-125) divise le globe en 360 degrés. Aristaque de Samos (310-230) pense que la terre tourne autour du soleil, mais il ne convainc pas ses contemporains. Son intuition attendra la confirmation de Copernic. Au IIe siècle après JC, Ptolémée (90-168) décrit les côtes, les cours d'eau et les reliefs du monde connu qui va des îles Canaries à l'Ouest à l'île du Siam à l'Est et de 16° de latitude nord à 63° de latitude nord. Ses cartes seront connues des arabes mais seront oubliées des européens jusqu'au XIVe siècle.

Néanmoins, les chrétiens n'ont jamais, ni rejeté, ni oublié, le savoir grec antique. Les évangiles ont été écrits en grec. Dès le début, la culture grecque fait partie de la culture chrétienne*.
Au Moyen-Orient, les chrétiens syriaques sont restés fidèles aux textes antiques. À partir du IVe siècle, ils traduisent dans leur langue, le syriaque, les ouvrages grecs de philosophie, de mathématiques et de médecine et sans attendre la conquête arabo-musulmane (*1). Ils n'hésitent pas à y trouver les connaissances qui manquent à la Bible, par exemple en astronomie et en cosmologie. Les syriaques continuent à accepter la rotondité de la terre découverte par les grecs antiques. Ce sont eux qui transmettront le savoir grec aux musulmans dans les siècles à venir (*2).

En Europe, la christianisation conduit à un rejet relatif du savoir grec. Au VIe siècle, l'enseignement classique des sept arts libéraux (la paidéia), issu de la culture grecque, disparaît en Europe. Il est possible que ce soit la christianisation, plus que les invasions barbares, qui ait entraîné l'arrêt de l'enseignement classique considéré comme liée au paganisme. Néanmoins, les textes en grec sont préservés dans les bibliothèques des monastères à Rome, à Ravenne, au monastère du Vivarium en Italie. Certains textes grecs sont traduits en latin et restent accessibles. Boèce (480-524) traduit Aristote (Consolation de la philosophie et Logique d'Aristote). Martinius Capela (Ve siècle) expose le programme de la paidéia : arithmétique, géométrie, astronomie, musique, grammaire, rhétorique et logique (Noces de Mercure et de Philologie). En 400, Caldidius évoque la cosmologie grecque dans le commentaire du Timée de Platon (*2). Si les sciences grecques ne sont plus enseignées à tous, elles sont préservées dans les monastères et enseignées aux clercs.

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Les Noces de Philologie et de Mercure
(Martianus Capella, copie du Xe siècle ; BnF).

Si les chrétiens syriaques ont conservé le savoir grec sans se soucier qu'il soit fidèle à la lettre de la Bible, partout des savants chrétiens doutent des connaissances grecques. En ce qui concerne la forme de la terre, le christianisme hésitera entre disque et sphère. Augustin (354-430), Jean Chrysostome (344-407) ou Lactance (250-325), le précepteur des fils de l'empereur Constantin, ne peuvent croire que la terre est une sphère. « Qui serait assez insensé pour croire qu'il puisse exister des hommes dont les pieds seraient au-dessus de la tête ou des lieux ou des choses puissant être suspendues de bas en haut, les arbres pousser à l'envers, ou la pluie tomber en remontant ? » (Institutions divines, Lactance). Au VIe siècle, Cosmas d’Alexandrie, un moine grand voyageur, affirme que la terre est clôturée de murailles derrière lesquelles se couche le soleil. Mais Jean Philopon (490-575) lui répond de l'école d'Alexandrie et il choisit de lire la Bible de façon allégorique. Dans son ouvrage, La Création du monde, il décrit bien une terre sphérique.

Le savoir grec persiste donc en Europe chrétienne. Au VIIe siècle, Isidore de Séville (560-636), évêque en Espagne, fait la synthèse entre savoir antique et foi chrétienne. Le frère d’Isidore, Léandre, l'a précédé dans la charge d’évêque de Séville. Léandre a conduit le roi wisigoth arien à la conversion au christianisme nicéen puis il a fondé une bibliothèque pour conserver les manuscrits antiques. Éduqué par son frère aîné, Isidore se forme au savoir antique mais étudie également les Père de l’Église. Sa vision du monde est influencée par le contenu biblique. Selon lui, la Bible est La Vérité, y compris en science. Il relit le savoir antique à la lumière de la foi chrétienne. Il écrit son œuvre majeure, 20 volumes nommés Étymologie, où il reprend tout le savoir grec antique, et - innovation qui aura de l'avenir - présente chaque item par ordre alphabétique. Certains de ses raisonnements font aujourd'hui sourire - ses recherches étymologiques s'appuient sur des similitudes de sonorité davantage que sur l'origine linguistique - mais ses ouvrages seront copiés puis imprimés pendant 1000 ans, préservant le savoir grec antique en Europe chrétienne.

Le Moyen Âge dessinera le monde pendant 800 ans sur des cartes dites en « T.O ».
Sur les 600 cartes médiévales T.O. qui subsistent de nos jours, la terre est un disque plat, entourée d'océans. La terre a donc une forme de « O ».

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Oekoumene, les terres émergées
(Carte en TO dans une copie du XIIe siècle d'
Étymologies d'Isidore de Séville).

Une mer centrale en forme de T sépare les terres émergées. L’Asie est en haut de la carte, au dessus de la barre horizontale du T. À gauche de la barre verticale du T, l'Europe, et à droite l'Afrique. La barre verticale du T est la mer Méditerranée et la barre horizontale le Danube et le Nil qui coulent dans le prolongement l'un de l'autre. Selon Isidore de Séville cette séparation du monde en trois correspond au partage entre les trois fils de Noé : Sem en Asie, Cham en Afrique et Japhet en Europe. Jérusalem y est située au centre du monde, en fidélité avec le texte d’Ézéchiel (5, 5). Isidore de Séville place le paradis à l'Est, donc sur terre. On y trouve également l'enfer qui aurait donné le bitume servant à construire la muraille éloignant Gog et Magog. On a vu que l'histoire de la muraille servant à éloigner Gog et Magog est un mythe inventé au IVe siècle qui sera repris avec le plus grand sérieux par le Coran (S. 18, 93-97) qui en attribue la construction à Alexandre le Grand.

Néanmoins, dans son œuvre majeure Étymologie où il transmet la plus grande partie du savoir grec aux chrétiens d'occident, Isidore de Séville (560-636), exact contemporain de Mohamed, décrit la terre comme une balle (*1). Les milieux chrétiens les plus instruits savent que la terre est ronde, même s'ils ignorent encore qu'elle tourne autour du soleil.

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Isidore de Séville tend son œuvre à sa sœur Florentine qui la reçoit à genoux (manuscrit latin du VIIIe siècle ; BnF).
Les religieux, qu'ils soient hommes ou femmes, recevaient la meilleure éducation possible.

Au VIIe siècle en Europe chrétienne, malgré les invasions barbares, le savoir grec a survécu. Dès la fin du VIIe siècle, Bède le Vénérable, en Angleterre, en relancera l'étude.

* : Aristote au Mont Saint-Michel, *1 : p. 87 / *2 : p 27 , Sylvain Gouguenheim, Seuil. 2008.
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:24

10 . LES RELIGIONS PRÉISLAMIQUES.
De 130 à 610.



10. 1. Les cultes orientaux d'Isis, de Cybèle et de Mithra.
10. 2. La Gnose et les mouvements gnostiques.
10. 3. Au milieu du IIe siècle, Basilide invente la substitution du Christ par un sosie sur la Croix.
10. 4. Influences des textes apocryphes juifs et du Midrash sur l'islam à venir.
10. 5. Les Apocryphes chrétiens.
10. 6. Les Apocryphes chrétiens inspirateurs de Mohamed ? La vie de Marie.
10. 7. Apocryphes inspirateurs de Mohamed ? La vie et la mort du Christ.

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10. 8. En 150, la première occurrence historique de la Mecque.
10. 9. Mani (216-274) et le manichéisme, un monothéisme oublié ?
10. 10. L’influence du manichéisme sur l'islam.
10. 11. Trois siècles de persécutions envers les chrétiens.
10. 12. Une légende apologétique chrétienne qui contaminera le Coran : les sept dormants d'Éphèse.

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10. 13. Constantin (306 à 337) et l'organisation de la foi chrétienne.
10. 14. L'arianisme : les pouvoirs politiques et religieux sont entre les mêmes mains.
10. 15. L'empereur et les patriarches : « Les choses divines ne sont point sous dépendance de l’Empereur ».
10. 16. Philosophie et foi chrétienne, Saint Augustin (354-430).
10. 17. Le savoir grec est préservé en terre chrétienne.
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10. 18 . La Djāhiliyya : paganisme, judaïsme, christianisme, hérésie, autant d'inspirations pour le Coran.
10. 19. Les hommes des tribus du Hedjāz au temps de la Djāhiliyya : organisation sociale, tabous et mythologie.
10. 20. La Kaaba préislamique.
10. 21 . Au VIe siècle, au Moyen-Orient : juifs et chrétiens s'opposent ; Perses et Byzantins s'affrontent.
10. 22. En 570, Mohamed vient de naître, ou comment les faits historiques sont retranscrits dans le Coran.

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:25

CHAPITRE 10 (FIN) : LES RELIGIONS PRÉISLAMIQUES.

De 130 à 610.

10. 18 . La Djāhiliyya : paganisme, judaïsme, christianisme, hérésie, autant d'inspirations pour le Coran.
La Djāhiliyya est la période qui précède la révélation coranique. L'étymologie de ce mot signifie « espace sans repère où l'on se perd », comme dans le désert des tribus arabes. Dans la terminologie coranique, il s'agit donc de la période d’obscurantisme précédant la révélation de Mohamed. « Ne vous montrez pas de la façon dont on se montrait lors de l'ancienne ignorance. » (S. 33, 33) dit le Coran aux femmes qu'il souhaite voir sortir voilées ou rester confinées au fond de leur maison.

Le 19 mai 363, Pétra, la ville commerçante nabatéenne en Jordanie actuelle, est détruite par un tremblement de terre. Elle ne sera jamais reconstruite et périclitera peu à peu. Aux alentours de l'an 500, on trouve la dernière mention écrite de Pétra dans un texte de son évêque Anthenogenes. La ville s'était christianisée peu à peu, tout en gardant ses cultes païens. De nos jours, trois églises ont déjà été retrouvées à Pétra, mais les fouilles de la ville ne sont pas achevées. Si Pétra était en train de se christianiser lors de sa destruction, son architecture si typique garde le souvenir de ses croyances polythéistes célébrées dans des temples grandioses. Quelques rares inscriptions retrouvées sur les parois rocheuses des sites nabatéens nous permettent de connaître leurs divinités. Parmi elles, on trouve Al-Kutvā la divinité du commerce et de l'écriture, Atargatis la déesse syrienne du culte des eaux, Manawatū la déesse du destin qui connaît la part qui échoit à chaque homme, Qôs le dieu de l'orage originaire du pays d'Édom. À coté de déesses grecques, telle Aphrodite, ou égyptiennes telle Isis, on trouve Zeus, dit « le très haut » qui est assimilé à Dusharā, le dieu masculin principal. « Dusharā A'ra de Bosrā » est cité dans plusieurs sanctuaires nabatéens (CIS 218 ; CIS 190 ; RES 83) **.

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Dusharā représenté à Pétra.

Dusharā, ce dieu dominant et masculin, est associé à une triade féminine : Uzzā, Allat et Manāt. Ce panthéon nabatéen est donc connu par des inscriptions sur des parois rocheuses, mais également par le Coran. En effet, trois divinités nabatéennes, Uzzā, Allat et Manāt, ont leur place dans le Coran, signant la permanence du culte nabatéen chez les contemporains de Mohamed : « Et bien les voyez-vous, Lāt et Uzzā, ainsi que Manāt, cette troisième autre. » (Sourate 53, 19-20).

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La déesse Al-Uzza (tympan du temple de Khirbet et-Tannur).

Les Nabatéens rendaient également un culte à des pierres sacrés, nommées bétyles, dans des temples où ils étaient oints, enduits de sang d'animaux. « Bet » signifie demeure et « El », dieu. Les bétyles ne sont donc pas simplement des pierres sacrées, mais le réceptacle d'une divinité. Les arabes des tribus du temps de Mohamed, dans tout le Hedjāz avaient conservé cette pratique religieuse, ce culte bétylique. Chez les contemporains de Mohamed, des lieux dit haram étaient sacrés. Ils étaient délimités par des pierres de bornage, les ansāb, dont certaines existent toujours à la Mecque. Au sein des lieux haram se trouvaient des pierres sacrés, les bétyles, habités par des puissances surnaturelles protectrices (*1). La Kaaba de la Mecque est un haram - un espace sacré protégeant des bétyles - typique des croyances de la Djāhiliyya et comme il en existait partout en Arabie.
Les Nabatéens de Pétra et de Hégrā avaient donc disparu à la naissance de Mohamed, mais leurs déesses « Lāt, Uzzā et Manāt » étaient toujours honorées par les mecquois contemporains de Mohamed. Quant au culte des bétyles, il garde naturellement une survivance dans l'islam avec la vénération de la Pierre Noire de la Kaaba, bétyle nabatéen dont le culte se prolonge encore de nos jours.

En 380, le royaume himyarite se convertit au judaïsme au sud du Hedjāz.
Au Yémen actuel, le royaume himyarite se forme en 275 par la réunion de plusieurs tribus et il englobe la moitié sud de l'Arabie Saoudite actuelle, dans une zone suffisamment tempérée pour qu'il puisse y exister une agriculture. Ce royaume himyarite se convertit au judaïsme en 380, mettant fin au paganisme. À partir de l'araméen, il introduit en langue sabéenne, les mots « slt » pour Salāt, prière, et « zkt » pour Zakāt, aumône, qui seront repris exactement dans les mêmes termes par le Coran. Puis peu à peu, le christianisme y pénètre à la suite des caravanes. Juifs et chrétiens y nomment Dieu, Rahmānān, soit le miséricordieux, ce que reprendra le Coran en arabe avec al-Rahmān, le nom donné tout au long du Coran à Allah, le miséricordieux.
Théodore le Lecteur raconte dans son Histoire ecclésiastique que les Himyarites commencent à se convertir au christianisme sous l'empereur Atanase (491-518). Les premières inscriptions chrétiennes, effectivement datées du Ve siècle, ont été retrouvées dans l'oasis de Najran dans l'actuelle Arabie Saoudite (*1). Le christianisme est alors perçu comme une hérésie par le royaume juif himyarite. En 470 a lieu la première persécution contre les chrétiens. Puis en 523, huit-cents chrétiens sont martyrisés. Le royaume himyarite ne disparaîtra qu'en 571 avec la conquête perse.

Vers 520, au nord, la tribu des Banū Ghassān devient chrétienne.
La tribu des Banū Ghassān se convertit au christianisme sous Justin 1er (518-527). Son centre religieux est à Saint Serge à Résafa, au nord de la Syrie.
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Vestige de l'église Saint-Serge en Syrie.

Des monastères et des églises sont fondés sur leur territoire. Les Banū Ghassān restent les alliés des romains jusqu'à la conquête arabe. En 529, l'empereur Justinien donne le titre de Patrice, de roi, à leur chef Aretas. Le roi Aretas fonde le monastère à Qasr al-Hayr al-Gharby dans lequel on a trouvé inscrit : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, sauveur du monde, celui qui a enlevé le péché du monde, fut construite cette porte du saint monastère, à l'époque de l'aimé de Dieu, l'archimandrite Serge... »*(1). La foi de ce royaume était donc dans la pure orthodoxie chrétienne trinitaire. Les empereurs byzantins s’appuient sur ces chrétiens d'Arabie – ils protègent les frontières byzantines des Perses voisins - et ils leur confient des postes administratifs. Ainsi la douane à Iotabè, à l'entrée du golfe d'Aqaba, à l'Ouest de l'Arabie, est-elle confiée à une tribu chrétienne*.

À l'est de l'Arabie et du Hedjāz, se trouve la Perse zoroastrienne et manichéenne. Au Nord, s'est implanté le christianisme. Le Sud de l'Arabie est juif et chrétien. À l'Ouest, l'arianisme vit ses derniers feux. En effet, au cours du VIe siècle, l’arianisme perd ses soutiens étatiques. En Europe, tous les rois barbares se convertissent volontairement au christianisme nicéen et en Afrique, le royaume vandale disparaît en 534, vaincu par l'empire byzantin. La région de la Mecque, la région du Hedjāz, reste païenne. Bukhārī (I, 1, 3) raconte, en faisant parler Aïcha, qu'un cousin de Khadīdja, Waraqa ben Naufal, un chrétien nestorien, aurait été un traducteur de l'évangile en arabe. Les nestoriens, on le rappelle, étaient des chrétiens qui niaient la divinité du Christ et avaient donc été déclarés hérétiques au concile d’Éphèse en 431. Ils considéraient que l'humanité du Christ prédominait sur son origine divine. Cette légende tardive de la Tradition musulmane est en contradiction avec le Coran. En effet, quand Mohamed est accusé par ses compagnons de la Mecque d'avoir un informateur qui lui dicte la révélation, il nie farouchement recevoir sa révélation d'un homme. Si un cousin de son épouse Khadīdja, un chrétien nestorien par ailleurs arabophone, avait été un de ses proches, la dénégation coranique sonnerait étrangement : « Nous savons fort bien ce qu'ils disent : « Oui ! Quelqu’un l'enseigne, tout simplement ! » - Or, celui à qui ils l'imputent parle une langue étrangère, tandis que cette langue-ci est arabe, claire ! » (S. 16, 103). Qui dit vrai au sujet de l’inspiration nestorienne de Mohamed, le Coran ou Bukhārī ? Néanmoins, il est exact que l'empire byzantin refoule hors de ses frontières tous ceux qui ne respectent pas son orthodoxie nicéenne. Les nestoriens et les monophysites prospèrent donc aux limites de l'empire byzantin.

Pendant la Djāhiliyya en Arabie, toutes les hérésies chrétiennes peuvent s'y développer, et particulièrement dans le Hedjāz. « Arabia haeresium ferax », « l'Arabie est riche en hérésies » écrivait Théodoret de Cyr dès le Ve siècle*.

* : L'Arabie chrétienne, Michele Piccirillo, *1 : p. 198-209 ; éditions Menges, 2002.
** : Marie-Jeanne Roche, Religions préislamiques d’Arabie, Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses, 115 | 2008, 111-116.

10. 19. Les hommes des tribus du Hedjāz au temps de la Djāhiliyya : organisation sociale, tabous et mythologie.
Dans le Hedjāz, la région de Médine et de la Mecque, la société est organisée en tribus. Ces tribus ne sont fédérées par aucun état constitué, aucun royaume. Les hommes des tribus n'ont pas d'administration centralisée et n'ont donc pas besoin d'écriture. Le savoir est préservé oralement. Les nouvelles sont transmises d'oasis en campements par la récitation fidèle d'un texte oral soigneusement mémorisé, il s'agit d'un « Kitāb »*. Le souvenir de la foi en « Lāt et Uzzā, ainsi que Manāt », 250 ans après la destruction de Pétra, signe l'efficacité de la transmission orale par répétition fidèle d'un Kitāb. La culture du Hedjāz est donc orale. L'arabe classique n'existe pas encore. L'arabe classique étant par définition l'arabe du Coran écrit, il n'a été inventé qu'au moment de la rédaction du livre saint. En fait, une multitude de dialectes appartenant au groupe linguistique sud-sémitique sont parlés par autant de tribus. Quelques rares inscriptions sur la roche témoignent de cet arabe pré-islamique. La première inscription en arabe parvenue jusqu’à nous date de 328. Elle est en langue arabe, mais en caractères nabatéens. En effet, l'écriture arabe n'existe pas encore. Il s'agit de l'inscription funéraire d'un roi, qui se nomme le « « mālik » (le roi) de tous les arabes »*. Sa royauté est sans lendemain. Les hommes des tribus arabes donnent leur loyauté au chef qu'ils respectent, mais celle-ci ne dure pas après sa mort. Les hommes s'allient par des contrats équilibrés d'avantages réciproques qui ne sont pas destinés à être durables. La mort de l’un des protagonistes annule ces contrats. Ce sera encore le cas à la mort de Mohamed. Ainsi, des tribus arabes se rebelleront, n'ayant pas saisi le contenu divin de leur soumission à Mohamed. Ce seront les premières guerres à l’intérieur de l'islam. Seule l'installation de l'islam, en sacralisant le pouvoir, transformera ces contrats précaires en contrats perpétuels qui assureront la fidélité des tribus par delà la mort du chef devenu le calife.

La vie tribale a ses contraintes dont le Coran garde la trace. On doit une obéissance absolue au père. Abraham en donne l'exemple dans le Coran en manifestant sa piété filiale malgré le polythéisme de son père (S. 19, 47).
Les femmes ne sont pas des personnes morales. Le Coran leur donnera un statut et légiférera sur leurs droits et devoirs. Pendant la Djāhiliyya, les nouveaux-nés filles jugées indésirables étaient enterrées vivantes (S. 81, 8). Le Coran va interdire cette pratique : « Car quand on annonce à l’un d’eux une fille, son visage devient noir. Il se cache des gens, à cause du malheur qu’on lui a annoncé,- doit-il la garder malgré la honte, ou s’il l’enfouira dans la poussière ? » (S. 16, 58-59). Les fils sont manifestement préférés aux filles. Nous sommes donc en présence d'un patriarcat tribal.


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Un puits abandonné : la vie des hommes du désert est dure, d'autant qu'un djinn se dissimule au fond du puits...
(
Le Lever des astres chanceux et les Sources de la souveraineté, manuscrit ottoman, XVIe siècle ; BnF).

Le Coran nous renseigne également sur différents tabous qui préexistaient à l'islam, soit pour les critiquer, soit pour les confirmer.
Certaines chamelles sont sacrées.
Leur tour de boire doit être respecté (S. 26, 155) et une prescription coranique le rappelle : « Le messager de Dieu leur avait dit : la chamelle de Dieu ! À son tour de boire » (S. 91, 13). Le fait de les mutiler est puni par Dieu : les bédouins leur « coupaient les jarrets » (S. 26, 155-159) ou « les oreilles » (S. 4, 119). Que des chamelles cinq fois mères soient offertes aux idoles ou remises en liberté, suggère un culte lié à la fécondité. Le Coran récuse ces pratiques païennes : « Fendre l'oreille de la chamelle cinq fois mère, la mettre en liberté au nom d'une idole, sanctifier la brebis cinq fois mère de jumeaux, ou le chameau grand-père ou cinq fois père, Dieu n'a pas institué çà » (S. 5, 103). Néanmoins, le Coran confirme qu'Allah punit ceux qui leur manquent de respect. Les chamelles sacrées sont même utilisées par Allah pour vérifier la fidélité des croyants : « Nous leur enverrons la chamelle, comme une tentation. … Informe-les que l'eau est à partager entre eux ; oui, chacun son tour de boire... Quel fut Mon châtiment, donc et Mes avertissements ? Oui, Nous envoyâmes contre eux un Cri, un seul, et voilà qu'ils furent l'herbe fauchée par le maître de l'enclos ! » (S. 54, 27-31)*.

Les djinns - créatures du paganisme mecquois - sont introduits dans le Coran et voient leur existence confirmée par le texte saint. Les Quraysh, les habitants de la Mecque, comme vraisemblablement tous les arabes restés païens, croient dans l'existence des djinns, créatures mystérieuses et trompeuses (S. 6, 128) auxquelles ils rendent un culte (S. 34, 40-41). En répondant aux habitants de la Mecque, le Coran nous laisse entendre leurs propos : « Ou diront-ils : « Il y a des djinns en lui. » ? » Les propos des Quraysh transparaissent également dans cette autre dénégation du Coran : « Non ! Point de djinns dans votre camarade ! » (S. 7, 184). Les arabes contemporains de Mohamed croient donc à l'existence des djinns qui semblent pouvoir posséder les hommes pour les induire en erreur.

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Un djinn ligoté, enfin dépourvu de sa dangerosité
('Ağayib al-maḫlūqāt, par Mahmūd Hamadānī, manuscrit persan, 1577 ; BnF).

Les djinns ne sont pas des animaux, puisqu'ils parlent (S. 72, 1-2), qu'ils ont des préoccupations spirituelles (S. 46, 29) et qu'ils vivent en communauté (S. 46, 30) y compris dans des villes (S. 6, 130-131). Les êtres humains peuvent s'accoupler avec eux (S. 6, 128) y compris dans des relations homosexuelles (S. 72, 6). Les djinns ne sont pas non plus des humains, puisqu'ils n'ont pas été créés comme les hommes : « Il a créé l’homme d’argile sonnante comme la poterie ; et Il a créé les djinns d’une flamme de feu sans fumée. » (S. 55, 13-15). En fait, les djinns forment un double peuplement de la terre au côté des hommes, selon la formule « al-ins wa-l-djinn », « les humains et les djinns » (S. 51, 56 et S. 7. 38)**.

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Démons dansant (extrait du rouleau peint par Mohamed Siyad Qalem, Turkestan ; musée de Tokapi).

La croyance en l’existence des djinns - êtres mythologiques comme le sont les fées en occident - est donc une superstition païenne. En raison de leur présence dans le Coran, les musulmans ont cru pendant des siècles que les djinns peuplaient leurs déserts. De nos jours, ce point de vue est plus difficile à défendre. Les musulmans du XXIe siècle font donc des djinns des créatures uniquement spirituelles, des diables. Pourtant, le Coran semble bien dire autre chose. Les djinns ne sont pas des anges puisque ceux-ci affirment que leurs adorateurs ne sont pas les mêmes (S. 34, 40-41). Néanmoins, Satan, un ange, est comparé à un djinn (S. 18, 50). Les djinns, seraient donc des diables, des anges déchus ? Comment imaginer alors que certains soient devenus musulmans après avoir entendu Mohamed réciter le Coran (S. 72, 1-2 ; S. 46, 29) ? En fait, selon le Coran, les djinns ont été réduits en esclavage par Salomon pour ses travaux de chaudronnerie (S. 34, 12-13)**. Cette croyance provient du Testament de Salomon, un texte apocryphe juif écrit entre les Ier et IVe siècles. Les djinns font partie, au coté des hommes et des oiseaux (S. 27, 17), de l'armée de Salomon, le roi magicien qui parle aux fourmis (S. 27, 18) ... Les djinns ne peuvent pas être des créatures célestes puisqu'ils sont dépourvus de toute connaissance surnaturelle. En effet, ils ne prennent connaissance de la mort de Salomon que lorsqu'elle est devenue manifeste pour tous : « Puis, quand Nous eûmes pour [Salomon] décidé la mort, il n’y eut pour les avertir de sa mort que la « bête de la terre », laquelle rongea sa houlette. Puis, lorsqu’il tomba, les djinns eurent la preuve que s’ils avaient su l’invisible, ils ne seraient pas demeurés dans, le châtiment avilissant. » (S. 34, 14).

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Les bains de Tibériade avec un djinn entretenant le feu (Mehmed ibn Emir Hasan al-Su’ūdī dans
Le Lever des astres chanceux et les Sources de la souveraineté, Istanbul, Turquie, 1582 ; BnF).

Selon le Coran, les djinns tentent bien d'accéder au ciel, mais ils en sont chassés par « un bolide aux aguets » (S. 72, 9). Les djinns sont donc des créatures bien terrestres, vivant dans le voisinage des hommes, peu visibles mais industrieuses, généralement malfaisantes puisque Satan leur est comparé, mais qui peuvent néanmoins se convertir à l'islam. En fait, les djinns appartiennent au folklore et au paganisme préislamiques de la Mecque, mais leur place dans le Coran leur a conservé une existence réelle ... du moins aux yeux des musulmans.

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Deux djinns attaqués par des anges volants (Iran, vers  1580-1590). Les djinns ne sont pas des anges,
mais des créatures terrestres. En fait, il n'existe pas d'anges déchus dans la théologie musulmane :
les anges qui punissent les pécheurs en enfer restent au service de La Divinité.

Le Coran nous renseigne également sur la foi des arabes en l'existence de « filles de dieux ». Ces entités célestes féminines préislamiques ont laissé leurs traces dans le Coran : « Ils disent dans leur calomnie : « Dieu a engendré » mais ce sont des mensonges, certes oui ! Quoi ! Il aurait de préférence à des fils, choisi des filles ? » (S. 37, 151-153). Il est amusant de voir que l'argument du Coran contient sa part de sexisme. En effet, au nom de quoi Dieu préférerait-Il des garçons ? Malgré ses dénégations, le Coran conserve la foi en ces entités féminines surnaturelles, ainsi que le montre la structure grammaticale des titres des Sourates 37, « Celles qui sont alignées » et 79, « Celles qui tirent », qui sont au féminin pluriel* et qui se rapportent à des entités célestes féminines gardiennes du ciel et combattantes.

Les mœurs tribales, les convictions polythéistes, les tabous païens et les superstitions de la Djāhiliyya ont donc laissé leur trace dans le Coran. Cela permet de les connaître, mais aussi de percevoir à quel point Mohamed s'inscrit en fidélité aux mœurs et aux croyances de sa tribu, la tribu des Quraysh qui vit à la Mecque.

*:L'Arabie chrétienne, p. 194, Michele Piccirillo, ed. Menges, 2002.
** : Le Seigneur des tribus, l'islam de Mohamed, p. 189, Jacqueline Chabbi, CNRS éditions. 1997.

10. 20. La Kaaba préislamique.
Au VIe siècle, la Mecque est occupée par la tribu des Quraysh, apparentée à celle des Hachem. Aucune preuve archéologique ne permet de retrouver l'ancienneté de ce clan. Depuis un siècle, l'Arabie Saoudite a dévasté le sous sol de la Mecque et détruit ses bâtiments du Moyen Âge, et elle l'a fait sans faire de fouilles... ou sans en publier les résultats... Peut-être le clan des Quraysh, auquel appartient Mohamed, s'est-il installé à la Mecque au Ve siècle, puisque la Tradition garde le souvenir de chartes commerciales établies en 467 entre les byzantins, les perses, le roi Himyarite du Yémen et le Négus d'Abyssinie pour autoriser le commerce caravanier mecquois *. Aucune mention n'est faite nulle part d'activités ou de traités impliquant des habitants de la Mecque avant cette date. En 477, la Mecque est donc enfin peuplée, c'est certain, mais avant, la seule allusion à son existence se trouve sur la carte de Ptolémée - dessinée en 150 - où elle est identifiée sous le nom de Macoraba.

La Mecque est un point bas de collecte des eaux qui sont exploitées par un puits qui ne tarit jamais. Là, dans cette environnement désertique et aride, près du point d'eau, s'installaient les familles les plus riches et les plus privilégiées.

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Puits zem-zem avant ses transformations modernes.

La famille de Mohamed était installée à ce point bas surnommé « le ventre de la Mecque » (batn makka) (S. 48, 24)*. Le Coran parle donc du « ventre de la Mecque » pour décrire cette cuvette où convergent les oueds descendant des montagnes. Son espace est limité par des bornes en pierre fichées dans le sol : ce sont les ansāb qui existent toujours (**1) à la Mecque. En son centre, sont érigés de multiples bétyles protégés des crues brutales par une construction carrée, très probablement sans toit, où ils sont maçonnés. Il s'agit de la Kaaba, un « lieu inviolable » (S. 95, 3), un espace sacré, un « haram ». Le Coran fait remonter la fondation de la Kaaba à Abraham, 2000 ans avant JC. Aucune découverte archéologique ne confirme une telle ancienneté. On peut simplement conclure de l’affirmation du Coran que la Kaaba était une construction suffisamment ancienne pour que sa date réelle de construction ait été oubliée par les contemporains de Mohamed.

De nos jours, deux bétyles restent toujours enchâssés aux angles de la Kaaba, la Pierre noire à l'angle Est et un autre bétyle qui n'a jamais fait l'objet du même intérêt pendant l'ère musulmane, « La Pierre bienheureuse » à l'angle Sud. À l'époque préislamique, de nombreux autres bétyles, demeures d'autant de divinités, étaient inclus dans la Kaaba. La Tradition raconte qu'elle était remplie d'idoles de pierre non taillée. L’appellation générique de ces divinités des bétyles de la Kaaba a été conservée par le Coran (Sourate 106), ils étaient nommés les « rabb ». Les divinités féminines se nomment, elles, les « rabbā », forme féminine du même nom. Certaines d'entre elles sont connues grâce au Coran et à l'épigraphie nabatéenne : « Lāt et Uzzā, ainsi que Manāt » (S. 53, 19-20). Ces rabbā féminines ne sont pas domiciliées à la Mecque. Lāt est vénérée sous forme d'une roche sacrée, elle aussi, mais qui est située à at-Tā'if, bourgade de montagne proche de la Mecque. Uzzā vivait dans un bosquet d'acacias sacrés à deux jours de marche de la Mecque, là où se situait l'ancien habitat des Quraysh qui avaient conservé la pratique de son culte. Manāt - également sous la forme d'une roche sacrée - était vénérée dans un temple au Nord de Médine. Partout en Arabie païenne, on adore des pierres. La Kaaba n'est pas le seul Haram contenant des bétyles offerts à l'adoration des fidèles.

Par ailleurs, indépendamment de l'analyse étymologique du mot « Mecque » (temple, déclivité), la configuration de ce site cultuel est exceptionnellement parlante. Comme pour bien d'autres cultures, comment ne pas remarquer la symbolique phallique de la pierre dressée - ici des multiples pierres dressées - au creux du ventre féminin et humide ? Représentation voulue, ou expression de leur inconscient, l'organisation du site de la Kaaba est significative. Est-ce par pudeur que les musulmans oublieront ce que leurs pères païens commémoraient sans honte particulière ? En lisant le Coran, on verra à quel point leur langage pouvait être cru et leur vocabulaire rempli de sous-entendus sexuels. La Kaaba est donc une formidable représentation dans l'espace de la virilité fécondante, que cela ait été voulu ou non.

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Abu Zaid pleurant sur sa virilité déclinante (Maqamat of al-Hariri, XIIIe siècle,
Syrie ; BnF). Dans toutes les civilisations, la culture populaire sait être crue.


Selon J. Chabbi (**1), la sourate 106 du Coran - que la Tradition à classée à la 29e place - serait l'exacte description des cultes préislamiques de la Kaaba centrés sur une demande de subsides : « Qu’ils rendent culte au Seigneur (rabb) de cette demeure qui les a nourris pendant la disette et leur a épargné la terreur [des attaques]. » (S. 106, 3-4 trad. J. Chabbi).
Mais, par delà la demande d'eau et de nourriture, avec la sublime concision du texte coranique, il semble bien que l'on puisse y lire l'exacte description d'un culte lié à la fécondité du couple, jusqu’à l'accomplissement naturel de l'engendrement d'une progéniture. Il s'agit de commémorer la double fonction parentale de la Mère nourricière qui « nourrit pendant la disette » et du Père protecteur qui « leur a épargné la terreur ». L'organisation dans l'espace de la Kaaba semble donc en faire un temple dédié à la fécondité du couple humain et le Coran, par delà les siècles, a préservé la mémoire de la liturgie qui y était célébrée. Élaboration inconsciente ou projet réfléchi, l'ensemble architectural de la Kaaba et le culte qui y est rendu tel que la Sourate 106 en témoigne, forment un tout cohérent.

La Mecque préislamique n'est pas une oasis. Malgré la présence d'eau, le climat y est trop aride pour permettre l'agriculture. Les ressources économiques se partagent entre deux autres activités : l'organisation des pèlerinages et l'activité caravanière. Selon la tradition, la famille proche de Mohamed vit des revenus de ces pèlerinages. Elle est moins aisée que les autres membres du clan investis dans le commerce caravanier. C'est ce qui explique que des membres de la famille des Abd Shams, cousins de Mohamed, se soient enrichis. Le Coran évoque leur commerce prospère et leur « voyage d'hiver et d'été » (S. 106, 2). Ce sont les Abd Shams qui prendront la tête de l’oumma, la communauté musulmane, et fonderont la prestigieuse dynastie omeyyade.

Dans le Coran, on peut retrouver la trace de deux pèlerinages annuels. Le premier est l'umra, réservé aux habitants de la Mecque, les Quraysh. Il se déroule à la Kaaba, avec un sacrifice juste à coté : « De ces bêtes-là vous tirez des avantages jusqu’à un terme dénommé ; puis vers l’Antique Maison (la Kaaba) est leur lieu d’immolation. » (S. 22, 33 ; trad. J. Chabbi). Les Quraysh étaient connus pour le sacrifice de dromadaires : « Pour ton Seigneur, donc, célèbre l'office et immole (wa-nhar) » (S. 108, 2 ; trad. J. Chabbi) ordonne le Coran à Mohamed. L’étymologie du terme « wa-nhar » signifie qu'il s'agit bien de sacrifice d'un dromadaire (**2). Ainsi, les sacrifices – probablement donc de dromadaires - avaient-ils lieu au rocher d'al-Marwa qui est situé juste à coté de la Kaaba. L'objectif de ce rite mecquois est donc clairement une demande de subsides et de protection qui intéresse en priorité les propriétaires des caravanes. La spiritualité des marchands s'établit sur la base de relations contractuelles avec les divinités protectrices, finalement sur le modèle de ce qu'ils font avec le chef de la tribu. On passe un pacte avec la divinité pour assurer la sécurité de la caravane, comme le rapporte très précisément toujours la même sourate 106 : « À cause du pacte des Quraysh, de leur pacte [pour] le voyage d'hiver et d'été, qu’ils rendent culte au Seigneur (rabb) de cette demeure qui les a nourris pendant la disette et leur a épargné la terreur [des attaques]. » (S. 106, 1-4).

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Un sorcier sacrifie un dromadaire pour connaître l'avenir ('Ağayib al-maḫlūqāt, par Mahmūd Hamadānī, manuscrit
persan, 1577 ; BnF). Un tel sacrifice correspond à une demande bien précise qui est négociée avec les divinités.

Le second pèlerinage organisé à la Mecque est destiné aux bédouins, aux pasteurs nomades et non aux caravaniers mecquois. Il se nomme le Hādjdj. Il ne se déroule pas à la Kaaba, mais à quelques kilomètres de la ville. Là, les Tribus de pasteurs accomplissent un parcours dans la plaine de 'Arafat où ils sacrifient leurs bêtes à lieu dit de « Minā ». À Minā également, les pasteurs lapident des stèles de pierres. On peut légitimement supposer que ce rite appartient à la Djāhiliyya puisqu'il a été repris par le pèlerinage musulman alors que le Coran n'y fait aucune allusion. En période islamique, quand les deux pèlerinages auront fusionné, c'est à Minā qu'auront lieu les sacrifices d'animaux et non plus à proximité de la Kaaba.

* : Le Coran, traduction de Muhammad Hamidullah, p. 610, le club français du livre, 1959.
** : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, **1 : p. 60 / **2 : p. 127 ; Jacqueline Chabbi, p 132, Fayard. 2008.

10. 21 . Au VIe siècle, au Moyen-Orient : juifs et chrétiens s'opposent ; Perses et Byzantins s'affrontent.
En 523, en Arabie du Sud à la limite du Yémen, Yusuf As'ar Yath'ar secoue la tutelle byzantine. Il se convertit au judaïsme et extermine par le feu tous les chrétiens de sa capitale Zafar. Plusieurs milliers de chrétiens sont brûlés vifs. La nouvelle se répand dans les communautés chrétiennes de Syrie et leur évêque, Siméon, transmet l'information à l'empereur de Constantinople. Le Coran raconte le massacre en louant la fidélité des victimes. « Les gens d'Ukhdud furent massacrés, brûlés par le feu qui s’alimentait tout seul, alors qu'ils se trouvaient assis en cercle, tout autour, pour regarder ce que subissaient les croyants. Ils ne leur reprochaient rien sinon d’avoir cru dans le Dieu puisant et digne de louange. » (S. 85, 4-8).

Le roi Yusuf est finalement vaincu par le roi Axoum qui restaure le christianisme.

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Monnaies du roi Axoun (British Muséum).

Son général Abraha, chrétien lui aussi, fait un coup d'état et prend le pouvoir. Abraha devient roi de Saba. Il fixe sa capitale à Sana, au Yémen, ville sabéenne fondée au VIIIe siècle avant JC grâce au commerce des épices. La ville possède un système hydraulique complexe pour permettre l'irrigation des terres. En 540, le barrage de Ma'rib qui protège Sana, s'effondre. La capitale est détruite.

Le Coran y fait une allusion : « Il y avait assurément, pour la tribu de Saba, un signe dans leurs demeures : deux jardins, l'un à droite et l'autre à gauche. « Mangez de ce que votre Seigneur vous a attribué, et soyez reconnaissants envers Lui : une contrée agréable et un Seigneur pardonneur. » Mais ils se détournèrent. Nous déchaînâmes alors contre eux l'inondation du Barrage, et Nous leur changeâmes leurs deux jardins en deux bosquets aux fruits amers. » (S. 34, 15).
Dans la conception coranique, l'effondrement d'un barrage ne peut pas être dû à une malfaçon ou à l'usure. Rien n'échappe à la volonté de Dieu, pas même les forces de destruction : si la tribu de Saba est détruite, c'est forcement qu'elle a péché. Une source épigraphique nous renseigne sur le roi Abraha : une stèle raconte que tous les rois des alentours vinrent célébrer avec Abraha la reconstruction du barrage, la restauration de la ville et l’érection d'une nouvelle église*.


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L'antique ville sabéenne de Ma'rib.

Abraha est cité par l'historien Procope (500-560) comme un ancien esclave chrétien. La fin Abraha est racontée par le Coran. En 570, Abraha essaye de prendre la Mecque à dos d'éléphants, mais il échoue.
« N'as-tu pas vu comment ton Seigneur a agi envers les gens de l’Éléphant ? N'a-t-Il pas assigné à l’égarement leur ruse ? Et envoyé contre eux des oiseaux en volées qui leur lançaient des pavés de glaise ? Puis Il a fait d'eux comme de la balle au grain mangé. » (S. 105, 2-5).
Des oiseaux armés de pavés de glaise auraient contribué à la défaite ! Ce moyen original de mener des guerres est employé dans un autre verset du Coran pour raconter comment Allah détruit Sodome et Gomorrhe (S. 11, 82-83). Selon le Coran, il semble bien que l'impiété du chrétien Abraha attaquant la Kaaba païenne et polythéiste, soit suffisante pour justifier l'intervention d'Allah. La Tradition musulmane, d'une part dans la Sīra, rédigée deux siècles après, d'autre part sous la plume de Tabarī, 300 ans après, nous raconte que l'éléphant tant redouté, au lieu de donner la victoire à son maître, se serait agenouillé devant Mecque... Avec davantage de prosaïsme, les archives byzantines contemporaines de l’événement, expliquent que l'armée d'Abraha a été décimée par une épidémie.

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L'éléphant se prosterne devant la kaaba, selon une Tradition musulmane tardive.
('Ağayib al-maḫlūqāt, par Mahmūd Hamadānī, manuscrit persan, 1577 ; BnF).


Hors d'Arabie, le Moyen-Orient devient l'enjeu entre les deux puissances du moment : l'empire Byzantin et l'empire Perse. Chrétiens et juifs s'affrontent, jouant sur l'antagonisme des empereurs.
L'empire Perse connaît son expansion maximale en 570. Il repousse l'empire byzantin au delà d'Antioche.
L'empereur perse Chosroes Ier est appelé à l'aide par les arabes pour lutter contre les éthiopiens. Chosroes s'implante jusqu'au Yémen, contrôlant le commerce avec la mer rouge. En 571, le royaume Himyarite disparaît.
En 590, Chosroes II détrône son grand-père Chosroes Ier. Il a reçu l'aide des chrétiens et il massacre les juifs.
En 602, se détournant des chrétiens, il attaque l'empire byzantin. En 614, Jérusalem, terre byzantine, est conquise par les perses de Chosroes II qui est alors aidé par les juifs. Dans leur attente du Messie, les juifs se croient revenus à la période de Cyrus qui avait permis leur retour en Terre Sainte six siècles avant JC.
Après la victoire de Chosroes II, les juifs prennent le pouvoir à Jérusalem. Ils chassent les chrétiens, massacrent la population et brûlent monastères et églises. Ils procèdent à des conversions forcées au judaïsme. Des témoignages écrits racontent comment les cadavres des chrétiens restent sans sépulture. Ces persécutions ne durent pas : les découvertes archéologiques récentes montrent que des églises et des monastères ont été construits pendant la période de domination perse en Terre Sainte **.
Chosroes poursuit sa campagne victorieuse contre l'empire byzantin. Il guerroie d’Antioche à Damas en terre byzantine entre 620 et 627. Mais, en 627, à Ninive, l'empereur byzantin Héraclius triomphe de Chosroes II. Celui-ci doit fuir, avant d'être assassiné par son fils Kubādh, en 628. Le Coran, qui est contemporain, fait une allusion aux revers des byzantins et raconte leur victoire de 627 (S. 30, 2-4)***.

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Victoire d'Héraclius sur Chosroes (Piero della Francesca, XVe siècle).

En 631, l'empereur Héraclius, profitant de la fragilité de l'interrègne perse, reprend la Terre Sainte aux Sassanides. Il entre victorieusement dans Jérusalem et y rapporte solennellement la Vraie Croix, celle sur laquelle le Christ aurait été crucifié. Elle en avait été retirée en 614, au moment de l'avancée des Perses. Les juifs sont alors contraints à leur tour à la conversion forcée au christianisme ... L'empereur byzantin Héraclius leur impose le baptême.

Plus on se rapproche de la période de la vie de Mohamed, plus le Coran se fait précis pour décrire la géopolitique de son temps.

* : Les fondations de l'islam, entre écriture et histoire, p. 240-241, Alfred-Louis de Prémare, éditions Points, 2002.
** : L'Arabie chrétienne, Michele Piccirillo, p. 220, éditions Menges, 2002.
*** : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, p 357 ; Jacqueline Chabbi, Fayard. 2008.

10. 22. En 570, Mohamed vient de naître, ou comment les faits historiques sont retranscrits dans le Coran.

Selon la Tradition, Mohamed naît à la Mecque en 570, l'année de l’Éléphant. Mais aucun état civil ne peut le confirmer. Il n'est pas impossible que le choix de l'année de l’Éléphant ait été un choix plus symbolique qu'historique. Mohamed est fils d’Abd Allāh, lui-même fils d’abd al-Muttalib. Il appartient à la tribu des Quraysh qui est installée à la Mecque. Ses membres masculins les plus âgés et les plus sages forment la mala, l'assemblée des anciens qui dirigent la ville. Sa famille est installée dans le ventre de la Mecque (S. 48, 24) où elle vit des revenus du pèlerinage.

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Naissance de Mohamed (Histoire universelle du monde de Rashid al-Din, Tabriz, Perse, 1307).

À ceux qui pourraient être surpris de voir représenter Mohamed, il faut rappeler que, jusqu'au XVIe siècle, le Prophète
de l'islam a été dessiné sans réticence par les musulmans. Pour ne pas créer d'inutiles polémiques,
seules ses représentations réalisées par des musulmans ont été retenues ici.

À mesure que l'on se rapproche de la période de la vie de Mohamed, les références historiques du Coran se font plus nombreuses et plus précises. Il est d'ailleurs curieux qu'un texte supposé incréé et existant depuis toujours auprès de Dieu - ce qui est la doctrine officielle du sunnisme - ne nous rapporte que des événements marquants d'Arabie et uniquement contemporains de la vie de Mohamed ou précédents juste celle-ci :

- Si le Coran avait réellement existé il y a plus de 13 milliards d'années - s'il était réellement incréé - il pourrait nous apprendre aussi facilement que la théorie de la relativité a été découverte au XXe siècle en Suisse par Einstein, que de nous raconter la destruction de la ziggourat de Babylone par Alexandre 331 ans avant JC. Mais, non, les informations factuelles du Coran sont celles que tous les contemporains de Mohamed connaissent. Le passé plus lointain est évoqué dans le Coran, uniquement dans la mesure où la Bible en parle, et en reprenant les même erreurs : la création de l'univers se déroule en 6 jours (S. 11, 7 ; S. 7, 54), David est un fier soldat (S. 34, 10-11) et Salomon un homme juste (S. 2, 102 ; S. 38, 30).

- Les mythes de la Sumer polythéiste, ceux du Paradis perdu, de Noé et de Job, ont été introduits dans la Bible pour présenter les grandes questions de humanité sur l'origine du mal. Ils sont inclus tels quels dans le Coran, sans dire qu'il s'agit de mythes, ce qui leur donne aux yeux des musulmans une authenticité historique que rien ne justifie (S. 20, 120 ; S. 71, 21-25 ; S. 38, 43-44).

- Quant à l'histoire de Moïse, elle est inspirée de la Bible, mais relue au travers du filtre de la culture bédouine.
Dans la Bible, lors de la rencontre avec Yahvé au buisson ardent, Moïse entend Dieu parler du milieu des flammes (Exode 3, 2). Dans le Coran, Moïse, devenu bédouin, s'approche avec précaution d'un feu de campement visible au loin dans la nuit (S. 28, 29). Moïse entend bien Dieu parler mais Sa voix provient du haut d'un arbre (« shadjara ») (S. 28, 30) et non du feu. La Tradition musulmane nous apprend que Al ‘Uzzā vivait dans un acacia à quelques jours de marche de la Mecque. Quand une divinité arabe ne vit pas dans un bétyle, elle vit dans un arbre et le Coran y place le « Rabb », le « Seigneur des mondes » de Moïse (S. 28, 30).

- Pour finir, on a vu que les récits coraniques sur Jésus et Marie sont issus des Apocryphes, textes toujours lus, copiés et connus des contemporains de Mohamed.

Toutes les références historiques du Coran sont celles que peut connaître un arabe du VIIe siècle qui pratique le commerce caravanier. Ainsi, les anachronismes du Coran sont-ils nombreux :
- Noé fabrique son arche avec des clous (S. 54, 13) alors que seules des chevilles de bois et des ligatures étaient employées dans l'antiquité pour construire les bateaux ;
- Joseph est vendu pour 20 drachmes d'argent (S. 12, 20), mille ans avant que la première monnaie ne soit frappée ;
- et David tricote une cote de mailles (S. 34, 10-11) cinq siècles avant que les celtes n'inventent le fil de fer.

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Noé construit son arche avec des planches et du métal
(Habīb os-Siyar, Vol.1, XVIe siècle ; Palais du Golestān).

Mais aucun événement historique n'est rapporté dans le Coran pour s'être produit après 632, date de la mort de Mohamed... Ce texte incréé - qui aurait existé auprès de Dieu dès avant la création du monde - vieux donc de plus de 13 milliards 800 millions d'années, a su lire l'avenir pour savoir que le barrage de Sana allait s'effondrer au VIe siècle, mais n'a pas su pousser sa connaissance surnaturelle de l’avenir au delà de l'an 632, date de la mort de Mohamed …Un non-musulman a quelques difficultés à croire que Mohamed n'a fait que répéter un texte fixé, un Kitāb éternel, que lui enseignait une voix angélique, sans rien en modifier et avec une parfaite fidélité.

À la veille de la conquête musulmane, les juifs sont devenus les ennemis des byzantins. Les empires byzantin et perse se sont mutuellement fragilisés par des luttes incessantes, préparant le terrain pour la conquête arabe.

Tout est prêt, désormais, pour permettre à Mohamed de réciter le fameux « Kitāb » qui fera sa renommée jusqu'à nos jours.

Judaïsme, christianisme, hérésies apocryphes, gnosticisme, manichéisme, arianisme, paganisme, tous les éléments doctrinaux existent déjà qui seront bientôt réunis dans un exceptionnel texte de poésie arabe, qui sera un jour appelé le Coran.
 

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Le Coran (enluminure iranienne du XVIe siècle ; BnF).

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:29

11 : MOHAMED À LA MECQUE.
De 610 à 622.


11. 1. Sources épigraphiques... et quelques précautions oratoires.
11. 2. L'enfance et la jeunesse de Mohamed telles que les raconte la Tradition musulmane.
11. 3 . Selon le Coran qui inspire Mohamed si ce n'est pas l'ange Gabriel ?
11. 4 . Les premières Sourates récitées : opposition mecquoise et menaces divines.
11. 5. La première vision de Mohamed : révélation eschatologique.
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11. 6. Peut-on convaincre les réfractaires en suscitant la peur ?
11. 7. La morale coranique s'élabore à la Mecque à l'occasion des conflits humains de Mohamed.
11. 8. Une ébauche d'organisation religieuse, la Salāt et la Zakāt.
11. 9. Le Jugement dernier.
11. 10. Visions d'enfer : Allah, le Maître de l'enfer.
11. 11 . Visions de paradis, ou comment satisfaire les pulsions masculines.

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11. 12. S'il s'agit de convaincre par la parole, encore faut-il que le discours coranique soit cohérent !
11. 13. La deuxième vision mystique de Mohamed.
11. 14. La troisième vision de Mohamed : l'isrā'.
11. 15. : Les juifs et leurs prophètes : Mūsā /Moïse ; Nūh/Noé...

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11. 16. Signes demandés, signes refusés.
11. 17. Signe du Seigneur, le Coran se définit lui-même.
11. 18. Au prix de la soumission dans la crainte et du renoncement à toute logique, le Coran est et restera la vérité des musulmans.
11. 19. Mohamed et son Dieu ; Mohamed et ses contemporains ; Mohamed et ses fidèles.
11. 20. L’année 619 : année tragique de deuil.

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:31

11 : MOHAMED À LA MECQUE.
De 610 à 622.

11. 1. Sources épigraphiques... et quelques précautions oratoires.

Une démarche à prétention historique consiste à retrouver les textes anciens, à les placer dans l'ordre chronologique de leur écriture et à leur attribuer une crédibilité selon leur distance à l’événement rapporté.

Pour raconter l'histoire du christianisme, j'ai puisé dans les sources archéologiques contemporaines. Je n'ai pas récité le catéchisme de mon enfance. Il m'avait enseigné le Déluge, avec un Dieu vengeur qui extermine l'humanité pécheresse. Il m'avait appris que Josué, secondé par Yahvé dans son entreprise de purification ethnique, avait ravagé Canaan au moment de l'implantation des Hébreux. Il m'avait affirmé que le Dieu des combats avait soutenu le bras armé de David. Pas davantage, je ne raconterai l'islam comme le fait la Tradition musulmane ou le conformisme religieux. Je vais modestement, à partir des textes antiques qui me sont parvenus par mes lectures, tenter un récit de l’installation de l'islam en respectant la chronologie des sources épigraphiques.

Aucun texte contemporain à la vie de Mohamed (570-632) ne parle de lui. Rien dans ses 22 années de prédication n'a été remarqué à l'étranger. Sa nombreuse correspondance avec l’empereur de Byzance a, en fait, été écrite au Moyen Âge. À noter que l’existence du Christ n'a pas davantage été signalée de son vivant. Son contemporain, Philon d'Alexandrie (-20, 45 après JC), ne fait aucune mention à la vie de Jésus. En revanche, la conquête arabe, par sa soudaineté, sa violence et son efficacité, a bousculé ses voisins byzantins, perses et juifs et a laissé des traces dans les échanges entre les dirigeants et les religieux. C'est en 640 que l'on trouve la première mention de Mohamed. En 640, donc, Thomas le Presbyte, un syriaque de Mésopotamie, raconte dans ses Chroniques comment les « Arabes de Mhmt » (Tayayē d-Mhmt) ont triomphé des byzantins en 634 près de Gaza*. Mohamed était décédé depuis 632. C'est, chronologiquement, la première mention écrite de l’existence de Mohamed, dont le nom s’écrira « Mhmt » pendant tout le VIIe siècle. Thomas ne fait aucune allusion à la prédication de Mohamed, ni au fait que les arabes soient musulmans. Cela est ignoré de lui. Seule leur appartenance clanique est explicite. Jamais Thomas le Presbyte ne parle de « muslim », de soumis à Dieu, de musulmans ; il parle en revanche de « Mahgrâyê », qui correspond à l'arabe « muhājirūn », « celui qui a quitté son pays pour combattre sur le chemin de Dieu »*. Les arabes de Mohamed ne se sont donc pas fait connaître comme porteurs d'une révélation spirituelle basée sur la soumission, mais comme soldats conquérant au nom d'un Dieu inconnu.

La source la plus naturelle de la connaissance de l'islam est naturellement le Coran. Néanmoins, la date de sa mise par écrit fait polémique. Les extraits du Coran les plus anciens conservés jusqu'à nous dateraient de la fin VIIe siècle : ce sont ceux de Sanaa. Mais ils sont conservés au Yémen et les autorités yéménites en interdisent l'étude depuis que l'analyse de leur contenu laisse entrevoir que le Coran a été élaboré sur plus d'un siècle. Des extraits du Coran (60 pages), conservés à la Bibliothèque nationale de France (BnF), sont probablement du VIIIe siècle, leur datation reste incertaine. Les Corans entiers ne datent que du IXe siècle.

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Fragment d'un Coran rédigé en écriture coufique
(l'écriture coufique n'a été inventée qu'au VIIIe siècle ; Bahrein).

Dans le Coran, les Sourates ne sont rangées, ni par ordre chronologique, ni par thèmes, mais par ordre de longueurs décroissantes. Depuis longtemps, la Tradition musulmane a recherché et défini l'ordre dans lequel les Sourates avaient été révélées à Mohamed, mais parfois les historiens contestent ce choix. Par exemple, la Sourate 111 datée par la Tradition du début de la révélation, donc vers 610, évoque l'antagonisme profond entre Mohamed et son oncle qui a eu lieu 620 et 622. Mais les différences dans l'ordre des Sourates entre le choix de la Tradition et celui des historiens restent marginales. Pour essayer de comprendre comment s'est déroulée la prédication de Mohamed, il est néanmoins essentiel de retrouver l'ordre chronologique de la récitation des versets.

Un seul texte arabe serait contemporain de la révélation du Coran, c'est la charte de Yathrib. Même si l'exemplaire le plus ancien conservé date du VIIIe siècle, il a été recopié dans un arabe archaïque qui montre une origine antérieure au VIIIe siècle. Selon la Tradition, la charte a été écrite entre 622 et 627. Elle réglemente les relations entre Mohamed et ses alliés de Médine, des arabes païens et des juifs. Le contenu n'est pas mystique, il s'agit d'établir les relations de fidélité et de définir les devoirs de chacun.

D'autres textes essentiels contiennent la foi musulmane et forment la Sunna. Mais leur élaboration est beaucoup plus tardive. La Sīra, la biographie de Mohamed a été rédigée au VIIIe siècle, 150 ans après les faits, à partir de deux textes plus anciens. En particulier, Ibn Ishāq dit s'être inspiré de l'ouvrage de 'Urwah ibn al-Zubayr mort en 713, le petit fils d'Abū Bakr, le premier Calife, mais cette première biographie est perdue. Les informations qu'elle contient sont donc de seconde main. Elle est néanmoins instructive. Seule une version du IXe siècle nous est parvenue.

La Sunna est également constituée d'un corpus impressionnant de Hadiths - les paroles du Prophète et de ses compagnons - qui ont été réunis au IXe siècle. Ils sont certifiés authentiques par la chaîne de leurs transmetteurs, la fameuse chaîne des isna'. Une chaîne des transmetteurs connus suffit pour certifier aux musulmans la véracité des Hadiths. Les historiens en sont moins sûrs. En effet la majorité des noms de transmetteurs sont des pseudonymes. De nos jours, il est évident pour les non-musulmans que les Hadiths ont été rédigés et inventés tardivement pour adapter la législation coranique aux besoins de l'état citadin des abbassides. Par exemple, de nombreux hadiths mettent le mot « dinar » dans la bouche d'Aïcha (Sali Bukhārī, 81, 780), d'Othman (Muslim, X, 3849), d'Omar (Dāwud, XXXVIII, 4374) ou de Mohamed (Dāwud, I, 264 ; Muslim, V, 2183 ; Muslim, VIII, 3318). Or, on sait que le dinar n'a été frappé qu'en 697, alors que Mohamed était décédé depuis 632. En fait, la mise par écrit des Hadiths - même pour les musulmans - date officiellement du IX siècle avec Muslim (821-875), Dāwud (817-888) ou al-Bukhārī (809-870). De plus, les hadiths ne sont parvenus jusqu'à nous que dans des copies du XVe siècle. Les recueils de Hadiths informent donc sur la façon dont les siècles ultérieurs ont interprété le Coran, bien plus que sur la réalité historique du VIIe siècle. Une réflexion historique, qui tente une approche chronologique, ne peut leur attribuer une ancienneté qu'ils n'ont pas*.

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Recueil d’adages et de hadiths (XVIIe siècle ; Le Louvre). Les hadiths n'existent que sur des supports datés au mieux
du XVe siècle : ils ont donc pu être largement remaniés en fonction des besoins législatifs.

« Que les gens de l’Évangile jugent d’après ce que Dieu a fait descendre ! » (S. 5, 47). Soucieux de ne pas irriter inutilement le lecteur musulman, je jugerai donc - je séparerai le vrai du faux - en fonction de l’Évangile qui porte ma foi, m'autorisant à discuter avec lui selon cet autre verset : « Et ne discutez avec les gens ayant reçu l’Écriture (La Bible) que de la manière la plus aimable, sauf avec ceux d’entre eux qui ont été injustes. » (S. 29, 46). Il n'est donc pas question d'être injuste, mais de soigneusement recopier le Coran après l'avoir classé par thèmes.

Nous allons donc essayer de lire le Coran dans l'ordre de sa récitation par Mohamed et de comprendre – en fonction de ce que nous en révèle le Coran – les échanges humains et les circonstances qui ont conditionné l'élaboration de l'islam.
Au cours de ce récit - qui tente autant que possible de retrouver l’enchaînement logique de la chronologie - les musulmans auront, sans aucun doute, plus le goût de s'identifier à leur Prophète, là où les mon-musulmans comprendront plus facilement ses contradicteurs. Les échanges et dialogues qui vont suivre, quoique vifs et surprenants, sont tous soigneusement tirés et recopiés du Coran, la plupart du temps dans la traduction d'un exégète musulman reconnu des siens, Muhammad Hammidullah. Quand une autre traduction sera utilisée, celle du Pr Jacqueline Chabbi, son nom sera cité. Il s'agit donc de retrouver comment s'est déroulée la prédication de Mohamed, non au travers une vision romancée, mais selon ce que le Coran, soigneusement recopié, nous livre de la chronologie des faits.

Les remarquables ouvrages d'histoire de Jacqueline Chabbi ont bien souvent servi à la compréhension des expressions coraniques remises dans leur contexte. Néanmoins, il serait inexact de lui attribuer la paternité de tout ce qui va suivre. La finesse de ses analyses ne peut être comparée à cette simple chronique qui tente modestement de retrouver l’enchaînement des faits à partir d'une lecture chronologique du Coran. Je ne peux donc que conseiller la lecture de ses ouvrages.

* : Les fondations de l'islam, entre écriture et histoire, p. 131, Alfred-Louis de Prémare, Points, 2002.

11. 2. L'enfance et la jeunesse de Mohamed telles que les raconte la Tradition musulmane.

Même si nous allons privilégier le récit de la vie de Mohamed présenté par le Coran – puisqu'il a été écrit bien avant les récits de la Tradition musulmane - nous sommes néanmoins bien obligés de regarder ce que nous dit la Tradition si nous voulons savoir quelque chose de son enfance et de sa jeunesse. En effet, le Coran résume cette période de sa vie en deux versets : « Quoi ! Ne t'a-t-il pas trouvé orphelin ? Puis Il a donné asile ! Et ne t'a-t-il pas trouvé égaré ? Puis Il a guidé ! Et ne t'a-t-Il pas trouvé à charge ? Puis il a mis au large ! » (S. 93, 6-8). La Tradition musulmane a comblé ce vide et a décrit la jeunesse de son Prophète avec de multiples détails ... et peut-être avec de trop nombreux détails. Certes, les souvenirs peuvent avoir été préservés oralement, mais leur mise par écrit date tout de même de plus de 100 ans après la mort de Mohamed. En effet son premier biographe, Ibn Ishāq (704-767), a rédigé la Sīra, la biographie de Mohamed, vers 760. Mohamed était décédé en 632.

Selon la Sīra,  Mohamed serait né le lundi 12 Rabi' al-awwal en 570 de l'ère chrétienne, l'année de l'éléphant.

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La naissance de Mohamed (vers 1595, Siyer-i-Nebi ; Topkapi).

Son père est mort avant sa naissance et sa mère quand il a six ans. Il est alors pris en charge par son grand père, Abd al-Mottalib, qui meurt deux ans plus tard. Son oncle Abū Tālib s'occupe ensuite de lui. Dès son enfance, il accompagne régulièrement son oncle dans son commerce caravanier. Voilà les faits transmis par la Tradition.

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Mohamed dans les bras de sa mère est présenté à son grand-père
(manuscrit ottoman ; San Diego).

On peut supposer que, pendant ses voyages, Mohamed a appris la pratique du Kitāb, ce texte oral de référence qui sert à transmettre nouvelles, mythes et poésies, et qui est soigneusement récité au campement à l'étape caravanière. En effet, la culture mecquoise est toujours une culture orale. Mais rien d'interdit qu'il ait appris à lire au cours de ces voyages commerciaux. Ce n'est qu'au IXe siècle, pour renforcer le coté miraculeux de la récitation coranique de son Prophète, qu'apparaîtront des récits racontant qu'il ne savait pas lire. Mais le Coran évoque le calame qui sert à écrire, au sujet de la récitation des premiers versets (S. 96, 4) et à plusieurs reprises, il est précisé que Mohamed « lit » le Coran, selon le verbe arabe « akra » : « Lorsque tu lis le Coran, demande protection au Seigneur, contre le Diable banni » (S. 16, 98) ; ou « quand tu lis le Coran Nous plaçons, entre toi et ceux qui ne croient pas en l'au-delà, un voile opaque » (S. 17, 45). Mohamed savait donc lire et il semble plus logique de croire le Coran que la reconstitution hagiographique tardive de la Tradition musulmane.

Toujours, selon la Tradition, ce serait à Bostra, la ville syrienne étape des caravanes venant d'Arabie - ville largement christianisée -, que le moine nestorien Bahira, aurait reconnu entre les deux épaules de Mohamed la marque du prophète quand il avait neuf ans. Le Coran ne parle pas de cet épisode et on peut se demander à quoi correspond « cette marque du prophète » dont aucune tradition ne parle*. Les premières apparitions de ce récit datent de plus de 200 ans après la mort de Mohamed. Ce n'est qu'au IXe siècle que cette histoire sera rencontrée sous la plume d'Ibn Hischam (mort en 834), puis d'Ibn Sa'd al Baghdadi (mort en 845) et finalement de Tabarī (839-923).

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Mohamed rencontre le moine Bahira à Bostra
(enluminure persane, 1315).

En 595, à 25 ans, Mohamed épouse Khadīdja, une riche veuve d'environ 40 ans dont il dirigeait antérieurement les caravanes. La Tradition raconte qu'ils formaient un couple aimant. Ils ont deux fils qui ne survivent pas et quatre filles. Seules trois filles arriveront à l'âge adulte, mais seule Fatima aura des enfants : deux fils. Mohamed n'a donc pas de fils et il adopte Zaïd, un jeune esclave de Khadīdja, puis Ali un cousin, le fils d'Abū Tālib, l'oncle qui l'avait pris en charge enfant. Ali épousera finalement Fatima et Mohamed convolera avec l'épouse de Zaïd. On voit ici un exemple d'organisation matrimoniale tribale, dont la particularité n'est remarquée par aucun biographe arabe, tant cette structure endogamique leur est habituelle.

Toujours selon la Tradition, en 605, Mohamed a 35 ans quand il aurait été surnommé Al Amīn, l’homme sûr. Lors de travaux de réfection de la Kaaba, chaque famille se disputa le privilège de retirer la Pierre noire, bétyle contenant la divinité du lieu. Mohamed, entré par hasard au moment où les clans en appelaient au sort, fut considéré comme désigné par le Destin. La Tradition a voulu voir dans cet épisode l'annonce de la prédestination prophétique de Mohamed. Al Amīn, l'homme sûr, est l'homme sur lequel son clan peut s'appuyer. Mohamed, qui signifie « le très loué », est manifestement un surnom, qui n’apparaît qu'à trois reprises dans le Coran et dans des sourates tardives (S. 3, 144 ; S. 18, 2 ; S. 48, 29).

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Mohamed dépose la Pierre noire de Kaaba dans un tissu porté par les représentants des tribus
(Tabriz, 1315, Rashid Al-Din).

Quelle que soit la part mythologique ou de reconstruction hagiographique de la Tradition musulmane, il est probable que Mohamed enfant n'a pas dû avoir une vie bien facile. Dans les récits de la Tradition, aucune mère de substitution n'a laissé son souvenir après le décès de sa mère. De plus, l'apprentissage dans les caravanes de son oncle a dû être une expérience bien rude et bien exigeante pour un si jeune enfant, même si c'était probablement le lot de tous les garçons. Le silence du Coran, ou de la Tradition sur certains sujets, renseignent donc également. Ce qui n'est pas dit, ce qui est oublié, ce qui est jugé sans intérêt informe par défaut sur la vie de Mohamed.

En 610, Mohamed aurait commencé à recevoir une révélation divine. Le Coran, naturellement, en parle. La première sourate récitée est la Sourate 96 : « Lis par le nom de ton Seigneur, le Très Noble, c'est Lui qui a enseigné par la plume. Il a enseigné à l'homme ce qu'il ne savait pas. » (S. 96, 1-5). La lecture d'un texte aurait donc été proposée à Mohamed pour lui enseigner ce qu'il ignore. Il n'est pas donc ignorant au sens d'illettré mais au sens où – vivant en païen - il méconnaît la vérité divine.

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Sourate 96, premier verset révélé « Lis au nom de ton seigneur. »
(calligraphie égyptienne).

« Par le Livre évident ! Oui, Nous l'avons fait descendre par une nuit bénie. » (S. 44, 2-3). La révélation a donc eu lieu la nuit, une nuit au cœur du mois de Ramadan : « C'est le mois de Ramadan qu'on a fait descendre le Coran, comme guidé pour les gens, et en preuves de guidée et de discernement. » (S. 2, 185). Le Ramadan préislamique est le neuvième mois du calendrier local qui est alors luni-solaire. L'année faisait bien 365 jours en moyenne chez les arabes de la Mecque. En effet, une année lunaire dure 356 jours, et tous les 2 ou 3 ans, on ajoutait un mois supplémentaire pour rattraper le décalage avec l'année terrestre. Le Ramadan se trouvait donc toujours au printemps. Ce n'est qu'à la fin de la vie de Mohamed que le Coran imposera l'année lunaire stricte - sans mois supplémentaire- et instaurera donc une l'année ne correspondant plus à la durée de rotation de la terre autour du soleil (S. 9, 37).

La révélation a lieu lors d'une nuit bénie appelée « nuit de la Détermination » : « Oui, Nous avons fait descendre ceci la nuit de la Détermination. Et qui dira ce qu'est la nuit de la Détermination ? La nuit de la détermination est meilleure que mille mois ! Durant celle-ci descendent les anges ainsi que l'Esprit, par permission de leur Seigneur » (S. 97). Des anges et l'Esprit sont donc présents cette nuit là. Mais, aucun ange n'est nommé, ni Gabriel, ni un autre ange.

En fait, le Coran ne parle jamais de l'ange Gabriel au sujet de la révélation de Mohamed. Les premiers versets récités ne l'évoquent jamais (S. 96, 1-5 ; S. 81, 15-25 ; S. 53, 1-18). Le Coran ne cite l'ange Gabriel que trois fois et à chaque fois dans des versets récités à Médine (S. 2, 97-99 ; S. 66, 4). Il semble bien qu'il ait fallu à Mohamed être en contact avec les juifs de Médine pour apprendre son existence. Comme l'ange Gabriel n'est ni nommé, ni évoqué dans les versets mecquois, nous en reparlerons donc en respectant la chronologie, quand nous aborderons la partie médinoise de la prédication de Mohamed.

La Tradition musulmane va broder sur ces versets et imaginer une histoire qui n'a plus grand chose à voir avec le récit coranique. La Tradition va introduire la grotte de Hirā, l'illettrisme de Mohamed ... et l'ange Gabriel.

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La première révélation du prophète Mohamed sur le mont Hirā (miniature turque, époque inconnue
mais postérieure à XVIe siècle puisque Mohamed est remplacé par une flamme ; Topkapi, Istanbul).

Selon la Tradition, la révélation prophétique de Mohamed débute le 19 mars 610. Mohamed aurait eu l'habitude de se retirer pour méditer dans la grotte de Hirā proche de la Mecque. Est-ce l'exemple du monachisme chrétien qui a suggéré aux exégètes musulmans que des pratiques contemplatives augmenteraient la crédibilité de Mohamed ? Lors d'une méditation dans la grotte de Hirā, l'ange Gabriel serait apparu et aurait contraint Mohamed, quelque peu terrorisé, à répéter la première sourate révélée : « Répète au nom de ton Seigneur…» (S. 96). Quoique Mohamed ait affirmé ne pas savoir lire, l'ange Gabriel l'aurait obligé à lire un livre, le Coran. C'est au troisième siècle de l’Hégire, qu'Ibn Hanbal raconte cette histoire dans des Hadiths réunis dans le Musnad*. Trois siècles après la période prophétique, Ibn Hanbal rapporte 250 citations de l’ange Gabriel qui n'avaient jusqu'alors laissé aucune trace.

Les exégètes musulmans de toutes les époques interprètent ce silence coranique en sous-entendant la présence non dite de Gabriel. C’est une démarche non historique, qui satisfait le croyant mais qui n'est pas objective. Ce qui n’a pas été dit auparavant ne peut pas être extrapolé plus tard*.

* : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, p 68-69 ; Jacqueline Chabbi, Fayard. 2008.

11. 3 . Selon le Coran qui inspire Mohamed si ce n'est pas l'ange Gabriel ?

- La première information sur l’inspirateur de Mohamed est dans la sourate 53. La voix surnaturelle entendue est nommée « wahī » (S 53, 4 et S. 53, 10). Le wahī est la voix caverneuse de l’oracle qui gronde dans le lointain. Il s'agit d'un concept purement bédouin. La Bible ne contient aucun équivalent au « wahī ». Selon le Coran, c'est le moyen de communication des djinns (S. 6, 112). Mais le Coran ajoute que le wahī des djinns est mensonger. C'est également une voix ressemblant au tonnerre, un wahī, qui inspire les prophètes : Moïse (S. 7, 117-160) ; Abraham et ses descendants (S. 4, 163) et les apôtres de Jésus (S. 5, 111) (*1).

- L’Esprit Saint, le rūh, est mentionnés 23 fois comme inspirateur dans le Coran. En comparaison, Gabriel, n'est cité que trois fois et jamais directement comme inspirateur. Le Coran nomme l'Esprit Saint, le « rūh », en arabe. Le mot provient du mot hébreu ruah, qui est cité 378 fois dans l'Ancien Testament. Dans l'Ancien Testament, le mot ruah recouvre trois concepts différents. Le ruah est d'abord le vent, puis la force vitale du corps humain et, finalement, la force de vie de Dieu. Dans le Nouveau Testament, l’Esprit est le Paraclet, le Conseiller, le Consolateur, descendu sur l’Église après l'Ascension du Christ. Dans le Coran, le « rūh » a différentes fonctions. Il donne vie à l'homme, « façonné d’argile » (S. 32, 7-9) par Dieu. Il met Marie enceinte (S. 21, 91) et il inspire directement Mohamed. Ce qui descend « sur le cœur » de Mohamed, le fait par l’intermédiaire du « rūh – amīn », « l’Esprit fidèle », (S. 26, 193-194). C'est bien l'Esprit qui inspire Mohamed (S. 42, 52) mais également lui qui est accusé d'être responsable des contradictions entre certains versets révélés (S. 16, 101-103). En fait, le « rūh » ne peut pas être identifié, il reste inconnu : « Ils te (Mohamed) questionnent sur l’Esprit (rūh). Réponds-leur : l’Esprit est du [seul] ressort de mon seigneur [min amr rabbī] ; il ne vous est donné que peu de science » (Sourate 17, 85 ; trad. J. Chabbi). Mohamed, questionné par les Quraysh, ne peut que répondre que l'Esprit lui est inconnu : Dieu seul en possède la science. Il ne peut donc pas s’agir de Gabriel, à moins d’une contradiction manifeste dans le Coran (*2).

- Indépendamment de l’inspiration surnaturelle, la Tradition garde la trace de plusieurs inspirateurs humains :
Du vivant de Mohamed, les premières mises par écrit auraient été réalisées par des secrétaires. La tradition musulmane raconte que l'un d'eux, Abd Allāh ibn Saad ibn Sarh, le frère de lait du futur Calife Othman, s’étonne de voir ses propres suggestions reprises par Mohamed pour finir les versets. Il perd la foi en l’inspiration divine du Coran. Il s’enfuit et échappe de peu à la condamnation à mort promulguée par Mohamed. Othman aurait intercédé pour lui (Dāwud, 38, 4345).

Les écrits de la Tradition portent la trace de la satisfaction d’Omar, le futur calife, qui voit ses suggestions reprises dans des « révélations divines » à trois reprises : pour le choix de la « station d'Abraham comme lieu de prière » à la Mecque (S. 2, 125) ; pour l'obligation du voile pour les femmes (S. 33, 59) et finalement pour la possibilité offerte à son ami Mohamed de répudier ses femmes désobéissantes (S. 66, 5) : « et le verset descendit tel quel » sur Mohamed après qu'Omar le lui a récité (Bukhārī, vol 1, 10) (**). En revanche, l'opinion d'Omar sur la lapidation des femmes en cas d'adultère n'est pas retenue dans le Coran ; elle ne s'exprimera que dans les Hadiths.

Mohamed semble, lui-aussi naturellement, avoir laissé sa trace dans le Coran... Aïcha constate avec humour qu’Allah révèle des versets adaptés aux préoccupations du Prophète. La tradition fait dire à Aïcha après qu’Allah a autorisé Mohamed à épouser la femme de son fils adoptif Zaïd : « Ô envoyé d'Allah, je vois que ton Seigneur s'empresse de te plaire. » (Bukhārī, Vol. 7, 48).

Mais Mohamed a également puisé son inspiration dans de multiples sources préexistantes. Nous avons déjà vu à quel point la gnose, le manichéisme, les apocryphes et l'arianisme ont joué un rôle essentiel.

Mohamed s'est également mis à l'écoute du Midrash juif. Quand il nous raconte comment Abraham détruisit les idoles, on peut lire le texte du Coran en parallèle avec celui du Midrash écrit par Bereshit Rabba un siècle auparavant (*4). La Bible ne racontait aucune de ces anecdotes.

Le Midrash Bereshit Rabba (38, 16) nous donne le nom du père d'Abraham, il le nomme Terah comme la Genèse (11, 27). Des manuscrits grecs l'ont transformé en « Tharra » puis en « Athar » *** aux premiers siècles de l'ère chrétienne. Dans le Coran, le père d'Abraham est « Azar » (S. 6, 74), Mohamed n'a donc pas accès directement, ni à la Bible, ni au Midrash, mais à des relectures grecques véhiculées par la transmission orale. Par ce détail, on peut supposer que Mohamed a recueilli des informations orales sur la Bible sans passer par le support écrit. Ce qui ne signifie pas qu'il ne sache pas lire, mais simplement qu'il était de culture orale : il est peu probable que la vie en caravane ait permis de s'encombrer de livres.

Le Midrash Bereshit Rabba (38, 16) nous dit : « Terah était idolâtre. Un jour, il chargea Abraham de la vente [des idoles]... Une femme vint un jour, avec un panier de farine. Elle dit : « Voici pour tes dieux. » Abraham prit un bâton, et fracassa toutes les idoles, à l'exception de la plus grande, dans la main de laquelle il mit le bâton. ».
Le Coran nous raconte : « Je ruserai très certainement contre vos idoles dès que vous aurez le derrière tourné ! [Abraham] les mit en miettes, en effet ; sauf la grande » (S. 21, 57-58).

Le Midrash reprend : « Terah emmena [Abraham] chez Nemrod : Nemrod lui dit : « Adorons le feu ». Abraham lui dit : « En ce cas, adorons l'eau, puisqu'elle éteint le feu. »
Nemrod lui dit : « Adorons l'eau ». Abraham lui dit : « En ce cas, adorons les nuages, puisqu'ils portent l'eau. »
Nemrod lui dit : « Adorons les nuages. » Abraham lui dit : « En ce cas, adorons le vent, puisqu'il disperse les nuages. »
Nemrod lui dit : « Adorons le vent. » Abraham lui dit : « En ce cas, adorons l'homme, puisqu'il résiste au vent.
»

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Un Abraham juif perplexe : doit-il adorer le soleil, la lune ou les étoiles ?
(Synagogue de Doura Europos, 246 ; musée de Damas, Syrie).

La sourate 6 s'inspire directement de ces versets en reprenant ce refus d'adorer des éléments naturels qui disparaissent tour à tour : « Lors donc que la nuit l'enveloppa, [Abraham] observa une étoile, et dit : « Voilà mon Seigneur ! » Puis, lorsqu'elle se coucha, il dit : « Je n'aime pas les couchants ! ». Lorsqu'ensuite il observa la lune se levant, il dit : « Voilà mon Seigneur ! » Puis, lorsqu'elle se coucha, il dit : « Si mon Seigneur ne me guide pas je serai très certainement du nombre des gens prévaricateurs ! » Lorsqu’ensuite il observa le soleil levant, il dit : « Voilà mon Seigneur ! C'est le plus grand » ! Puis lorsque le soleil se coucha, Abraham dit : « O mon peuple, je désavoue l’association de co-dieux que vous faites ! Sincère, oui, je tourne mon visage vers Celui qui a créé les cieux et la terre. » (S. 6, 76-79).

Le Midrash juif continue : « Nemrod lui dit : « Ce que tu dis est absurde ; je ne m'incline que devant le feu. Je vais t'y précipiter. Que le Dieu devant lequel tu t'inclines vienne et t'en sauve.» ».
À la suite du Midrash, la Sourate 37 reprend : « Ils dirent : « Qu'on lui construise une construction et qu'on le lance dans cette fournaise. » (S. 37, 97) et la sourate 29  complète : « Tuez-le ou brûlez-le » Mais Dieu le sauva du feu. » (S. 29, 24) ****.

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Abraham jeté au feu (manuscrit ottoman, XVe siècle ;BnF).

L'histoire coranique d'Abraham, briseur d'idoles et menacé d'être brûlé vif, est donc directement inspirée d'un texte du Midrash, écrit au VIe siècle et transmis oralement à Mohamed.

On le voit, dès son origine le Coran peut se prévaloir de plusieurs inspirateurs : un  wahī et l'Esprit-Saint, peut-être ; mais plus sûrement des scribes, Omar et Mohamed lui-même... du moins selon la Tradition musulmane. Quant au rôle de tous les groupes religieux contemporains de Mohamed, l'épigraphie nous apprend ce que la Tradition musulmane a omis de nous dire.

* : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, *1 : p. 92 / *2 :107-108 ; Jacqueline Chabbi, Fayard, 2008.
** : Le choc Jésus-Mohamed, p. 81, Christian Makarian, CNRS éditions, 2011.
*** : Le Coran, traduction Muhammad Hamidullah, page 123, Club français du livre, 1959.
**** : Wikipedia.

11. 4 . Les premières Sourates récitées : opposition mecquoise et menaces divines.

Dès les premières sourates récitées, l'opposition des Quraysh – les habitants de la Mecque - apparaît. Elle apparaît en filigrane dans la réponse que leur oppose le Coran. Mais la vigueur des apostrophes coraniques donne une idée assez nette de la violence de l’opposition.

Dans la première sourate récitée, tout de suite quelqu'un « crie au m ensonge » et « tourne le dos » (S. 96, 13) et essaye d'« interdire » à Mohamed sa récitation (S. 96, 9-10). La réponse du Coran est immédiate, la Divinité menace les opposants : « Non, non ! S'il ne cesse pas, certes, Nous saisirons au front, front m enteur, fautif » (S. 96, 15-16). Les versets suivants donnent presque l'idée d'un dialogue. Un notable de la Mecque aurait-il appelé l'assistance pour faire taire Mohamed ?  La Divinité de Mohamed rétorque : « Qu'il appelle donc son assemblée ! Nous allons appeler la Garde [céleste] » (S. 96, 17-18).

La deuxième sourate récitée rapporte la même opposition. Immédiatement, l'inspiration coranique rassure Mohamed « Tu n'es pas un fou » (S. 68, 2). Est-ce cela qu'ont pensé les Quraysh face à celui qui se disait inspiré par une voix céleste ? Manifestement ! Puisqu'ils l'ont foudroyé du regard – l'ont « fait broncher par leur regard » - « tout en disant : « Vrai de vrai, il est fou ! » » (S. 68, 51). Les Quraysh sont convaincus que sa prétention à une inspiration divine est un m ensonge, mais le Coran l'encourage : « N'obéis pas à ceux qui crient au m ensonge » (S. 68, 8). Dans les invectives coraniques, on peut même retrouver la trace d'un homme unique, un riche habitant de la Mecque pourvu de toutes les bénédictions humaines, en biens matériels et en enfants, mais dont la moralité semble douteuse : « N'obéis à aucun grand jureur, ce méprisable, ce grand séducteur, ce grand colporteur de médisance, ce grand empêcheur du bien, ce transgresseur, grand pécheur, ce vorace et en plus de cela ce bâtard. Quand bien même il serait doté de richesses et d'enfants. Quand Nos versets sont récités devant lui, il dit : « Des contes d'anciens ! » (S. 68, 10-15). Voilà tout de suite Mohamed accusé de puiser dans des légendes antiques, de vieilles histoires, pour réciter des versets qu'il prétend d'inspiration récente et surnaturelle. Sa voix céleste promet réparation contre ce notable déplaisant et elle le fait avec une verdeur de langage où transparaissent les références culturelles des pasteurs : « Nous le marquerons au museau ! » (S. 68, 16).

Mais Mohamed a-t-il réellement traité de « bâtard » (S. 68, 13) le notable qui s'oppose à lui ? Ne s'est-il pas plutôt rassuré en se racontant en lui-même la scène et en imaginant une réponse adéquate … On l'espère ! Désormais, Mohamed va se réfugier dans la nuit (S. 74, 2). La troisième sourate récitée en témoigne : « Eh, toi dans les draps ! Lève-toi, pour la nuit moins un peu : la moitié ou diminue-là un peu, et ajoutes-y quelque chose. Et psalmodie de psalmodie le Coran. Oui, Nous allons lancer sur toi une parole lourde. » (S. 73, 2-5).

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Mohamed à la Mecque réveillé par un ange
(enluminure ottomane du XVe siècle, Mirādj-Nāmeh ; BnF).

C'est maintenant de nuit que Mohamed va écouter et répéter sa voix céleste. « Oui, les heures de nuit sont plus fermes pour la besogne et plus correctes pour la parole » (S. 73, 6). Il est effectivement plus « correct » de réciter des versets la nuit, après y avoir travaillé - « besogne » faite - , que d'échanger des invectives sur la place publique avec les notables de la ville.

Quel était donc le statut tribal de Mohamed, pour que ses possibilités de défense soient si réduites ? Orphelin pauvre, marié à une femme riche qui a l'âge d'être sa mère, incapable d'engendrer des fils vivants et qui ne s'est engagé dans aucun autre mariage - qu'il ne l'ait pas voulu ou simplement pas pu - quelle était donc sa place réelle dans sa tribu ? En fait, le Coran donne la réponse en rapportant très précisément les paroles des siens : « Ils disent : « Pourquoi n'a-t-on pas fait descendre cet Écrit sur un haut personnage de l'une de ces deux cités ? » » (S. 43, 31) (*1). Les deux cités nommées dans ce verset sont la Mecque et Tāïf, citée montagnarde proche de la Mecque et passée sous son contrôle au début du VIIe siècle. Voilà donc confirmé que Mohamed n'est pas un « haut personnage ». On est loin des légendes abbassides de la Tradition musulmane qui ont surnommé Mohamed, Al Amīn, l’homme sûr, celui à qui aurait été confié le déplacement de la Pierre noire de la Kaaba lors des travaux de réfection vers 605. Mohamed est bien un homme de son clan ; à ce titre il jouit de la protection et de la solidarité tribale, mais il est un membre de moindre importance dans la hiérarchie clanique.

Traité de « fou » (S. 81, 22 ; S. 68, 51) et accusé de m entir (S. 92, 9), par les « pleins d'aisance » (S. 73, 11), Mohamed doit « endurer » (S. 73, 10 ; S. 74, 7). C'est bien lui qui doit se tenir à distance et non les notables qui l'ont fait taire : « Endure ce qu'ils disent ; et écarte-toi d'eux d'un joli écart » (S. 73,10). Même si leur punition se fait attendre (S. 73, 11 et 18), ses opposants seront punis (S. 73, 10-12). Près de la divinité de Mohamed, se trouve le châtiment : « Laisse-Moi avec ceux qui crient au m ensonge, les pleins d'aisance ; et accorde-leur un peu de répit : Oui, il y a près de Nous (la divinité) chaînes et enfer-Jahīm et nourriture à faire suffoquer, et châtiment douloureux, au jour où la terre et les montagnes trembleront, tandis que les montagnes deviendront comme une dune de sable fin. » (S. 73, 11-14). La divinité à Laquelle Mohamed donne sa foi est nommée le Seigneur, le « rabb », pendant toute la période mecquoise : « Qu’ils rendent culte au Seigneur (rabb) de cette demeure [bayt] » (S. 106, 3). Nous ne pouvons donc pas encore L'appeler « Allah » puisque Ce nom n’apparaît  pas encore. Ce ne sera le cas que tardivement et particulièrement à Médine. Le « rabb » de Mohamed est donc une des « divinités » de la Kaaba logeant naturellement dans un des bétyles qu'elle abrite. Comme la Kaaba possède plusieurs rabb, plusieurs divinités, logeant dans autant de bétyles, et que le culte de Mohamed ne s'adresse qu'à l'un d'eux, il est tout à fait probable que le mot « bayt », traduit par « maison » habituellement quand est transcrite la sourate 106, ne soit pas à entendre dans le sens général de « Kaaba », mais seulement dans l'acceptation du bétyle, la « maison » de l'unique dieu auquel Mohamed rend hommage. La traduction correcte de ce verset serait donc « Qu’ils rendent culte au dieu de ce bétyle. » ( S. 106, 3).

Le « rabb », le Seigneur de Mohamed, le rassure en lui promettant de châtier ses opposants : « Je vais le contraindre à monter une pente ! Oui, il a réfléchi. Et il a pris une détermination ; - qu'il soit tué donc, quelle détermination ! » … Dans ce dialogue resserré entre Mohamed et son Dieu, on voit se glisser à nouveau une saynète mecquoise : « - Ensuite il a regardé. Ensuite il s'est renfrogné et rembruni. Ensuite, il a tourné le derrière et s'est enflé. Puis, il a dit : « Ceci n'est que de la magie héritée ; ce n'est que la parole d'un homme » (S. 74, 17-25). Un Quraysh bien particulier a écouté Mohamed, il a réfléchi à ce qu'il entendait et il en a conclu qu'il s'agissait de m ensonges, de simples racontars humains, et il lui a tourné le dos.

Dès les premiers versets du Coran, nous avons une description vivante de la vie à la Mecque. Trop vivante peut-être ? Est-ce pour cela que le Coran a été rédigé dans un ordre si irrationnel ? Est-ce pour en rendre difficile la lecture chronologique du texte saint et dissimuler les débuts difficiles de Mohamed ?

Mais, également, dès les premiers versets récités, apparaît le souffle poétique et le lyrisme du Coran.
Les versets médinois seront souvent dépourvus de cette esthétique eschatologique. Si le Coran est un livre qui a suscité la passion et remporté l'adhésion de bien des croyants, on peut certainement en trouver la raison dans son incontestable qualité littéraire et poétique, en particulier dans sa partie mecquoise. Malheureusement, les traductions peinent à retranscrire la qualité littéraire du Coran en arabe. « Par la nuit quand elle enveloppe ! Et par le jour quand il éclaire ! Et par ce qu'Il a créé mâle et femelle ! Certes, oui, vos efforts sont divergents. Puis, quant à celui qui fait largesses et se comporte en piété et confirme la plus belle des choses, alors Nous lui faciliterons la plus grande facilité. Et quant à celui qui est avare et cherche à se mettre au large, et traite de m ensonge la plus belle des choses, alors, Nous lui faciliterons la plus grande difficulté. Une fois perdu, cependant, ses richesses ne le mettront pas au large ! Certes, oui, à Nous de guider ! Certes oui, à Nous l'au-delà et le présent ! » (S. 92, 1-13).


Enfant récitant magnifiquement la Sourate Yasin. Cette récitation met en évidence la beauté de la langue coranique, ce qui explique son
succès. Néanmoins, le contenu est parfois terrifiant et l'esthétique de la forme contribue à en faire accepter le fond : «
et
nous mettrons des carcans à leurs cous, il y en aura jusqu'au menton et voilà qu'ils iront les têtes dressées ».

Au travers de la perfection esthétique de cette récitation poétique, on retrouve tout de suite cette vision de la divinité si particulière qui fait du Dieu de Mohamed un dieu qui ne peut être Celui du Christ. La divinité de Mohamed agit dans le monde, dans le présent, comme dans l'au-delà, et envoie récompenses et punitions dès ici-bas. Rien ne se passe sur terre qui échappe à Sa Toute-puissance. Dans la théologie coranique, aucun espace n'est laissé au libre-arbitre de l'homme.

* : Le Seigneur des tribus, l'islam de Mohamed, *1 : p. 267 ; Jacqueline Chabbi, CNRS éditions, 1997.

11. 5. La première vision de Mohamed : révélation eschatologique.
Le Coran présente trois moments mystiques lors desquels Mohamed raconte avoir bénéficié de visions surnaturelles. Tout le monde connaît le « voyage nocturne de Mohamed » qui, selon la Tradition musulmane, l'aurait conduit à Jérusalem, mais le Coran raconte en fait autre chose. Il y a eu trois moments mystiques dans le Coran, et non un seul, et on peut remarquer que l'ange Gabriel est absent des trois. Ces trois apparitions surnaturelles se seraient toutes les trois déroulées à la Mecque et on a déjà vu que Gabriel n'est cité que dans des versets médinois.
La septième sourate récitée (la Sourate 81) raconte la première apparition dont aurait bénéficié Mohamed. Dans ce texte infiniment poétique se trouve tout le génie littéraire de l'auteur du Coran :
« Je jure par les astres qui déclinent, par les planètes qui suivent leur cours tracés puis s’effacent, par la nuit lorsqu’elle se fait et par l’aube quand s’exhale son souffle.
C’est la parole d’un messager bienfaisant [rasūl karīm] (v. 19).
Il a pouvoir [dhū quwwa] auprès du détenteur du trône [dhū l-‘arsh] et influence durable [mākīn].
Il est obéi [mutā ’], car il est digne de confiance [amīn] (v. 21), votre compagnon [sahibu-kum, c'est-à-dire Mohamed], n’est point possédé par un djinn malfaisant [madjnūn].
Il a vu [le messager] clairement sur l’horizon.
Il [le messager] n’a rien celé [mā  huwwa b-danīn] de l’avenir caché [‘alā  l-ghayb] (v. 24).
Ce n’est pas la parole [mā  huwwa bi-qawl] d’un de ces démons maléfiques [shaytān, un des noms des djinns], qu’on lapide [radjīm] pour les repousser car ils veulent du mal aux hommes
. » (S. 81, 15-25 ; trad. J. Chabbi).

Gabriel est totalement absent de ce texte : le messager céleste, le « messager bienfaisant » (v. 19), est tout à fait anonyme*. Aucun des renseignements que développera ultérieurement la Tradition musulmane n'est présent dans ce texte : ni le jeûne de Mohamed, ni ses pratiques contemplatives ne sont signalés. D’ailleurs, nulle part, le Coran ne signale de pratiques acétiques chez Mohamed. À l'inverse, Mohamed est fier de faire ses courses et de vivre comme un homme aisé dans la Mecque marchande : « Ils disent : « Qu'est-ce qu'il a, ce messager, à manger aux repas et à circuler dans les bazars ? » (S. 25, 7). Nulle mention de la grotte de Hirā : la seule grotte qui existe dans le Coran, est celle où Mohamed trouve refuge avec un compagnon après avoir été banni de la Mecque en 622 (S. 9, 40)*.
Une apparition s'est donc manifestée spontanément au dessus de l’horizon, sans qu'il ne l'ait aucunement sollicitée par ses prières. Elle lui a révélé « l’avenir caché » (v. 24). Tout de suite préoccupé de répondre à ceux qui doutent de lui, Mohamed se justifie : il affirme qu'aucun djinn ne l'a inspiré. Mohamed est « digne de confiance », « amīn » (v. 21), comme l'était l'Esprit qui l'inspire (S. 26, 193-194). On voit ici que cette appellation de « digne de confiance » provient du Coran et que ce ne sont pas les Quraysh qui l'ont surnommé ainsi en 605. D'ailleurs, le Coran nous avait déjà appris que son statut au sein de sa tribu contredisait déjà cette croyance : Mohamed n'est qu'un homme peu important dans son clan. Il n'est pas al Amīn, l'homme de confiance sur lequel les siens peuvent s'appuyer. Ainsi, peut-on savoir que cette suggestion provient de la reconstruction ultérieure de la Tradition musulmane et non d'un fait historique daté de 605.*

L'apparition n'a rien dissimulé à Mohamed de « l’avenir caché » (v. 24). Mais de quel avenir s'agit-il ? On a vu que l'avenir de l'humanité lui reste inconnu et que sa vision est bornée aux limites de sa propre vie, puisque aucun verset ne raconte quoi que ce soit qui se serait passé après 632, l'année de son décès. Serait-ce l'avenir dans l’au-delà qui aurait fait l'objet des révélations de l'apparition ?
En fait, les contemporains de Mohamed – pas plus les hommes que les djinns- ne croient en la vie éternelle : « Eux aussi pensaient, - comme vous aviez pensé, - que Dieu ne ressusciterait jamais personne » (S. 72, 7). Il s'agit d'une croyance typique du judaïsme et du christianisme. Mohamed va maintenant annoncer la fin des Temps, et le Jugement dernier. Sa prédication prend très rapidement une tournure eschatologique. « Ce Coran est, en vérité, une science de l'Heure. N'en doutez point. » (S. 43, 61).
Ainsi, ses difficultés avec les membres de sa tribu vont-elles trouver une solution. En effet, leurs punitions semblent tarder. Mais l'annonce d'une vie dans un autre monde permet de retrouver l'espérance dans la victoire finale de son Seigneur. La résurrection inaugurée par un Jugement de Dieu et la présence de plusieurs enfers (enfer-Jahīm (S. 73, 11) ; enfer-Sacar (S. 74, 26)...) permet d'avoir la garantie que l'impie sera un jour puni, au moins dans l'au-delà.

Et cette fin du monde est annoncée dans le Coran avec tout le souffle poétique des premières sourates récitées. Les catastrophes finales avaient déjà été prophétisées par le Christ : « Le soleil s'obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel et les puissances des cieux seront ébranlées. Alors, on verra le Fils de l'homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire. Et il enverra les anges avec une trompette sonore pour rassembler ses élus des quatre vents, des extrémités des cieux à leurs extrémités. » (Matthieu 24, 29-31). Le Coran va reprendre les mêmes images avec une poésie typique de la culture arabe.

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Exaltation de la chute de Vénus et de Mercure
(
Le Lever des astres chanceux et les Sources de la souveraineté, manuscrit ottoman, XVIe siècle ; BnF).

Dans la Sourate 81, « Lorsque le soleil se sera enroulé », on lit l'évocation du jour dernier. « Le jour s'enroule dans la nuit » dit-on en arabe*. Après le dernier jour, après le dernier « enroulement du soleil », le jour ne se déroulera pas, il ne reviendra plus. « Lorsque le soleil se sera enroulé et que les étoiles seront obscurcies et les montagnes mises en marche et les chamelles à terme, négligées, et les fauves, rassemblés et les mers, surchauffées et les âmes, accouplées. » (S. 81, 1-7). Les catastrophes astronomiques préludent à la fin des temps : « L'Heure vient et la lune se fend. » (S. 54, 1). Il ne s'agit pas là d'un miracle qu'aurait accompli Mohamed en fendant la lune, mais de l'évocation de l'Heure dernière qui reprend les images évangéliques de destruction planétaire.

La fin des temps surviendra au son de la trompe (S. 78, 18 ; S. 74, 8 ; S. 6, 73) comme chez Matthieu (24, 31). Sa survenue sera imprévue, comme une attaque de campement au petit matin (S. 100, 1-5). Mohamed lui-même en ignore le moment : « ils t’interrogent sur l’Heure : « Quand va-t-elle jeter l’ancre ?... Ils t'interrogent comme si tu en étais familier - dis : Rien d'autre, en vérité : la science est auprès de Dieu. » (S. 7, 187). Même si le messager apparu au dessus de l'horizon ne lui cache rien de l'avenir (S 81, 24), bien des choses lui demeurent néanmoins inconnues, en particulier quand un curieux le questionne trop précisément. On a déjà vu que le Coran propose la même dérobade quand il s'agit de renseigner plus exactement sur l'esprit, le (rūh) : « Ils te questionnent sur l’Esprit. Réponds-leur : l’Esprit est du [seul] ressort de mon seigneur ; il ne vous est donné que peu de science » (S. 17, 85 ; trad. J. Chabbi).


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Exaltation de chute de Saturne et de Jupiter
(
Le Lever des astres chanceux et les Sources de la souveraineté, manuscrit ottoman, XVIe siècle ; BnF).

À l'heure dernière, la fumée recouvrira tout (S. 44, 10) et le Jugement de l'humanité débutera : « Bientôt se rappellera quiconque craint, cependant que s'en écartera le grand malheureux, qui tombera dans le plus grand Feu, puis il n'y mourra ni ne vivra. Réussit, certes, celui qui se purifie et se rappelle le nom de Dieu puis célèbre l'Office. Vous préférez la vie présente, plutôt, alors que l'au-delà est meilleurs et plus durable. Oui, ceci est certes dans les Feuilles anciennes, les Feuilles d'Abraham et de Moïse » (S. 87, 10-19). Les Feuilles d'Abraham et de Moïse, manifestement la Thora, auraient prévenu du Jugement dans l'au-delà, si on en croit  le Coran. Cela est inexact puisque la notion de vie éternelle n’émergera dans la révélation hébraïque qu'au VIe s. avant JC, avec Daniel. Pour Moïse et Abraham, il s'agissait simplement d'être individuellement fidèle à Dieu et à Son Alliance pour que le Peuple Élu demeure, lui, éternel sur terre. Le salut dans l'au-delà n'était pas connu d'eux. Il s'agit donc d'un anachronisme théologique du Coran. Mais voilà introduit Moïse et Abraham qui vont prendre tour à tour une importance essentielle dans le Coran, celle de témoins chargés de confirmer la vocation de Mohamed. Moïse occupera cette place à la Mecque, avant de laisser sa place à Abraham en période médinoise.

Avec une puissance poétique exceptionnelle, Mohamed donne donc, dès le début de sa récitation, une vision terrifiante de l'au-delà et des châtiments qui attendent ceux qui refusent la prédication que lui aurait révélée un « messager bienfaisant » (S. 81, 19).

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À la mosquée, un prédicateur délivre un sermon sur l'égalité de tous face à la mort
(Muhammad al-Qāsim al-Harīrī, al-Maqāmāt (Séances), Miniatures et calligraphie de Yahya ibn Mahmūd al-Wāsitī, 1237, Iraq ; BnF).

* : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, p. 74 à 76 ; Jacqueline Chabbi, Fayard. 2008.
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:33

11 : MOHAMED À LA MECQUE.
De 610 à 622.


11. 1. Sources épigraphiques... et quelques précautions oratoires.
11. 2. L'enfance et la jeunesse de Mohamed telles que les raconte la Tradition musulmane.
11. 3 . Selon le Coran qui inspire Mohamed si ce n'est pas l'ange Gabriel ?
11. 4 . Les premières Sourates récitées : opposition mecquoise et menaces divines.
11. 5. La première vision de Mohamed : révélation eschatologique.
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11. 6. Peut-on convaincre les réfractaires en suscitant la peur ?
11. 7. La morale coranique s'élabore à la Mecque à l'occasion des conflits humains de Mohamed.
11. 8. Une ébauche d'organisation religieuse, la Salāt et la Zakāt.
11. 9. Le Jugement dernier.
11. 10. Visions d'enfer : Allah, le Maître de l'enfer.
11. 11 . Visions de paradis, ou comment satisfaire les pulsions masculines.

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11. 12. S'il s'agit de convaincre par la parole, encore faut-il que le discours coranique soit cohérent !
11. 13. La deuxième vision mystique de Mohamed.
11. 14. La troisième vision de Mohamed : l'isrā'.
11. 15. : Les juifs et leurs prophètes : Mūsā /Moïse ; Nūh/Noé...

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11. 16. Signes demandés, signes refusés.
11. 17. Signe du Seigneur, le Coran se définit lui-même.
11. 18. Au prix de la soumission dans la crainte et du renoncement à toute logique, le Coran est et restera la vérité des musulmans.
11. 19. Mohamed et son Dieu ; Mohamed et ses contemporains ; Mohamed et ses fidèles.
11. 20. L’année 619 : année tragique de deuil.

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:34

11 : MOHAMED À LA MECQUE (SUITE).
De 610 à 622.


11. 6. Peut-on convaincre les réfractaires en suscitant la peur ?
Le Seigneur de Mohamed punira les mécréants dans l'au-delà. Mais, les habitants de la Mecque ne croient pas en la vie éternelle (S. 72, 7). Comment Mohamed peut-il alors convaincre ses opposants par des menaces dans l'au-delà ? La réponse est rapidement proposée : dès ici-bas, si un incroyant persiste dans la mécréance, « Nous lui faciliterons la plus grande difficulté » (S. 92, 10).
Le Coran va puiser dans l'histoire locale et récupère le souvenir des catastrophes naturelles en affirmant qu'elles sont des châtiments divins.
À la naissance de Mohamed, Pétra et Hégrā sont des villages dépeuplés au milieu de vestiges de pierre grandioses.

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Le site de Pétra en Jordanie et le temple dit « du Trésor »

Très rapidement, le Coran fait allusions aux Nabatéens, nommés les Thamūd (S. 89, 9) (*1). Selon le Coran, leur faute serait d'avoir bâti en pierre (S. 89, 9). La Sourate 26 (146-149 ; trad. J. Chabbi) met en garde : « Vous laissera-t-on en sécurité au sein de ce qu'il y a ici, des jardins et des sources, des cultures et des dattiers, et taillerez-vous dans la pierre vive des montagnes des demeures [croyant y être] en [totale] sécurité ? ».
Les ‘Ad sont les Nabatéens d'Hégrā (S.15, 80). Ils ont construit des hauts lieux où ils rendent un culte à leurs dieux : « Est-ce par défi que vous dressez sur chaque hauteur un signal visible de loin, que vous édifiez [à votre usage] des architectures monumentales ? » (S. 26, 128 ; trad. J. Chabbi). Bâtir en dur semble bien être un péché pour le Coran, et célébrer le culte dans des hauts-lieux également (*2). On reconnaît ici sans équivoque l'architecture nabatéenne qui existe encore de nos jours dans le paysage de la péninsule arabique. La ville d'Hégrā décrite par le Coran existe toujours en Arabie Saoudite sous le nom Madā ’in Sālih.

La situation des 'Ad est présentée en parallèle à celles des contemporains de Mohamed. Les 'Ad auraient traité de m enteur celui qui était chargé de les mettre en garde (*3). « Le peuple de Hégrā (ashāb al-hidjr) a déclaré m ensonge de ceux qui ont été envoyés pour transmettre. Ils ont creusé dans les montagnes des demeures [s’imaginant qu’ils y seraient] en sécurité. Ils ont été pris par le Cri, à l’aube. Ce qu’ils s’étaient acquis ne leur a servi à rien. » (S. 15, 80-84, trad. J. Chabbi). Le Coran va jusqu'à nommer les messager, celui des 'Ad s'appelle Houd (S. 7, 65) et celui des Thamūd, Sālih (S. 7, 73). Mohamed est lui le messager moqué et ignoré des habitants de la Mecque. Ni Houd, ni Sālih n'ont été écoutés des leurs, et la destruction de Pétra et d'Hégrā témoigne du châtiment divin : que les Quraysh comprennent donc ce que cela signifie !
Dans la théologie coranique, ce ne peut être le hasard si un tremblement de terre a détruit la ville de Pétra : il s'agit forcement d'une action divine. Et si la divinité détruit une ville, c'est que ses habitants ont péché : « Voilà donc, de ce que [les Thamūd] prévariquaient, leurs maisons aux toits écroulés ! » (S. 27, 52). Dans le Coran, la mort des Thamūd et des 'Ad est racontée deux fois et deux raisons différentes sont invoquées. Pour la Sourate 54 (27-31), ils sont punis pour avoir mutilé une chamelle sacrée. Pour la Sourate 89 (9-13) et la Sourate 15 (82-83), c'est leur architecture de pierre qui leur est reprochée. Les deux reproches sont regroupés en une fin unique Sourate 26 (146-158) et Sourate 7 (74-78) (*4). Peu importe finalement le péché incriminé, la puissance divine punit dès ici bas - la preuve en reste visible dans le paysage d'Arabie - et particulièrement si on n'écoute pas le messager chargé d'avertir.

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Madain Saleh, cité nabatéenne (Arabie Saoudite).

Si le Seigneur de la Kaaba est donc à l'origine de chaque événement terrestre et de la punition des mauvais, la situation de Mohamed est tout de suite décrite comme en contrepoint. Dès le début de la prédication de Mohamed, la sourate 94 rappelle qu'il a bénéficié lui-même de la grâce divine. Quand il était dans la misère, l'aide divine ne lui a pas fait défaut : « N'avons-Nous pas libéré d'aise ta poitrine ? Et retiré le fardeau qui écrasait ton dos ? » (S. 94, 1-3 ; trad. J. Chabbi)**. L'expression « libérée d'aise » concerne les biens matériels, elle est à mettre en parallèle avec l'expression arabe « dāqa sadru-hu », « sa poitrine est devenue étroite » qui signifie « vivre dans la gêne »**. Pour le sauver de sa dure condition d'orphelin pauvre, Mohamed a reçu des bienfaits matériels. Ces versets rappellent que le « rabb », le Seigneur de la Kaaba, a agi pour préparer l'action de son envoyé et sans lui ménager son soutien !

La Tradition musulmane donnera de ces versets une toute autre interprétation. Sans doute gênée par les origines païennes de son Prophète, elle va broder sur ce verset et raconter comment un ange serait venu visiter Mohamed dans son enfance, et comment il lui aurait ouvert la poitrine - au sens littéral du terme - pour laver son cœur et le purifier ainsi de tout paganisme et de tout péché**. Naturellement, les versets du Coran ne racontent pas du tout cela.

Voilà mises en parallèle, deux actions divines immédiates et terrestres : les méchants sont punis et le juste, en l’occurrence Mohamed, est aidé et soutenu. Le Seigneur de Mohamed rend justice dès ici bas et se soumettre à Lui ne peut être que profitable au quotidien et sans attendre la vie éternelle.

* : Le Coran décrypté ; *1 : p. 126 / *2 : p. 130 / *3 : p. 128 / *4 : p. 129 ; Jacqueline Chabbi, Fayard. 2008.
** : Le Seigneur des tribus, l'islam de Mohamed, Jacqueline Chabbi, p. 440, CNRS éditions, 1997.

11. 7. La morale coranique s'élabore à la Mecque à l'occasion des conflits humains de Mohamed.
Le Seigneur de la Kaaba a protégé matériellement Mohamed enfant. Sa condition d'orphelin conduit à une généralisation de la solidarité envers les orphelins : « Par le jour montant ! Et par la nuit quand elle couvre ! Ton Seigneur ne t'a pas abandonné, et Il n'a pas non plus détesté... Et certes ton Seigneur va t'accorder, puis tu seras content. Quoi ! Ne t'a-t-il pas trouvé orphelin ? Puis Il a donné asile ! Et ne t'a-t-il pas trouvé égaré ? Puis Il a guidé ! Et ne t'a-t-Il pas trouvé à charge ? Puis il a mis au large ! Quant à l'orphelin, donc, n'opprime pas. Et quand au mendiant, ne repousse pas. » (S. 93, 1-11).

Dès le début de la récitation, une morale s'élabore, centrée sur la gestion des biens matériels. L’égoïsme des Quraysh est évoqué et mis en lien avec l'impiété : « Vois-tu qui traite de m ensonge la Rétribution ? Or, c'est celui qui repousse l'orphelin et qui n'incite point à nourrir le pauvre. » (S. 107, 1-3). À l'opposé, la piété des hommes est associée à la générosité : « Dans leurs biens, le mendiant et le déshérité avaient leurs droits. » (S. 51, 19). La générosité peut être discrète, la Sourate 35 (29) recommande de « faire largesse en secret et en public ». Si les riches restent incroyants, l'enfer-Sacar leur est promis (S. 74, 26). La damnation est pour ceux qui refusent de célébrer l'office et de nourrir les pauvres (S. 74, 43-44).
Deux raisons sont donc évoquées pour justifier la solidarité envers les pauvres et particulièrement envers les orphelins : d’une part Mohamed a été lui même un orphelin pauvre et dépendant et, d'autre part, il a été pris à partie par les riches notables de la Mecque.

Après l'affrontement initial avec les notables de la Mecque, toute une théologie de l'argent va se déployer. L'amour de l'argent est stigmatisé, d'autant qu'il détourne des pauvres : « Non, non ! C'est vous, plutôt, qui n'êtes pas nobles envers les orphelins ; qui ne vous incitez pas l'un l'autre à nourrir le pauvre, qui dévorez l'héritage avec une avidité vorace, et aimez les richesses d'un amour débordant ! » (S. 89, 17-20).

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Conte de l'ermite et de l'orfèvre : l'orfèvre et tombé dans un trou et il est secouru par un pauvre ermite.
Pour ne pas avoir à le remercier, il l'accuse ensuite d'avoir voulu le tuer
(Ibn al-Muqaffa’, Kalila wa Dimna, Syrie, XIVe siècle ; BnF).

Le Coran constate que l'avarice détourne de la recherche de Dieu : « La concurrence au grain vous distrait, jusqu'à ce que vous visitiez la tombe. Non, non ! ...  Très certainement vous verrez l'enfer-Jahīm. » (S. 102, 1-7). L'avarice conduit à la malhonnêteté : l'enfer attend donc ceux qui trichent sur les pesées et sur les mesures (Sourate 83, les fraudeurs, 1-3), d'autant plus qu'ils traitent la récitation de Mohamed de m ensonge : « Non, non ! Pour les libertins, la Prescription est qu'ils seront certes dans l'enfer-Prison- et qui te dira ce qu'est l'enfer-Prison ? Prescription (Kitāb) écrite ! Malheur, ce jour-là, à ceux qui crient au m ensonge, qui traitent de m ensonge le jour de la Rétribution ! Or ne le traite de m ensonge que tout transgresseur pécheur : quand Nos versets sont récités devant lui, il dit : « Des contes d'anciens ! » (S. 83, 7-13). L'amour de l'argent perd : « Malheur à tout séducteur blâmeur, qui amasse une fortune et la dénombre, espérant que sa fortune l'immortalisera ! Non, non ! Très certainement il sera jeté dans la Hotamah. » (S. 104, 1-4). Voilà encore un autre enfer dénommé !

Néanmoins, indépendamment des conflits au sujet de l'argent, Mohamed va rapidement réciter des consignes de morale familiale :
- Immédiatement, il devient interdit de tuer les nouveau-nées filles
(S. 16, 58-59 ; S. 81, 8-9) : « On demandera au sujet de la fillette enterrée vive, pour quel péché a-t-elle été tuée ? » (S. 81, 8). Jusqu'au Jugement dernier, la mémoire de ce crime sera donc rappelée. Expression d'une sensibilité inattendue au cœur d'une civilisation si rude, l'humanité de l'auteur du Coran surgit là, émouvante.
- L'obéissance et la bonté envers ses parents est préconisée, même s'ils sont restés païens : « Nous avons commandé à l'homme [la bienfaisance envers] ses père et mère... Et si tous deux te forcent à M'associer ce dont tu n'as aucune connaissance, alors ne leur obéis pas ; mais reste avec eux ici-bas de façon convenable. » (S. 31,14-15).
- La modération est la règle. L'islam est une religion du juste milieu. Que ce soit dans la pratique de la prière - « Récitez donc du coran ce qui sera facile. » (S. 73, 20) - , ou dans l'exercice de la charité - « Lorsqu'ils font largesses, ils ne sont ni prodigues, ni avares, puisque entre les deux est la droiture. » (S. 25, 67) - , la modération reste de règle.
- Il est recommandé aux hommes la bienveillance avec leurs épouses : « Il est de Ses signes d'avoir créé de vous, pour vous, des épouses, pour que vous habitiez près d'elles, et Il assigne entre vous amour et miséricorde » (S. 30, 20-21). Pour l'instant, nulle ébauche des longs versets récités à Médine au sujet de la législation sur les femmes, soit que celles-ci n'aient pas été intéressées par son discours, soit qu’elles n'y aient pas eu accès – leurs maris n'étant pas convaincus - ,  soit que la nature de son union avec Khadīdja ne ce soit pas prêtée – même au nom de son inspiration céleste - à légiférer sur les droits et devoirs des femmes.

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Couple enlacé (miniature iranienne, XVIIe siècle ; Téhéran)

L'espérance en la miséricorde divine doit aider le pécheur à se réformer de ses mauvais comportements : « « Ô Mes esclaves, qui avez commis des excès à votre propre détriment ! Ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu, car Il pardonne tous les péchés. Certes, c’est Lui le Pardonneur, le Miséricordieux. » (S. 39, 53) et  S. 15 (49).

D'autres scènes de la vie mecquoise se laissent deviner. Si, au début, les Quraysh ont discuté avec Mohamed pour le faire taire, ils finissent maintenant par le laisser seul pour retourner chez eux : « Mais celui-là n'a ni cru, ni célébré l'Office, au contraire, il a crié au m ensonge et tourné dos, puis il s'en est allé vers sa famille, marchant avec orgueil » (S. 75, 31-33). Et les versets suivants nous montrent Mohamed laissé seul, répétant inlassablement son commentaire dépité : « - « Tant pis pour toi, et tant pis ! » « Encore une fois tant pis pour toi, et tant pis ! » » (S. 75, 34-35). Mohamed n'a aucun succès.

Seul un aveugle semble intéressé par les discours de Mohamed, mais c'est maintenant lui qui lui tourne le dos.
« Il s'est renfrogné et a tourné le dos, parce que l'Aveugle est venu à lui. » (S. 80, 1-2 ; 24e Sourate récitée). Sa voix céleste le reprend : Mohamed doit répondre à ceux qui viennent spontanément à lui, même s'ils sont peu attirants : « Quant à celui qui vient à toi et qui s'empresse tout en redoutant, alors tu te distrais de lui ! Non, non ! Vraiment, ceci est un Rappel » (S. 80, 8-11). Néanmoins, 21 sourates plus tard, il semble bien que l'enthousiasme de l'aveugle et sa présence permanente aient incommodé Mohamed : « l’aveugle et le voyants ne sont pas égaux » affirme sèchement le Coran par la bouche de Mohamed le voyant (S. 35, 19 ; 43e sourate récitée). S'il s'agissait de promouvoir au nom du Seigneur de la Kaaba la supériorité des bien-portants sur les malades, pourquoi est-ce l'aveugle qui est pris en exemple parmi tous les souffreteux qui vivaient à la Mecquemuets » (S. 16, 76), « boiteux » (S. 48, 17), mais également, rachitiques ou simplets comme il s'en trouvait partout) ? Comment imaginer que ce soit le hasard si son humiliant disciple a été ainsi remis à sa place. Mohamed, au milieu du mépris tribal qui l’accable, ne rechercherait-il pas le soulagement en dominant de sa supériorité un de ses rares fidèles, « l'Aveugle » trop envahissant ?

11. 8. Une ébauche d'organisation religieuse, la Salāt et la Zakāt.
« Vois-tu qui traitent de m ensonge la Rétribution ? Or, c'est celui qui repousse l'orphelin et qui n'incite point à nourrir le pauvre. Malheur, donc aux célébreurs d'Office, qui sont négligents dans leur office. » (S. 107. 1-5).
Très rapidement, associée à la charité, apparaît l'obligation de prier. La Salāt et la Zakāt étaient des pratiques religieuses du royaume Himyarite - au sud de la péninsule arabique - converti au judaïsme depuis 380. Elles vont être adaptées à la prédication de Mohamed. Très tôt, le Coran les reprend comme des obligations de piété : « T'ā, Sīn. Voici les versets du Coran et d'un Livre évident, guidée et bonne annonce aux croyants qui établissent l'Office et acquittent l'impôt, tandis qu'eux-mêmes croient avec certitude à l'au-delà » (S. 27, 1-4).

Dès la Mecque, la Salāt, la prière juive du Hedjāz, est adaptée puis fusionnée avec les rituels préislamiques.
Les prières préislamiques ont laissé une trace dans le Coran. La prosternation (sudjūd) est d'origine païenne. Les païens se prosternent à l'entrée des lieux haram (S. 2, 58), devant le soleil (S. 27, 24) ou devant des idoles (S. 21, 53)*. La prière païenne s’exprimait par des sifflements et des battements de mains : « Et leur prière, auprès de la Maison, n'est que sifflements et battements de mains ! » (S. 8, 35). On pratiquait des marches circulaires autour des édifices sacrés (S. 22, 29), tours sept fois répétés, ce qui maintenant ne peut plus surprendre nos lecteurs. Dans toutes les cultures, la présence des sept astres mobiles visibles à l’œil nu a nourri la spiritualité, en mettant les hommes en contact avec le ou les dieux dépositaires des mystères du cosmos. De la prière préislamique, ni les sifflements, ni les applaudissements ne seront conservés, mais les marches circulaires resteront une pratique réservée au pèlerinage, et la prosternation, expression de la soumission, symbolisera toute la foi du nouveau croyant : « Ils étaient appelés à la prosternation au temps où ils étaient sains et saufs. » (S. 68, 43).


Dès le début, Mohamed récite le Coran. Cela doit être fait correctement avec une lenteur pleine de dignité. Son Seigneur le reprend : « N'en remue pas pour autant ta langue avec ceci [le Coran], comme pour te hâter : à Nous, oui, son ordonnance et sa récitation. » (S. 75, 16-17).

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Mohamed se prosternant (Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

À ceux qui pourraient être surpris de voir représenter Mohamed, il faut rappeler que, jusqu'au XVIe siècle, le Prophète
de l'islam a été dessiné sans réticence par les musulmans. Pour ne pas créer d'inutiles polémiques,
seules ses représentations réalisées par des musulmans ont été retenues ici.

La prière et la récitation vont rapidement structurer sa journée et même envahir sa nuit : « Établis les Offices, du déclin du soleil aux ténèbres de la nuit close. Et aussi la Lecture de l'aube, oui, la lecture de l'aube a des témoins. Et la nuit fais vigile, à titre de surérogation de ta part. » (S. 17, 78-79). Ce rythme soutenu de prière est une contrainte, Mohamed s'y soumet sous œil terrifiant de son Seigneur : « Endure avec constance, devant l'ordre de ton Seigneur ! - Car en vérité tu es sous Nos yeux » (S. 52,48). Le respect scrupuleux du rituel et la multiplication des prières semblent l’apaiser : « Par la Louange, chante Pureté à ton Seigneur, avant le lever du soleil, avant ton coucher. Et quant aux heures de la nuit, alors, chante pureté. Et aussi à tous les bouts du jour. Peut-être seras-tu content ? » (S. 20, 130).

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Livre de dévotion dou'a associée à la salāt (manuscrit ottoman, XVIIIe siècle ; BnF).

Au début, il récite le Coran seul : il est le « premier de ceux qui se soumettent » (S. 6, 163). Puis, il récite le Coran en public et ceux qui se prosternent marquent ainsi leur foi : « Eh bien, qu'ont-ils à ne pas croire. Et quand le Coran est récité devant eux, à ne pas se prosterner ? » (S. 84, 20-21). À ceux qui refusent de se prosterner est promis « un châtiment douloureux » (S. 84, 24). Néanmoins, Mohamed, malgré ses menaces, n'engendre pas la crainte mais le rire : « Vous vous étonnez de ce récit ? Allez vous en rire et ne pas pleurer, tout en vous enflant d'orgueil ? Mais prosternez-vous devant Dieu et L'adorez ! » (S. 53, 59-62). Le Coran serait facile à réciter et à apprendre mais cela semble insuffisant pour multiplier les croyants. « Nous avons rendu le Coran facile au Rappel. Eh bien en est-il un qui se rappelle ? » (S. 54, 40). À la fin de période mecquoise, il se voit interdit l'accès à la Kaaba (S. 8, 34).

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La clé de la Kaaba au XVe siècle (musée du Louvre ; Paris).

Mohamed importunait-il alors les mecquois avec des lectures coraniques intempestives ? « Lecture que Nous avons répartie, pour que tu la lises, à intervalles, devant les gens » (S. 17, 106).

La Zakāt, l’aumône traditionnelle des juifs, est rapidement prescrite mais son contenu va évoluer au fil du temps. La remise dans l'ordre chronologique de la récitation des versets est à ce titre extrêmement significative.
Dans le Coran, la charité est orientée vers la famille proche. Il s'agit de solidarité tribale, mais la générosité envers des étrangers n'est pas oubliée : « Apporte donc au proche parent son droit, au pauvre aussi et à l'enfant de la route. » (S. 30, 38). De nombreux versets recommandent la générosité envers les nécessiteux et les orphelins (S. 93, 9-10 : 11e sourate récitée). Qu'ils devaient être nombreux ces « enfants de la route » (S. 4, 36) et ces « pauvres pleins de poussière » (S. 90, 16). Il n'est pas alors question de donner de l'argent à Mohamed, mais de faire l’aumône aux pauvres.

Par sa voix céleste, Mohamed s'affirme ni importun, ni intéressé : « Dis : « De cela, je ne vous demande pas de salaire ; et je ne suis pas de ceux qui cherchent à s'imposer. » (S. 38, 86 ; 38e Sourate récitée). Compte-tenu de ses relations insistantes avec les habitants de la Mecque, cela ressemble davantage à une pétition de principe. On peut même craindre que cela laisse mal augurer de ses relations futures à l'argent...
Mais le Coran insiste : la preuve que les messagers de Dieu sont authentiques est dans leur désintéressement : « Ô mon peuple, suivez les messagers : suivez ceux qui ne vous demandent pas de salaire. » (S. 36, 21 ; 41e Sourate récitée). Comme dans les Évangiles, un messager ou un prophète est authentique s'il est désintéressé. Mais quelques temps après, Mohamed montre sa surprise face à l'incroyance des siens. Ne réclamant rien, il s'attendait à quelques succès : « Si vous tournez le dos alors que je ne vous demande pas de salaire... mon salaire n’incombe qu'à Dieu. » (S. 10, 72 ; 51e Sourate récitée).
Finalement, Mohamed va bien demander de l'argent, ... mais c'est pour le bien de la personne qui donne. « Dis : « Ce que je vous demande comme salaire, c’est pour vous-mêmes. Car mon salaire n’incombe qu’à Dieu. » » (S. 34, 47 : 58e sourate récitée). Il attend toujours sa récompense de Dieu, mais il ne refuse plus un don d'argent. De plus, il ne demande qu'une contribution raisonnable, ce qui semble devoir être mis à son crédit : « Leur demandes-tu un salaire, en sorte qu'ils soient grevés d'une charge écrasante ? » (S. 52, 40 ; 76e sourate récitée).
Au fil du temps, Mohamed en vient à monnayer la grâce divine. Celui qui lui offre de l'argent verra les récompenses célestes doubler : « Mais ce que vous donnez à titre d'impôt, tout en cherchant  le visage de Dieu... les voilà, alors, ceux pour qui cela double » (S. 30, 39 : 84 e Sourate récitée).
Ainsi, dès la prédication mecquoise, plusieurs dons d'argent sont prescrits : l’aumône directe aux pauvres, donnée pour « rechercher le visage de Dieu » ; la Zakāt, l’impôt religieux obligatoire ; et, peut-être, donc, un salaire pour Mohamed, dont personne ne sait s'il est fusionné ou non avec la Zakāt. L'argent de la collectivité semble être géré par ses soins, puisqu'aucune institution de gestion n'est instituée.

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Le châtiment des avares
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

À Médine, les choses seront devenues claires : on doit verser une aumône à Mohamed avant toute entrevue en tête-à-tête, en particulier si on espère le pardon d'Allah. Si l’aumône n'a pas été versée avant, un impôt s'impose après : « Redoutez-vous de faire précéder d'aumônes votre tête-à-tête ? Mais quand vous ne l'avez pas fait et que Dieu a accueilli votre repentir, alors établissez l'Office et acquittez l'impôt, et obéissez à Dieu et à Son messager. » (S. 58, 13). À noter que le nombre de croyants interdira rapidement le recours à l'entretien individuel pour obtenir le pardon. Un verset récité en période mecquoise retrouvera alors toute son actualité : « Les bonnes actions font partir les mauvaises. » (S. 11, 114). Ainsi, la religion prêchée par Mohamed s'éloigne-t-elle encore du christianisme. Pour les chrétiens, seule la grâce de Dieu obtient le salut, alors que selon le Coran, une conduite droite obtient le pardon : l'islam est donc une orthopraxie.

Entre la Salāt et la Zakāt, la prière et l’aumône, la première ébauche d'une organisation de la pratique religieuse se fait jour. Il ne s'agit pas de définir les cinq piliers de l'islam - dont le Coran ne parle jamais - mais d'adapter les pratiques contemporaines de l'Arabie juive à la prédication de Mohamed et à ses besoins financiers.

11. 9. Le Jugement dernier.
La grande particularité de la révélation coranique de la Mecque - si on la compare à celle de Médine - est son souffle eschatologique. Le Coran annonce le Jugement dernier et la fin des temps : « Ce Coran est, en vérité, une science de l'Heure. N'en doutez point. » (S. 43, 61).

Dans l'histoire de l'humanité, l'idée qu'il y ait un jugement dernier est un concept qui a évolué sur des millénaires.
Les premiers à croire à un Jugement dernier sont les égyptiens. Après sa mort, l'égyptien de l'antiquité doit réciter un texte magique, Le livre des morts, pour se prémunir d'un mauvais jugement. On a retrouvé ce texte dans la tombe du roi Ounas de la Ve dynastie (2343 avant JC). Le cœur du mort est alors pesé pendant que ses péchés sont racontés et qu'il se défend. Si son cœur est plus lourd que la plume de Maât, il est dévoré. Le dieu Thot est présent et enregistre par écrit la décision rendue.

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Livre des morts au nom de la dame Ânkhesenaset (XIe siècle avant JC, papyrus ; BnF).

Le zoroastrisme prêche lui-aussi un Jugement dernier. Il raconte comment l'âme est pesée sur une balance d'or. Les damnés sont poussés du haut d'un pont. Ils sont peu à peu purifiés de leur fautes dans trois enfers successifs avant l'embrasement final qui consumera le mal et ne laissera que le bien au sein des âmes enfin sauvées.
Mani reprend la pesée des âmes et la purification progressive conçue par le zoroastrisme, mais il complète cette théologie du Jugement. Ceux qui n'ont pas pu être sauvés sont enfermés dans un globe pour l'éternité.

Dans le judaïsme antique, les morts rejoignaient le shéol, bons et méchants confondus dans une vie végétative (Job 17, 13). Ce n'est qu'avec Daniel (VIe siècle avant JC), que la croyance en une vie éternelle émerge dans le judaïsme et elle devient officielle avec le rabbinisme au IIe siècle. Cependant, les juifs ne croient pas en un Jugement dernier solennel, ils croient simplement en la vie éternelle.

En revanche, le Christ annonce la Résurrection des morts et le Jugement dernier. Les conditions du salut sont basées sur la mise en pratique de la Parole de Jésus (Jean 5, 24) qui réunit la foi dans le « Fils de Dieu » (Jean 10, 30) et la charité envers les pauvres (Matthieu 25, 31-46). Le Christ a peu parlé du diable qui attend les damnés ; tout son message est centré sur l'amour de Dieu, l'éducation de la liberté humaine et l'appel à la perfection. Il n'a parlé du diable que pour dire que celui-ci ne pouvait rien contre le Messie (Jean 14, 30, Jean 16, 11) mais que ses disciples devaient s'en méfier (Luc 22, 31).
La Tradition chrétienne élaborera une théologie de plus en plus complexe du Jugement dernier dans laquelle le diable prendra davantage de place. L'évolution de l'art chrétien en témoigne. Au début de l'ère chrétienne, seul le salut et la joie des élus sont représentés, comme en témoigne le sarcophage d'Algibert évêque de Paris au VIIe siècle (crypte de église de Jouarre, Seine et Marne, France). La première représentation du diable date du VIe siècle. Elle se trouve en Égypte, sur une fresque au monastère copte de Baouit. Au XIVe siècle, les danses macabres représentent les damnés sur les murs des églises. Ce n'est que tardivement, au XVe siècle, que la crainte de la présence du diable dans le monde justifiera la chasse aux sorcières. Au fil des siècles, la peur du Jugement dernier s'installera. Le diable servira à nourrir la foi par la peur du châtiment.

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L'enfer (Illustration de la Cité de Dieu de Saint Augustin, XVe siècle). Même si le Christ a peu parlé de l'enfer et
n'a pas détaillé les châtiments qui attendent les pécheurs impénitents, il semble bien que les chrétiens
aient peu à peu basé leur pédagogie sur la peur du châtiment.

Dans l'islam, la survenue du Jugement à la fin des temps est annoncée très tôt dans la récitation de Mohamed. Mais, le diable y est absent : c'est la Divinité qui organise, supervise et décide de tout. Ce Seigneur connaît toute chose : « Il connaît ce qui est dans la terre ferme, comme dans la mer. Et pas une feuille ne tombe qu'Il ne le sache. » (S. 6, 59). Même les pensées de l'homme Lui sont connues : « Nous savons ce que son âme suggère. » (S. 50. 16-18). Il fait tout noter par des envoyés : « Pensent-ils que nous n'entendons pas leurs secrets et leurs confidences ? Bien au contraire ! Nos envoyés placés auprès d'eux consignent tout par écrit » (S. 43, 80). Ces envoyés sont nommés les « gardiens » (S. 82, 9-12 ; S. 86, 4) de l'homme qu'ils surveillent. La Tradition dit que ces gardiens sont deux anges, mais le mot Malāk (ملاك), ange, n’apparaît qu'à la période médinoise tardive.

La forme du Jugement va s'élaborer au fil de la récitation. Initialement, le salut est collectif. Ainsi, un chef entraîne-t-il tout son clan avec lui, vers le salut ou vers la damnation : « Qu'on rassemble ceux qui prévariquaient, leurs épouses aussi, ceux également qu'ils adoraient en dehors de Dieu. Puis, qu'on les guide au chemin de la Géhenne. » (S. 37, 22-23 ; 56e récitée). Un chef de famille impie entraîne toute sa famille à la damnation (S. 39, 15 : 59e récitée). « Tu les verras présentés à la Géhenne, humiliés d'impuissance, regardant d'un œil furtif, tandis que ceux qui croient diront : « Les perdants, oui, ce sont ceux qui font leur propre perte et celle de leur famille, au jour de la résurrection. » » (S. 42, 45 ; 62e récitée) *.
Puis une évolution survient : les actions individuelles prennent un poids prépondérant dans le Jugement. Néanmoins, la personne sauvée conserve l'espérance de se voir rejointe par sa famille : « Ceux qui ont cru, et que leur descendance aura suivi en la foi, Nous ferons que leur descendance les rejoigne. Nous ne rognerons cependant quoi que ce soit de leurs œuvres, chacun étant l'otage de ce qu'il se sera acquis. » (S. 52, 21 ; 76e récitée).
Plus tard encore, le salut devient individuel : « Le criminel aimerait pouvoir se racheter du châtiment de ce jour, par ses enfants et sa compagne et son frère et son clan même qui lui donnait asile, et tout ce qui est sur la terre, tout, puis se sauver. Non, non ! Vraiment, ce sera un enfer-Lazā, à arracher les membres. » (S. 70, 11-15 ; 79e récitée). Il ne faut désormais plus compter sur son clan pour être sauvé. L'ancestrale solidarité tribale se voit ici abolie, rompant avec les traditions préislamiques.
À Médine, les choses iront encore plus loin. Pour être sauvé, un homme doit se désolidariser des membres pécheurs de sa famille (S. 58-22 ; 105e récitée ; S. 64, 14 ; 108e récitée).

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Mohamed près de l'arbre infernal
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

Au moment de la mort, toutes les actions qui ont été soigneusement notées, seront rappelées (S. 6, 61). Au début, comme le salut est collectif, ce sont les actions des tribus, soigneusement consignées, qui sont présentées : « Tu verras agenouillée chaque communauté. Chaque communauté sera appelée vers son livre : « on va vous payer aujourd’hui de ce que vous œuvriez. » Voilà Notre Livre ! » (S. 45, 28-29 ; 65e récitée). Mais, finalement, que le jugement soit collectif ou individuel, il se déroulera en fonction du livre, du Kitāb, de chacun (S. 50, 21-23).

La pesée des âmes a déjà été racontée dans l’Égypte antique et par le manichéisme. Le Coran reprend cette idée, ce qui permet de tracer à nouveau l'inspiration manichéenne de Mohamed : « Et il y aura pesée, ce jour-là ; voilà la vérité. Donc, quant à celui dont les balances pèseront lourd, alors les voilà les gagnants. » (S. 7, 8-9). Les bonnes actions seront pesées et leur poids devra donc excéder celui des mauvaises. « Alors, quant à celui dont les balances seront lourdes, alors il sera dans une vie agréable : et quant à celui dont les balances seront légères, alors sa destination est une fosse, … , un feu ardent. » (S. 101, 6-11).

La Tradition musulmane complétera cette vision. Elle racontera comment l’âme est interrogée par deux anges. L'âme décédée doit savoir réciter la Shahāda, la profession de foi du musulman : « Il n'y a de Dieu que Dieu et Mohamed est son prophète. ». En fait, la profession de foi du musulman n'existe pas dans le Coran. Elle appartient à la construction ultérieure et à l'organisation des cinq piliers de l'islam. Ceux qui ne peuvent pas réciter cette profession de foi se verront montrer leur place en enfer, puis ils passeront par  l'« épreuve des tombeaux » (Madjmou al-fatawa, 7 ; 500). Ils seront placés dans un tombeau dont les parois se refermeront pour les écraser...

Multiples sont les enfers où les impies sont promis à la torture : Enfer-Jahīm (S. 73, 11) ; Enfer-Sacar (S. 74, 26) ; Enfer-Lazā (S. 70, 15) ; Enfer-Hotamah (S. 104, 4), Enfer-Prison (S. 83, 7), Enfer-Samoun (S. 52, 27), Enfer-Saïr (S. 31, 21) et naturellement Géhenne (S. 40, 76) ...
« L'Enfer demeure aux aguets, refuge pour les transgresseurs. Ils y demeureront pendant des siècles successifs. Ils n'y goûteront ni fraîcheur ni breuvage, hormis une eau bouillante et un pus comme rétribution équitable. » (S. 78, 21-26).

* : Le Coran décrypté ; p. 113 ; Jacqueline Chabbi, Fayard. 2008.

11. 10. Visions d'enfer : Allah, le Maître de l'enfer.
Jésus a donné quelques indications sur l'au-delà. Il annonce un paradis qui est dans la proximité de Dieu et un enfer qui est dans l'éloignement de Dieu : « Venez, les bénis de mon Père » annonce Jésus aux sauvés et « Allez loin de moi, maudits » dit-il aux damnés (Mt 25, 31-46).

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« Venez les bénis de mon Père et allez loin de moi maudits » ( XIIe siècle, tympan de Sainte-Foy ; Conques,).
Le Christ à l’extrême gauche accueille les élus pendant que les damnés sont mangés par un monstre à droite).

Autre est Le Seigneur de Mohamed, l'enfer se trouve tout proche de Lui : « Laisse-Moi avec ceux qui crient au m ensonge, les pleins d'aisance … il y a près de Nous chaînes et enfer-Jahīm. » (S. 73, 11). Si le Seigneur de Mohamed met effectivement « un rideau » entre Lui et les damnés (S. 83, 15), Il n'en participe pas moins activement aux tortures de l'enfer : « Nous les traînerons ensemble sur leurs visages aveugles, muets et sourd. La Géhenne est leur refuge : toutes les fois qu'elle se refroidira, Nous leur accroîtrons la flamme. » (S. 17, 97).
Tout le ressort de la révélation coranique passe par la menace des châtiments dans l'au-delà et le seul moyen de s'y soustraire est de se soumettre dans un esclavage spirituel. Le Champion du châtiment dans l'au-delà demeure bien le Seigneur qui parle à Mohamed : « Ce jour-là, donc, nul ne saura châtier comme Lui châtie ! Et nul ne saura garrotter comme Lui garrotte. - O âme tranquillisée, retourne vers ton Seigneur, consentante et accueillie, entre donc parmi Mes esclaves, et entre dans Mon Paradis ! » (S.  89, 25-29). L'esclavage est donc la condition du salut ! Quant à ceux qui méritent un châtiment, la divinité s'en occupe Elle-même. « Je vais le contraindre à monter une pente, … qu'il soit tué, donc, quelle détermination ! Qu'il soit tué encore, quelle détermination ! … Puis il a dit : « Ceci n'est que de la magie héritée ; ce n'est que la parole d'un homme », Je vais le jeter dans l'enfer-Sacar » (S. 74, 16-26).
Le Seigneur qui inspire Mohamed est donc le maître du châtiment et Celui qui l'inflige : « Quiconque tourne le dos et mécroit, alors Dieu le châtiera du plus grand châtiment. » (S 88, 23-24).

De multiples tortures sont promises : « Ce jour-là, il y aura des visages verdoyants, qui regarderont leur Seigneur ; et ce jour-là, des visages rembrunis, qui penseront bien qu'on va leur faire une chose à écraser les vertèbres » (S 75, 22-25). « Ceux qui traitent de m ensonge le Coran et ce avec quoi Nous avons envoyé Nos messagers ? Et bien, ils vont savoir, quand, des carcans à leurs cous et avec des chaînes, ils seront entraînés dans l'eau bouillante ; et qu'ensuite on remplira d'eux le Feu ! » (S. 40, 70-72).

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Châtiment des concussionnaires (Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF)
«
Ils virent ensuite ceux qui dérobaient leurs biens aux orphelins sans craindre le châtiment divin, maintenant forcés d'avaler du poison. ».

La torture la plus usuelle est celle de la chaleur, ce qui est naturel pour une révélation adressée à des hommes du désert : « Oui, le plant du cactus est le plat du pécheur. Comme le métal en fusion, il bout dans les ventres, comme le bouillonnement de l'eau surchauffée. Qu'on le saisisse, et puis qu'on l'emporte en pleine Géhenne. » (S. 44, 43-44).

Le Seigneur de Mohamed organise l'enfer. Il se fait seconder de tortionnaires qu'Il choisit Lui-même : « Et qui te dira ce qu’est le Sacar ? Il fait que rien ne subsiste, ne laisse rien. Il est le grand brûleur de peau. Ses surveillants sont au nombre de dix-neuf. Nous n'avons pris que des Anges comme gardiens du Feu. » (S. 74, 27-31). En fait, dans la théologie coranique, il n'existe pas de diable au sens chrétien. Les diables de la théologie chrétienne sont des anges déchus : ils se sont éloignés de Dieu et ils Lui désobéissent.

Dans le Coran, le seul ange désobéissant est Satan... Et encore ! Nous verrons qu'il se veut lui-aussi le collaborateur d'Allah (S. 8, 47-48). Dans le Coran, les gardiens de l'enfer sont les fidèles serviteurs d'Allah : « Oh les croyants ! Gardez-vous, et aussi vos familles, d'un feu dont le combustible sera de gens et de pierres, sur quoi veillent de rudes anges, durs, ne désobéissant pas à Dieu en ce qu'Il leur commande et faisant ce qu'on leur commande. » (S. 66, 6). À Médine, sera confirmée l'existence d'anges tortionnaires : « Des Anges gigantesques et puissants se tiendront autour de ce Feu » (S. 66, 6). Un des gardiens de l'enfer, Mālik, est supplié par les damnés : « Ils crieront : Ô Mālik ! Que ton Seigneur nous achève ! - Il dira, « En vérité, vous êtes pour demeurer » (S. 43, 77). Tous les anges qui travaillent en enfer sont aux ordres de La Divinité.

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Mohamed aux portes de l'enfer :  « Gabriel annonça alors à Mohamed qu'ils allaient maintenant se diriger vers les demeures des
ennemis de Dieu. À la porte de ce lieu terrible et effrayant se tenait un ange au visage affreux et intimidant.
Gardien de l'enfer, il avait pour nom Malik et ne souriait jamais. »
(Herāt, 1436 ; BnF).

La damnation racontée par le Coran ne semble pas éternelle, c'est une période de purification comme dans le purgatoire juif et chrétien (2 Macchabées 12, 41-45) ou dans l'enfer manichéen. « Oui, la Géhenne demeure comme aux aguets, refuge pour les rebelles ! Ils y demeureront pendant des générations. » (S. 78, 21-22). La durée de la punition dépend finalement de La Divinité : « Éternellement, tant que dureront les cieux et la terre, sauf ce que voudra ton Maître, car ton Maître fait tout ce qu'il veut. » (S. 11, 107).

Ceux qui sont damnés sont en priorité ceux qui se moquent de Mohamed (S. 39, 56, S. 18, 106) et qui traitent le Coran de m ensonge (Sourate 39, 25, S. 39, 32 ; S. 39, 59 ; S. 75, 32-35 ; S. 78, 27-30 ; S. 92, 14-20...). « Je vous ai avertis d'un Feu qui flambe où ne tombera que le très malheureux, celui-là même qui crie au m ensonge et tourne le dos. » (S. 92, 14-20. La spoliation des pauvres (S. 102) et des orphelins (S. 93, 1-11), l'amour de l'argent et l'escroquerie conduisent également à la damnation ! On peut tout de même remarquer que, curieusement, seules les actions ayant lésé par le passé Mohamed ou qui lui nuisent dans le présent sont punies de l'enfer... Ni le meurtre, ni le viol n’entraîne la damnation...

Mais le Seigneur de Mohamed ne se contente pas de participer à la torture des damnés. Sa Toute puissance va bien plus loin. Maître de tout, c'est Lui également qui décide que les hommes seront ou non mécréants : « Celui que Dieu guide, voilà le bien guidé ; et celui qu'Il égare... tu ne trouveras pas en dehors de Lui, de patrons en leur faveur » (S. 17, 97). Dieu va punir les mécréants mais c'est Lui qui les a placé là : « Et c’est ainsi que Nous avons placé, dans toute cité, de grands criminels pour y exercer leurs intrigues. Mais, sans s’en rendre compte, ils ne nuisent qu’à eux-mêmes. Lorsqu’un signe d’Allah leur parvient, ils s’écrient : « Jamais nous ne croirons tant que nous n’aurons pas reçu un signe semblable à celui qu’ont reçu les envoyés d’Allah. » Mais Allah sait mieux que quiconque à qui confier Ses messages. Allah couvrira d’opprobre ces criminels et leur infligera un châtiment exemplaire, en raison de leurs intrigues. ». (S. 6, 123-124).
Le Seigneur annoncé par Mohamed étant maître de tout, les croyants et les infidèles sont dépourvus de tout libre arbitre : « Et puis, quiconque Dieu veut guider, Il lui ouvre la poitrine à la Soumission. Et quiconque Il veut égarer, Il rend étroite, gênée sa poitrine, comme d'un qui fait effort pour monter une hauteur. Ainsi Dieu assigne la souillure à ceux qui ne croient pas. » (S. 6, 125).
Ainsi, le Seigneur de Mohamed ne se contente-t-il pas de punir les incroyants et de participer à leur torture, Il suscite Lui-même l’incroyance ou la piété selon Son choix !

Voilà où conduit la logique d'un Dieu unique, Créateur du bien comme du mal mais également Tout puissant sur terre comme au ciel. Le manichéisme avait imaginé deux dieux, un bon et un mauvais. Le bien comme le mal étaient d'origine divine, mais l'existence de deux dieux permettait de préserver la bonté du Dieu bienveillant. La fusion entre le monothéisme strict des judéo-chrétiens et l'origine divine du mal du manichéisme, conduit Mohamed à une conclusion effrayante. Non seulement, les hommes en deviennent esclaves, privés qu'ils sont de leur libre arbitre, mais encore le Dieu de Mohamed, devenu Maître du monde, se voit obligé, par la logique de cette nouvelle croyance, à susciter l'impiété et à s'inventer des hommes pécheurs pour finir en les torturant Lui-même en enfer.

11. 11 . Visions de paradis, ou comment satisfaire les pulsions masculines.
Le « rabb », le Seigneur de Mohamed est désigné par l'épithète de « miséricordieux » tout au long du Coran. On a vu que cela provient du royaume Himyarite au Yémen, converti au judaïsme en 380. Mais cette appellation provient sans doute également d'un monothéisme préislamique arabe qui n'est ni juif ni chrétien. Ainsi, en 384 la première inscription monothéiste est gravée dans le temple de Maryab au Yémen. C'est une invocation du dieu Harmanan (le miséricordieux), le « seigneur du ciel et de la terre ». On pense que cette foi provient de Palmyre.

Au début du millénaire, à Palmyre, deux dieux majeurs dominent un panthéon d'une soixantaine de dieux. Le premier est Bêl plus connu sous le nom de Baal. Le second dieu principal est Baalshamin, le « Baal des cieux » qui est qualifié de « marè alma », « Seigneur du monde » et également de « Taba wa rakmana », de « bon et miséricordieux »*.

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Palmyre et son dieu Bel à l'origine du dieu miséricordieux.

Au IVe siècle, il deviendra Rakmana, le Miséricordieux, quand des arabes choisiront un monothéisme qui ne sera ni le judaïsme, ni le christianisme. Ainsi un contemporain de Mohamed, Musaylim Ibn Habīb, prophétisait-il lui aussi au nom de al-Rāhman le miséricordieux, sans être ni juif ni chrétien.
Le Seigneur de Mohamed ne se contente donc pas de punir les impies, Il est également signalé comme miséricordieux et Il promet le pardon aux croyants. « Oui, ton Seigneur est détenteur de pardon, certes, détenteur aussi de douloureuse poursuite » (S. 41, 43).

Pour un chrétien, le paradis est la maison de Dieu : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père » dit le Christ (Jean 14, 3) en parlant de la diversité des élus, mais le bonheur promis n'y passera pas par la satisfaction des sens. « À la résurrection en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel » nous apprend le Christ (Mt 22, 30). Le paradis décrit par le Coran est tout à fait différent. Il correspondant aux attentes humaines des bédouins, les auditeurs de Mohamed.
Ainsi, le séjour des élus ressemble-t-il à une maison confortable de l'Arabie désertique, dans laquelle les maîtres vivent à l'étage laissant le rez-de chaussée aux communs :
« Mais les étages, à ceux qui craignent leur Seigneur ! Au-dessus d'eux il y a des étages bien bâtis, et, coulant au-dessous d'eux, des ruisseaux. Promesse de Dieu » (S. 39, 20). Le Coran affirme même que les élus restent sur terre : « Louange à Dieu qui a, pour nous, réalisé Sa promesse et nous a fait hériter de la terre ! Nous allons nous installer dans le Paradis où nous voudrons. » (S. 39, 74).
Le bonheur du salut consiste donc à rester immobile, confortablement installé : « Quant à ceux qui croient et font œuvres bonnes, oui, ils ont pour hôtel les jardins du Firdaus, où ils demeureront éternellement sans chercher à en bouger. » (S. 19, 107-108)**. Cela peut effectivement séduire les bédouins épuisés par les courses éreintantes de la vie nomade. On voit là un premier paradis bien terrestre, bien apte à séduire des bédouins : il leur est promis le repos dans une maison confortable et qui semble être sur terre.

Mais d'autres versets évoquent davantage une vie dans l'au-delà. « Les Jardins d’Éden, aux portes ouvertes pour eux, où, accoudés, ils demanderont des fruits abondants et des boissons. Et auprès d’eux seront les belles au regard chaste, toutes du même âge. Voilà ce qui vous est promis pour le jour des comptes. » (S. 38, 50-53).

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Mohamed et les Houris chevauchant
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

Plusieurs versets reprendront la même description : « Et vous ne serez rétribués que selon ce que vous œuvriez, sauf les serviteurs élus d’Allah, Ceux-là auront une rétribution bien connue : des fruits, et ils seront honorés, dans les Jardins du délice, sur des lits, face à face. On fera circuler entre eux une coupe d’eau remplie à une source blanche, savoureuse à boire. Elle n’offusquera point leur raison et ne les enivrera pas. Ils auront auprès d’eux des belles aux grands yeux, au regard chaste, semblables au blanc bien préservé de l’œuf. » (S. 37, 30-49).
Manger, boire, se reposer y compris auprès de belles femmes, voilà bien ce qui est susceptible de séduire des hommes. Puis, curieusement, le Coran reprend une image typique de la culture romaine : la droite serait bénéfique et la gauche funeste. « Que sont les gens de la droite ? Ils sont parmi les jujubiers aux fruits abondants mais sans épines, parmi l'ombre étendue et l'eau qui se déverse, et les fruits abondants, avec des belles qu'en vérité Nous avons ouvragées d'ouvrage puis faites vierges, amoureuses, toutes de même âge... Et les gens de gauche, - et que sont les gens de gauche ? - ils sont dans le souffle d'une chaleur tuante et l'eau bouillante, et l'ombre de la fumée chaude » (S. 56, 27-43).

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Mohamed rencontre les Houris (miniature persane, XVe siècle).

Les descriptions du Coran se font plus précises. Mais, s'il s'agit de satisfaire les fantasmes masculins des Quraysh, on peut se demander qui les a imaginés et décrits ? Les bédouins à qui s'adresse Mohamed rêvent-il vraiment de se vêtir de brocards ? « Oui, les pieux seront dans un séjour sûr, parmi les jardins et les sources s’habillant de satin et de brocard, se rencontrant face à face. Nous leur donnerons pour épouses des houris aux grands yeux. Ils pourront y réclamer toutes sortes de fruits, en sécurité. Sauf cette mort-ci, ils n'y goûteront plus la mort. » (S. 44, 51-56). Les bédouins rêvent-ils réellement d'avoir les bras ornés de bijoux ? « Voilà ceux pour qui sont les jardins d’Éden sous quoi coulent les ruisseaux. Ils y seront décorés de bracelets d'or, et se vêtiront d'habits verts, de soie fine et de brocard. » (S. 18, 31). « C'est cela la grande grâce, les jardins d’Éden, où ils entreront, décorés de bracelets en or ainsi que de perles, et là leur vêtement sera de soie » (S. 35, 32-33). Étrange promesse qui imagine une parure si typiquement féminine pour récompenser des hommes, alors que le Coran confirme effectivement ailleurs que les bijoux sont des attributs de la féminité : « Quoi ! Cet être, élevé dans les bijoux et qui jamais ne se montre au combat ? » (S. 43, 18).
Ailleurs, il est précisé que ce sont de jeunes garçons qui feront le service aux jardins d’Éden : « Parmi eux circuleront des garçons éternellement jeunes, avec des coupes et des aiguières et des gobelets d'eau de source » (S. 56, 17-18). « Parmi eux circuleront des garçons éternellement jeunes ! - quand tu les verras, tu les compteras pour perles éparses ! Et quand tu verras là-bas, tu verras délice et grande royauté. Ils auront sur eux des vêtements verts, de satin, et aussi de brocart. Et ils seront parés de bracelets d'argent. » (S. 76, 19-21). Ces garçons semblent même appartenir aux élus. Ils sont « à eux » : « Et parmi eux circuleront des garçons à eux, comme des perles bien gardées. » (S. 52, 24). De nos jours, tout le monde connaît les houris, ces innombrables belles toujours vierges. Mais, en fait, au côté des houris dont personne ne sait si ce sont réellement des femmes ou des raisins sucrés, ce sont bel et bien de jeunes garçons vêtus de brocard et parés de bijoux qui font le service et sont la propriété des élus.
Le paradis reste néanmoins une promesse de félicité que l'imagination humaine ne peut concevoir : « Pourtant, nul ne sait ce qui leur est réservé de fraîcheur des yeux, en paiement de ce qu'ils œuvraient. » (S. 32, 17).

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Mohamed à l'entrée du paradis avec ses quatre fleuves : lait, miel, eau et vin
(Herāt, XVe siècle ; BnF).

Indépendamment de ce que nous apprend le Coran du paradis, ce qui n'est pas dit est également instructif. En effet, la  manifestation du « Seigneur des mondes » y est des plus discrète. Là où les agréments du paradis sont tous susceptibles de flatter les sens des bédouins - les hommes naturellement, les femmes restant des épouses soumises, sauvées en groupe (S. 36, 55-56) pour ne pas manquer à leur unique époux – la présence de Dieu y est indiscernable.

Un verset signale que les jardins du salut sont près du Seigneur : « Dis : « Puis-je vous apprendre quelque chose de meilleur que tout cela ? Pour les pieux, il y a, auprès de leur Seigneur, des jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, pour y demeurer éternellement, et aussi, des épouses purifiées, et l’agrément d’Allah. » (S. 3, 15). Mais, le Seigneur du Coran est étrangement absent du paradis, là où on L'a vu omniprésent en enfer. En particulier, il n'y a aucune communication directe entre Lui et ses élus, là où le Christ décrivait le paradis comme un festin dont il était l’hôte accueillant (Matthieu 22, 2). Les élus coraniques sont dits « rapprochés » (S. 83, 21), mais il n'est pas dit pas de quoi ni de Qui. En fait, c'est du paradis qu'ils sont rapprochés : « Le Paradis sera rapproché des pieux. » (S. 50, 31). Les anges chantent en cercle les louanges de Dieu autour de Son Trône, mais celui-ci semble vide, aucune présence divine n'y est perceptible : « Tu verras les anges faisant cercle autour du Trône, et chantant pureté par la louange de leur Seigneur » (S. 39, 75). En fait, la Divinité de Mohamed n'a aucune communication directe avec ses élus. Les seuls moments où Ce Dieu interagit intimement avec les hommes dans l'Au-delà – pour leur parler ou pour les toucher - c'est pour les torturer en enfer.

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Mohamed devant les voiles du trône divin
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

Si on considère qu'aucune preuve n'a jamais été donnée de l'origine divine de l'inspiration de Mohamed, ces descriptions de l'au-delà sont de fort intéressantes ouvertures vers son inconscient. Quelles ont donc été ses relations à l'autorité - ou  même ses expériences de la soumission - pour que la « Toute Puissance » qu'il propose, soit à ce point inapte à toute communication verbale, à tout lien affectif, à toute présence apaisante, et ne soit capable que de violence, de contrainte et de cruauté ?

* : Cours « Civilisations du Proche-Orient », la péninsule arabe antique, cours de Mr. François BRON (2002-3).
** : Le Seigneur des tribus, l'islam de Mohamed, Jacqueline Chabbi, p. 639, CNRS éditions. 1997.
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:37

11 : MOHAMED À LA MECQUE.
De 610 à 622.


11. 1. Sources épigraphiques... et quelques précautions oratoires.
11. 2. L'enfance et la jeunesse de Mohamed telles que les raconte la Tradition musulmane.
11. 3 . Selon le Coran qui inspire Mohamed si ce n'est pas l'ange Gabriel ?
11. 4 . Les premières Sourates récitées : opposition mecquoise et menaces divines.
11. 5. La première vision de Mohamed : révélation eschatologique.
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11. 6. Peut-on convaincre les réfractaires en suscitant la peur ?
11. 7. La morale coranique s'élabore à la Mecque à l'occasion des conflits humains de Mohamed.
11. 8. Une ébauche d'organisation religieuse, la Salāt et la Zakāt.
11. 9. Le Jugement dernier.
11. 10. Visions d'enfer : Allah, le Maître de l'enfer.
11. 11 . Visions de paradis, ou comment satisfaire les pulsions masculines.

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11. 12. S'il s'agit de convaincre par la parole, encore faut-il que le discours coranique soit cohérent !
11. 13. La deuxième vision mystique de Mohamed.
11. 14. La troisième vision de Mohamed : l'isrā'.
11. 15. : Les juifs et leurs prophètes : Mūsā /Moïse ; Nūh/Noé...

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11. 16. Signes demandés, signes refusés.
11. 17. Signe du Seigneur, le Coran se définit lui-même.
11. 18. Au prix de la soumission dans la crainte et du renoncement à toute logique, le Coran est et restera la vérité des musulmans.
11. 19. Mohamed et son Dieu ; Mohamed et ses contemporains ; Mohamed et ses fidèles.
11. 20. L’année 619 : année tragique de deuil.

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:39

11 : MOHAMED À LA MECQUE (SUITE).
De 610 à 622.



11. 12. S'il s'agit de convaincre par la parole, encore faut-il que le discours coranique soit cohérent !

On a vu que la logique d'un Dieu Tout Puissant en même temps qu'Unique, conduit à faire du Seigneur de Mohamed un Dieu qui suscite Lui-même les pécheurs pour les torturer en enfer. Cette logique est effrayante, mais elle possède sa cohérence interne. À la période mecquoise, la révélation de Mohamed aspire à la logique. Le besoin de tester la soumission du croyant ne sera pas encore évoqué pour justifier les incohérences de la révélation coranique. Cela attendra Médine et la cruelle confrontation avec les juifs qui, bien formés à la théologie biblique, signaleront sans ménagement les incohérences coraniques.

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Philosophes arabes discourant (Irack, 1287 ; Istambul).

À la Mecque, Mohamed espère encore convaincre les siens de l'origine divine de son inspiration par sa seule parole et il tend donc à restituer à son discours une certaine logique interne. Par exemple, si le Seigneur coranique est Tout puissant sur terre, cela signifie que tous les malheurs viennent de Lui. Qu'Il envoie le malheur aux méchants dès la vie terrestre se comprend, les impies sont punis : « Quant à celui qui est avare et cherche à se mettre au large, et traite de m ensonge la plus belle des choses (le Coran), alors Nous lui facilitons la plus grande difficulté » (S. 92, 8-10). Et si ce châtiment terrestre leur évite la damnation, cela devient même une marque de la bienveillance de Dieu (S. 6, 42). « Très certainement, Nous leur ferons goûter au châtiment immédiat, au lieu du grand châtiment : - peut-être se retourneraient-ils ? » (S. 32, 21). Mais, alors, comment expliquer que les justes souffrent eux-aussi sur terre ? En fait, le Seigneur de Mohamed envoie le malheur aux bons pour éprouver leur fidélité : « Si Nous faisons goutter à l'homme une miséricorde de Notre part, puis qu'ensuite Nous la lui arrachions, le voilà désespéré, oui ingrat...Mais ceux qui endurent avec constance, et font bonnes œuvres. À ceux-là, pardon et gros salaire. » (S. 11, 9).
Mais le Seigneur de Mohamed ne fait pas que punir, Il octroie également les bienfaits terrestres. Il donne naturellement des biens terrestres aux croyants pour les récompenser : « Quant à celui qui fait largesses et se comporte en piété et confirme la plus belle des choses, alors, Nous lui faciliterons la plus grande facilité. » (S. 92, 5-7). Mais si Dieu est maître de tout, comment alors expliquer que les méchants puissent être aisés ? En fait, Le Seigneur donne des biens terrestres aux mauvais pour les inciter à croire : « Très certainement, Nous vous avons donné place sur terre et Nous vous y avons assigné des vivres. Pour peu que vous soyez reconnaissants ! » (S. 7, 10). Mais pourtant, même ceux qui ne se convertissent jamais, ne finissent pas tous malheureux, loin s'en faut ! Alors le Coran prévient que le bonheur terrestre ne présage pas du salut : « « En fait de biens et d’enfants, nous valons mieux et ne serons pas châtiés. » - Dis : « Oui, mon Seigneur élargit la portion de qui Il veut ; tout comme Il mesure. Mais la plupart des gens ne savent pas. » « Ni vos biens, ni vos enfants ne sont choses à vous rapprocher à proximité de Nous. Sauf à qui croit et œuvre en bien. » » (S. 34, 35-37). Si on ne croit pas en la révélation de Mohamed, la surabondance de biens sur terre semble même être offerte par Allah par ruse pour conduire à la mécréance et priver du salut (S. 43, 33-37).

Les bonnes choses sont donc envoyées pour récompenser les bons, encourager les méchants et sans doute aussi les tromper. Les mauvaises sont donner pour tester les croyants, punir les impies et aussi les inciter à croire. Tout et son contraire est donc vrai ! Devant les injustices de la vie, Mohamed tient un discours compliqué pour préserver l'idée que la Toute-puissance divine règne sur terre aussi bien qu'au ciel. Ainsi le Coran retrouve-t-il sa cohérence !

La Toute Puissance divine sur terre se voit donc confirmée, mais dans d'autres domaines, le Coran va peiner à présenter une foi rationnelle. Dans plusieurs situations, il commet des erreurs de raisonnement manifestes. Et il le fait sans s'en apercevoir, puisque les mêmes arguments illogiques sont répétés tout au long de la prédication de Mohamed.

Voyons trois exemples d'erreurs de raisonnement coraniques :

- D'abord, l'existence de la création de l'univers prouverait que Dieu a inspiré le Coran.
Étrange raccourci. La contemplation de la Création donne effectivement un signe de l'existence de Dieu aux hommes. Cela est vrai pour les croyants de toutes les religions. Mais le Coran fait un amalgame entre deux concepts : celui d' « existence de Dieu » et celui d' « authenticité de la révélation coranique ». Or, Dieu peut exister et être Créateur de l'univers, sans pour autant avoir inspiré le Coran. « Ils traitent de m ensonge la vérité (celle prêchée par Mohamed) une fois qu'elle leur est venue : les voilà donc dans une confuse affaire. Ne regardent-ils donc pas le ciel, au-dessus deux, comme Nous l'avons bâti, et l'avons embelli, et qu'il est sans fissures ? Et la terre, que Nous avons étalée ! Et Nous y avons lancé les montagnes et y avons fait croître de tout couple joli à titre d'appel à la clairvoyance et de rappel pour tout esclave qui s'incline. » (S. 50, 5-8). De nombreux versets font ainsi l'amalgame entre existence de l'univers et authenticité de la révélation coranique (S. 35, 9-18 ; S. 13, 1-7 ; S. 78, 1-7 ; S. 24, 45-47...), mais il s'agit bien d'une erreur de raisonnement. Les chrétiens, les juifs, les hindouistes, les chamans, les animistes admirent également la Création et ils la croient faite par Dieu ou par leurs dieux... Cela suffit-il pour démontrer que leurs convictions religieuses sont exactes ?

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Le dieu serpent Quetzalcoatl, le créateur de l'univers dans la religion aztèque (art précolombien, XV ou XVIe siècle ; British muséum).
Que le monde existe devant nos yeux, ne suffit pas pour démontrer qu'un serpent à plumes l'a créé.

- Une autre erreur de raisonnement porte sur la conviction que l’impossibilité de produire un texte comparable au Coran serait la preuve de son origine divine (S. 52, 34 ; S. 10, 38...). Dans plusieurs versets, le Coran met au défi les opposants de Mohamed de réciter des versets comparables. Leur difficulté à imiter le style du Coran suffirait à démonter que Mohamed ne « blasphème » (S. 10, 38) pas en se disant inspiré par Dieu ! La perfection supposée et revendiquée du Coran ferait preuve : « Et si vous êtes dans le doute au sujet de ce que Nous avons révélé à Notre serviteur, eh bien produisez une sourate semblable ! » (S. 2, 23) dira le Coran à Médine.
Or, toutes les œuvres d'art sont par définition uniques. Dès qu'une œuvre peut être reproduite, elle quitte le domaine de l'art pour gagner celui de l'artisanat. Le fait que le Coran soit inimitable démontre simplement qu'il est une grande œuvre d'art mais cela ne suffit à démonter qu'il provient de Dieu. Ainsi, personne n'a jamais pu peindre comme Léonard de Vinci ! Sa technique du sfumato permet, en juxtaposant des couches de peinture de quelques microns, de reproduire le modelé et les formes sans qu'aucune ligne ne soit jamais tracée. Le même raisonnement est valable pour les œuvres de Shakespeare ou celles de Mozart. Personne ne peut ni reproduire, ni s'approcher de la perfection de leurs œuvres, tant dans la forme que sur le fond. Est-ce pour autant Dieu qui a peint à la place de Vinci, composé sous le nom de Mozart ou rédigé pour Shakespeare ? On peut donc dire que Mohamed est un excellent poète, un artiste d'exception, son style étant incomparable, en particulier dans ses strophes mecquoises ... mais cela ne prouve pas qu'il soit inspiré par Dieu. Quant à supposer que Dieu soit l'auteur du Coran ! Il n'a pas plus de chance d'en être l'auteur que d'être le peintre de la Joconde, le compositeur de La flûte enchantée ou le père des Joyeuses commères de Windsor.

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Mona Lisa, dite la Joconde, par Léonard de Vinci (entre 1503 et 1506 ; musée du Louvre). Personne n'a jamais
pu reproduire la technique du sfumato utilisée par Léonard de Vinci : cela ne suffit pas pour prouver que c'est Dieu qui l'a peinte.

- La troisième erreur de raisonnement est presque amusante par son caractère brutal et définitif. Le Coran affirme que si Mohamed avait récité des versets qui n'étaient pas de Dieu, Celui-ci l'aurait égorgé. « C'est la descente faite de la part du Seigneur des mondes ! Et si celui-ci avait forgé quelques paroles à l'encontre de Nous, certes, Nous l'aurions saisi, de la main droite, et ensuite, Nous lui aurions certes coupé l'aorte ! » (S. 70, 43-46).
Que le rabb du bétyle, le seigneur de Mohamed soit violent et vindicatif, soit ! Mais à l'inverse, si on admet que Dieu est bon et que l'homme est créé libre, il est tout aussi logique de conclure que Mohamed a été libre de donner une fausse révélation sans encourir les foudres divines.

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Le Christ guérit un enfant épileptique sans attendre qu'il soit saint (art serbe orthodoxe, 1340 ; Dečani).
Selon la théologie chrétienne, sur cette terre, Dieu guérit et ne punit pas. Dieu n'est que bonté et les hommes sont libres.

L'objectivité est donc étrangère au Coran. L'intelligence musulmane, formée par l'étude du Coran, va en conserver une trace durable ! En effet, de nos jours, combien de musulmans reprennent toujours ces arguments comme valables. Mais, à la Mecque, le discours du Coran essaie encore de sauvegarder la cohérence utile à une prédication basée sur le discours. Nous verrons que, plus tard, quand Mohamed aura renoncé à convaincre par la parole, d'autres moyens seront employés...

11. 13. La deuxième vision mystique de Mohamed.
La deuxième apparition surnaturelle dont aurait bénéficié Mohamed se trouve exposée Sourate 53. Elle aussi s'est déroulée à la Mecque.
« Lorsque disparaît l’étoile à l’horizon occidental, votre compagnon ne s’est point égaré (verset 2). Il ne profère pas sous l’empire de sa propre passion. C’est une voix lointaine qu’il lui a été donné de percevoir. C’est Celui qui a une puissance irrésistible. Le détenteur d’une fermeté indéfectible, qui l’a instruit (versets 5-6). Il s’est tenu là, à l’horizon supérieur, puis Il s’est approché ; Il est demeuré suspendu... Il a fait entendre à son esclave ce qu’Il lui a fait entendre (verset 10). Le cœur ne démentira point ce qu’il a vu (verset 11). Puis il L’a vu lors d’une autre descente près du jujubier de l’extrémité juste là où se trouve la parcelle cultivée du refuge où le jujubier couvre tout alentour (verset 14). Il sait bien ce qu’il a vu, son regard ne l’a pas trahi (verset 17). Il a vu les grands signes de son Seigneur (verset 18). » (S. 53, 1-18 ; trad. J. Chabbi)*.

La scène se situe dans un endroit connu de ses interlocuteurs, le jujubier poussant à l'extrémité d'une parcelle cultivée (verset 14). La vision est surnaturelle, mais sa vraisemblance est garantie par le fait qu'elle s'est déroulée à un endroit connu et dans un temps déterminé, à l’aube.

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Mohamed près du jujubier
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).
À ceux qui pourraient être surpris de voir représenter Mohamed, il faut rappeler que, jusqu'au XVIe siècle, le Prophète
de l'islam a été dessiné sans réticence par les musulmans. Pour ne pas créer d'inutiles polémiques,
seules ses représentations réalisées par des musulmans ont été retenues ici.

Mohamed n'est pas encore « rasūl allāh », l'envoyé d'Allah, titre donné plus tard. Il est simplement le compagnon, « sāhibu-kum » (verset 2), un simple membre de la tribu*. Le verset 2 affirme que Mohamed n'a point été trompé. Cela renvoie aux multiples réserves des siens dont le Coran témoigne ailleurs en les réfutant : non, l'inspiration de Mohamed n'est pas celle des poètes (S. 37, 36 ; S. 52, 30), ni celle des devins (« kāhin », S. 52, 29), ni celle des sorciers (« sāhir », S. 51-39). Les djinns, aux révélations plus trompeuses que véridiques, ne le conseillent pas non plus (S. 81, 25). Les Quraysh se moquent de lui (S. 37, 12), mais Mohamed reste ferme sur ses convictions : il ne « démentira point ce qu’il a vu » (verset 11). Et ce qu'il affirme avoir vu est une énormité, à tel point que la Tradition musulmane va opérer un contre sens sur le texte coranique pour lui faire dire autre chose*...

En effet, la parole entendue est bien surnaturelle, il s'agit d' « une voix lointaine ». Sa puissance est telle que Mohamed n'a pu que s'y soumettre. « C’est Celui qui a une puissance irrésistible. Le détenteur d’une fermeté indéfectible, qui l’a instruit. » (versets 5-6). L'apparition est massive, elle envahit tout le ciel : « Il est demeuré suspendu [entre ciel et terre]. ». Qui donc est apparu à Mohamed ?
Un détail donne la réponse avec une grande précision. L' « apparition » parle à Mohamed en le nommant son esclave, « ‘Abd » (verset 10). À de nombreuses reprises dans le Coran, Mohamed est nommé l' « esclave » et c'est à chaque fois par Son Dieu (S. 96, 10 ; S. 25, 1)*. Ce serait donc Dieu Lui-Même qui serait apparu à Mohamed lors de ce deuxième moment mystique !
La Tradition musulmane, manifestement troublée par cette affirmation coranique, dira que c'est l'ange Gabriel qui est apparu à Mohamed, mais ce n'est pas crédible. En effet, un ange ne peut pas appeler un homme son esclave puisque les anges ont dû se prosterner devant Adam, le père de tous les hommes (S. 20, 116-120)*. Seul Satan a refusé l'acte de soumission devant Adam.

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Les anges se prosternent devant Adam (enluminure persane du XVIe siècle).

Le seul ange susceptible d'appeler Mohamed son esclave ne pourrait donc être que Satan ! Ce n'est donc pas un ange que Mohamed a vu. Ce serait donc bien Dieu qui lui serait apparu ! Mohamed semble avoir besoin de se rassurer sur l'énormité de cette interprétation. Son cœur, le « fu’ād » l'organe de l’entendement, « ne démentira point ce qu’il a vu. » (verset 11). Pour garantir la véracité de sa parole, le verset 18 affirme que Mohamed « a vu les grands signes de son Seigneur » (verset 18). Mais aucune précision n'est jamais donnée sur les grands signes reçus par Mohamed ! Seul Moïse, au buisson ardent, face à Dieu, a bénéficié d'un signe de même nature. « Le grand signe » (arā-hu al-āya al-kubrā) (S. 79, 20) lui a alors été donné*, et Moïse partit vers pharaon accomplir de nombreux miracles … En revanche, les miracles tant désirés ont toujours fait défaut à Mohamed.

Ce serait donc Dieu qui a enseigné Mohamed ... mais de loin ! Ailleurs, le Coran confirmera que cette expérience de rencontre face à face avec Dieu n'est ni naturelle ni habituelle : « Il n’a pas été donné à un mortel que Dieu lui parle, si ce n’est par inspiration ou derrière un voile » (S. 42, 51). On comprend donc le besoin de la Tradition musulmane d'introduire l'ange Gabriel là où il n'est manifestement pas.

Après une telle expérience mystique – l'apparition de Dieu Lui-même - , la suite de la sourate 53 est étrange.
Voilà que la vision de La Divinité Elle-même ne semble pas avoir conforté Mohamed dans ses convictions spirituelles, et encore moins avoir convaincu les Quraysh. Mohamed se voit poussé à tenter un compromis qui va le conduire à se déjuger. Était-il désespéré ? Il va admettre que les « rabbā » mecquoises, les divinités nabatéennes toujours adorées par les siens, sont réellement détentrices de puissance divine. C'est ce que la Tradition musulmane appellera les versets sataniques. Tabarī (838-923), que personne ne peut soupçonner d'être un mauvais musulman, va transcrire - et donc préserver - les versets qui avaient été récités dans les premières versions du Coran. D'après Tabarī, juste après l'apparition de Dieu au dessus de l'horizon, Mohamed aurait récité ces versets : « Que croyez-vous d’al-lāt, d’al-Ozzā et de Manāt, cette troisième et dernière, ce sont des déesses augustes dont on peut vraiment espérer l’intercession. » (S. 53, 19-24). Cette première version du Coran parlait donc du pouvoir d’intercession (shafā’a) des « rabbā », ce qui fait des Dames protectrices de la Mecque* d’authentiques divinités ! Face à ce polythéisme inscrit en toutes lettres au cœur du Coran - livre par ailleurs jugé parfait et donné par Dieu sans erreur - la Tradition racontera que le diable a trompé les auditeurs, et que Mohamed a, en fait, dit autre chose. Mais cela n'explique pas pourquoi les premières versions du Coran – et pendant les trois premiers siècles de l'Hégire (!) - ont conservé cette trace de polythéisme, à moins de supposer que l'islam des origines ait encore été tenté par le polythéisme. Ce n'est effectivement qu'au Xe siècle que ces versets troublants ont été corrigés et qu'ont été établis les versets que nous connaissons de nos jours : « al-lāt, d’al-Ozzā et de Manāt, ce ne sont que des noms dont vous et vos pères les avez nommées. Allāh ne leur a attribué aucun pouvoir efficient ». « Ils (les hommes de la tribus et leurs ancêtres), ne suivent que leur propre conjecture. Auriez-vous des mâles et Lui les femelles ? » (S. 53, 19-21).

La deuxième apparition surnaturelle dont aurait bénéficié Mohamed ne semble pas avoir offert la preuve définitive qui permettrait de convaincre les siens... et lui même paraît bien seul, condamné à des annonces désordonnées qui hésitent entre l'apparition de Dieu planant au dessus de l'horizon et la reconnaissance des croyances polythéistes des siens.

* : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, Jacqueline Chabbi, p. 218, Fayard. 2008.

11. 14. La troisième vision de Mohamed : l'isrā'.
Mohamed va bénéficier d'un dernier moment mystique d’exception, du moins selon les récits imagés qu'en fera la Tradition musulmane. Une fois de plus, le récit du Coran est infiniment plus sobre.

Que dit le texte coranique – à la Sourate 17 - de ce moment hors du commun qui a été surnommé l'isrā' par la Tradition musulmane ?
« Gloire à Celui qui a fait voyager de nuit Son serviteur du « lieu de prosternation protégé » (« masdjid haram ») jusqu’au « lieu de prosternation éloigné » dont nous avons béni l’entour pour lui faire voir certains de Nos signes probants. » (Sourate 17, 1 ; trad. J. Chabbi). C'est tout.
Et le deuxième verset de la Sourate 17 enchaîne : « Nous avons apporté à Moïse le Livre, dont nous avons fait un guide pour les Enfants d’Israël » (S. 17, 2).

Voilà à quoi se résume dans le Coran le célèbre isrā', le fameux voyage mystique de Mohamed !
Essayons de reprendre en détail ce court verset (S. 17, 1). Le personnage principal est le « serviteur » (‘abdu-hu), mais il n'est pas nommé. On peut naturellement supposer qu'il s'agit de Mohamed, mais ce n'est pas dit explicitement.
Le mot « masdjid » est souvent traduit par Mosquée, mais en fait c'est une erreur de traduction. Le mot « masdjid » signifie « lieu de prosternation ». Tout endroit où le croyant se prosterne est un « masdjid », un tapis dans le désert ou une maison. La maison de Mohamed à Médine sera un « masdjid », un lieu de prosternation. Ici le verset parle de « masdjid haram », de lieu de prosternation protégé. Un autre lieu bien précis dans la terminologie coranique est nommé ainsi. Il s'agit de la Mecque qui est nommée « masdjid haram », « lieu de prosternation protégé » à plusieurs reprises (Sourate 2, versets 144, 149, 150, 217 ; S. 5, 2 ; S. 8, 34 ; S. 9, versets 19 et 28). On peut donc penser que le serviteur est parti de la Mecque*.

Le but du voyage est un « lieu de prosternation éloigné » (masdjid aqsā) dont l'entour est « béni ». La Tradition musulmane raconte qu'il s'agit de Jérusalem. Mais, ni Jérusalem, ni Ælia par son nom romain (en arabe : Iliya, إلياء), ne sont jamais nommées dans le Coran. La ville sainte des juifs et des chrétiens est totalement inconnue du Coran.
En fait, le seul autre endroit que le Coran qualifie de « lieu béni », en dehors de la Mecque, est le val sacré (Sourate 20, 12 ; S. 79, 16) où Moïse rencontre Dieu. Là, après un voyage nocturne (S. 28, 29-30), Moïse voit Dieu qui l'envoie en mission vers Pharaon. « Puis, quand Moïse eut achevé le terme et voyagé de nuit avec sa famille, il sentit un feu du côté du Mont. Il dit à sa famille : « Peut-être vous en apporterai-je nouvelle, ou quelque brandon de feu, que peut-être vous vous réchauffiez. » Puis quand il y fut, on l'appela du flanc droit de la vallée, en un lopin de terre bénie, du sein d'un arbre « O Moïse ! C'est Moi, oui, Moi, Dieu, Seigneur des mondes » (S. 28, 29-30). On peut remarquer que le voyage nocturne de la Sourate 17 au verset 1 se termine lui aussi en un lieu où « les alentours sont bénis »* comme l'est le lopin de terre où Dieu, juché dans un arbre, apparaît à Moïse, Sourate 28.

Il y a donc trois points communs entre l'histoire de Moïse (Sourate 28) et celle du serviteur de la Sourate 17, (1) : d'abord le voyage nocturne, ensuite la destination bénie, et enfin la réception de signes probants. Il est donc possible que la destination du voyage soit la montagne sacrée de Moïse, située au Sinaï et non pas Jérusalem*. Le serviteur, probablement Mohamed - serait donc parti de nuit de la Mecque vers le Sinaï pour recevoir des signes dont la nature reste inconnue. Cette hypothèse est celle de l'historienne Jacqueline Chabbi (*). Hypothèse originale, certes, mais infiniment plus vraisemblable que les extrapolations poétiques de la Tradition musulmane au sujet de l'isrā'.

En effet, la Tradition musulmane va commenter la Sourate 17 par de multiples écrits mystiques, voire mythologiques. En dépit de la sobriété du texte coranique, la Tradition va raconter une histoire extraordinaire.
Mohamed aurait voyagé sur Burāq, une monture miraculeuse venue du paradis.

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Mohamed chevauche Burāq (1514 ; Indonésie).

Burāq signifie « éclair ». L'ange Gabriel, nommé Djibril par les musulmans, aurait obligé Burāq récalcitrant à porter Mohamed. Il lui aurait dit : « N'as-tu pas honte, ô Burāq ? Par Allah, personne ne vous a monté dans toute la création de plus cher à Allah que lui. » (Muhammad al-Alawi al-māliki, al-Anwar al Bahiyya min Isra wa l-Mi ' Raj Khayr al-Bariyyah). Al-Bukhārī va jusqu'à décrire Burāq : « un animal blanc et long, plus grand qu'un âne mais plus petit qu'une mule qui pose son pied aussi loin que le regard peut porter » (Bukhārī 5, 58, 227). L'art graphique islamique se laissera inspirer par cette monture fantastique qu'elle représente avec une tête de femme, un corps ailé et une queue de paon.

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L'ascension de Mohamed : « Gabriel tendit à Mohamed une monture extraordinaire, nommée al-Burāq, qui était sellée et bridée.
Plus petite qu'une mule mais plus large qu'un âne » (Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

Mohamed aurait fait étape à Jérusalem, posant le pied sur le rocher sur lequel le premier temple de Salomon avait été construit. Son pied aurait laissé une trace surdimensionnée sur le rocher. Un monument somptueux, le Dôme du rocher, construit en 691 à Jérusalem pour défier le pouvoir byzantin, deviendra au fil des siècles le lieu de commémoration du voyage céleste de Mohamed et sera dénommée al-Aqsa, « la lointaine » pour renforcer l'interprétation de la Tradition.

Monté sur Burāq et toujours accompagné de l'ange Gabriel, Mohamed se serait envolé jusqu’aux cieux et aurait été introduit en la présence divine. Mohamed aurait ensuite visité le paradis et l'enfer. Lors de cette visite, il aurait reçu un cadeau divin, le devoir des cinq prières quotidiennes. Pour le fidèle, nous dit Hamidullah, exégète musulman du XXe siècle, il s'agit de l'« entrée cinq fois quotidienne en la présence divine. » Dans la dernière partie de l'office, la récitation de « l'invocation de la présence divine » reprendrait l'échange de salutations entre Dieu et Mohamed. Le mi'rādj, l'ascension de Mohamed aux cieux, est ainsi rappelée, et le croyant se présente symboliquement au seuil de Dieu **.

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Mohamed traverse les rideaux au seuil divin
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

Tous ces éléments sont totalement absents du Coran. Mais la mystique musulmane se manifeste de façon privilégiée à l'occasion de l'interprétation de la sourate 17. Art graphique, architecture, spiritualité, liturgie, tout le génie de la civilisation musulmane s'exprime à l'occasion de l'interprétation de l'isrā'. Mais le contraste est tel entre Coran et Tradition qu'un non-musulman peut facilement en conclure que la Tradition musulmane a extrapolé sur la récitation de Mohamed pour la transformer en mythologie.

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L'ascension de Mohamed qui est reçu par quatre anges
(l'
Histoire universelle de Jami Al-Tawarikh, XVIe siècle ; Topkapı).

À partir de l'étude du texte coranique dépouillé de ses interprétations ésotériques, le Pr Chabbi pose donc l’hypothèse que Mohamed serait parti de la Mecque pour se rendre au Sinaï*.
Sans vouloir exagérer mes propres capacités d'analyse, je me permets de vous soumettre ma propre hypothèse. L'isrā' (S. 17, 1) ne concerne pas Mohamed, mais Moïse, qui après son voyage nocturne vers le val sacré du Sinaï, a reçu les Tables de la Loi comme nous le rapporte le verset 2 de la sourate 17 …
Mon hypothèse repose sur plusieurs éléments :
- D'abord, la sourate 28, celle du voyage nocturne de Moïse, est récitée à la 49e position. Juste après est récitée la sourate 17, celle de l'isrā', à la 50e position donc. La Sourate 17 reprend de façon elliptique le récit du voyage nocturne raconté par la sourate précédente et enchaîne au deuxième verset sur Moïse.
- L'histoire de la rencontre de Moïse avec Dieu à l'endroit dont l'entour est sacré (S. 28, 29-30) semble étonnamment proche de l'isrā' (S. 17, 1). Le serviteur de l'isrā' (S. 17, 1) n'est pas nommé, alors que Moïse est clairement identifié au verset 2 de la Sourate 17. Le Professeur de Prémare fait remarquer que la forme stylistique du verset 1 est en rupture avec celle du verset 2 et il ne pense donc pas qu'ils aient été récités initialement dans la continuité l'un de l'autre (Les fondations de l'islam, p. 421). Néanmoins, au moment de la mise par écrit du Coran, ils ont été placés l'un après l'autre, comme s'ils parlaient de la même chose. C'est comme si personne, au moment de la rédaction finale du Coran, n'avait jamais entendu parler du voyage mystique de Mohamed vers Jérusalem, mais uniquement de la rencontre de Moïse avec Dieu.
- Le « masdjid haram » du serviteur serait alors la propre maison de Moïse qui est son lieu de prosternation personnel d'après le Coran : « Et nous révélâmes, à Moïse et à son frère, ceci : « Obtenez, vous deux, des maisons à Misr pour votre peuple et priez en prenant vos propres demeures (buyūt) comme direction (qibla) » (S. 10, 87).

Finalement, le verset 1 de la Sourate 17 pourrait se lire ainsi : « Gloire à Celui qui a fait voyager de nuit Son serviteur [Moïse] du « masdjid haram », (de son domicile bien protégé, là où il priait habituellement), jusqu’au « lieu de prosternation éloigné », (le val sacré de la rencontre avec Dieu au Sinaï), dont nous avons béni l’entour, pour lui faire voir certains de Nos signes probants » et alors le verset 2 continue sans rupture de continuité : « Nous avons apporté à Moise le Livre, dont Nous avons fait une guidée pour les Enfants d’Israël » (S. 17, 2).

Il ne resterait donc plus rien de l'isrā' de Mohamed et de sa troisième et dernière expérience mystique ! Sa seconde vision s'était lamentablement achevée par la reconnaissance de la puissance d'intercession des Dames protectrices de la Mecque : il n'y aurait donc pas eu de troisième tentative pour faire croire que Dieu lui apparaissait ...

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L'ascension de Mohamed (manuscrit persan, XVIe siècle).

*: Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, Jacqueline Chabbi, p. 205 à 255, Fayard. 2008.
** : Le Coran, traduction de Muhammad Hamidullah, p. 261, le club français du livre, 1959.

11. 15. Les juifs et leurs prophètes : Mūsā /Moïse ; Nūh/Noé...
À la Mecque, Mūsā, Moïse, occupe une place prépondérante. Abraham le remplacera à Médine. Pendant la période mecquoise de la révélation, Moïse va être fréquemment évoqué en soutien de Mohamed. Il s'agit de rechercher dans la vie de Moïse des situations similaires à celles vécues par Mohamed. Ce procédé dialectique permet à Mohamed de justifier ses propres difficultés par celles de son glorieux prédécesseur.

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Mohamed devant Moïse
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF)

Très rapidement dans la récitation mecquoise, le conflit entre Pharaon et Moïse est mis en scène : « Nous avions envoyé [Moïse] avec une autorité manifeste à Pharaon et celui-ci se tourna de coté et dit : « Un magicien ou un fou » »(S. 51, 39). Voilà qui n'est pas sans rappeler les invectives des contemporains de Mohamed à son encontre.
Pharaon reproche à Moïse d’éloigner le peuple de la religion égyptienne : « Est-ce pour nous écarter [de la foi dans laquelle] nous avons trouvé nos ancêtres que tu es venu à nous ? » (S. 10, 78). Moïse demande aux croyants de résister (S. 10, 81-83). Pour rester fidèle, Mohamed doit lui-aussi trahir la religion de ses pères et il invite les siens à faire de même (S. 31-21). Mohamed s'abrite dans l'exemple de Moïse.
Le Coran raconte que Moïse est traité de « sorcier » selon le terme de « sāhīr » : « Quand Moïse vient à eux avec Nos signes manifestes, ils dirent : Ce n'est là que de la magie m entie » (S. 28, 36). Mohamed est pareillement traité de sorcier au verset 48 : « Mais quand la vérité leur est venue de Notre part, ils ont dit : « Pourquoi n'a t-il pas été donné à celui-ci comme à Moïse ?... Ils disent : « Deux magies ! …nous ne croyons ni à l'une ni à l'autre » (S. 28, 48)*. Il semble que Mohamed ait souvent été suspecté de pratiquer la sorcellerie (S. 25, 8 ; S. 46, 7 ; S. 28, 48). « Et quand sont récités devant eux nos signes comme évidents, ceux qui mécroient disent de la vérité lorsqu'elle vient à eux : « C'est de la magie manifeste » » (S. 46, 7) (*1).

Moïse sert de caution à Mohamed et les juifs vont lui servir de témoin : « Dis : « Voyez-vous ? Si ceci (le Coran) est de Dieu, - mais vous n'y croyez pas, - et si un témoin d'entre les Enfants d'Israël témoigne du pareil (avec la Bible), et y croit, alors que vous vous enflez d’orgueil ? » (S. 46, 10). Avec le témoignage de Moïse, Mohamed se voit conduit à présenter les juifs comme des soutiens de sa prédication. Tout au long de la période mecquoise et avant d'avoir rencontré des juifs en chair et en os, Mohamed va mettre leur témoignage à contribution et instrumentaliser leurs prophètes pour se justifier.

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Mohamed rencontre Moïse et Idris lors de son « voyage nocturne »
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

Ainsi, un prophète anonyme du passé demande-t-il à Dieu de punir son peuple dans un saisissant appel au secours qui ne peut qu'évoquer Mohamed : « « Seigneur ! Au secours! Ils me traitent de m enteur. » - Et Dieu : « Sous peu, très certainement, ils en viendront aux regrets ! » » (S. 23, 39-40) (*2).
Un autre grand prophète du passé, Noé - Nūh pour le Coran – est longuement sollicité en soutien de Mohamed. On rappelle que Noé est un personnage mythologique appartenant au paganisme sumérien. Il est apparu pour la première fois dans l'épopée polythéiste de Gilgamesh. Le Coran montre Nūh/Noé dialoguant avec l’assemblée des grands, la mala. Il s'agit d'une structure bédouine de commandement, une assemblée de chefs tribaux dans l'Arabie de Mohamed. Mohamed donne au peuple de Nūh la structure sociologique qu'il connaît, ce qui lui permet de s'identifier à lui. « Tu n’es qu’un homme comme nous. » dit la mala' à Nūh (S. 11, 27, n° 48). En parallèle, le Coran répercute les doutes des habitants de la Mecque : « Tu n’es qu’un homme comme nous qui mange et va au marché ». » (S. 25, 7-20). Le « groupe des grands de son peuple » se moque de Nūh (S. 11, 38), comme les notables de la Mecque se moquent de Mohamed (S. 25, 41-42 ; S. 39, 56, S. 18, 106) (*3).

Noé affirme ne réclamer aucun salaire : « Ô peuple dont je suis, je ne vous demande pas de me donner de vos biens en échange de ce que je fais ; mon salaire est auprès de Dieu. » (S. 10, 29-34, n° 51). Et Mohamed n'en réclame par davantage à la période mecquoise initiale : « Je ne vous demande pas pour cela de salaire » (S. 6, 90).
Noé n'est pas un ange, il ne connaît pas le destin (S. 11, 31). Pas davantage, Mohamed ne le connaît (S. 6-50). Toutes les limites de Mohamed sont justifiées par celles de ses prédécesseurs fameux. Ainsi, les notables demandent un signe à Noé (S. 11, 32). Les Quraysh font la même demande à Mohamed, (S. 11, 12 ; S. 25, 8). Noé répond, « Dieu le fera, s’il le veut. » (S. 11, 33). Mohamed fait la même réponse à ses camarades (S. 6, 35) (*3).
Finalement, Mohamed promet à ses compagnons insoumis « le châtiment d'un grand Jour » (S. 11, 3). Dans la même Sourate, Noé prévient un peuple réfractaire : « Je suis un avertisseur qui va vous parler clairement, ne rendez culte qu’à Allah ; sinon, je crains pour vous le tourment d’un jour cruel. » (S. 11, 25-35). Que les habitants de la Mecque soient donc attentifs ! Noé a finalement eu gain de cause, la terre entière a été détruite avec tous les mécréants qu'elle portait. Même le propre filsde Noé – un insoumis - n'a pas été épargné. Appartenir à la même tribu n'est donc pas suffisant pour protéger de la juste punition de la Divinité. Le fils de Noé étant « le méfait en personne. » (S. 11, 46), il est mort noyé (*4). Que les Quraysh en tirent la conclusion qui s'impose !

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Mohamed rencontre les prophètes du passé
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

Face à ses difficultés, Mohamed instrumentalise donc les prophètes juifs au service de sa justification personnelle, mais cela est insuffisant. Finalement, les prophètes appartiennent au passé ... il présente donc les juifs eux-mêmes comme des témoins de son authenticité. Il est persuadé qu'ils le reconnaîtront comme inspiré de Dieu. Dès les débuts de sa récitation, la Bible lui sert de caution : « L'au-delà est meilleur et plus durable. Oui, ceci est certes dans les Feuilles anciennes, les Feuille d'Abraham et de Moïse » (S. 87, 17-19, n° 8) et également à la Sourate 53 (36). Nous avons vu qu'un s'agit d'un anachronisme théologique du Coran puisque ni Abraham ni Moïse ne croyaient en la vie éternelle. Le Coran va plus loin, il affirme que les rabbins, les spécialistes de la Thora, « les savants des Enfants d'Israël » ont reconnu Mohamed : « N'est-ce pas pour eux un signe, que les savants des Enfants d'Israël le reconnaissent ? » (S. 26, 197). Des savants juifs auraient donc reconnu Mohamed... ?
Que cette affirmation est donc risquée... et cela pour plusieurs raisons ! D'abord Mohamed ne fréquente pas de juifs à la Mecque (*5).
Manifestement, il n'a jamais prévu de devoir quitter la Mecque pour un lieu où vivaient des juifs. Il ne s'est donc pas soucié de ce qu'ils croyaient réellement. Ensuite, il semble bien que Mohamed n'ait jamais lu la Bible. Le nom du Père d'Abraham n'est pas celui que lui donne la Bible, mais celui issu d'une allitération inspirée de récits grecs contemporains. De plus, Mohamed est convaincu que Yahvé et son Dieu sont identiques. Or, Ils sont radicalement différents : Yahvé crée le bien et la liberté dès les premières pages de la Genèse, alors qu'Allah crée le bien et le mal. Néanmoins, Mohamed affirme que le Dieu de la Bible et le Sien sont Le même : « Et ne discutez avec les gens ayant reçu l’Écriture (La Bible) que de la manière la plus aimable, sauf avec ceux d’entre eux qui ont été injustes. Dites : « Nous croyons en ce qu’on a fait descendre sur nous et descendre sur vous, tandis que notre Dieu et votre Dieu est le même, et nous lui sommes soumis. » (S. 29, 46). Le Coran revendique même un contenu similaire à celui de la Bible : « Ce que Nous te révélons du livre, c'est cela la Vérité, confirmation de ce qui se trouvait déjà avant ceci. » (S. 35, 31). Mohamed ne connaît donc pas directement la Bible. Ce qu'il sait d'elle provient de la transmission orale qui est source de nombreuses modifications et sujette à bien des ambiguïtés.
Le Coran ne semble pas douter un instant de l'accueil que pourraient réserver les juifs à Mohamed. En cas de doute sur le sens de sa révélation, il est même recommandé à Mohamed de prendre conseil des juifs : « Si tu es dans la doute sur ce que Nous avons fait descendre vers toi, interroge alors ceux qui dès avant toi lisent le Livre. » (S. 10, 94). « Demande donc au Enfants d'Israël. » (S. 17, 101).
Même les habitants de la Mecque se voient conseiller d'en appeler au témoignage des juifs : « Nous n'avons envoyé avant toi que des hommes à qui Nous avions fait révélation. Demandez donc aux gens qui se rappellent, si vous ne savez pas, les preuves et Écrits ! » (S. 16, 43).
Comme Mohamed est convaincu du soutien du peuple juif, il confirme sans hésiter sa place de Peuple Élu par Dieu. Les juif formeraient un peuple supérieur à tous les autres : « C’est en connaissance de cause que, Nous [la divinité] avons choisis [les juifs], [pour être placés] au-dessus des autres peuples [ou tribus] » (S. 44, 30-33, trad. J. Chabbi). Le Coran affirme plusieurs fois que les juifs sont supérieurs aux autres : « Nous les avons choisis entre tous et les avons guidés sur la voie droite… Dieu guide qui il veut. » (S. 6, 86-87) ; « Allah a élu Adam, Noé, la famille d’Abraham, la famille d’Aran (le lignage de Marie), au-dessus de toutes les autres lignées. » (S. 3, 33 ;trad. J. Chabbi).

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Moïse au Sinaï reçoit la Loi pour le peuple élu (Haggadah de Sarajevo, 1350,
manuscrit juif de Saragosse ; Musée national de Bosnie-Herzégovine).

Cette supériorité des juifs sur toutes les autres communautés humaines sera un jour oubliée, quand, à Médine, Mohamed sera confronté à d’authentiques juifs. Leur solidité doctrinale lui infligera alors une cruelle désillusion.

* : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, *1 : p. 180 / *2 :p. 187 / *3 : p. 163/ *4 : p. 164 / *5 : p. 213 ; Jacqueline Chabbi, Fayard. 2008.


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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:41

11 : MOHAMED À LA MECQUE.
De 610 à 622.


11. 1. Sources épigraphiques... et quelques précautions oratoires.
11. 2. L'enfance et la jeunesse de Mohamed telles que les raconte la Tradition musulmane.
11. 3 . Selon le Coran qui inspire Mohamed si ce n'est pas l'ange Gabriel ?
11. 4 . Les premières Sourates récitées : opposition mecquoise et menaces divines.
11. 5. La première vision de Mohamed : révélation eschatologique.
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11. 6. Peut-on convaincre les réfractaires en suscitant la peur ?
11. 7. La morale coranique s'élabore à la Mecque à l'occasion des conflits humains de Mohamed.
11. 8. Une ébauche d'organisation religieuse, la Salāt et la Zakāt.
11. 9. Le Jugement dernier.
11. 10. Visions d'enfer : Allah, le Maître de l'enfer.
11. 11 . Visions de paradis, ou comment satisfaire les pulsions masculines.

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11. 12. S'il s'agit de convaincre par la parole, encore faut-il que le discours coranique soit cohérent !
11. 13. La deuxième vision mystique de Mohamed.
11. 14. La troisième vision de Mohamed : l'isrā'.
11. 15. : Les juifs et leurs prophètes : Mūsā /Moïse ; Nūh/Noé...

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11. 16. Signes demandés, signes refusés.
11. 17. Signe du Seigneur, le Coran se définit lui-même.
11. 18. Au prix de la soumission dans la crainte et du renoncement à toute logique, le Coran est et restera la vérité des musulmans.
11. 19. Mohamed et son Dieu ; Mohamed et ses contemporains ; Mohamed et ses fidèles.
11. 20. L’année 619 : année tragique de deuil.

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:43

11 : MOHAMED À LA MECQUE (FIN).
De 610 à 622.

11. 16. Signes demandés, signes refusés.

Dans ces échanges permanents entre Mohamed et ses compagnons de la Mecque, on peut repérer différentes étapes. Initialement, ses camarades ont mis en doute sa sincérité et ils ont essayé de le faire taire.
Puis, ils se sont moqués de lui et, las de son entêtement, ils sont rentrés chez eux.
Mais le dialogue se poursuit entre Mohamed et les siens. S'il y a bien une qualité que l'on peut reconnaître à Mohamed, c'est sa persévérance. Malgré ses difficultés, il cherche tous les moyens pour convaincre les siens.
Malheureusement, la mise en scène des Prophètes juifs, d'Adam, de Jésus, des 'Ad, des Thamūd et de Jonas n'a pas suffi car les Quraysh demandent des preuves. Ils ont à l'évidence bien écouté Mohamed et ils se servent de ses affirmations pour le prendre en défaut. Mohamed a longuement raconté les miracles de Moïse pour les convaincre de la puissance de son Dieu (S. 27, 7-10 ; S. 20, 20-21 ; S. 57, 65-66...). Moïse a reçu des « signes probants » de la part de Dieu et Mohamed en a confirmé la réalité à de multiples reprises (S. 27, 13 ; S. 20, 23 ; S. 43, 46 ; S. 28, 36). Moïse et son frère Aaron auraient même reçu un « furqān », une preuve décisive (S. 21, 48-50). À défaut de faire lui-même des miracles, Mohamed va suggérer que les miracles de la Bible doivent suffire pour convaincre les siens : « La Preuve de ce qui était dans les anciens Livres ne leur est-elle pas venue ? » (S. 20, 133 ; 45e Sourate récitée). La Bible, l'ancien Livre, raconte des miracles, pourquoi ses contemporains ne contentent-ils pas de ceux-ci ?

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Le serpent magique d'Aaron, le frère de Moïse, engloutit les serpents des magiciens de Pharaon
(Haggadah de Sarajevo, 1350, Saragosse ; Musée national de Bosnie-Herzégovine).

En fait, les Quraysh veulent voir des miracles de leurs yeux (*1). Ils mettent Mohamed au défi d'en faire : « Ils ont dit : « Nous ne saurions croire en toi [Mohamed] que tu ne fasses jaillir devant nous une source ou que tu n’aies à toi un jardin de palmiers et de treilles... Ou que tu ne fasses vraiment tomber sur nous ces pans du ciel dont tu prétends nous menacer (On voit là qu'ils ne craignent pas les menaces de Mohamed et semblent mêmes agacés par la multiplication des châtiments promis) ou que tu amènes Dieu et ses anges et que nous les voyions en face. Ou que tu n’aies à toi une demeure tout entière revêtue de tentures brillantes, ou que tu ne montes dans le ciel ; et encore ne croirons-nous que tu y sois monté que si tu nous en fais descendre un écrit dont nous puissions réciter le texte exact ! » - Réponds-leur : « Gloire à Dieu, je ne suis qu’un homme et un messager (rasūl). » (S. 17, 91-93 ; 50e Sourate récitée). Mohamed n'est qu'un simple messager, un homme ordinaire incapable de faire des miracles et il s'abrite dans son humanité pour se justifier. L'instrumentalisation de l'histoire de Moïse avère donc contre-productive pour Mohamed. Elle a mis en évidence ses faiblesses et ses limites.

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Un dragon surgit à la demande de Moïse et va engloutir le palais de pharaon ('Ağayib al-maḫlūqāt, par
Mahmūd Hamadānī, manuscrit persan, 1577 ; BnF). L'islam confirme bien les miracles de Moïse.

Curieusement, Mohamed va se mettre à attendre un miracle. Est-il sincère ? Joue-t-il simplement le jeu ? Il est acculé par les exigences impossibles des Quraysh : « Et ils disent : « Que ne fait-on descendre un signe sur celui-ci ? - Alors, dis : « Rien d’autre, en vérité : l’invisible appartient à Dieu. Attendez donc ; Moi aussi, vraiment je suis avec vous de ceux qui attendent. » (S. 10, 20 ; 51e Sourate récitée). Voilà donc Mohamed qui attend lui-aussi un signe de son Seigneur et ceci de son propre aveu. Manifestation son inspiration (poétique ?) n'est pas non plus pour lui une preuve suffisante.
Et il semble réellement attendre ce signe, et l'attendre avec frénésie, dans une interrogation pleine d'espoir : « Et quand bien même leur indifférence te pèserait énormément, et qu'ensuite il te serait possible de chercher un tunnel à travers la terre ou une échelle pour le ciel, et qu'ensuite tu leur apporterais un signe ? Tandis que si Dieu voulait, Il pourrait à coup sûr les réunir sur le bon chemin. » (S. 6, 35 ; 55e Sourate récitée). Mohamed souffre tellement de l'indifférence des siens qu'il est prêt à tout pour obtenir de Sa divinité un signe libérateur... mais le Coran signale immédiatement que cela ne dépend que de Dieu. Est-ce une simple habilité de discours ? Le verset semble anticiper sur l'inéluctable déception.

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Mohamed à la Kaaba pour en retirer un dragon (Siyer-i_Nebi, 1595 ; Topkapi, Istanbul). Les actes merveilleux de
Mohamed appartiennent à la reconstruction mythologique des siècles à venir de l'islam et n'ont aucune place dans le Coran.

Des « signes probants » lui ont portant été formellement promis lors de sa seconde vision spirituelle (S. 53, 18 ; 23e Sourate récitée), ... mais ils ne viendront jamais. Ceci dit, nous avons vu que cette seconde apparition divine a tourné au désastre et que même la Tradition musulmane n'a jamais cru que Dieu lui était apparu.
Et voilà que le Coran – malgré ses promesses - annonce qu'aucun signe surnaturel ne lui sera jamais offert : « Il n'est pas d'un messager de venir avec un signe, sauf permission de Dieu. » (S. 40, 78 ; 60e Sourate récitée). Mohamed ne recevra aucun signe.
Il tergiverse.
Moïse aurait dit qu'un Kitāb – une révélation divine orale – est une preuve (S. 11, 17 ; S. 11, 96-99 ; S. 11, 110), Mohamed aimerait bien lui-aussi que sa récitation coranique fasse preuve (S. 46, 7, 66e).
Finalement, le Coran restera la seule preuve de l'authenticité de son inspiration divine. Maigre consolation. Mohamed reconnaîtra finalement un jour – par sa voix intérieure - que Jésus a fait des miracles. Pour cette raison, il le placera au dessus de lui (S. 2, 253). Tous les grands prophètes, Moïse, Noé, Élie, Jonas, Jésus ont fait des miracles : lui seul en est incapable.
Mohamed reste un simple avertisseur : « Et ceux qui mécroient disent : Pourquoi n’a-t-on pas fait descendre sur celui-ci un signe de la part de son Seigneur ? « - Rien d’autre, en vérité : tu es un avertisseur. À chaque peuple un guide. » (S. 13, 7 ; 96 e Sourate récitée). Il n'est qu'un homme normal (S. 25, 7-20) et n'a rien de l'ange réclamé par les siens (S. 25, 7).
Avec finesse, Mohamed trouvera à la toute fin de sa vie une justification à cette absence de miracle : « Rien ne Nous empêche d'envoyer les signes... En outre, Nous n'envoyons de signes qu'à titre de menace. » (S. 17, 59, 101e Sourate récitée). Le signe miraculeux devient maintenant un cadeau empoisonné ..., si les témoins du miracle étaient restés incrédules, quelle n'aurait pas été leur punition !

Et Mohamed, déçu, gardera les positions doctrinales qui étaient celles des religions païennes antiques : une divinité parle par les hasards des événements et en particulier par la victoire militaire. Lors d'une défaite, le dieu disparaît du panthéon des dieux. Seul le peuple hébreu est parvenu à maintenir sa foi en Yahvé après la destruction du premier Temple de Jérusalem par Nabuchodonosor. Mohamed, lui, verra dans ses victoires militaires la confirmation que son Dieu le soutient et cela sera parfaitement accepté et compris par ses adeptes nés dans le paganisme. Allah donne la victoire aux byzantins (S. 30, 2-4) et aux soldats de Mohamed (S. 9, 26).
Rien de surnaturel ne surviendra jamais au cours de la prédication de Mohamed. Privé de la Providence divine, Mohamed conservera la pratique d'invocations protectrices, héritée de la superstition païenne, alors que le judaïsme et le christianisme considèrent les invocations magiques comme de graves péchés. Ainsi, le roi Saul s'est-il vu privé de sa royauté pour avoir consulté la magicienne d'En Dor (1 Samuel 28, 1-25). Mais Mohamed confirme et maintient cette pratique païenne : deux sourates dites « d'invocations protectrices » - souvenirs du paganisme - se trouvent conservées dans le Coran :
- « Dis, « Je cherche protection auprès du Seigneur de l'aube contre le mal qu'Il a créé, et contre les risques de la nuit quand elle s'étend, contre le mal de celles qui soufflent sur les nœuds, et contre le mal de l'envieux quand il envie. » ( S. 113 ; trad. J. Chabbi). « Souffler sur les nœuds » réfère à une pratique magique qui consiste à aspirer à priver l’homme de sa virilité. Le verset confirme par ailleurs que le Seigneur de Mohamed est Créateur du mal.
- « Dis : « Je cherche protection auprès du Seigneur des hommes de la tribu. Souverain des hommes. Dieu des hommes, contre le mal du mauvais conseiller, le furtif, celui-là qui souffle le conseil dans les poitrines des hommes, qu’il soit des djinns, ou des humains. » (S. 114, trad. J. Chabbi). Il s'agit là d'invoquer le Seigneur de la tribu, le roi de la tribu, pour protéger hommes et djinns des mauvaises inspirations d'un conseiller peut-être même démoniaque.
Un compagnon de Mohamed, ’Ibn Masʿūd, qui a rédigé un Coran après le décès de Mohamed, n'a pas retenu ces deux sourates, les Sourates 113 et 114. Il a de même omis la première Sourate. La version du Coran d'’Ibn Masʿūd a néanmoins été préférée par certains musulmans et a été récitée pendant les trois premiers siècles de l'Hégire, parallèlement à la version dite d'Othmān que nous connaissons de nos jours (Institut français du proche Orient, Qais Assef, doctorant).

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Sourate 1, Al-Fatiha (Coran datant de 1867 ; Istanbul, Turquie). La Sourate I n'existe pas dans la version du Coran
d’Ibn Masʿūd, le compagnon de Mohamed, qui n'a pas retenu non plus les sourates 113 et 114.

Quant à Mohamed, il n'attend plus aucun signe miraculeux de la part de Son Dieu.
Le seul signe qu'il recevra jamais, c'est son inspiration qu'il croit divine, et que d'aucuns jugent poétique !
Et Mohamed persiste et continue, sans se lasser, à rabâcher sa révélation devant des auditeurs lassés qui n'attendent plus que son décès pour être soulagés : « Donc, rappelle ! Puisque grâce au bienfait de ton Seigneur, tu n'es ni possédé ni fou. Ou diront-ils « C´est un poète! Attendons pour lui le coup de la mort » (Les Quraysh n’envisagent aucune agression physique contre lui, ils attendent juste son décès). Ou est-ce leurs rêves qui leur commandent cela ? Ou sont-ils des gens rebelles ? - Ou encore diront-ils : « il a forgé cela » ? Non, mais ils ne veulent pas croire. » (S. 52, 29-33). Et face à l'incrédulité de ses camarades, Mohamed reprend le même argument impuissant à convaincre : « Et bien, qu'ils fassent voir un récit pareil à celui-ci, s'ils sont véridiques ! » (S. 52, 34).

Mais ses contemporains l'ont compris, Mohamed est un poète qui invente – qui forge - ses versets. Qu'eux-mêmes ne soient pas des artistes, ne suffit pas à démontrer l'inspiration divine de leur si étrange camarade.



Le Coran garde une vocalisation esthétique dont l'expression poétique fait preuve pour les
musulmans mais ne suffit pas à convaincre les non-musulmans.

* : Le Seigneur des tribus, l'islam de Mohamed, *1 : p. 269 ; Jacqueline Chabbi, CNRS éditions, 1997.

11. 17. Signe du Seigneur, le Coran se définit lui-même.
À la 42e position dans l'ordre de la révélation, la Sourate 25 est un long dialogue entre Mohamed et les habitants de la Mecque. Leur discussion porte sur la nature du Coran. Devant des Quraysh dubitatifs, Mohamed est conduit à définir le Coran.

La Sourate 25 commence par une affirmation :
« Bénis, soit celui qui a fait descendre le Discernement sur Son esclave afin qu'il soit aux mondes un avertisseur » (S. 25, 1). Le Coran s'adresse donc « aux mondes », il affirme ainsi son universalité (S. 7, 158 ; S. 81, 27). Néanmoins, il est récité en arabe (S. 12, 2 ; S. 39, 28 ; S. 41, 44) pour être compréhensible pour ses destinataires, ce qui semble réduire le domaine de son influence. Le Coran s'affirme néanmoins universel...

La Sourate 25 continue, laissant entendre le dialogue qui s'est déroulé :
« Et ceux qui mécroient disent : « Oui, tout ceci n'est qu'une calomnie que celui-là a blasphémée et à quoi d'autres gens l'ont aidé ?
- Or, ils commettent là prévarication et m ensonge.
- Et ils disent : « Contes d'anciens qu'il se fait écrire ! On les lui dicte matin et après midi ! »
- Dis : « Celui-là l'a fait descendre qui sait le secret dans les cieux et la terre.
» (S. 25, 4, 6).
Le Seigneur de Mohamed connaît donc les secrets de la Création des cieux et de la terre. Quoiqu'en pensent ses contemporains, ce n'est pas un homme qui lui dicte sa récitation, mais bien le Créateur de l'univers. Ailleurs, le Seigneur de Mohamed donnera dans une autre Sourate très poétique, la preuve - finalement pathétique - de son omniscience : « Eh bien, vous deux, lequel des bienfaits de votre Seigneur traiterez-vous de m ensonge ? Il a créé l'homme d'argile sonnante comme la poterie ; et Il a créé les djinns d'une flamme de feu sans fumée. » (S. 55, 13-14). Plutôt que de « m ensonges » (S. 55, 13), on peut plus prosaïquement penser que les erreurs du Coran proviennent de ses sources d'inspiration : le paganisme mecquois pour les djinns et les erreurs scientifiques de la Bible - puisées dans les mythes sumériens - pour l'homme façonné d'argile. Mais, le Seigneur du Coran serait donc omniscient, en particulier en ce qui concerne les mystères de la Création (S. 25, 6)...

La Sourate 25 poursuit : « Ils disent : « Qu'est-ce qu'il a ce messager, à manger au repas et à circuler dans les bazars ? Que n'a-t-on fait descendre vers lui un ange qui eût été avertisseur en sa compagnie  » » (S. 25, 7). Les Quraysh n'ont pas renoncé à un signe surnaturel, ils aimeraient bien voir un ange à ses côtés. Mais, Mohamed ne peut que leur opposer une menace de damnation : « Mais l'Heure, ils la traitent de m ensonge. Nous avons cependant préparé, pour qui traite l'Heure de m ensonge, une Flamme brûlante... fureur et pétillement » (S. 25, 11-12). Et pourtant, dans d'autres versets, Mohamed affirme la Toute puissance miraculeuse du Coran. Le Coran serait guérisseur : « Et nous faisons descendre, du Coran, ce qui est guérison et miséricorde aux croyants. » (S. 17, 82). Il serait même paré d'une telle gloire surnaturelle que : « Si nous avions fait descendre ce Coran sur une montagne, tu aurais vu celle-ci s’humilier et se fendre sous l’effet de la crainte de Dieu. » (S. 59, 2). Mais, face à ses camarades qui exigent un miracle, Mohamed ne se risque pas à demander aux montagnes de se prosterner ; plus raisonnablement il menace de l'enfer. Faute de pouvoir convaincre par un discours rationnel, la menace restera le pivot de sa prédication jusqu'à la fin de sa vie et malheureusement le support de la théologie musulmane pour les siècles à venir : on menace pour soumettre à défaut de convaincre. Mais voilà que le Coran serait doué de puissance surnaturelle...

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Châtiment des médisants
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herat, 1456 ; BnF).
À ceux qui pourraient être surpris de voir représenter Mohamed, il faut rappeler que, jusqu'au XVIe siècle, le Prophète
de l'islam a été dessiné sans réticence par les musulmans. Pour ne pas créer d'inutiles polémiques,
seules ses représentations réalisées par des musulmans ont été retenues ici.

La suite de la Sourate 25 garde à nouveau mémoire des remarques des Quraysh : « Le messager dit : « Vraiment Seigneur, mon peuple a pris ce Coran pour chose de rebut ! » » (S. 25, 30). Le Coran serait donc une « chose de rebut » pour les Quraysh ! Il semble bien que les habitants de la Mecque aient repéré les défauts intrinsèques du Coran, comme ils le font remarquer ailleurs : « Quant à ceux qui ont qualifié le Coran de pièces décousues, et bien par ton Seigneur ! Nous les interrogerons tous sur ce qu'ils œuvraient. » (S. 15, 91-94). Là encore, seule la menace du Jugement dernier peut être opposée aux critiques de fond de ses camarades. À cette période de sa vie, Mohamed est tout à fait dépourvu de pouvoir politique, il est laissé aux seules forces de sa dialectique et il suscite, en fait, la pitié. Comme le montre la suite de la Sourate 15, il doit s'esquiver, accablé de tristesse : « Esquive les faiseurs de dieux. Vraiment Nous te suffisons, vis-à-vis des railleurs qui désignent à côté de Dieu un autre Dieu. Mais ils sauront bientôt ! Très certainement Nous savons que ta poitrine se serre pour ce qu'ils disent. ». (S. 15, 97). Le Coran serait donc parfait et sans erreur.

Les Quraysh ont pourtant raison, le Coran contient des incohérences. Par exemple, Mohamed récite de nombreux versets qui affirment sans aucun doute possible que son Seigneur ne change jamais d'avis : « Et récite ce qui t’a été révélé du Livre de ton Seigneur. Personne qui puisse changer Ses paroles. » (S. 18, 27). « Personne qui modifie Ses Paroles ! » (S. 6, 115). « Chez Moi, la parole ne change pas » (S. 50, 29).
Naturellement, les Quraysh, attentifs comme toujours aux arguments de Mohamed, ne peuvent que le traiter de «  blasphémateur » - qualificatif d'un homme qui ment sur Dieu - quand il leur raconte que son Seigneur à modifié certains versets pour en apporter de meilleurs : « Quand Nous changeons verset pour verset, - et Dieu sait mieux ce qu'Il fait descendre, - ils disent : « Tu n'es bien qu'un blasphémateur ! »  (S. 16, 101).

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Châtiment des calomniateurs : « Ils virent ensuite des hommes torturés par des lances. C'étaient les calomniateurs qui
poussent à la rivalité et à la discorde »
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

De plus, le Coran affirme exister depuis toujours auprès de Dieu : « Ha. Mim. Par le Livre clair ! Oui, nous en avons fait un Coran arabe ! ... Il existe auprès de Nous, sublime et sage, dans la Mère du Livre. » (S. 43, 1-4). Comment alors concilier l'affirmation d'un Coran inchangé avec la réalité de versets rectifiés ? Comment alors ne pas se demander pourquoi Dieu ne s'est pas aperçu en plus de 13 milliards d'années que certains versets étaient inadéquats, et que, d'un seul coup, après quelques années de récitation par Mohamed, La Divinité aurait enfin compris qu'il fallait les corriger. Où est donc passée l'omniscience du Seigneur de Mohamed ? La réaction des Quraysh est logique, quoique cruelle, et exprimée avec la verdeur du vocabulaire coranique : ils ne voient que deux possibilités : soit Mohamed est un « blasphémateur » (S. 16, 101), soit le Coran est « une chose de rebut » (S. 25, 30). Que Mohamed trouve par ailleurs une échappatoire en leur suggérant de se taire, ne suffira pas à convaincre les Quraysh : « Baisse la voix : la plus détestée des voix, c'est bien la voix des ânes ! » (S. 31, 19). Le Coran est donc immuable, éternel et parfait...

Et voilà le Coran défini : il est universel, savant, parfait, puissant, miraculeux, éternel, immuable, et quoique qu'il fasse en même temps la preuve du contraire, il est descendu sur Mohamed de la part d'un Dieu omniscient, Celui qui connaît les secrets de l'univers appris de la mythologie païenne sumérienne ou du polythéisme mecquois.

11. 18. Au prix de la soumission dans la crainte et du renoncement à toute logique, le Coran est et restera la vérité des musulmans.

Dès la prédication de Mohamed, seules des subtilités de langage permettent de défendre l'indéfendable, à savoir que le Coran serait la vérité. « Ceux qui ont rejeté le Coran, quand il leur est parvenu, ne savaient-il pas que ce Livre est d’une valeur inestimable, inaccessible à toute erreur d’où elle vienne. » (S. 41, 41-42).

L'analyse pleine de bon sens – quoique cruelle - des Quraysh continue à nous parvenir au travers de la Sourate 25 :

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Sourates XXV, La Loi, 56-77 à XXVI, Les Poètes, 1-52 (1304, Espagne ; BnF).

« Et ceux qui mécroient disent : « Pourquoi n'a-t-on pas fait descendre le Coran d'un seul coup sur lui ? » (S. 25, 32). Après avoir pointé les incohérences de fond du Coran, les habitants de la Mecque font remarquer l’invraisemblance de sa présentation. Si ce texte est réellement donné par Dieu, il aurait dû descendre en une seule fois dans une forme achevée, sans que le temps pour l'inventer, le rédiger, le mettre en forme et le polir ne soit perceptible. Par sa finesse, la réponse de Mohamed est charmante : il affirme que le délai est donné pour lui laisser le temps de le réciter avec élégance : « Comme ça ! C'est pour en raffermir ton cœur. Et Nous le faisons réciter d'une récitation gracieuse. » (S. 25, 32). Et en bon débatteur, il attaque aussitôt en mettant les Quraysh au défi : « Ils (les Quraysh) ne t'apporteront aucune parabole, que Nous ne fassions venir la vérité et l'interprétation la meilleure. » (S. 25, 33).

« L'interprétation » ! Le grand mot est prononcé ! Voilà un concept qui aura de l'avenir ! Là se trouve toute la subtilité de la civilisation musulmane et ses seules possibilités de manœuvre pour échapper au piège coranique. Portée par un livre saint globalement violent, témoin des mœurs archaïques de son temps, prisonnière de ses incohérences et de ses erreurs en tout genre – historiques, scientifiques, théologiques - , la civilisation musulmane a choisi d'interpréter le contenu du Coran pour le rendre compatible avec la logique humaine.
D'interprétations en interprétations, l'islam s'est adapté à l'évolution des mœurs. Un témoin extérieur à l'islam peut penser que la foi musulmane s'est transformée au fil des siècles en une religion humaine et modérée mais qui n'a plus grand chose à voir avec son Texte saint. Le concept de « Coran incréé » rend cependant cette tentative de modération fragile. Proclamer le Coran « incréé » fige son contenu dans une perfection supposée divine, même si aucune preuve n'a été donnée de cette perfection. Les musulmans, soumis par la crainte de châtiments effroyables dès leur plus jeune âge, ont intériorisé la violence qui leur est faite. Sidérés intellectuellement, ils sont rendus incapables de tout travail objectif sur le contenu du Coran, de toute recherche sur ses sources d'inspiration, païennes ou hérétiques, et toute analyse sur ses défauts de rédaction.
Cependant, l'éducation de masse permet de nos jours aux musulmans d'avoir eux-mêmes accès au Coran. Ceux qui le lisent, prennent alors naturellement au sérieux son contenu de « Livre incréé » et ils considèrent logiquement que son contenu est exact. Les erreurs scientifiques du Coran - la création en 6 jours (S. 11, 7), l'existence des djinns (S. 72, 6) ou l'homme façonné d'argile (S. 55, 13-14) - deviennent à leurs yeux des éléments de foi incontournables et des vérités scientifiques. Les archaïsmes sociologiques du Coran – l'esclavage (S. 30, 28) y compris sexuel (S. 70, 30), la polygamie (S. 4, 3), la répudiation d'une simple formule (S. 58, 3), l'infériorité des femmes (S. 2, 228) - se trouvent légitimés par le statut incréé du Coran. Les violences du Coran - le djihad offensif (S. 4, 95), la mutilation des voleurs (S. 5, 38), la maltraitance conjugale (S. 4, 34), la mort des apostats (S. 4, 89), le fouet pour les adultères et les faux-témoins (S. 24, 2-9), la torture pour les homosexuels (S. 4, 16) - deviennent le principal moteur de la régulation sociale et familiale. Ceux des musulmans qui lisent sérieusement leur Livre Saint proclamé « incréé » nourrissent alors les mouvements fondamentalistes que nous connaissons de nos jours.

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Mohamed sur son tapis de prière avec quelques disciples (enluminure persane).

D'autres qui sont également tentés de lire le Coran, évitent alors soigneusement de réfléchir à ce qui s'y trouve et renoncent finalement assez vite à une lecture qui les confronte à des réponses impossibles. Il est en effet surprenant de constater combien peu de musulmans lisent réellement le Coran.
Mais il est paradoxal de voir à quel point les musulmans tiennent à conserver le concept de « Coran incréé » alors qu'ils ont renoncé à mettre en œuvre certains de ses archaïsmes les plus cruels, telle la crucifixion des opposants et la mutilation physique des rebelles (S. 5, 33) ou l'extermination des réfractaires à l'islam (S. 33, 60-61). Par exemple, aucun imam français – et heureusement d'ailleurs - ne réclame que l'on coupe la main des voleurs pour régler les problèmes de délinquance dans les banlieues (S. 5, 38), mais ces mêmes imams persistent néanmoins à affirmer le Coran « incréé ». Il s'agit là d'une étrange schizophrénie intellectuelle. Celle-ci s'explique bien par la violence et la soumission qui ont conditionné leur relation à l'islam dès leur plus jeune âge. Mais cela ne les affranchit pas de leur responsabilité morale dans le développement de l'islamisme politique radical. En effet, en conservant le dogme du Coran incréé, les sunnites, même les plus tolérants, même les plus pondérés, même les plus éduqués, deviennent responsables de toutes les dérives extrémistes de l'islam sunnite que nous connaissons de nos jours.

Les musulmans les plus téméraires et les plus honnêtes osent parfois la rupture... Mais la suite de la sourate 24 résume alors ce qui est finalement l'ultime et le seul argument de Mohamed : « Quant à ceux qui seront traînés ensemble sur leurs visages vers la Géhenne, ceux-là sont les plus mal en point en fait de situation et, en fait de sentier, les plus égarés. » (S. 25, 34). Seules les menaces et la peur doivent désormais venir à bout des récalcitrants, puisque le Coran est incapable de démontrer son origine divine par un quelconque miracle et a largement prouvé son inspiration humaine par ses multiples erreurs. Les menaces doivent donc réduire toutes les oppositions et répondre à toutes les questions. « Alors Dieu [dit] : « Ne disputez pas devant Moi ! J'ai pourtant d'abord envoyé la menace auprès de vous ! » » (S. 50, 28).

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Châtiment des orgueilleux (Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).
Voilà ce qui attend ceux qui ne se soumettent pas.

Toute l'argumentation du Coran se trouve finalement résumée en une succession de menaces. « Le refuge des mécréants et des hypocrites est dans la Géhenne. » (S. 66, 11). Les athées sont ceux à qui « appartient le pire châtiment » (S. 27, 4-5). « Ceux qui traitent de m ensonge le Livre ? Et bien, ils vont savoir, quand des carcans à leur cou et avec des chaînes ils seront entraînés dans l'eau bouillante. » (S. 40, 70-72). La richesse de la description des châtiments est à la mesure de l'absence d'arguments apportés par Mohamed. Le « salaire sera la Géhenne » (S. 18, 106) de ceux qui rient de lui - « Quand ils te voient, ils ne te prennent que pour objet de raillerie. » (S. 25, 41-42). Mais déjà le châtiment ne semble plus devoir attendre l'Au-delà du Jugement divin « Qu'on tue les supputateurs qui dans la noyade [des supputations] oublient ! » (S. 51, 10-11). On voit là poindre déjà la menace de condamnation à mort pour les opposants, dès ici-bas et sans attendre le châtiment de la vie éternelle. Le peu d'influence de Mohamed chez les siens a rendu vaine sa menace, pure rhétorique verbale. Mais elle persiste inchangée, sanctuarisée dans le Coran, pour soumettre et convaincre les siècles à venir de l'islam.
Mais pour l'instant, nul bras armé ne vient faire taire les rieurs et Mohamed doit trouver une échappatoire. Aurait-il quelque peine à justifier ses prétentions spirituelles ? Le Coran vient opportunément à son secours : il lui est interdit de discuter avec les gens qui le contestent : « Quand tu les vois patauger dans Nos signes, laisse, jusqu’à ce qu’ils pataugent dans une autre discussion. Et si le Diable fait qu’une fois par hasard tu t’oublies, alors, dès que tu t’es rappelé, ne reste pas assis en compagnie des prévaricateurs. » (S. 6, 68, n° 55). Mohammed semble bien avoir tenté de répondre aux doutes et aux critiques des siens, mais en vain : « Et ceux qui argumentent sur Dieu après qu'on a essayé de répondre, l'argumentation de ceux-là est, auprès de Dieu chose de rebut. Cependant la Colère est sur eux, et pour eux un dur châtiment ! » (S. 42, 16, n° 62). Seule la menace de châtiments futurs répond aux doutes et aux critiques.

On ne discute pas, on récite le Coran et on se tait ! « Quand on fait lecture du Coran, alors, prêtez-lui l'oreille et restez cois. » (S. 7, 204). Une fois la soumission acquise, on obéit au Coran comme un esclave à son maître et sans discuter : « Voilà la guidée dont Dieu guide qui Il veut parmi Ses esclaves. » (S. 6, 88).

Dans les siècles à venir, la spiritualité musulmane parera le Coran d'une personnalité propre quasiment divine. Mais le  Coran - en dépit de ses contradictions internes - avait déjà affirmé sa vérité intrinsèque dès sa proclamation. De nos jours, un musulman indo-pakistanais, Farid Esack, explique ce statut si particulier du Coran pour les musulmans : « Le Coran n’est pas la Bible des musulmans. Alors que le Coran assume dans la vie des musulmans beaucoup de fonctions que la Bible assume dans celle des Chrétiens, il représente pour les musulmans ce que Jésus Christ représente pour les chrétiens pieux, ou la Thora antérieure, la loi éternelle de Dieu, pour les Juifs…. Pour les musulmans, le Coran est vivant et possède une personnalité quasi humaine. » *

Pour les musulmans, le Coran est donc la Vérité, la Loi et la Parole de Dieu, il existe, parfait et inchangé, depuis toujours auprès de Dieu. Il occupe précisément la place du Christ pour les chrétiens, et de la Thora orale de Moïse pour les juifs. Le Coran est donc la Vérité des musulmans, là où le Christ est celle des chrétiens.
De ces conceptions diverses de la vérité, juifs, chrétiens et musulmans élaboreront des visions différentes de la science... Les juifs et les chrétiens cherchent la vérité sans présupposer du résultat. Les musulmans cherchent une vérité qu'ils connaissent déjà : ce qu'ils découvrent doit être conforme au Coran. Ainsi sont-ils prêts à se soumettre à toutes les incohérences du Coran en persistant à les proclamer vérités. Mais, ce n'est qu'au IXe siècle, que le Coran acquerra officiellement le statut de livre « incréé ». Comment imaginer alors que ce soit le hasard si le déclin des sciences musulmanes date de ce moment ? Nous en reparlerons.

« Voilà ce dont Dieu menace Ses esclaves : « O Mes esclaves, craignez-Moi donc ! » » (S. 39, 16).

* : Coran, mode d’emploi, Farid Esack, Albin Michel, 2004.

11. 19. Mohamed et son Dieu ; Mohamed et ses contemporains ; Mohamed et ses fidèles.

- Dès le début de la récitation coranique par Mohamed, Son Seigneur le nomme l'« esclave », sans même un pronom possessif qui pourrait évoquer une forme d'affection ou au moins de familiarité (S. 96, 10, première sourate récitée).
Les « esclaves » de ce Dieu, dont Mohamed est le premier, doivent multiplier les prières au point d'y passer la nuit, dans une multiplication de rituels obsessionnels, toujours répétés toujours augmentés : « Ils passent les nuits prosternés et debout devant leur Seigneur et ils disent : « Seigneur écarte de nous le châtiment de la Géhenne » (S. 25, 64-65). On peut remarquer qu'avec sagesse, la Tradition musulmane a interdit de prolonger inutilement les prières. Les prosternations sont comptées et les multiplier annule la prière. Mohamed est terrorisé par son Dieu, au point de se sentir contraint à transmettre sa révélation malgré l'agacement de ses contemporains. Son apostolat est aussi frénétique que ses rituel de prosternations et de prières : « Dis : personne ne saura me protéger de Dieu, et jamais je ne trouverai de refuge contre Lui, sauf en transmettant, au nom de Dieu, et Ses messages » (S. 72, 22-23).

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Mohamed se prosternant
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

- En raison de sa soumission envers Sa Divinité qui le terrorise, Mohamed se trouve en conflit avec ses contemporains. Las de lui, ils l'insultent. Il est accusé d'être poète (shā'ir) (S. 27, 36), ce qui n'est pas très méchant, mais aussi d'être devin (kāhin) (S. 52, 29), sorcier (sāhir) (S.51, 39), fou (S. 81, 22 ; S. 54, 9 ; S. 15, 6) ou m enteur (S. 35, 25)(*1). Même les insultes les plus vulgaires ne lui sont pas épargnées : « Nous t'avons apporté la profusion. Pour ton Seigneur, célèbre donc l'Office et immole. C’est celui qui t’insulte qui est le châtré. » (S. 108, 3 ; 15e, trad. J. Chabbi). La pudeur musulmane a conduit à traduire ce verset de façon édulcorée. Ainsi Hamidullah le traduit-il de façon elliptique « Oui, celui qui te hait, le voici le sans-trace ». Dans Le Seigneur des Tribus, J. Chabbi reprend la traduction à partir de l'étymologie : Abtar signifie « châtré » selon un terme qui s'applique aux animaux castrés. La forme grammaticale est celle d'un renvoi d'insulte. Cela signifie que Mohamed a été traité de « châtré », allusion cruelle à sa condition d'homme sans fils. Dans sa Gloire divine incomparable, Le Seigneur de Mohamed renvoie l'insulte sans complexe en employant le même terme trivial appliqué à ses opposants. Traité de « châtré » (S. 108, 3), Mohamed doit se consoler en récitant le Coran donné à « profusion » (S. 108, 3) (*2).
Le Seigneur du Coran n'a pas grand chose de concret à offrir à Mohamed. À la Mecque, Il l'appelle à la patience à 14 reprises (S. 68, 48 ; S. 74, 7 ; S. 73, 10 ; S. 70, 5 ; S. 50, 39 ;  S. 52, 48 ; S. 46, 35 ; S. 76, 24 ; S. 40, 55-77 ; S. 38, 17 ;  S. 31, 17 ;  S. 11, 49 ; S. 10, 109). À Médine, ces appels à la patience auront quasiment disparu (S. 18, 28 ; S. 16, 127). Mohamed aura alors obtenu des moyens apostoliques qui auront rendu moins nécessaire d'endurer stoïquement les moqueries de ses adversaires.
En fait, dans les premières sourates mecquoises, Mohamed fait preuve d'une modestie rendue indispensable par son statut inférieur. Le Coran le présente comme le « camarade » des Mecquois (S. 7-184, n°39 ; S. 34, 46, n° 58). Il est un homme de la tribu comme les autres : « Votre compagnon (sāhibu-kum) » (S. 81, 22, n° 7 ; trad. J. Chabbi). Il va au marché et vit comme tout le monde (S. 25, 7, n° 42). Sa normalité est proclamée. Il respecte les devoirs tribaux et se fait simplement l'avertisseur des siens. Il n'est nullement en situation de se dire envoyé de Dieu ou encore moins prophète. À la Mecque, il est l'annonceur (bashīr) et l'avertisseur (nadhīr) (S. 35, 24 ; S. 32, 3 ; S. 28, 46 ; S. 34, 44 ; trad. J. Chabbi). « Je (Mohamed) ne suis [personne d’autre] qu’un avertisseur qui délivre un message clair (‘wa-innamā anā nadhīr mubīn) » » (S. 67, 6 ; trad. J. Chabbi)*. Au fur et à mesure que son influence augmente, son statut s'améliore jusqu’à devenir « rasūl Allāh », messager de Dieu (S. 63, 5, n° 105 ; S. 40, 78, n° 60 ; S. 35, 4, n° 43). Finalement, à Médine, au contact de Juifs connaissant l’Ancien Testament, Mohamed devient  « prophète », « nabī » en arabe, en imitation du mot hébreu de « nevi » (S. 33, 40, 90e).

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Détail d'un fût de colonne de la Grande Mosquée de Kairouan
proclamant :
« Mohamed messager d'Allah. »

Malgré sa modestie, rien n'y fait, sa prédication ne remporte pas de succès. Mohamed prend acte des différences entre sa foi et celle des siens : « Je n'adore pas ce que vous adorez... À vous votre religion et à moi ma religion. » (S. 109, 2-3 ; 18e sourate récitée).
On trouve ensuite les versets dits sataniques (S. 53, 19-24 ; 23e) qui témoignent de sa tentative de compromis, voire de compromission. Mohamed accepte de reconnaître l'efficacité des déesses mecquoises pour tenter de se concilier ses camarades. Mais ce compromis n'apporte pas de conversion alors que le Coran multiplie les anathèmes : « Que le malheur soit sur tous ceux qui calomnient et diffament. » (S. 104, 1 ; 32e). Dans la Sourate 77 (33e), « Malheur aux dénégateurs » est répété dix fois.
Malgré sa persévérance, Mohamed finit par douter : « Peu s’en est fallu, vraiment, qu’ils ne t’attirent loin de ce que Nous t’avions révélé, dans l’espoir que tu Nous imputerais, en blasphème, autre chose que ceci. Et alors, ils t’auraient pris pour ami. Et si Nous ne t’avions raffermi, tu aurais bien failli t’incliner quelque peu vers eux. Nous t’aurions certainement fait goûter double de vie et double de mort ; et ensuite tu n’aurais pas trouvé de secoureur contre Nous. » (S. 17, 73-75 ; 50e).
Mohamed revient donc à la foi de Son Dieu qui le terrorise : « Dis : « Oui, on m’a commandé d’adorer Dieu, en purifiant pour Lui la religion; et on m’a commandé d’être le premier des Soumis ; » Dis : « Oui, je crains, si je désobéis à mon Seigneur, le châtiment d’un énorme Jour. » » (S. 39, 12-13 ; 59e) (*1).

Mohamed cesse d'être concerné par les mécréants car il n'est pas responsable d'eux : « Après cela, s'ils s'esquivent, alors Nous ne t'avons pas envoyé à eux comme surveillant : tu n'as qu'à transmettre » (S. 42, 48, 62e).
Cette rupture d’avec les siens est douloureuse mais indispensable : « Sois constant, la promesse de Dieu est vraie. Demande pardon pour ton péché. » (S. 40, 55 ; 60e) (*1). Est-ce son désir d'apostasier qu'il doit se faire pardonner ?
Mohamed reste donc seul avec sa récitation qui est ridiculisée par les siens. Il se console avec les menaces eschatologiques associées à sa révélation : « Qu'on tue les supputateurs qui dans la noyade oublient ! Ils te demandent : « À quand le jour de la Rétribution ? » Le jour où ils seront éprouvés, au Feu. » (S. 51, 10-12 ; 67e).

Il tente toujours de se justifier en s'abritant derrière le témoignage fantasmé des juifs : « Ainsi avons-Nous fait descendre vers toi le Livre. Ceux donc à qui Nous avons apporté le Livre y croient » (Mohamed espère toujours que les juifs adhéreront à sa révélation.) « De ceux-là aussi, il en est qui croient. Et ne nient Nos preuves que les mécréants. Et avant cela, tu ne récitais pas le Livre, ni ne l'écrivais de ta main ; - alors les gens du faux auraient certainement eu du soupçon. Ce sont au contraire des versets évidents » (S. 29, 47-49, 85e). Mohamed reste ferme sur ses positions. Malgré ses incohérences, le Coran est proclamé « évident » . Mais il n'a pas convaincu ses « camarades » de la Mecque.

- Avec ses fidèles - probablement trop rares - son comportement est autre. Le Coran nous laisse entrevoir deux types d'attitudes, toutes les deux curieusement conditionnées par un besoin affectif.

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Mohamed et ses premiers disciples
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

D'abord, on voit avec surprise le Coran réclamer que les convertis aiment Mohamed comme des pères aiment leur enfant : « Ceux à qui on a donné le Livre reconnaissent le Messager comme ils reconnaissent leurs propres enfants. » (S. 6, 20, n° 55). Mohamed orphelin a été privé d'amour paternel au point de toujours en chercher un substitut, même à son âge mûr. L’obéissance stricte (S. 4, 80) qu'il réclamera à Médine n'est pas encore d'actualité.
Quant aux pauvres, convertis ou non, comment peut-on douter que Mohamed, l'homme pieux, ne se soit pas montré généreux envers eux ? Le Coran préconise si souvent l’aumône que l'on peut tout à fait supposer que Mohamed a attiré autour de lui quantité de mendiants et d'estropiés accueillants à son discours. En fin de période mecquoise, un verset nous renseigne sur la façon dont est conçue - d'après son inspiration intérieure - la hiérarchisation de la valeur humaine : « Et Dieu donne l’exemple de deux hommes : l’un d’eux est muet, capable de rien, cependant qu’il est à charge de son patron, - où qu’on envoie, il n’apporte rien de bien : - serait-il l’égal de celui qui commande la justice cependant qu’il est sur le droit chemin ? » (S. 16, 76 ; 70e). Au début, on l'avait déjà vu condescendant avec l' « Aveugle ». Mais il semble qu'en fin de période mecquoise, cette consigne se généralise à d'autres estropiés de la ville. Sa charité n'est pas désintéressée. Pour restaurer son narcissisme défaillant, il réclame par ce verset que les pauvres qui dépendent de lui, reconnaissent sa supériorité morale et spirituelle.

En fonction de sa position hiérarchique, Mohamed a donc des attitudes différentes. Il est terrorisé par Son Dieu qu'il tente d'apaiser par des rituels obsessionnels répétés jusqu'à l'épuisement. Il se montre prêt à toutes les compromissions avec ses égaux et n'est retenu d'apostasier, lors de la récitation des versets sataniques, qu'en raison de la terreur que lui inspire son Dieu. Enfin, avec ceux qui ont adhéré à son discours, il se partage entre demande affective de paternage et désir de dominer plus pauvres que lui.

* : Le Seigneur des tribus, l'islam de Mohamed, J. Chabbi ; *1 : p 258 / *2 : p. 449-450, CNRS éditions. 1997.

11. 20. L’année 619 : année tragique de deuil.
Le statut tribal de Mohamed est précaire. Cependant il a deux soutiens. Abū Tālib, l'oncle qui l'a éduqué, est chef de la tribu et son épouse Khadīdja est aisée. Mais cette année-là, en 619, ses deux protecteurs vont décéder.

À 25 ans, Mohamed a épousé Khadīdja qui avait alors 40 ans. La Tradition racontera que Mohamed pleurera Khadīdja pendant des années. Néanmoins, un mois après sa mort, il épouse Saouda, une veuve âgée de 65 ans, et encore un mois après Aïcha, âgée de 6 ans, la fille de son ami Abū Bakr. Mohamed a alors 50 ans. Son mariage avec Aïcha est consommé trois ans plus tard, quand Aïcha a 9 ans. Mais, un hadith suggère que Mohamed a pratiqué avec elle des jeux sexuels dès son mariage : « Jabir bin 'Abdullah a relaté : Quand je me suis marié, l'apôtre d'Allah (Mohamed) m'a dit : À quel type de dame t'es-tu marié ? J'ai répondu : J'ai épousé une matrone. Il a dit : « Pourquoi, tu n'as pas de penchant pour les jeunes vierges, pour les caresser ? » Jabir a également indiqué : « L'apôtre d'Allah a dit : Pourquoi tu n'as pas épousé une jeune fille de sorte que tu pourrais jouer avec elle et elle avec toi ? » » (Sālih Bukhārī, VII, 62, 17).

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Mohamed et sa jeune épouse Aïcha (en vert) reçoivent un cadeau (XVIe siècle, miniature ottomane
de Siyer i Nebi,
La vie du Prophète ; Chester Beatty Librairy, Dublin).

La Tradition dit que Mohamed a été bon avec ses épouses et un verset mecquois conseille d'ailleurs aux hommes la bienveillance envers leurs femmes (S. 30, 20-21, 84e Sourate récitée). C'est le seul verset de la révélation mecquoise qui parle des femmes. Mohamed aura l’occasion et le moyen de légiférer sur les droits et devoirs des femmes davantage à Médine qu'à la Mecque, lors de son union avec Khadīdja. Lors de cette première union, il est resté monogame. La Tradition interprète cette situation comme la marque de leur attachement réciproque. Mais il est probable que Khadīdja se soit refusée au mariage polygame puisque, dès son décès, Mohamed va multiplier les unions. Rien ne permet de savoir avec certitude quelles étaient les relations réelles entre Khadīdja et Mohamed, même si la Tradition musulmane affirme qu'ils se sont aimés. Comment alors ne pas s'interroger sur la nature réelle de des relations de Mohamed avec ses femmes, puisqu'au milieu d'une multitude d'épouses, ses deux conjointes préférées sont, d'une part, Khadīdja, qui a l'âge d'être sa mère et d'autre part, Aïcha qui a l'âge d'être sa petite-fille ? Mohamed semble ne jamais avoir su créer de relations d'alter ego avec une compagne de son âge.

Son second protecteur,  Abū Tālib, décède lui aussi en 619.
Toute sa vie, Mohamed a été protégé par son tuteur, Abū Tālib, l'oncle qui l'a élevé et qui dirige maintenant la Mecque. Le comportement de Mohamed est si étrange, qu'il est traité de poète par les plus gentils et de fou (S. 81, 22 ; S. 54, 9 ; S. 15, 6) par les plus ironiques. Mais, il est à remarquer que le Coran ne signale jamais qu'une menace physique ait été proférée contre lui. Il est moqué, dénigré, contredit, ignoré, mais jamais maltraité physiquement. Il est un membre de la tribu, membre de moindre importance, certes (S. 43, 31 ; S. 25, 41), mais néanmoins protégé par les traditions tribales.
Mohamed demande aux siens d'abandonner leurs dieux ancestraux au profit de l'adoration exclusive du Dieu dont il est le transmetteur. Or, les Quraysh ne souhaitent pas abandonner les dieux de leurs ancêtres : « Nous avons trouvé nos ancêtres sur un chemin : nous nous guidons sur leurs traces. » (S. 43, 22). Les Quraysh sont convaincus que Mohamed puise son inspiration chez un étranger bien précis qui ne parle pas arabe et dont le Coran reconnaît l'existence : « Nous savons fort bien ce qu'ils disent : « Oui ! Quelqu’un l'enseigne, tout simplement ! » - Or, celui à qui ils l'imputent parle une langue étrangère, tandis que cette langue-ci est arabe, claire ! » (S. 16, 103).

Dans la dernière sourate récitée à la Mecque, une scène vivante se dessine sous nos yeux : « Oui, les criminels riaient de ceux qui croyaient, et, passant près d'eux, ils se faisaient des œillades, et, retournant dans leurs familles, ils retournaient en plaisantant, et voyant [ceux qui croyaient], ils disaient : « C'est eux les égarés, certes oui ! ». Or, ils n'ont pas été envoyés gardiens sur eux ! » (S. 83, 29-33). À la fin de la période mecquoise, las de la récitation de Mohamed, les Quraysh ont renoncé à discuter avec lui. Inlassablement, Mohamed s’arrange pour avoir raison : peu importe qu'il soit cru ou non, puisqu'il n'est pas responsable d'eux ! Rien ne peut le mettre en échec. Ses auditeurs se lancent des regards entendus – se font « des œillades » - et s'en vont, « retournant dans leurs familles ».

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Les premiers disciples de Mohamed
(manuscrit ottoman, XVIe siècle).

Les lieux publics semblent envahis par la récitation de Mohamed, les habitants de la Mecque sont obligés de rentrer chez eux pour échapper à son enthousiasme. Ils sont harcelés par les appels de Mohamed à la conversion qui sont formulés sous forme d'insulte - « criminels » (S 83, 29), « mécréants » (S. 29, 68), « prévaricateurs » (S. 18, 57) – ou de promesse de damnation et de menaces de tortures en enfer.

« Allons-nous abandonner nos dieux pour un fou de poète ? » (S. 37, 36) interrogent-t-ils agacés. Dès 619 et la mort d'Abū Tālib, la question va trouver sa réponse. C'est Abū Lahab, un autre de ses oncles paternels, qui accède au pouvoir. Sans la protection de son tuteur, une solution est rapidement trouvée, Mohamed est banni de son clan. Le Coran nous le dit avec la plus grande exactitude : « Il cherchent à te faire fuir de la terre dont tu es ! » (S. 17, 76).
L'antagonisme qui oppose Mohamed à son oncle Abū Lahab a laissé sa trace dans le Coran : « Que soient tranchées les mains d'Abū Lahab ! Puisse-t-il mourir. » (S. 111, 1 ; trad. J. Chabbi). Manifestation verbale d'impuissance, expression de sa rancœur, ce espoir cruel ne s'est jamais concrétisé et Abū Lahab meurt dans son lit en 624. Mais Abū Lahab a bien exclu Mohamed du clan des 'abd Shams. Mohamed est banni, il n'est plus protégé par les lois tribales de solidarité et d’accueil. L'épouse d'Abū Lahab l'a-t-elle incité à cette exclusion ? Le Coran l'associe dans l'anathème qui condamne son mari : « Sa fortune ne le met à l’abri de rien, ni ce qu'il s'acquiert. Il sera bientôt jeté dans un Feu plein de flammes, de même sa femme, porteuse de bois, À son cou, une corde de fibres » (S. 111, 2-5). Qu'a donc fait cette femme de la haute société, l'épouse du chef de la Mecque, pour que le Coran souhaite la voir finir en esclave la corde au cou ? Mais, pas davantage que son époux, elle ne verra la réalisation de la malédiction coranique. Le Seigneur de Mohamed ne donne jamais aucun signe. Ses prétentions à la Toute-puissance restent de simples affirmations verbales.

Théoriquement banni, Mohamed va lutter deux ans pour rester à la Mecque. Il parvient à se maintenir dans la ville grâce à une alliance précaire, un « djiwār ». Un « djiwār » est une « entrée en voisinage ». Elle est habituellement offerte à un étranger de passage pour lui garantir la sécurité et le droit de séjour au sein de la tribu*. La biographie du Prophète, dans le Ta'rīkh al-rusul  wa-l-mulūl de Tabarī, explique que ce contrat qui l'associe avec un statut d'étranger à une famille de la Mecque, lui a été proposé par al-Mut'im fils de 'Adī, un chef du clan des Nawfal*.

Contrairement à ce que raconte la Tradition, Mohamed n'a pas quitté la Mecque de son plein gré pour aller, triomphant, à la rencontre des Médinois qui l'auraient appelé pour arbitrer leurs différends. Il s'est au contraire efforcé de rester à la Mecque par tous les moyens possibles, quitte à accepter le statut de simple invité-étranger dans sa ville de naissance.

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Mohamed devant la Kaaba
(enluminure ottomane,
La vie du prophète, par Siyer-i-Nebi, 1595).

* : Le Seigneur des tribus, l'islam de Mohamed, Jacqueline Chabbi, * : p.67, CNRS éditions ; 1997.


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CHAPITRE 12 : MOHAMED À MÉDINE.
De 622 à 632.


12. 1. Le 16 juillet 622, bannissement de Mohamed de la Mecque, l'Hégire.
12. 2. Janvier 623, le raid de Nakhla et premières conversions.
12. 3. Et Mohamed rencontre les juifs de Yathrib.
12. 4. La bataille de Badr en 623 et ses conséquences théologiques.
12. 5. Dès 623, commence l'élimination des opposants.
12. 6. Abraham et ses épouses anonymes ; Abraham et la Kaaba.

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12. 7. La Charte de Yathrib ou comment les chefs de tribu défendent leur légitimité en se disant inspirés par Dieu.
12. 8. Le jeûne du Ramadan ou comment les incohérences du Coran se résolvent par la soumission.
12. 9. En 624 : La défaite de 'Uhud devant Yathrib.
12. 10. Quelle est la place réelle de Gabriel/Djibril dans le Coran ?
12. 11. La vie conjugale de Mohamed à Yathrib.

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12. 12. Droits et devoirs des femmes : les archaïsmes de l'Arabie se trouvent divinisés par le Coran.
12. 13. Sociologie musulmane : apartheid sexuel et emboîtement des infériorités.
12. 14. L'esclavage, entre morale et perversion.
12. 15. Règles morales à Yathrib : évolution vers une législation.
12. 16. Rites, rituels et tabous ou comment des obligations obsessionnelles se voient sanctuarisées dans le Coran.
12. 17. Ébauches de législation.

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12. 18. En 626, an 5 de l'Hégire, la bataille du fossé (Al-Khandaq).
12. 19. En 627, la deuxième tribu juive, celle des Nadir, est chassée.
12. 20. En 627, troisième tribu juive de Médine est exterminée, puis les tribus juives du Hedjāz sont attaquées.
12. 21. Relations tribales de Mohamed à Yathrib/Médine : désir d’autocratie et carence d'autorité.
12. 22. En 627, négociations pour le retour de Mohamed à la Mecque : la trêve d'Al-Hudaybiyya.

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12. 23. En 630, conquête de la Mecque : la bataille de Hunayn.
12. 24. Mohamed, maître de la Mecque : les Quraysh ont-ils vraiment changé ?
12. 25. Mohamed gère sa théocratie : obéissance absolue, pouvoir judiciaire et gestion financière.
12. 26. La dhimma ou comment juifs et chrétiens vont être intégrés dans la théocratie de Mohamed.
12. 27. Le pèlerinage de l'Adieu en 632 : le corpus coranique est déjà achevé.
12 . 28. Au terme de la vie de Mohamed, combien de mystères encore inexpliqués !

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:49

CHAPITRE 12 : MOHAMED À MÉDINE.

De 622 à 632.


12. 1. Le 16 juillet 622, bannissement de Mohamed de la Mecque, l'Hégire.

« Il cherchent à te faire fuir de la terre dont tu es ! » (S. 17, 76), dit le Coran à la fin de la période mecquoise. Abū Lahab obtient finalement gain de cause : le 16 juillet 622, Mohamed est chassé de la Mecque.

Selon la Tradition, il part avec quelques compagnons - mais le Coran n'en signale qu'un seul (S. 9, 40) - et il va se réfugier à Yathrib, la ville dont était originaire sa mère.
En homme des tribus, Mohamed n'envisage manifestement pas de vivre en dehors du cadre et de la protection tribale. La Mecque, la ville de son père, lui est fermée. Il se réfugie dans la tribu de sa mère, à Yathrib, à plus de 400 km au Nord de la Mecque. L'orphelin Mohamed semble être resté attaché - (plus que de raison ?) - à ces deux symboles parentaux. La Tradition racontera ses expéditions militaires et politiques lancées vers toute la péninsule arabique et jusqu'au Yémen. Mais le Coran – reflet de l'inconscient de Mohamed (?) - n'en parle jamais. Désormais, toute sa vie intérieure semble concentrée sur ces deux villes qui résument toute son histoire parentale. Prescription divine pour les musulmans ou obligation intime pour d'autres, il semble incapable de chercher une activité qui le conduise ailleurs, aussi bien géographiquement que psychologiquement. En particulier, il ne sera jamais question qu'il s'investisse dans le commerce caravanier comme il aurait été logique dans une ville comme Yathrib.

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Discussion à l'arrivée de la caravane au village
(Muhammad al-Qāsim al-Harīrī, al-Maqāmāt (Séances), 1237, Iraq ; BnF).

En effet, Yathrib n'est pas un « haram », un lieu de pèlerinage et de culte bétylique comme la Mecque. Yathrib est une étape caravanière, une riche ville marchande qui est connue depuis plus de 1000 ans par les archives antiques comme le relais vers toutes les grandes villes du Moyen-Orient. Par la suite, elle sera surnommée « Médine », « la Ville », par Mohamed et perdra son nom. Pour l'instant, elle se nomme Yathrib. C'est l'Hégire, le début de l'ère musulmane, mais ce n'est que plusieurs années après qu'il sera décidé de commencer le décompte du calendrier musulman à cette date.

Dans les sourates contemporaines à l'arrivée de Mohamed à Yathrib, le Coran ne fait aucune allusion à la fuite de Mohamed de la Mecque. Ce n'est que très tardivement, après 630 - quand sa position politique sera davantage assurée - qu'il l'évoquera succinctement dans la Sourate 9 (la 113e récitée) : « Allah l'a assisté lorsque les Négateurs l'ont banni, lui et un deuxième [homme de la tribu] : lorsqu'ils étaient tous les deux dans la caverne, il a dit à son compagnon : ne t'attriste point ! Allah est avec nous. Plus tard, Allah a fait descendre sur lui sa quiétude et il lui a prêté appui avec des milices que vous ne vîtes pas ; c'est ainsi que la parole des Négateurs a été la plus faible et que la parole d'Allah a été la plus forte. » (S. 9, 40 ; trad. J. Chabbi) (*1). La Tradition nous apprendra que ce compagnon d'exil est son ami Abū Bakr, le père d'Aïcha.

Après 630, une fois la victoire militaire acquise à la Mecque, Mohamed peut réécrire le passé. Il affirme alors que la grâce d’Allah ne lui a pas fait défaut : la sérénité divine est venue sur lui (*2). À ce moment seulement, la fuite de la Mecque est évoquée dans le Coran. À Yathrib, Mohamed ne recommence cependant pas les mêmes erreurs qu'à la Mecque et il ne promet ni signes, ni miracles. Les anges qui lui apportent la sérénité restent invisibles. De même, les légions célestes qui viendront soutenir ses engagements militaires à venir, ne seront pas destinées à être remarquées.

La Tradition musulmane va offrir une reconstitution de cette fuite qui est pleine d'enseignements sur le phénomène de sacralisation dont a fait l'objet Mohamed dans l'islam :
- Au VIIIe siècle, la Sīra, la biographie de Mohamed écrite 150 ans après sa mort, parle la première de la « sortie » de Mohamed de la Mecque (*3). Elle le fait dans des termes qui confirment qu'il a été poursuivi. Afin de tromper les poursuivants de Mohamed, une araignée tisse sa toile à l'entrée de la caverne où il a trouvé refuge avec Abū Bakr. Le miracle de l'araignée appartient à la reconstruction mythologique, puisque le Coran n'y fait aucune allusion. Ce miracle imaginaire prouve, en fait, l'obligation où se trouvait Mohamed de se dissimuler aux yeux des siens. Au VIIIe siècle, la Sīra raconte encore que Mohamed a dû fuir pour échapper aux Quraysh vindicatifs.

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Mohamed et Abu Bakr trouvent refuge dans une grotte
(Siyer-i-Nebi,
La vie du Prophète, 1595).

- Puis, la Tradition musulmane du siècle suivant, au IXe siècle, transformera cette fuite d'homme traqué en marche triomphale vers Médine. Après coup, au fil des siècles, la fuite humiliante de son Prophète a semblé invraisemblable aux musulmans. La Tradition racontera que Mohamed a été sollicité pour servir d'arbitre entre des tribus rivales de Yathrib et qu'il y a été attendu comme un sauveur.

- La réalité du texte coranique est différente : Mohamed a été chassé de la Mecque... après s'y être désespérément accroché. Le Coran emploie le mot « ikhrādj » pour parler du départ de Mohamed (S. 60, 9 ; S. 47, 13 ; S. 22, 40 ; S. 3, 195 ; S. 3, 185 ; S. 57, 13) (*4). Ce mot est employé pour évoquer l'action de débusquer un animal à la chasse. Mohamed a donc été débusqué de la Mecque, après en avoir été banni et s'y être désespérément accroché au prix d'un statut d'étranger-invité, un « djiwār ».

L'arrivée à Yathrib n'a pas été triomphale et Mohamed mettra des années pour la dominer. Malgré les reconstructions tardives de la Tradition musulmane, Mohamed devra se soumettre jusqu’à la fin de sa vie aux pratiques tribales et rendre hommage aux chefs tribaux qui l'ont accueilli comme un réfugié.

Deux anecdotes sont racontées dans le Coran qui confirment ce statut d'infériorité et de précarité :
- La première se trouve sourate 63, la 104e récitée. « Mais les hypocrites ne comprennent pas. Ils disent : « Bien sûr que si nous rentrons à Médine, le plus puissant très certainement en fera sortir le plus humble » » (S. 63, 7-8). Que s'est-il donc passé ? La Tradition musulmane l'explique. L’anecdote se situe aux alentours de 627. Lors d'un retour vers Yathrib, des hommes appartenant à Mohamed, quoiqu'arrivés les premiers à un point d'eau, ont dû laisser la place aux hommes d'Ibn Ubbayy, qui avaient réclamé la priorité au nom du statut tribal dominant de leur maître. La menace reprise dans le Coran est très précise. Si Ibn Ubbayy avait appris par ses hommes revenus à Médine que ceux de Mohamed avaient refusé l'ordre de préséance : « le plus puissant très certainement en [aurait fait sortir] le plus humble ». Mohamed aurait donc été chassé de Yathrib pour non respect des usages tribaux. La fin du verset est une tentative offerte par Sa Divinité pour restaurer la suprématie qui lui est refusée dans la réalité : « Alors qu'à Dieu la puissance, et à Son messager et aux croyants ! Mais les hypocrites ne savent pas ! » (S. 63, fin du verset 8) (**1).

- La seconde anecdote est racontée sourate 9, récitée à la 113e position, donc à l'extrême fin de la vie de Mohamed. Elle évoque la mort et l'enterrement d'un puissant chef de Yathrib, mort en païen, le fils du fameux Ubayy. Le fils d'Ubayy s'est toujours opposé à Mohamed et a refusé d'entrer dans son alliance. Néanmoins Mohamed est obligé de se rendre sur sa tombe pour lui rendre l'hommage tribal et y sacrifier. Le Coran est témoin de la frustration de Mohamed – presque de sa colère - mais aussi de l'obligation où il est de se soumettre aux allégeances tribales : « Dorénavant tu n’auras plus à aller prier [ou sacrifier], lorsque l’un d’entre aux mourra; tu n’auras plus à te tenir sur son tombeau [pour lui rendre hommage]. Ils ont été impies envers Dieu et son Messager. [Ils sont morts] en pervers. » (S. 9, 84 ; trad J. Chabbi) (**2).
La promesse du Coran concerne l'avenir, mais confirme bien que, dans le présent et jusqu'à la fin de sa vie, Mohamed a dû se soumettre à la hiérarchie tribale de Yathrib/Médine dont il n'était pas le membre dominant.

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Une assiette décorative calligraphiée du nom de Mohamed. Le processus de sacralisation du Prophète
est désormais bien avancé : la représentation figurée de Mohamed fait de nos jours l'objet des mêmes
restrictions que pour Celle de Dieu.
(Aziz Efendi Muhammad Alayhi s salam).

* : Le Seigneur des tribus, l'islam de Mohamed, *1 : p. 262 / *2 : p 264 / *3 : p. 263 /*4 : p. 265 ; Jacqueline Chabbi, CNRS éditions. 1997.
** : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, **1 p. 118 / **2 : p. 341 ; Jacqueline Chabbi, Fayard. 2008.

12. 2. Janvier 623, le raid de Nakhla et premières conversions.
Mohamed n'a aucune activité professionnelle. Déjà, lors de la période mecquoise, le Coran qui n'est pas avare en détails sur ses relations humaines, ne suggère jamais qu'il aurait travaillé. Au mieux le voit-on se promener dans les souks (S. 25, 7). L'époque du commerce caravanier de sa jeunesse relatée par la Tradition parait déjà loin. Son mariage aisé avec Khadīdja semble lui avoir épargné tout dur labeur. De quoi vivait-il à Yathrib ? De l'argent emporté avec lui, ou de celui des rares compagnons qui l'ont suivi ? Mohamed va devoir rapidement trouver des subsides.

En janvier 623, il envoie 30 fidèles dirigés par son oncle Hamza, pour razzier les caravanes mecquoises. L'attaque a lieu sur la route entre la Mecque et la ville voisine d'at-Tā'if*, à Nakhla, un terme qui signifie « bosquet de palmiers ». Désir de vengeance renforcé par la nécessité matérielle, c'est bien à plus de 400 km vers la Mecque, la cité de son père, que Mohamed dirige ses hommes... La Tradition raconte que les hommes de Mohamed se sont rasés le crâne pour faire croire qu'ils revenaient du petit pèlerinage à la Kaaba, en ce mois saint de radjab où s'accomplit l''umra. Les affidés de Mohamed s'embusquent donc près du point d'eau de Nakhla*. Une caravane appartenant aux Quraysh est trompée par leur apparence pieuse et tombe dans le piège. Elle est pillée, les hommes de Mohamed tuent un homme et font cinq prisonniers. Ils rapportent un important butin qui permet aux exilés de survivre. Mais l’attaque a eu lieu au cours du mois sacré de radjab, pendant lequel le meurtre est interdit, selon la foi païenne des tribus de Yathrib et de la Mecque. À Yathrib, le scandale touche Mohamed. Il est responsable de ses hommes et la transgression de l'interdit païen lui est imputée. Il n'a aucun privilège particulier : son statut est celui d'un réfugié - on l'a vu - et sa révélation spirituelle ne l'affranchit pas des coutumes tribales. Les mois sacrés des païens le sont aussi pour lui. Un verset coranique vient rapidement justifier le sacrilège, tout en confirmant la légitimité de ce tabou païen. « Combattre en ce mois est un péché grave ; mais écarter les hommes du chemin de Dieu, être impie envers Lui et la Mosquée sacrée, en chasser ses habitants (Mohamed de la Mecque), tout cela est plus grave encore devant Dieu. » (S. 2, 217). Voilà le mois de radjab devenu sacré pour Mohamed, il le restera jusqu'à nos jours dans l'islam.

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L'arrivée à Yathrib après l'attaque de Nakhla.

Vis à vis de la Mecque, sa stratégie a donc changé. Mohamed ne peut plus la convaincre en récitant le Coran et il n'essayera plus. Il lance contre elle des raids surprises. Quel est donc leur objectif ? La Tradition raconte que Mohamed poursuit un but spirituel, mais ce n'est pas certain. Son objectif semble bien plus politique que religieux. Mohamed marque son territoire. La religion n'a pas le même sens pour Mohamed que pour les penseurs de la dynastie abbasside qui ont façonné l'islam que nous connaissons. Pour Mohamed, la conversion signifie entrer dans une alliance avec Dieu  qui donne des biens matériels en échange de la soumission. Ce contrat permet de s'approprier légitimement les biens des vaincus : « Alors, aux messagers, leur Seigneur révéla : « Très certainement, Nous allons détruire les prévaricateurs et vous installer sur terre après eux. Voilà pour qui craint Ma présence et craint Ma menace ! » » (S. 14, 13). Il n'y a pas forcement de contenu transcendant ou mystique à l'entrée dans l'alliance proposée par Mohamed : il s'agit plutôt d'une alliance militaire afin d'attaquer ceux qui n'en font pas partie pour les chasser de chez eux et se partager le butin.

Cette nouvelle stratégie semble plus efficace pour convaincre des adeptes que la récitation du Coran, telle qu'elle était pratiquée à la Mecque.
En effet, dans les mois qui suivent son arrivée à Médine, Mohamed intègre quelques fidèles dans son alliance. La sourate 2, récitée à son arrivée à Yathrib, en conserve la mémoire. On y trouve la trace des premiers convertis, mais aussi celle de leur hésitation : « Parmi les gens, il y a ceux qui disent, nous croyons en Dieu et au jour dernier ! » Tandis qu'ils ne sont pas croyants. » (S. 2,8-9). Quand Mohamed les appelle à la discipline, ils font une réponse étrange : ils souhaitent réformer la révélation de Mohamed : « Et quand on leur dit, ne commettez pas le désordre sur terre. Ils disent « Nous ne sommes que des réformateurs ». » (S. 2, 11). Exhortés à croire comme tout le monde, « comme les gens ont cru » (S. 2, 13), ils rétorquent qu'ils veulent corriger dans la révélation ce qui ne peut plaire qu'aux sots : « Croirons-nous comme ont cru les sots ? » (S. 2, 13). Mohamed retourne l'insulte : « C'est eux, n'est-ce pas, qui sont les sots, mais ils ne le savent pas » (S. 2, 13) ; puis il les met au défi de produire une révélation identique (S. 2, 23), il les menace de damnation (S. 2, 24) et il promet le paradis aux soumis (S. 2, 25). À Yathrib, la rhétorique coranique est maintenant bien en place : renvoi d'insultes, défis, menaces de damnation, appel à la soumission et promesse du paradis. Mais cela ne va pas suffire pour convaincre les habitants de Yathrib.

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Châtiment des faux-dévots
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).
À ceux qui pourraient être surpris de voir représenter Mohamed, il faut rappeler que, jusqu'au XVIe siècle, le Prophète
de l'islam a été dessiné sans réticence par les musulmans. Pour ne pas créer d'inutiles polémiques,
seules ses représentations réalisées par des musulmans ont été retenues ici.

En effet, certains de ces tous nouveaux convertis semblent bien peu sûrs de leur choix. Séduits par les juifs, ils semblent prêts à abandonner l'alliance de Mohamed pour adhérer au judaïsme : « Nombre de gens du Livre aimeraient pouvoir vous rendre mécréants, après que vous avez cru. » (S. 2, 109).

Trois tribus juives vivent à Médine. Le désir de Mohamed de convaincre de son inspiration divine va maintenant s'orienter vers elles.
Voilà venu le moment pour Mohamed de rencontrer d'authentiques juifs et de se confronter à leur solidité doctrinale
.

* : Le Seigneur des tribus, l'islam de Mohamed, Jacqueline Chabbi, p. 352, CNRS éditions. 1997.

12. 3. Et Mohamed rencontre les juifs de Yathrib.
La sourate 2 raconte l'arrivée de Mohamed à Yathrib. Tout de suite, Mohamed s'étonne que les juifs ne le reconnaissent pas. « Si [Mohamed] dit [aux juifs médinois] : « Soyez fidèles à ce qu’Allah a fait descendre [sur Mohamed] », ils répondent : « Nous sommes fidèles à ce qui a été descendu sur nous. » Ils récusent ce qui est venu après, alors que c’est la vérité qui vient confirmer ce qu’ils ont [reçu] antérieurement ! Dis-leur : « Pourquoi avez-vous mis à mort les prophètes d’Allah auparavant si vous êtes fidèles ? » » (S. 2, 91 ; trad. J. Chabbi) (*1).
À la Mecque, Mohamed avait désigné les juifs comme sa référence. À Médine, les juifs ne le reconnaissent pas comme prophète. Selon le Coran, les juifs deviennent alors tueurs de prophètes. Quels prophètes auraient-ils exécutés ? Ce n'est pas précisé. S'il s'agit du martyr du Christ, le Coran est à nouveau en contradiction avec lui-même, puisque le Coran dit par ailleurs que les juifs ne l'ont pas tué (S. 4, 158).
Les tribus juives de Médine, structurées et pieuses, comprennent tout de suite que les deux révélations sont différentes. Les « savants des Enfants d'Israël » (S. 26, 197), dont Mohamed avait espéré l’approbation à la Mecque, ne le reconnaissent pas !

Les contradictions entre les deux révélations sont trop importantes pour que les juifs soient dupes. Mohamed affirme que Yahvé et Allah sont le même Dieu : « Ne disputez que de la plus belle façon avec les gens du Livre (les juifs)... Et dites : Nous croyons en ce qu'on a fait descendre vers nous et descendre vers vous, tandis que notre Dieu et votre Dieu est le même, et c'est à Lui que nous nous soumettons. » (S. 29, 46). Or le Dieu annoncé par le Coran est tout à fait différent de Celui des juifs. Des versets récités à l'arrivée à Médine en sont l'illustration frappante.

Le rapport à la liberté humaine et au libre-arbitre est radicalement différent dans les deux religions.
Dès l'arrivée à Yathrib, Mohamed va longuement discourir sur Adam et expliquer la Chute dans une perspective nouvelle, radicalement en contradiction avec le récit de la Genèse.

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Adam et Eve (Manafi-al-Hayawan, manuscrit mongol, Iran, XIIIe siècle).

- Selon la Genèse, les hommes sont libres et responsables de la terre, mais le Coran va nier qu'Adam soit libre.
À l'origine, l'histoire de la Chute est un mythe sumérien apparu au IIIe millénaire avant JC qui se déroule dans un jardin avec des fruits défendus, dégustés par le dieu Enki et son épouse qui sont renvoyés du jardin et condamnés à la vie mortelle. Ce n'est qu'au VIe siècle avant JC, que ce mythe sumérien est introduit dans la Genèse par les hébreux, lors de leur déportation à Babylone et réinterprété dans la perspective hébraïque. En effet, quoique d'origine mythologique, l'histoire de l'Adam et de l'Ève biblique contient de précieux enseignements spirituels. Dans la Genèse, la Bible affirme qu'Adam est créé responsable de la terre : « dominez la terre et soumettez-la » (Gn 1, 28). Adam est libre de choisir le nom des animaux : « Il les amena à l’homme pour voir comment celui-ci les appellerait : chacun devait porter le nom que l’homme lui aurait donné. » (Genèse 2, 19). Bien plus tard, le Christ confirmera, dans le Notre Père, que la volonté de Dieu s'exprime en priorité au ciel, la terre restant le lieu du libre-arbitre des hommes qui doivent prier pour que la volonté du Père s'y exprime : « Que Ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, » dit le Christ en enseignant le « Notre Père » aux hommes (Mt 6, 9-13). Dans la théologie biblique, les hommes exercent donc leur libre arbitre et sont responsables de la terre.
Dans la récitation de Mohamed, Allah prive l'homme de toute liberté. C'est Allah qui enseigne le nom des êtres vivants à Adam qui ne connaît que ce qu'Allah lui révèle. « Et Allah apprit à Adam les noms, tous. » (S. 2, 31).

- L'aptitude à une connaissance autonome est un autre point de rupture. Entre maladresse rédactionnelle et incohérence nécessaire, le Coran raconte la Chute d'une façon que ne peuvent admettre les juifs.
Dans la Genèse, le diable trompe Ève en lui promettant la connaissance si elle pèche. C'est donc le désir de connaissance qui la pousse à manger « le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (Genèse 3, 5).
Dans le Coran - comme dans la Bible et dans le mythe d'Enki - Adam vit au paradis : « Nous dîmes : « O Adam, habite le Paradis, toi et ton épouse, et rassasiez-vous-en de partout à votre guise » (S. 2, 35) et Sourate 7 (20). Nous avons vu qu'Allah est le maître du savoir, Adam ne sait donc que ce qu'Allah lui a appris. Dans le Coran, le diable pourrait donc tenter Adam en lui proposant d'acquérir une connaissance autonome. Cela serait logique. Mais cela aurait rendu les hommes maîtres de leur savoir sur terre, ce que le Coran récuse. Alors Satan tente Adam en lui proposant d'acquérir la vie éternelle au paradis, alors qu'il y vit déjà pour l'éternité ! C'est une faille du scénario coranique mais elle est rendue nécessaire par la nécessité de confirmer la Toute puissance d'Allah sur terre : l'homme doit rester l'esclave soumis et dépendant d'Allah, même après la Chute : « – Puis le Diable le tenta en disant : « O Adam, t’indiquerai-je l’arbre d’éternité, et un royaume qui ne vieillit pas ? » » (S. 20, 120). Dans le Coran, Adam est donc tenté par quelque chose qu'il a déjà : la vie éternelle au paradis !

Selon le Coran, l’homme est un esclave irresponsable, juste soucieux de vivre éternellement et de manger à satiété. Dans dans la Bible, à l'inverse, le couple est créé ensemble et responsable de la terre, assoiffé de connaissances autonomes et libre au point de pouvoir choisir entre pécher et bien conduire.

Comment s'étonner que les Juifs n'aient pas reconnu Yahvé en Allah !

Mohamed est confronté à un autre problème majeur : il s'est trompé sur l'orientation des juifs en prière (*2).
Jusqu'en l'an 70, les juifs priaient uniquement au Temple de Jérusalem et, après la destruction du Temple par les romains, ils ont prié orientés vers Jérusalem. Il n'y a aucune raison de penser que les juifs de Médine n'aient pas prié vers Jérusalem puisque tous les juifs prient ainsi. Or, Mohamed, en arrivant à Médine, croit prier dans la même direction que les juifs, et il découvre avec surprise que ce n'est pas le cas. Malgré les affirmations contemporaines qui prétendent que Mohamed priait vers Jérusalem avant l'Hégire, un verset du Coran prouve que c'est faux. Mohamed priait vers ce qu'il croyait être la direction de la prière juive, mais il recouvre avec surprise que les juifs de Médine ne prient pas dans la même direction que lui. « Les sottes gens vont bientôt dire : « Qui les a détournés de l'orientation à quoi auparavant ils se tenaient ? » » (S. 2, 142). Pour Mohamed, il est naturellement inconcevable d'imaginer que ce soit lui qui fasse erreur, ce sont donc forcement les juifs qui ce sont « détournés de l'orientation à quoi auparavant ils se tenaient ». Mais quelle était donc cette direction supposée de la prière juive ? Dans quelle direction priait donc Mohamed en arrivant à Médine ? J. Chabbi, dans Le Coran décrypté pose l'hypothèse que Mohamed priait tourné vers le mont Sinaï, lieu de la rencontre de Moïse avec Dieu, le « lieu béni » de prosternation (S. 28, 30 ; S. 28, 44-46 ; S. 79, 16)**. C'est la Tradition qui racontera qu'il priait vers Jérusalem, mais le Coran dit autre chose : Mohamed - ou le Coran - s'est trompé sur l'orientation des juifs en prière !

Mis en face d'une incohérence de sa révélation, Mohamed est perdu. La sourate 2 en garde la trace : « Oui, nous te voyions le visage tourné vers le ciel. » (S. 2, 144). Le Coran propose rapidement la solution : « Nous te tournerons certainement vers une orientation qui te complaira. Tourne ton visage, donc, vers la sainte Mosquée (La Kaaba). » (S. 2, 144). L'erreur théologique de la Mecque demande à être expliquée : elle devient un test pour vérifier la foi des croyants : «... Et Nous avons fait l'orientation à quoi tu te tenais que pour savoir qui suit le Messager et qui tourne les talons. Est-ce si exorbitant ? Pas pour ceux que Dieu guide. » (S. 2, 143). Voilà un mécanisme de foi qui aura des répercutions immenses dans la civilisation musulmane. Les incohérences de la révélation coranique, révélation supposée par ailleurs sans erreur, sont là pour tester la soumission et la foi du croyant ! L'islam vient de se séparer de la sagesse d'Aristote et de la recherche de la vérité par la raison pure.

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La direction de la Qibla (manuscrit ottoman XVIe siècle ; BnF).

Les juifs ne sont naturellement pas convaincus : « Viendrais-tu avec n’importe quel signe vers ceux à qui le Livre a été donné, ils ne suivraient pas ton orientation ! » (S. 2, 145). Ils essaient même de le convertir : « Les Juifs ne seront jamais contents de toi, les Nazaréens non plus, jusqu'à ce que tu suives leur religion. - Dis : « La guidée de Dieu, oui voilà la guidée ». » (S. 2, 120).
- Certains versets font même penser que Mohamed aurait essayé d'acheter une Bible aux juifs qui auraient biaisé en lui en demandant un prix exorbitant : « Oui, ceux qui cachent ce que Dieu a fait descendre du fait du Livre et le vendent à vil prix, ceux-là ne s'emplissent le ventre que de Feu. » (S. 2, 174) et sourate 2 (79). Les juifs semblent ne pas vouloir donner à Mohamed les moyens de mettre sa révélation en cohérence avec la leur : « Et quand [les juifs] rencontrent les croyants, ils disent : « Nous croyons » ; et une fois seuls entre eux ils disent : « Allez-vous leur raconter ce que Dieu vous a découvert ? Et qu'ils s'en fassent un argument contre vous devant votre Seigneur ! » (S. 2, 76).
- Finalement, les juifs se moquent de Mohamed. Ils le mettent au défi de donner un signe, comme Élie en avait obtenu un de Dieu (1 Roi 18, 19-39). Le sacrifice d’Élie avait été consommé par le feu du ciel, là ou celui des prêtres païens avaient été refusé : « [les juifs], ceux-là mêmes qui ont dit : « vraiment Dieu nous a enjoints de ne pas croire en un messager tant qu'il ne nous a pas apporté une offrande que le feu consume » (S. 3, 183) (*1).
Pour les juifs, Mohamed ne serait-il donc qu'un païen ?

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Élie obtient que le feu du ciel consume son sacrifice, alors que les prêtres païens n'y sont pas parvenus
(Synagogue de Doura Europos, peinte en 246 ; Musée de Damas, Syrie).

La confrontation théologique avec les juifs n'a pas tourné à l'avantage de Mohamed.

* : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, *1 : p. 352 / *2 : p. 309-312 ; J.  Chabbi, Fayard. 2008.

12. 4. La bataille de Badr en 623 et ses conséquences théologiques.
Le raid de Nakhla a placé Mohamed en position délicate face aux arabes de Yathrib. Il a transgressé un tabou en envoyant les siens tuer un homme pendant le mois de radjab. La récitation du verset providentiel (S. 2, 217) a pu rassurer ses compagnons, ses premiers fidèles, mais on voit mal pourquoi il aurait apaisé les habitants de Yathrib qui sont toujours païens. La victoire de Badr va mettre tout le monde d'accord.
Mohamed repart en raid contre les Quraysh de la Mecque. Il semble incapable de se détacher de sa ville d'origine.
Malgré la distance entre la Mecque et Yathrib (430 km) et le peu d'enthousiasme des siens, il quitte Yathrib pour aller au devant des Quraysh : « Ton Seigneur t'a fait sortir de ta maison, malgré la répulsion qu'une partie des croyants ressentait. » (S. 8, 5 ). Ce sera la célèbre bataille de Badr qui n'a sans doute engagé qu'une à deux centaines d'hommes.

Mohamed est en embuscade. Une caravane est repérée à proximité de la Mecque. Mohamed évalue mal les forces adverses : il pense que les défenseurs de la caravane sont peu nombreux, erreur qui aurait pu être catastrophique. On en prend connaissance par la justification du Coran : « Quand, en songe, Dieu te les avait montrés peu nombreux ! Car s'Il te les avait montrés nombreux, vous auriez certainement fléchi, et vous sous seriez certainement disputé dans l'affaire. Mais Dieu a sauvé. » (S. 8, 43).
Les affidés de Mohamed sont refoulés et songent à se débander avant un revirement inattendu : « Quand deux de vos troupes songèrent à fléchir ! Alors que Dieu est leur chef, car c'est à Dieu que les croyants doivent se fier. Dieu vous a donné la victoire, à Badr, alors que vous étiez humbles... Lorsque tu disais aux croyants : « N'est-il pas suffisant pour que votre Seigneur vous fasse descendre trois milliers d'anges ? » (S. 3, 122-124).

La caravane mecquoise se scinde en deux. La partie chargée de biens se sauve vers la Mecque tandis que l'autre, armée, protège sa fuite de l'attaque de Mohamed : « Quand Dieu vous promettait l'une des deux bandes – que celle-ci certainement serait à vous,- vous auriez aimé que fût à vous l'autre plutôt que celle qui était hérissée d'épines ! » (S. 8, 7). Mohamed concentre ses troupes sur l'escorte armée au lieu de songer trop rapidement au pillage.

Les habitants de la Mecque sortent de la ville au secours de la caravane. Selon le Coran, ils ont été trompés par le Diable qui leur a assuré qu'ils allaient triompher. Dans les Évangiles, Satan s'attaque aux croyants (Luc 22, 31) pour les conduire à pécher ; dans le Coran, Satan s'attaque aux incroyants pour les conduire à la soumission. Le Diable coranique apparaît donc comme un utile auxiliaire d'Allah. Ce n'est pas très surprenant compte tenu de ce que nous savons de la place d'Allah en enfer. « Ne soyez pas comme ceux-là qui sortirent de leurs demeures avec jactance et ostentation devant les gens, et qui empêchaient du sentier de Dieu... Quand le Diable leur eut enjolivé leurs œuvres et dit : « Personne au monde ne peut vous dominer aujourd’hui. Et vraiment je suis pour vous un protecteur ! » Puis, lorsque les deux groupes furent en vue l'un de l’autre, il tourna les deux talons et dit : « Oui, je vous désavoue ! Oui, je vois ce que vous ne voyez pas ; je crains Dieu, moi ! » Or Dieu est fort en poursuite. » (S. 8, 47-48 ).

Mohamed triomphe, la caravane est à lui avec toutes ses richesses et le Coran rend grâce à Allah pour cette victoire qui est attribuée à la divinité : « Car il n'y a de victoire que de Dieu, puissant et sage ; afin de tailler en pièces partie de ceux qui ont mécru et de les culbuter et qu'ils s'en retournent perdants. Tu n'es pour rien dans cette affaire, - soit qu'Il accepte leur repentance, soit qu'Il les châtie. » (S. 3, 127-128). La victoire provient d'Allah et ce verset vient d'exonérer Mohamed de toute responsabilité : il n'est « pour rien dans cette affaire ». Il n'a ni le mérite de la victoire d'un combattant, ni la culpabilité des exactions d'un pillard.

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Mohamed envoie les troupes célestes sauver les combattants à la bataille de Badr
(Siyer-i-Nebi (
La Vie du Prophète), XVIe siècle ; Topkapi).

Après la bataille de Badr, toute une théologie du combat au nom d'Allah va se développer :
- Allah donne la victoire militaire (S. 3. 123 et S. 110, 1-2) : Il permet qu'un petit nombre domine une multitude. C'est un signe et non un miracle car rien de surnaturel n'est visible : « O Prophète, encourage les croyants au combat. S'il y en a vingt d'entre vous à être constants, ils domineront deux cents ; et s'il y en a cent d'entre vous, ils domineront mille de ceux qui mécroient. » (S. 8, 65). Le soutien d'Allah est formalisé par l'envoi d'une armée d'anges qui reste évidemment invisible (S 3, 124-125 et S. 8, 9-10).

- Mohamed est libéré de toute responsabilité en cas d'erreur ou d'échec (S. 3, 128 ). Est-ce là sa dernière justification de la transgression de Nakhla ? Allah est le seul responsable de la mort des victimes de Mohamed ou de celles de ses troupes : « Quant à ceux qui mécroient, Je vais jeter l'effroi dans leurs cœurs : frappez donc au-dessus des cous et frappez-les aux jointures ! Car vraiment, ils ont fait schisme d'avec Dieu et son messager. » Et quiconque fait schisme d'avec Dieu et Son messager... alors Dieu est fort en poursuite... Et quiconque, ce jour-là, leur tournera le derrière, ...alors il s'acquerra de Dieu une colère, et son refuge sera la Géhenne. Ce n'est point vous qui les avez tué : mais c'est Dieu qui les a tué. Et lorsque tu tirais, ce n'est pas toi qui tirais : mais c'est Dieu qui tira. » ( S. 8, 12-17). Voilà les troupes de Mohamed autorisées à tuer sans culpabilité particulière quand ils combattent « sur le sentier de Dieu ». Allah assume leurs cruautés. C'est Lui qui tue. Par ailleurs, on peut remarquer qu'assez curieusement Allah parle de Lui-même en hésitant entre la première et la troisième personne du singulier...

- Les hommes morts au combat pour Allah, particulièrement les quelques Quraysh qui ont suivi Mohamed en exil, voient garantie leur place au paradis : « Ceux qui se sont expatriés, qui ont été expulsés de leurs demeures, qui ont été persécutés dans Mon sentier, qui ont combattu, qui ont été tués, très certainement Je tiendrai pour expiées leurs malfaisances, et les ferai très certainement entrer dans les Jardins sous quoi coulent les ruisseaux en récompense de la part de Dieu » (S. 3, 195). Il est amusant de remarquer dans ce verset qu'Allah passe encore dans la même phrase de la première personne du singulier à la troisième personne du singulier... Mais qui s’exprime donc dans le texte coranique ?

- Le pillage devient interdit pendant la bataille. On sent Allah - ou Mohamed - soucieux d'obtenir un minimum de discipline des troupes bédouines : « Il n'est pas d'un prophète de faire des prisonniers avant d'avoir prévalu sur le terrain. Vous voulez les biens d'ici-bas, tandis que Dieu veut l'au-delà. Ce n'est qu'une prescription par laquelle Dieu a pris les devant, un énorme châtiment vous aurait touchés pour ce que vous avez pris. » (S. 8, 67)

- Une fois la victoire acquise, tirer rançon des prisonniers est autorisé et même conseillé, plutôt que de les exécuter. La Tradition musulmane verra dans ce verset la preuve de la grande mansuétude de son Prophète : « O Prophète, dis à ceux des captifs qui sont en vos mains : « Si Dieu sait un bien dans vos cœurs, Il vous donnera mieux que ce qui vous a été pris, et vous pardonnera. » » (S. 8, 70).

- On attend des vaincus qu'ils se convertissent : « Combattez-les jusqu'à ce que ne subsiste plus de tentation et que la religion soit toute à Dieu. » (S. 8, 39). On voit que, dès 623, ce sont des armes que Mohamed attend la soumission spirituelle à Allah. Allah, Dieu des combats, exige la guerre sainte. Cela semble être devenu son seul moyen de convaincre.

- Le partage du butin voit les pourcentages de répartition fluctuer : « Ils t'interrogent au sujet des dépouilles. Dis : « les dépouilles sont à Dieu et à Son messager. » Craignez Dieu, donc, et réformez vos rapports mutuels, et obéissez à son messager si vous êtes croyants. » (S. 8, 1). Dans ce verset récité au moment de la bataille de Badr, on perçoit que Mohamed était financièrement aux abois, puisque c'est l'intégralité du butin qu'il revendique. Ultérieurement sa part deviendra plus raisonnable, à 20%, avec l'obligation de pratiquer la charité sur ce pourcentage : « Sachez qu'en vérité, de toute chose que vous capturez en butin le cinquième appartient à Dieu et à Son messager, et aux proches parents et aux orphelins, et aux pauvres, et à l'enfant de la route » (S. 8, 41). Allah est censé ne jamais changer d'avis et le Coran est réputé exister depuis toujours auprès de Dieu. Il semble néanmoins que les consignes coraniques évoluent en fonction des besoins de Mohamed.

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Bataille de Badr (Tabriz, XIVe siècle).

Le discours eschatologique des débuts de la révélation de la Mecque, s'éloigne. À Yathrib, la récitation coranique s'adapte au quotidien de Mohamed.

12. 5. Dès 623, commence l'élimination des opposants.
La bataille de Badr a renforcé la position de Mohamed à Yathrib. Il est maintenant aisé et dirige des troupes qui ont acquis l'expérience de l'engagement militaire. Il commence à être craint. Ses discutions avec les juifs de Yathrib ont tourné au fiasco, mais il a enfin la capacité de faire taire ses opposants. La Tradition musulmane a décrit et justifié les exactions de Mohamed, mais le Coran, en début de période médinoise, n'y fait que quelques discrètes allusions.

La lutte contre les juifs.
Mohamed a été spirituellement mis en échec par les juifs. Il change de stratégie. Les juifs deviennent soudainement des témoins qui ont trahi : « - Dis, « O gens du Livre, pourquoi, en voulant tortueux le sentier de Dieu, en empêchez-vous celui qui a cru ? Alors que vous êtes témoins ! » Dieu n'est pas inattentif à ce que vous faites. » (S. 3, 99). La prédication de Mohamed prépare et justifie ce qui va suivre*. Selon la Tradition, les juifs de Yathrib sont répartis en trois tribus : les Banū-Qurayza et les Banū-Nadīr qui sont agriculteurs et marchands ; les Banū-Qaynuqā qui sont forgerons et orfèvres. Ces derniers étaient les plus aisés des juifs de Yathrib, mais également les plus proches du centre de la ville puisque qu'il n'avaient pas d'activité agricole. Parmi tous les juifs, ce sont eux qui participaient le plus volontiers et le plus activement aux controverses avec Mohamed. Dans le Coran, les juifs sont seulement nommés « ahl al-kitāb » : ceux qui ont reçus la révélation du Livre de la Bible. Le nom de ces tribus juives n'est donc pas connu par le Coran mais par la Tradition musulmane. Ces tribus étaient associées par des contrats de solidarité et de loyauté aux tribus arabes de Yathrib. Cela explique que les textes contemporains ne citent pas les tribus juives par leur nom propre mais par le nom de leur tribu arabe associée*.

Les juifs ont dominé Mohamed, en logique, en savoir et en doctrine biblique. Mohamed profite de sa victoire de Badr pour reprendre le dessus. « Non, ils ne sauront pas réduire à l'impuissance. » (S. 8, 59) annonce un des rares versets qui évoquent le bannissement des Banū-Qaynuqā. Dans le Coran, Mohamed accuse les Banū-Qaynuqā d'être « mécréants » (S. 3, 13) : on a vu qu'ils avaient effectivement refusé sa prédication*. Animé de cette seule justification, Mohamed les attaque et les chasse de Yathrib : « Préparez-leur tout ce que vous pouvez de force, et tenez prêts des chevaux, afin d'effrayer l'ennemi de Dieu et votre ennemi, et d'autres en dehors d’eux, que vous ne connaissez pas mais que Dieu connaît. » (S. 8, 60)*. Rien de ce que racontera ultérieurement la Tradition musulmane ne se trouve dans le Coran. Seuls ces quelques versets expliquent le bannissement des Banū-Qaynuqā. Selon la Tradition, ils auraient eu trois jours pour partir en laissant 20% de leur biens à Mohamed.
Le Coran est très discret sur cet épisode. Mohamed était-il assez puissant pour revendiquer cette expulsion au nom de Dieu ? Il semble que non. Les versets S. 3, 12-13 et S. 8, 58-60 sont les seuls à y faire allusion. La Sīra a comblé le vide 150 ans plus tard. La Sīra (II, 47-50) raconte comment des juifs auraient importuné une femme voilée, puis auraient assassiné un fidèle de Mohamed qui se portait à son secours. Abdallah ibn Ubayy, le protecteur arabe de la tribu des Qaynuqā aurait obtenu qu'ils ne soient pas exécutés en représailles mais simplement expulsés. Pas la moindre allusion à cette histoire n'existe dans le Coran qui parle pourtant volontiers des vexations subies par son messager.
Des trois tribus juives de Médine, la première, celle des Qaynuqā, la plus riche, celle qui vit au centre de Médine, est désormais expulsée.

La lutte contre les poètes arabes.
- La poétesse Açmā, la fille de Marwān, rédige des vers qui mettent en doute l'inspiration divine de Mohamed et qui sont particulièrement crus. La Sīra rapporte l'exclamation de Mohamed « Est-ce que personne ne me débarrassera de la fille de Marwān ? ». Elle est assassinée la nuit même et toute sa tribu se soumet immédiatement. Mohamed félicite son meurtrier : « Tu as secouru Allah et son envoyé ».
- Un mois plus tard, Abū Afak, une poète centenaire, est tué dans son sommeil. Il avait eu le tort de rédiger un poème qui reprochait à Mohamed d'avoir créé la dissension entre les arabes en promulguant interdits et autorisations au sujet de tout et de rien. Mohamed aurait dit : « Qui me fera justice de cette crapule ? ». Le soir, même Abū Afak est assassiné par Salim Ibn Umayr (Selon ibn Saad al-Baghadi).

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Ali décapita Nadr ibn al-Harith en présence du prophète
(
La vie du Prophète, Volume IV, par Siyer-i-Nebi,1595 ; Topkapi)).

- La mort d'un second poète est racontée dans la Sīra. Il s'agit d'un poète de mère juive, de la tribu des Nadīr, Ka'b ibn al- Ashraf. Ses poèmes étaient dirigés contre Mohamed. Il est assassiné juste après l’expulsion des Qaynuqā (Sīra, 2, 51 – 58). Dans la Sīra, Ibn Ishāq cite les vers d’Hassan Ibn Thābit qui racontent que les meurtriers du poète « cherchaient la victoire pour la religion de leur prophète regardant comme peu de chose tout acte inique ». Voilà une justification bien étrange qui reconnaît l'iniquité du crime commis...

La Tradition n'a-t-elle pas un peu exagéré ? Le Coran est plus concis : « Les poètes ? Seuls s'attachent à leurs pas les hommes promis à choir sans retour dans la fosse préparée pour piéger les fauves. » (S. 26, 224 ; trad. J. Chabbi).

Dès son arrivée à Yathrib, Mohamed a donc été cruellement mis en échec lors d'échanges libres, tant avec les juifs qu'avec les poètes arabes.

Ainsi a-t-il trouvé la solution...


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Voyage nocturne : illustration des cinq poèmes de Nezami (Bagdad, XVIIe siècle).
Mohamed semble avoir moins apprécié la poésie que ne le feront ses fidèles.

* :  Le Coran décrypté, p 329, J. Chabbi, Fayard, 2008.

12. 6. Abraham et ses épouses anonymes ; Abraham et la Kaaba.
Lors de la prédication de Yathrib, Moïse disparaît peu à peu des propos de Mohamed. Moïse était associé aux juifs dont le soutien était espéré à la Mecque. L'erreur dans l'orientation des juifs en prière l'a discrédité. Il est oublié et Abraham le remplace dans la révélation post-hégire*. La théologie du Coran s'adapte aux difficultés théologiques de Mohamed.
Abraham apparaissait en filigrane dès la récitation mecquoise mais ce n'est qu'à la fin de cette période que son monothéisme est signalé : « Et quand Abraham dit à son père : « Oui, je désavoue tout ce que vous adorez, mais pas Celui qui m'a créé, car c'est Lui en vérité, qui va me guider » » (S. 43, 26-27). La naissance miraculeuse d'un fils non nommé nous est alors contée, celle d'un  « garçon plein de science » (S. 51, 24-37, S. 15-53). Le monothéisme en élaboration de Mohamed semble avoir pris un virage plus universel en introduisant Abraham dans sa prédication et cela dès la Mecque. On s'éloigne du « rabb » logeant dans un bétyle de la Kaaba (S.  106) - très probablement celui de la Pierre noire - auquel il fallait rendre un culte exclusif au début de sa révélation. Le monothéisme de Mohamed est maintenant affirmé, même s'il effectuera des sacrifices païens devant des bétyles jusqu'en 628. Nous en reparlerons.

Quand Mohamed rencontre les juifs de Yathrib, la place d'Abraham continue d'évoluer. Abraham devient le prescripteur de la voie à suivre, la « millat ibrāhim » (*1). Moïse dans son rôle de chef des hébreux itinérants est bien remplacé. La millat est un mot et un concept bédouin cité huit fois dans le Coran (S. 2, 130-135 ; S. 3, 95 ; S. 4, 125 ; S. 6, 161 ; S. 12, 38 ; S. 16, 123 ; S. 22, 78). Il s'agit de la bonne route, celle qu'il faut connaître pour survivre au désert, celle que connaît le chef de la caravane et que l'on suit sans hésiter pour survire dans ce milieu si inhospitalier. Abraham, le promoteur de la millat, devient bédouin dans sa culture. La oumma apparaît alors dans la prédication coranique. La oumma a plusieurs sens dans le Coran. Le mot a d'abord le sens de communauté, c'est à dire de « groupe sur la bonne route car bien guidé » (S. 3, 110). Le mot « oumma » désigne également la bonne route elle-même ( S. 43, 22-23). Le mot a une troisième signification. Elle désigne le guide Abraham (S 16, 20) (*2). Par analogie,  bien plus tard, les « biens guidés » deviendront les musulmans.

Au delà de ces adaptations théologiques, Mohamed semble récupérer Abraham au service de sa propre vocation.
Le Coran affirme qu'Abraham aurait réclamé auprès des siens la venue d'un arabe, forcément Mohamed : « Notre Seigneur, dépêche parmi eux un envoyé de leur race pour réciter Tes signes ! » (S. 2, 129).
Puis, dans un remarquable glissement sémantique, Mohamed se réapproprie Abraham pour en dépouiller les juifs. En tant que soumis à Dieu, Abraham est forcément de la même spiritualité que Mohamed, le premier des soumis : « Abraham n'était ni un Juif, ni un Nazaréen : il était en sincérité et en Soumission. Il n'était point du nombre des faiseurs de dieux » (S. 3, 67). Nous voyons encore un exemple de logique défaillante du Coran puisque se soumettre à un dieu non défini ne suffit pas pour démontrer que la foi d'Abraham et de Mohamed sont similaires, ni que leurs Dieux sont identiques.

Lors de la révélation mecquoise, il n'était jamais dit qu'Abraham ait fondé la Mecque. Les versets mecquois disent simplement qu'il y met sa descendance à l’abri. La kaaba est supposée être déjà un lieu inviolable protecteur (S. 14, 35-37), un haram. Lors de la prédication mecquoise, Abraham n'est donc pas le fondateur de la Kaaba, mais il va le devenir dans les versets récités à Yathrib. Alors, il est affirmé qu'Abraham construit la Kaaba (S. 2, 127) à l'endroit où il s'est tenu debout (S. 2, 125) après avoir purifié le puits préexistant (S. 2, 125). « Adoptez donc pour lieu de culte, ce lieu où Abraham se tient debout ! Nous avons chargé par contrat Abraham et Ismaël de purifier l’eau du puits. Ma demeure, la Kaaba pour les pèlerins qui tourneront autour et feront retraite qui s’inclinent et se prosternent... Lorsque Abraham a édifié les fondations de la demeure, et Ismaël, et qu’il s’est écrié : « Notre Seigneur, agrée cela de nous. »» (S. 2, 125 ; trad. J. Chabbi).

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Mohamed rencontre Abraham (en noir à gauche) lors de son voyage nocturne
(miniature persane, XVe siècle).

Il est à noter que les épouses d'Abraham connues par la Bible ne sont jamais nommées dans le Coran. Sarah est simplement signalée en tant que « femme » d'Abraham (S. 11, 71), et Agar n'y est pas même évoquée. Si on se souvient qu'Ève n'est pas non plus nommée dans le Coran, on est tenté de s'interroger sur les relations de l'auteur du Coran avec les femmes mariées. Ni la mère de Jean Baptiste, Elizabeth, ni la mère de Marie, ne sont nommées. La seule femme nommée dans le Coran est Marie qui reste vierge (S. 21, 89-91), Joseph n'étant que son protecteur (S. 3, 44). Dans le Coran, la femme vivant sa sexualité perd donc son identité. Cela est confirmé par ailleurs, puisque les seuls hommes contemporains de Mohamed désignés par le Coran sont deux hommes mariés dont les épouses voient leur nom omis. Abū Lahab (S. 111, 1), l'oncle de Mohamed qui l'a chassé de la Mecque, est désigné par son nom, alors que son épouse qui fait pourtant l'objet de trois versets rancuniers, n'est pas nommée (S. 111, 2-5). Second cas, le fils adoptif de Mohamed, Zaïd (S. 33, 37), n'est nommé que pour se voir enjoindre de répudier sa femme pour permettre à Mohamed de l'épouser. Celle-ci a pourtant un rôle important, puisqu'elle séduit Mohamed par une unique apparition peu vêtue. Il semble donc que l'auteur du Coran souffre de quelques difficultés à donner une identité propre aux femmes mariées.

Dans la récitation de Yathrib, la Kaaba devient ensuite la plus ancienne Maison : « La première maison... c'est bien celle de Bakka, bénie pour la guidée des mondes. » (S 3, 96). La Tradition musulmane ira même jusqu'à puiser dans ce verset la conviction que la Kaaba a été fondée par Adam. Mais dans le texte coranique, il y a une ambiguïté, puisque le Coran ne parle pas de la « Kaaba » mais de la « Bakka ». Les musulmans font donc de la Bakka l'esplanade où fut construite la Kaaba à la Mecque. À partir de ce verset, la Tradition musulmane va extrapoler pour faire entrer la Bible dans ses vues. Toujours préoccupée de découvrir dans la Bible, une annonce prophétique de la venue de l'islam, la Tradition musulmane surinterprétera la Bible. Le Psaume 84 de la Bible a été rédigé entre les Xe et IVe siècles avant JC. Le mot « baca » s'y trouve effectivement. Les musulmans y voient la confirmation de l'existence de la Bakka de la Mecque à cette même époque. En fait, le Psaume 84 raconte l'arrivée des pèlerins à Sion, autre nom de Jérusalem (verset 8). Au verset 7, le nom de « baca » est donné à la vallée qui précède Jérusalem. Baca signifie en hébreu un « baumier » ou un « micocoulier », un arbre donc. Le « val du baumier » (Ps 84, 7) est le nom la dernière étape des pèlerins arrivant à Jérusalem par la porte de Jaffa... et non celui de l'esplanade de la Mecque qui sera créée 1000 ans plus tard et 1000 km plus au sud. L'hébreu et l'arabe sont deux langues sémitiques de racines communes. On ne peut donc pas conclure d'une ressemblance de sonorité, une similitude de localisation géographique. Ce serait comme confondre Aix la Chapelle et Aix en Provence, ou Vienne capitale de l'Autriche et Vienne dans le département de l'Isère en France. Le psaume 84 est formel, le pèlerinage qu'il évoque est celui de Sion, soit celui de Jérusalem, et ne peut en aucun cas être celui de la Mecque.

En effet il n'existe aucune preuve archéologique de l’existence de la Mecque à l’époque supposée d’Abraham, soit 2000 ans avant JC. La plus ancienne mention de la Mecque date de la carte de Ptolémée en 150. L’Arabie Saoudite n'a jamais pris le risque de dater le sous-sol de la Mecque. Pour quelques centaines d’euros, les poteries du sous sol le plus profond peuvent être datées par électroluminescence ou les débris organiques par radio carbone. Si les Saoudiens avaient pu apporter la preuve de l’ancienneté de la Mecque, nul doute que la terre entière en aurait été informée … Et aucun musulman n'aurait trouvé ces fouilles illégales (haram).

Le silence des saoudiens est très parlant et sert en lui même de preuve : la Mecque est beaucoup trop récente pour avoir été contemporaine d'Abraham …

*: Le Coran décrypté, *1 : p 368-369 / *2 : p. 322 ; Jacqueline Chabbi, Fayard, 2008.

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La Kaaba au sein de la Bakka à la Mecque.

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Pierresuzanne

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:51

CHAPITRE 12 : MOHAMED À MÉDINE.
De 622 à 632.


12. 1. Le 16 juillet 622, bannissement de Mohamed de la Mecque, l'Hégire.
12. 2. Janvier 623, le raid de Nakhla et premières conversions.
12. 3. Et Mohamed rencontre les juifs de Yathrib.
12. 4. La bataille de Badr en 623 et ses conséquences théologiques.
12. 5. Dès 623, commence l'élimination des opposants.
12. 6. Abraham et ses épouses anonymes ; Abraham et la Kaaba.

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12. 7. La Charte de Yathrib ou comment les chefs de tribu défendent leur légitimité en se disant inspirés par Dieu.
12. 8. Le jeûne du Ramadan ou comment les incohérences du Coran se résolvent par la soumission.
12. 9. En 624 : La défaite de 'Uhud devant Yathrib.
12. 10. Quelle est la place réelle de Gabriel/Djibril dans le Coran ?
12. 11. La vie conjugale de Mohamed à Yathrib.

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12. 12. Droits et devoirs des femmes : les archaïsmes de l'Arabie se trouvent divinisés par le Coran.
12. 13. Sociologie musulmane : apartheid sexuel et emboîtement des infériorités.
12. 14. L'esclavage, entre morale et perversion.
12. 15. Règles morales à Yathrib : évolution vers une législation.
12. 16. Rites, rituels et tabous ou comment des obligations obsessionnelles se voient sanctuarisées dans le Coran.
12. 17. Ébauches de législation.

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12. 18. En 626, an 5 de l'Hégire, la bataille du fossé (Al-Khandaq).
12. 19. En 627, la deuxième tribu juive, celle des Nadir, est chassée.
12. 20. En 627, troisième tribu juive de Médine est exterminée, puis les tribus juives du Hedjāz sont attaquées.
12. 21. Relations tribales de Mohamed à Yathrib/Médine : désir d’autocratie et carence d'autorité.
12. 22. En 627, négociations pour le retour de Mohamed à la Mecque : la trêve d'Al-Hudaybiyya.

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12. 23. En 630, conquête de la Mecque : la bataille de Hunayn.
12. 24. Mohamed, maître de la Mecque : les Quraysh ont-ils vraiment changé ?
12. 25. Mohamed gère sa théocratie : obéissance absolue, pouvoir judiciaire et gestion financière.
12. 26. La dhimma ou comment juifs et chrétiens vont être intégrés dans la théocratie de Mohamed.
12. 27. Le pèlerinage de l'Adieu en 632 : le corpus coranique est déjà achevé.
12 . 28. Au terme de la vie de Mohamed, combien de mystères encore inexpliqués !

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CHAPITRE 12 (SUITE): MOHAMED À MÉDINE.

De 622 à 632.


12. 7. La Charte de Yathrib ou comment les chefs de tribu défendent leur légitimité en se disant inspirés par Dieu.
La Charte de Yathrib a probablement été élaborée entre 622 et 627. Elle définit les alliances de Mohamed et ses liens de solidarité avec les tribus de Yathrib. Des accords antérieurs existaient entre les tribus arabes et juives de Yathrib, ceux-ci vont être prorogés. En effet, dans la charte de Yathrib, les tribus juives se voient désignées par le nom de la tribu arabe avec lesquelles elles sont déjà associées. La Charte existe en deux versions : celle d'Abū-'Ubayd, mort en 838 et celle d'Ibn Hichām, mort en 830. Le vocabulaire et la syntaxe arabe de ces versions de la Charte sont archaïques, ce qui fait penser à une origine antérieure au IXe siècle. Yathrib y est nommée trois fois : elle est instituée « enceinte sacrée ».

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Les deux villes saintes : la Mecque et Médine (manuscrit ottoman, XIXe siècle ; BnF).

Les affidés de la Charte se doivent de la protéger contre toute attaque des Quraysh non affidés. La Mecque n'y est jamais citée et le nom de Médine n'y apparaît pas non plus. Médine est le surnom tardif de Yathrib. Le changement de dénomination n'avait manifestement pas encore eu lieu quand la charte a été rédigée et signée. En version écrite, la Charte de Yathrib est donc un texte plus ancien que le Coran, puisque le Coran ne parle, lui, jamais de Yathrib mais toujours de Médine.

Les adhérents de la charte sont les « mu'min », « ceux qui se portent garants les uns des autres et assurent leur protection mutuelle », il ne s'agit nullement des « musulmans » - le terme n'existe pas encore - ni même de « croyants ». Se porter garant les uns des autres n'implique aucune croyance spirituelle. Il s'agit simplement de loyauté et de solidarité interhumaine. Le concept de « mu'min » s'apparente davantage à celui d'alliés que de croyants (*1). Le traduire par le terme de « monothéiste » comme le fait l'article de Wikipedia sur la Charte de Yathrib est un contresens et un abus de langage qui est probablement nécessaire aux musulmans du XXIe siècle pour restituer un islam des origines qui leur convienne. La Charte est totalement dépourvue d'éléments de foi et de spiritualité : il s'agit d'un traité d'alliances politiques et militaires.

Les signataires de la Charte renoncent en effet à s'attaquer mutuellement et doivent s'entre-aider pour payer la rançon de leurs prisonniers.
Huit tribus sont alliées sur une base d’égalité et de solidarité dans le combat : Banū 'Awf, Banū Sa'ida, Banū l-Hārith, Banū l-Aws... Les alliés pratiquent le « qitāl », « le combat sur le chemin d'Allāh » et combattent selon le verbe « jihād ». « Un allié n’établit pas la paix séparément d'un autre allié lors d'un combat sur le chemin de Dieu, si ce n'est sur une base d'égalité et d'équité entre eux. Les alliés exercent la vengeance les uns au profit des autres lorsque l'un d'entre eux a versé son sang sur le chemin de Dieu. »

On y trouve déjà des clauses qui posent les bases d'une prédominance des alliés de Mohamed sur toute autre personne : un allié ne peut pas soutenir un non allié - même s'il est de sa famille - si cela doit nuire à un membre de la Charte. De plus, les arabes de la parenté de Mohamed, les Quraysh, sont supérieurs aux affiliés qui ne lui sont pas apparentés : Abū-l-Zubayr appelle ces non-apparentés les mawlā et ils doivent être associés à un adhérent de la parenté dans une relation qui ressemble à du clientélisme (*2). Aucune guerre ne peut être commencée sans l'aval de Mohamed. Mohamed est l'arbitre de la coalition : « Ceci est un écrit (Kitāb) de Mohamed le prophète... Chaque fois que survient un différend entre vous sur quoi que ce soit, l'affaire sera soumise à Dieu et à Mohamed ». Lors de la dynastie omeyyade, la supériorité de la famille de Mohamed sur les autres croyants et celle de arabes sur les non arabes seront officielles et  deviendront finalement la cause de la révolution abbasside.

Les ennemis sont nommés Kāfir. Il s'agit de réfractaires politiques beaucoup plus que d'incroyants au sens religieux. Il désigne simplement quelqu'un qui n'a pas signé la Charte. Les Kāfir sont exclus des règles de la vengeance. « Un allié ne tue pas un autre allié pour [venger] un réfractaire (Kāfir) et il n'assiste pas un réfractaire contre un allié ».

Plusieurs clans juifs sont inclus dans la confédération. Ils forment « l'oumma » avec les alliés arabes sans perdre leur foi juive. Le terme « oumma » signifie la bonne direction suivie par une tribu. Il n'a pas de contenu religieux mais exprime l'idée d'une direction politique. La confédération de tribus ralliées à Mohamed constitue donc une oumma, comme les djinns entre eux (S. 7. 38), comme les païens de la Mecque (S 43, 22-23) ou comme les tribus de la Djāhiliyya (S. 29, 18 et S. 16, 63). « Les juifs constituent une confédération, une communauté (oumma), avec les alliés. Aux juifs leur loi religieuse et aux alliés leur loi religieuse. ». Les juifs, comme les alliés arabes, sont engagés par des liens de solidarité militaire et financière pour la conduite de la guerre et le rachat de prisonniers : « Ceux des juifs qui nous suivent ont droit à l'assistance en parité : on ne les lèse pas et on ne s'allie pas contre eux.... Les juifs supportent les dépenses avec les alliés aussi longtemps que ceux-ci font la guerre. ». La fidélité des juifs est garantie par la mise en jeu de leur propre vie : celui « qui viole les clauses n'attire la mort que sur lui et sur les gens de sa maison. »

C'est sous la surveillance d'Allah qu'est signée la Charte de Yathrib, c'est la seule concession spirituelle de la charte. « Allah est le meilleur garant de ceci ». La Charte de Yathrib n'est donc pas un texte religieux, c'est une alliance tribale réglant les droits et devoirs des affidés signataires, réunies au sein de l'oumma. L’oumma des origines de l'islam n'est donc pas une communauté de croyants, puisque plusieurs religions coexistent en son sein. Il s'agit d'une organisation politique à but militaire. D'ailleurs, le terme de « musulmans », de « soumis » n'est pas employé au VIIe siècle. Dans les textes du VIIe siècle, les fidèles de Mohamed sont des « combattants au nom et Dieu » et jamais des « soumis ». S'ils se soumettent à quelqu'un, c'est à Mohamed et non à Allah (S. 4, 80), et ils le Font dans le but de s'approprier du butin et des terres (S. 14, 13). Dans la Charte de Yathrib, les membres de l'alliance sont nommées les affidés, les « mu'min ».

On voit à quel point le désir des fondamentalistes du XXIe siècle de revenir à l'islam des origines est un fantasme, et que leur conception de l’oumma idéale est à 1000 lieues de l'oumma historique de Mohamed. En effet, bien d'avantage qu'une religion, l'islam des origines – organisé socialement dans l'oumma – est une alliance tribale militaire gouvernée par un homme qui se dit envoyé de Dieu.

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Mohamed à Yathrib entouré de ses fidèles (manuscrit persan).

C'est de nos jours ignoré, mais la pratique du prophétisme associée à une revendication politique et militaire était usuelle en Arabie au VIIe siècle. La Tradition musulmane a gardé le souvenir de plusieurs autres prophètes-poètes, contemporains de Mohamed qui ont instrumentalisé leur inspiration divine pour exercer un pouvoir régalien – politique et militaire – sur leur tribu :
- Au Yémen, 'Ayhala al-'Ansī est surnommé « al-Aswad », « Le Noir » (*3). Au début du VIIe siècle, le Yémen est écartelé entre les empires perse et byzantin qui essaient tour à tour de le dominer. L'empire perse finit par se retirer sous la pression byzantine. Al-Aswad devient alors le prophète-dirigeant politique du peuple yéménite (Tabarī, Tārīkh, I, 1796-1797). Il essaie de restaurer l'autonomie de son peuple. La Tradition musulmane raconte que Mohamed le voit en songe, au moment où il veut justifier l'envoi de troupes conquérantes vers le Yémen. Mohamed veut avancer ses pions au Yémen et il soutient donc les perses contre al-Aswad. Al-Aswad essaie de résister aux tentatives d'expansion de Mohamed. Il déclare à ses envoyés : « Vous qui venez d'ailleurs contre nous, cessez de nous frustrer de nos terres et livrez nous ce que vous avez collecté. C'est à nous plutôt que cela revient de droit. Quant à vous, restez là où vous êtes ! » (Tabarī, Tārīkh, I, 1853-1854) (*3). Al-Aswad le Noir est assassiné par les émissaires de Mohamed avec l'aide des Perses et les Yéménites sont soumis.

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Vue du Yémen.

- Dans le Nedjd, un prophète-dirigeant est nommé Tulayha al-Asadī. Jāhiz rapporte que « Tulayha était un orateur, un poète, un expert en prose rimée et un généalogiste » (*3) (dans Bayan, I, 359 ; Wāqidi, Ridda, p. 87-88). Une révélation prophétique en vers, servant de justification au pouvoir politique était bien une tradition dans l'Arabie du VIIe siècle.

- Il existe même une femme prophète, nommée Sajāh, qui est à la tête des Tamīm qui fédèrent le centre de l'Arabie et les Taghlib au  nord-est (EI, VII, 664a-665a, Musaylima ; I749b-750 a, al-Aswad ; X, 648a-649a, Tulayha ; VIII, 759 b, 760 a, Sajāh ). Mohamed fera une alliance politique avec elle (*3).

- En Arabie centrale dans la Yamāma, Musaylim Ibn Habīb prophétise du vivant de Mohamed (*3). Comme lui, il dirige un mouvement politique. Il fédère la tribu des Banū Hanifā qui assure la protection des caravanes entre l'Arabie et l'Irak.

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Caravane au repos (Maqamat of al-Hariri, XIIIe siècle, Syrie ; BnF).

Musaylim Ibn Habīb est le prophète d'un Dieu unique, « al-Rahān », le Très Miséricordieux (Jeffey, Foreign (1938), p. 140-141). En fait, un culte à un dieu unique (Rahmana) a laissé des traces dans des gravures au Yémen à partir du IVe siècle, sans que cette foi ne soit ni juive, ni chrétienne. Il semble donc qu'il ait existé un monothéisme arabe autonome, revendiquant sa foi au Miséricordieux. Comme Mohamed, Musaylim recevait des révélations en prose rimée et croyait en la Résurrection et en un Jugement dernier. Il prescrivait le jeûne et l'ascèse, ainsi que les prières quotidiennes. En 633, lors du combat d'al-'Aqrabā' à la frontière du Yamāma, il est tué en luttant contre les troupes d'Abū-Bakr, dirigées par Khālid, fils d'al'Walīd. Le nom de Dieu dans la révélation par Musaylim, « al-Rahān », le miséricordieux, terme commun à bien des religions de l’Arabie – juive, chrétienne ou païenne -  est repris tel quel dans le Coran.

On le voit, au début du VIIe siècle, la péninsule arabique était riche en prophètes-poètes-dirigeants politiques- chefs militaires. La Tradition musulmane affirme logiquement que ce sont de faux prophètes. Mais la seule particularité de Mohamed - au milieu de tant d'autres prophètes qui lui sont semblables - est d'avoir triomphé d'eux militairement ou politiquement.

Mohamed est un parmi les siens, dans la même filiation spirituelle que les chefs Goths qui s'imaginaient descendants des Ases - ces dieux nordiques censés les inspirer - et qui avaient trouvé un dernier moyen d'expression dans l'arianisme.

* : Les fondations de l'islam, entre écriture et histoire : *1 : p 93 / *2 : p. 91-99 / *3 : p. 121-126, Prémare, Points, 2009.

12. 8. Le jeûne du Ramadan ou comment les incohérences du Coran se résolvent par la soumission.

La très longue sourate 2, réputée avoir été récitée au début de l'Hégire, traite de multiples sujets. C'est elle qui prescrit le jeûne du Ramadan pour commémorer les débuts de la révélation mystique de Mohamed (S. 2, 185). « Ho les croyants, on vous a prescrit le jeûne... pendant des jours comptés. Quiconque d'entre vous est malade ou en voyage, alors qu'il compte d'autres jours. Même pour ceux qui pourraient le supporter, il y a une rançon : la nourriture d'un pauvre... mais il est mieux pour vous de jeûner, si vous saviez ! » (S. 2, 183-184). Voilà préconisé le jeûne d'un mois par an. Est-ce l'influence du manichéisme ? Ou bien celle de Musaylim Ibn Habīb, le contemporain de Mohamed, prophète en Arabie centrale, qui préconisait lui-aussi le jeûne annuel ? La Tradition musulmane ne peut naturellement pas nous donner la réponse. Selon elle, tous les prophètes d'Arabie qui contrôlaient leur tribu grâce à leur révélation divine sont de faux prophètes (sauf Mohamed naturellement).

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Procession de la fin du Ramadan (Maqamat of al-Hariri, XIIIe siècle, Syrie ; BnF).

Selon la prescription coranique, il ne s'agit pas de jeûner comme les chrétiens qui mangent des aliments moins savoureux pour faire pénitence. Il s'agit, pour le Coran, de se priver de boire, de manger et d'avoir des relations sexuelles pendant le jour, tout en consommant d'excellents aliments dès que la nuit est noire : « Mangez et buvez jusqu'à ce que se distingue, pour vous, du fait de l'aube, le fil blanc du fil noir. Puis, accomplissez le jeûne jusqu'à la nuit. » (S. 2, 187).

Choisir le moment où sont distincts deux fils pour établir la limite du jour et de la nuit n'est pas une innovation coranique ! Les juifs de Yathrib, comme tous les juifs, récitent le « Chemaʿ Yisrā'ël », « Écoute Israël, Éternel est ton Dieu, Éternel est un » (Dt 6, 4) au crépuscule, au moment où, selon les Talmud de Jérusalem et de Babylone, « on distingue le blanc du bleu » sur les franges du châle de prière juive. Les juifs de Yathrib viennent de jouer un tour étrange à Mohamed, et bien involontaire celui-là : le Coran ne sera plus jamais un livre universel !
En effet, quand on va vers le nord, la nuit s'installe lentement après la disparition du soleil. Pour que la nuit soit noire et  que le « fil blanc du fils noir » ne soit plus distincts, il faut attendre plus d'une heure supplémentaire le soir. Quant au matin, le jour se lève nettement avant le soleil. Plus on va vers le nord, plus ce phénomène s'accentue. À l'approche du cercle polaire nord, la prescription du jeûne du Ramadan ne peut pas être respectée puisqu'elle serait mortelle en juin et en juillet. Au solstice d'été, que ce soit en Islande ou à Saint-Pétersbourg, la nuit reste lumineuse, comme un crépuscule réuni à l'aurore. En fait, le Ramadan est une consigne pour ceux qui vivent près de l'équateur, là où le jour tombe rapidement et où la nuit a une durée égale au jour. Ce décalage de la durée du jour selon la latitude est dû à l'inclinaison de l'axe de rotation de la terre. Quand le Coran a été écrit, ce phénomène était connu depuis des siècles des grecs les plus instruits, mais il était à l'évidence ignoré par l'auteur du Coran.
Et pourtant le Coran affirme son universalité (S. 81, 27 ; S. 7, 158). Il est pour les hommes de tous les temps et de tous les lieux : « Béni soit Celui qui a fait descendre le Discernement sur Son esclave afin qu'il soit aux mondes un avertisseur. » (S. 25, 1). Soit le message de Mohamed est pour les arabes et n'a pas de revendication universelle, la consigne du jeûne est alors applicable. Soit le Coran se veut réellement universel, et ses consignes deviennent alors inapplicables. Néanmoins, face à une telle ignorance d'un mécanisme géographique de base, il devient légitime de conclure que Dieu ne peut être ni l'auteur, ni l'inspirateur du Coran.

Contrairement à la Tradition musulmane qui place le Ramadan préislamique en mars, ce neuvième mois du calendrier lunaire se situait au cœur de l'été, selon la racine « RMD » qui évoque la chaleur brûlante*. L'année commençait en automne. Au moment de la récitation des consignes sur le jeûne du Ramadan, l'année arabe faisait bien en moyenne 365 jours. En effet, après 3 années de 12 mois lunaires (soit 354 jours environ), un mois supplémentaire était intercalé pour rattraper le décalage sur l'année terrestre réelle de 365 jours.
Le Coran va modifier ce calendrier. Dans un premier temps, il reprend l'usage des mois lunaires pour compter les années : « C’est Lui qui a fait du soleil une clarté, et de la lune une lumière, et Il a déterminé pour elle des mansions afin que vous sachiez le nombre des années. » (S. 10, 5).
La lune sert à établir le calendrier liturgique : « Ils t'interrogent sur les nouvelles lunes. - Dis : « Elles servent au comput du temps, pour les gens, et aussi pour le grand pèlerinage. Et ce n’est pas charité que d’entrer chez vous par l’arrière des maisons. Mais c’est charité, oui, que de se comporter en pitié. Entrez donc dans les maisons par leurs portes ; et redoutez Dieu. » » (S. 2, 189). Les participants au pèlerinage païen promettaient de ne pas revenir à leur domicile avant d'avoir accompli l'ensemble des rituels prévus. S'ils avaient néanmoins besoin de retourner chez eux, ils passaient par derrière, le Coran supprime cette hypocrisie et appelle à la sincérité : Allah voit tout.

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Astrologie : les mansions de la Lune (manuscrit ottoman, XVIe siècle ; BnF).

Mais le moment où est intercalé le mois supplémentaire reste à la discrétion d'une tribu de pasteurs indépendants des citadins de la Mecque.
Même à la fin de sa vie, après qu'il a pris de contrôle de la Mecque, Mohamed n'a aucune influence sur ces tribus de pasteurs nomades. Pour reprendre le contrôle du calendrier, le Coran décide arbitrairement de supprimer le mois supplémentaire, ce qui prive les tribus pasteurs indépendantes de leur privilège*. Allah retrouve ainsi le contrôle du temps : « Oui, le nombre des mois, auprès de Dieu a été de douze mois, dans la prescription de Dieu, au jour où Il créa les cieux et la Terre... Oui, le mois intercalaire n’est qu’un surcroît de mécréance : par là sont égarés ceux qui mécroient : une année, ils le font profane, et une année, ils le font sacré, afin d’emboîter le pas au nombre des mois que Dieu a faits sacrés. Ainsi font-ils profane ce que Dieu a fait sacrés. » (S. 9, 36-37). Ainsi, en 631, au moment de la récitation de la sourate 9, le mois intercalaire est-il supprimé, comme si la durée d'une année terrestre était sans lien avec la réalité du mouvement de la terre autour du soleil. Le désir d'autocratie de l'auteur du Coran vient de doter les civilisations musulmanes d'un calendrier impossible à utiliser dans la vie civile. Le calendrier musulman devient si incommode que, même en sa période de gloire, l'empire ottoman conservera les calendriers pré-islamique, byzantin, perse et égyptien. Mais la conséquence immédiate de ce choix arbitraire est que chaque année coranique est désormais trop courte de 11 jours. Tous les 30 ans, le Ramadan tombe au solstice d'été et devient inapplicable car potentiellement mortel près du cercle polaire nord. Le jeûne du Ramadan cesse ainsi d'être une consigne universelle, mais il semble bien que Mohamed ne s'en soit pas aperçu.

Hélas pour la cohérence du Coran et la foi en son inspiration divine, un verset contemporain de la révélation sur le jeûne du Ramadan affirme : « Ne méditeront-ils donc pas le Coran ? S’il avait été d’un autre que Dieu, ils y auraient trouvé maintes contradictions. » (S. 4, 82).
Étrange verset, puisque, dès la Mecque, les contradictions internes du Coran ont été relevées. Ne s'agirait-il pas d'une pétition de principe ? En effet, au même moment de la révélation, le Coran nous donne un autre exemple de ses contractions internes. Pour expliquer que Mohamed ne fait pas de miracle, alors que le Christ en a fait, le Coran proclame : « Parmi les messagers, Nous avons élevé certains au-dessus des autres. » (S. 2, 253). Voilà donc le Christ supérieur à Mohamed en raison de sa capacité à faire des miracles. Mais, plus loin, toujours sourate 2, voilà tous les messagers à égalité : « Nous ne faisons pas de différence entre aucun de Ses messagers. » (S. 2, 285). La soumission fera la synthèse dans la sourate 3, qui est récitée peu de temps après la sourate 2 : « Nous ne faisons pas de différence entre aucun de Ses messagers ; et c'est à Lui que nous sommes Soumis. Et quiconque désire une religion autre que la Soumission, ce ne sera point reçu ! » (S. 3, 84-85).
Une fois de plus les incohérences internes du Coran sont résolues par l'appel à la soumission. Déclarer le Coran parfait et sans erreur, malgré ses contradictions internes, est l'acte de foi par lequel le croyant démontre sa soumission. Que les contradictions du Coran soient explicites dès sa récitation où, au moment où l'islam, quittant ses terres d'origines, touche les pays septentrionaux où le Ramadan est une pratique mortelle, ne fait pas grande différence. La soumission, vertu suprême, doit faire oublier les incohérences du Coran, proclamé par ailleurs vérité incréée.

Le jeûne du Ramadan est donc un défi à la raison, et pas uniquement au sujet de l'interdiction de s'hydrater pendant les longues journées caniculaires d'été.

* : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, p. 76, Jacqueline Chabbi, Fayard. 2008.


12. 9. En 624 : La défaite de 'Uhud devant Yathrib.

Les habitants de la Mecque veulent se venger du raid de Badr. Ils mènent une opération de représailles. La rencontre a lieu devant Yathrib sur le mont 'Uhud. Une charge de cavalerie dirigée hardiment Khālid ibn al-Walīd défait les troupes de Mohamed : la défaite est sanglante et tragique. L'oncle de Mohamed, Hamza, le chef de l'expédition de Nakhla, est tué. Mohamed lui-même est blessé : « Si une blessure vous atteint, pareille blessure a aussi atteint les autres. Ainsi faisons-Nous, chez les hommes, alterner ces journées là, afin que Dieu sache ceux qui ont cru. » (S. 3, 140).

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La Bataille de l' 'Uhud.

La sourate 3, récitée au moment de la défaite du mont 'Uhud, va être une longue justification de cette défaite incompréhensible.
En effet, suite à la bataille de Badr, Mohamed avait fondé les bases théologiques d'un Dieu des combats : Allah montrerait son agrément en donnant la victoire. La défaite de l' 'Uhud met en échec cette construction théologique.
Non seulement Allah n'avait fait aucun miracle pour confirmer l'inspiration divine de Mohamed, mais maintenant, Il lui refuse même la victoire militaire. La Sourate 3 des versets 138 à 174 est le reflet du désarroi psychologique de Mohamed. Elle accumule des justifications laborieuses répétées sans ordre, qui juxtaposent les contradictions et les vérités antinomiques :
- Allah donne la victoire (S. 3, 147 ; S. 3, 148 ; S. 3, 150 ; S. 3, 160). Mais Allah donne aussi la défaite pour éprouver les croyants (S. 3, 140 ; S. 3, 142 ; S. 3, 146 ; S. 3, 152 (fin)).

-Allah  punit ceux qui fuient (S. 3, 149 ; S. 3, 151 ; S. 3, 153). Mais Allah pardonne aussi à ceux qui fuient (S. 3, 155).

Ces affirmations coraniques sonnent étrangement si l'on se souvient de ce verset : « Ne méditeront-ils donc pas le Coran ? S’il avait été d’un autre que Dieu, ils y auraient trouvé maintes contradictions. » (S. 4, 82).

- Les messagers peuvent être blessés ou tués. Ils doivent endurer (S. 3, 140 ; S. 3, 144). Il faut bien justifier la blessure de Mohamed. « Mohamed n'est qu'un messager, des messagers avant lui ont passé ; - s'il mourait, donc, ou s'il était tué, retourneriez-vous sur vos talons ? … Il n'est personne de mourir, que par la permission de Dieu d'une prescription déterminée » (S. 3, 144, 145). Les croyants doivent endurer jusqu'à la mort : ils auront la vie éternelle : « Si vous êtes tués dans le sentier de Dieu, ou si vous mourrez, oui, pardon de la part de Dieu et miséricorde » (S. 3, 157).
Finalement, la seule preuve de l'action de Dieu se trouve dans l'au-delà, le Dieu des combats est inefficace dans cette vie. Comment croire encore en Lui ? Mohamed n'a réellement plus aucun signe du soutien de son Dieu.

Néanmoins, même si le Dieu des combats n'existe plus, il est essentiel que ses troupes restent courageuses au combat. Mohamed précise qu'Allah donne la mort quand Il veut. Il ne sert à rien de fuir : si Allah veut qu'on meure, on mourra (S. 3, 145 ; S. 3, 154 ; S. 3, 156 ; S. 3, 158). Voilà maintenant qu'Allah, le Dieu des combats, s'emploie à tuer les alliés de Mohamed. Il ne reste plus rien de Sa divinité, de Son Dieu des combats, Allah Lui-même se déjuge.

Tout et son contraire sont également vrais ! Mohamed est perdu.
La sourate 3 est la trace du désarroi psychologique de Mohamed. Son désarroi est théologique et peut-être aussi politique. Accueilli comme un réfugié à Yathrib, son coup de main de Badr a conduit les habitants de la Mecque sous les murs de Yathrib... et Mohamed a été vaincu.

Mohamed essaie tout de même de rejeter la responsabilité de l’échec sur les siens. Allah ne saurait faillir, l'échec est de la faute des défenseurs indisciplinés : « Très certainement Dieu a avéré pour vous Sa promesse, quand par Sa permission vous les anéantissiez. Jusqu'au moment où vous avez fléchi, et où vous vous êtes disputés dans le commandement. Et vous avez désobéi après qu'Il vous eut montré l'objet de vos désirs. » (S. 3, 152).

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La bataille de l''Uhud (Mustafa  al-Darir, XVIe siècle).

Dans sa retranscription de la bataille d'Uhud, la Tradition musulmane oublie les hésitations théologiques et l'évidente détresse psychologique de Mohamed. C'est le verset désignant des boucs émissaires qui est développé par la Tradition. Elle disserte longuement sur la bataille dans une glose pleine de mouvements de troupes et d'actions chevaleresques de son Prophète. Les alliés de Mohamed auraient refusé son commandement en cours de bataille. Seuls l'héroïsme et la foi du Prophète les auraient sauvés. (Salih al-Bukhārī, n° 1032).

Une fois de plus, il est intéressant d'analyser les différences qui existent entre le Coran et la Tradition. On ne peut s'empêcher de remarquer que l'interprétation de la Tradition musulmane tend à restituer la cohérence de la foi musulmane en oubliant les faiblesses de Mohamed et ses contradictions théologiques.

12. 10. Quelle est la place réelle de Gabriel/Djibril dans le Coran ?

La très longue sourate 2 aborde de multiples sujets. Et nous allons enfin voir l'ange Gabriel faire son apparition dans la récitation de Mohamed ! Cela fait maintenant plus de 12 ans qu'il se dit inspiré par son « rabb » et jamais il n'a fait la moindre allusion à Gabriel. En connaissait-il seulement l'existence ? Savait-il son rôle dans le judaïsme et le christianisme ? En effet, dans le judaïsme, Gabriel est l'ange qui explique à Daniel sa vision du Royaume des cieux où trône le Fils de l'homme : « Gabriel, donne-lui intelligence de cette vision » (Daniel 8, 16). Pour les chrétiens, il est celui qui annonce à Marie qu'elle va donner naissance à Jésus par l'action de l'Esprit Saint (Luc 1, 11-19). Mohamed va maintenant introduire Gabriel dans sa prédication et lui donner une place bien curieuse.

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Gabriel donne sa révélation à Mohamed
(Tabriz, XIVe siècle ; Edinburgh University Library).
À ceux qui pourraient être surpris de voir représenter Mohamed, il faut rappeler que, jusqu'au XVIe siècle, le Prophète
de l'islam a été dessiné sans réticence par les musulmans. Pour ne pas créer d'inutiles polémiques,
seules ses représentations réalisées par des musulmans ont été retenues ici.

Le nom de Gabriel n'est cité que trois fois dans le Coran (Sourate 2, 97 ; S. 2, 98 et S. 66, 4). En particulier, Gabriel apparaît dans deux versets qui se suivent dans la Sourate 2, aux versets 97 et 98. Seuls ces versets ambigus ont permis à la Tradition musulmane de créditer Gabriel d’un rôle unique de transmetteur du Coran.
En fait, dans la Sourate 2, verset 97, Gabriel est nommé dans un morceau de phrase qui s’interrompt. La suite reprend par un « il » que la Tradition a appliqué à Gabriel. Mais la phrase tronquée précédente laisse le doute sur la personne représentée par ce « il ». La suite du verset 97 laisse même facilement supposer que le « il » représente le Coran - qui descend sur son cœur - et non pas l'ange Gabriel.
Voilà ce que dit le Coran :
« Dis : celui qui est l’ennemi de Gabriel…
Car il l’a fait descendre avec la permission d’Allah, sur ton cœur, pour confirmer la vérité de ce qu’il avait entre les mains et pour apporter la bonne nouvelle [bushrā] et la bonne direction [hudā] aux croyants.
» (S. 2, 97)
« quiconque est ennemi de Dieu et de Ses anges et de Ses messagers et de Gabriel et de Michel, alors oui, Dieu est l'ennemi des mécréants. » (S. 2, 98).
« Nous [la divinité] avons fait descendre vers toi des signes évidents ; seuls les pervers restent incrédules à leur propos. » (S. 2. 99 ; trad. J. Chabbi).

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Mohamed siège, pendant que l'ange Gabriel se tient derrière lui en fidèle conseiller (Miniature extraite de la version illustrée
de la chronique Zubdet el-Tevarikh, réalisée au XVIe siècle pour le sultan ottoman Murad III ; Istanbul).

Le verset  98 mentionne la divinité et les anges. Gabriel et Michel sont cités au même rang et après les anges et les messagers. Toute cette cour céleste a pour ennemis les incrédules. Le début du verset 97 parle également des ennemis de Gabriel, mais il s'agit d'un morceau de phrase inachevée qui n'a ni verbe ni complément d'objet direct. Ne serait-il pas possible que le début du verset 97 parlant des ennemis de Gabriel, ait été déplacé ? Il est en effet hors sujet de parler des ennemis de Gabriel à ce moment où l'on parle des conditions de la révélation. En revanche, c'est le sujet des ennemis de Dieu qui est traité verset 98. Le début du verset 97, qui est une phrase tronquée, serait alors un morceau de verset déplacé, recopié au mauvais endroit et dont la place aurait dû être au début du verset 98. Cette hypothèse est celle de J. Chabbi*.

La troisième et dernière fois que l'Ange Gabriel est cité dans le Coran est pleine de cocasserie. Il s'agit d'une querelle de harem dont Mohamed a bien eu de la peine à retrouver la maîtrise, au point qu'il a dû appeler toute la cour céleste à la rescousse : « Si toutes deux (les deux épouses de Mohamed qui se querellent), vous vous repentez à Dieu, c'est que vos cœurs certes se seront penchés ; et si vous vous soutenez l'une l'autre contre le Prophète, alors son allié-protecteur [mawlā], c'est Dieu ; et aussi Gabriel et le « Juste » des croyants, et après cela les anges seront son soutien. » (S. 66, 4 ; trad. J. Chabbi)*. Gabriel, en arbitre des querelles domestiques et en croque-mitaine pour épouses récalcitrantes ! On est bien loin du rôle sacré de transmetteur de la révélation.

Gabriel est donc nommé seulement trois fois dans le Coran. Une fois, il sert à menacer les épouses querelleuses de Mohamed (S. 66, 4); une autre, il sert de bras armé de Dieu contre les incroyants (Sourate 2, 98). La seule occurrence où il pourrait être transmetteur d’une révélation est une phrase tronquée, sans verbe, et détachée de sa fin (S. 2, 97).

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Gabriel révèle à Mohamed la VIIIe sourate (enluminure ottomane, XVIe siècle ; le Louvre).

En fait, ce n’est qu’au Xe siècle, dans l’empire abbasside, que la figure de Gabriel est devenu centrale dans la révélation musulmane. Mais rien dans le Coran ne dit qu'il ait transmis une révélation quelconque à Mohamed.

D'autant qu'un petit verset récité à la Mecque semble bien affirmer qu'aucun ange ne vit, ne se déplace ou n'agit sur terre : « Dis : « S'il y avait sur terre des anges qui marchent en tranquillité, Nous aurions certes fait descendre sur eux un ange comme messager. » - Dis : « Il suffit de Dieu comme témoin entre moi et vous. » (S. 17, 95-96). Selon ce verset, aucun ange n'est messager sur terre et il semble même que ce soit Allah qui occupe cette place entre Mohamed et les hommes.

De nos jours, les musulmans revendiquent avec fierté une religion sans intermédiaire. L'islam n'a effectivement jamais instauré de clergé. Il n'y a donc ni ange, ni messager, ni prêtre entre Dieu et les hommes.
Il semble bien qu'il n'y ait pas davantage eu d'intermédiaire entre Mohamed et Son Dieu.


* : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, p. 99-106, J. Chabbi, Fayard, 2008.

12. 11. La vie conjugale de Mohamed à Yathrib.

Quand il arrive à Yathrib, Mohamed est l'époux de Saouda depuis trois ans et il vient juste de consommer son mariage avec Aïcha qui a alors 9 ans. À Yathrib, Mohamed multiplie les unions : il a jusqu'à dix épouses, sans compter « les esclaves que sa main droite possède » (S. 33, 52). La Tradition a raconté cette vie conjugale de façon édulcorée, charmante et naturellement positive, mais le Coran lui-même s'en fait l'écho.

En 626, une mésaventure d'Aïcha sera l’occasion de versets providentiels (S. 24, 12-16). Ils sont récités pour sauver l'épouse préférée de Mohamed. La Tradition raconte qu'Aïcha avait été oubliée en arrière d'une caravane. Elle était si légère que, lorsqu’on hissa son palanquin, personne ne vit qu’elle l’avait quitté pour un besoin naturel.

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Caravane au repos ayant déposé ses palanquins
(Les
Makamat de Hariri, peintures exécutées par Yahyā-ibn-Mahmūd-al-Wāsitī, 1237 ; BnF).

Safwan ibn al-Mo’attal as-Solami la trouve et la raccompagne jusqu’à la caravane. Certains plaisantins brodent sur cette escapade à deux. Ali en profite pour suggérer au Prophète de se débarrasser d’Aïcha. Il semble bien qu'Ali, le cousin adopté comme un fils par Mohamed, n'ait pas trop apprécié Aïcha. Le Coran vient à bout des plaisantins par les versets de la sourate 24 : ils exigent le témoignage de quatre hommes pour prouver l'adultère d'une femme et menacent de 80 coups de fouets les faux témoins (S. 24, 4). Le couple convaincu d'adultère est, lui, « fouetté de cent coups de lanières. Et que nulle douceur ne vous prenne à son égard » (S. 24, 2). Néanmoins, l'antagonisme profond entre Ali et Aïcha se conclura en 656 par la bataille du chameau. Plus de 20 ans après la mort de Mohamed, ils partiront en guerre l'un contre l'autre.

À Yathrib, les deux premières épouses, Saouda et Aïcha, vivent chacune dans une pièce accolée au mur de la maison de Mohamed. Saouda est délaissée et passe un contrat avec Mohamed qui souhaite divorcer d’elle : « Je ne te demande pas de coucher avec moi. Je cède mon tour à Aïcha. Mais je veux être présente, le jour de la Résurrection, parmi tes épouses. » (Mouslim n° 1463). Elle a alors 69 ans et Aïcha une dizaine d'années.

Selon la Tradition, Hafsa, une veuve de 18 ans, la fille d'Omar, un de ses compagnons de la première heure, épouse à son tour Mohamed qui a 55 ans. Elle gardera des feuillets du Coran écrits sur le vif à partir desquels le Coran dit d’Othmān (579-656) sera élaboré.

Salamah est la belle veuve d’un soldat tué à la bataille d’Uhud. Elle refuse de se remarier. Devant le souhait de Mohamed de l'épouser, alors qu'elle a déjà refusé deux autres prétendants, elle objecte qu’elle est âgée, 40 ans, et jalouse. Mohamed lui aurait répondu : « Pour l’âge, je suis plus âgé que toi, et pour ta jalousie, Dieu se charge de l’anéantir. » (El Hākim : 4/16-17-6759). Allah a-t-Il réellement anéanti sa jalousie ? Elle prendra, en fait, le parti d'Ali  contre Aïcha, en 656, lors de la bataille du chameau.

Toujours selon la Tradition, Oum Habiba est fille d’un puissant chef de clan opposé à Mohamed. Elle épouse Mohamed et adhère à sa révélation. Elle contribue à réconcilier son père avec son mari.

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Construction de la première mosquée de Yathrib. En fait, la maison de Mohamed servait de lieu de prière,
donc de mosquée. Chacune de ses femmes disposait d'une pièce accolée à la pièce principale
(Istanbul, Turquie).

En 626, Mohamed, en visite chez son fils adoptif Zaïd, aperçoit son épouse, Zaynab bint Djahsh, peu vêtue. Mohamed la désire. La Sourate 33 montre combien Allah « s'empresse de plaire » à Mohamed, pour paraphraser Aïcha au sujet de cette nouvelle union de son mari (Hadith Sālih al-Bukhārī Vol. 7:48). « Puis quand Zaïd eut assouvi d'elle son désir, Nous t'avons marié à elle, afin qu'il n'y ait, contre les croyants, aucun empêchement envers les épouses de leurs fils adoptifs quand ceux-ci on assouvi d'elles leur désir » (S. 33, 37, 90e Sourate récitée). La Tradition rendra moins choquant le comportement en Mohamed en expliquant que Zaïd ne s'entendait plus avec son épouse et que celle-ci était amoureuse du Prophète.

Le Coran nous renseigne sur la vie matrimoniale de Mohamed et finalement avec assez de précision. Il autorise à Mohamed toutes les femmes consentantes, même celles de sa famille. Il s'agit d'un privilège qu'il ne partage avec aucun autre croyant : « Ho, le Prophète ! Oui, Nous t’avions rendu licites tes épouses, celles aussi des esclaves en ta possession que Dieu t’avait données en butin ; de même les filles de ton oncle paternel et les filles de tes tantes paternelles, et les filles de ton oncle maternel, et les filles de tes tantes maternelles - celles qui avaient  émigré en ta compagnie, - ainsi que femme croyante qui avait fait don de sa personne au Prophète, pourvu que le Prophète voulût se marier avec elle. Privilège pour toi à l’exclusion des croyants. » (S. 33, 50, 90e sourate récitée).
Le nombre de ses épouses atteint la dizaine.

Tenir tout ce petit monde d'une main ferme semble bien compliqué. La même sourate 33 laisse entrevoir une dynamique scène de harem : punitions et récompenses sont distribuées pour ramener le calme. Si besoin, la punition des femmes de Mohamed est quadruplée : « Femmes du Prophète ! Celle de vous qui apportera une turpitude déclarée, le châtiment lui sera doublé, par deux fois ! » (S. 33, 30). Au verset suivant, celles qui se conduisent bien voient leur récompense seulement doublée : « Et celle de vous qui demeure dévouée à Dieu et à Son messager, et qui fait œuvre bonne, Nous lui apporterons par deux fois son salaire, cependant que pour elle Nous avons préparé une noble part. » (S. 33, 31).

La suite de cette sourate semble effectivement évoquer quelque querelle de harem, puisqu’il lui a été nécessaire – au nom d'Allah naturellement – de réclamer des échanges de propos « convenables » entre ses femmes : « Femmes du Prophète : vous n'êtes pas comme de quelconques femmes. Si vous voulez vous comporter en piété, alors, ne vous abaissez pas en parole ... Et parlez parole convenable. » (S. 33, 32). On aimerait savoir en quoi ses épouses se sont « abaissées en parole », mais notre curiosité restera insatisfaite.
Finalement, chacune est cantonnée dans sa chambre : « Tenez-vous dignes dans vos foyers, et ne vous montrez pas de la façon dont on se montrait lors de l'ancienne ignorance » (S. 33, 33). Ainsi se conclut cette charmante saynète. Mais ce verset sera interprété par la Tradition comme la consigne de claustrer les femmes ...

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Femmes regroupées au harem (Tabriz, XVIe siècle, le Trésor des mystères ; BnF).

Dix épouses à gérer, voilà qui est bien suffisant : « Dorénavant il ne t’est plus permis de prendre femmes, non plus que de changer d’épouse, même si leur beauté te plaît ; - à l’exception des esclaves que ta main possède. » (S. 33, 52, n° 90). Ses esclaves sont exclues de la restriction ! Grâce à son inspiration céleste, Mohamed préserve ses droits mais limite ses devoirs.

Plus tard, le nombre d'épouses est limité à quatre, toujours sans compter les esclaves. « Si vous craignez de n'être pas exacts envers les orphelins, eh bien prenez des épouses, par deux, par trois, par quatre, parmi les femmes qui vous plaisent, - ou, si vous craignez de n'être pas juste, une seule, ou des esclaves que vos mains possèdent » (S. 4, 3 ; 92e sourate récitée). Mohamed doit donc divorcer de certaines. Mais tout est prévu, le remariage de ses femmes répudiées a déjà été rendu impossible : « Et ce n’est pas à vous de faire de la peine au Prophète, - ni de vous marier jamais avec de ses épouses après lui ; ce serait auprès de Dieu, une énormité. » (S. 33, 53, 90e sourate récitée). Ah ! l'insondable prescience d'Allah ! Soit, ses épouses se conduisent assez bien pour être choisies à tour de rôle parmi ses quatre épouses permises, soit elles restent définitivement seules…
La Tradition, oubliant le verset qui interdit leur remariage (S. 33, 53), racontera que ses anciennes épouses, ne souhaitaient pas avoir d'autre époux, ont attendu sagement leur tour pour convoler à nouveau avec Mohamed après qu'il a divorcé de l'une ou de l'autre.

Une de ses dernières épouses, une copte, Maria al-Qibtiyya, suscite la jalousie des autres femmes. Elle seule a donné naissance à un fils, Ibrahim, mais l'enfant est décédé à deux ans. Ibrahim et Maria sont connus par la Tradition (Ibn Kathir, As-Sira, éd. Universel, 2007, p.897).
Maria offre régulièrement du miel à Mohamed qui aime cette douceur. Par jalousie, les autres femmes racontent alors que l'odeur du miel les incommode. Mohamed promet de ne plus en manger. Puis, une de ses femmes lui rapporte que le miel n'est pour rien dans l'affaire, il ne s'agit que de jalousies de femmes frustrées. Comment Mohamed peut-il revenir sur son serment ? Heureusement, Allah vient à son secours : « Oh, le Prophète ! Pourquoi, en recherchant l’agrément de tes femmes, interdis-tu ce que Dieu a rendu licite ? Dieu vous impose, certes, de vous libérer de vos serments. » (S. 66, 1-4, 107e sourate récitée). Les croyants ordinaires, confrontés à des serments imprudents, auront, eux, à choisir parmi toute une liste de sacrifices - nourrir dix pauvres, libérer un esclave ou jeûner trois jours - pour en être libérés (S. 5, 89).

Mais rien n'y fait, débordé par ses quatre épouses et les « esclaves que sa main possède », Mohamed fait appel à toute la cour céleste pour régler ses querelles de ménage. C'est ici que l'on voit surgir l'ange Gabriel pour la troisième fois : « Si toutes deux ... vous vous soutenez l'une l'autre contre le Prophète, alors son allié-protecteur, c'est Dieu ; et aussi Gabriel et le « Juste » des croyants (Sālih al-mu’minīm), et après cela les anges seront son soutien. » (S. 66, 4 ; trad. J. Chabbi, 107e sourate récitée). Le « Juste des croyants » reste, à ce jour, un gardien de harem non identifié.

Mais toute la cour céleste reste bien évanescente. Brandir le divorce va rester le meilleur moyen de maintenir le calme dans son harem, maintenant, que ses épouses – et ex épouses - sont privées de toute autre perspective matrimoniale : « Il se peut que, s’il divorce d’avec vous, son Seigneur vous remplace par des épouses meilleures pour lui, meilleures que vous, soumises à Dieu, croyantes, dévouées, repentantes, adoratrices, itinérantes, - ayant connu mari, ou même vierges. » (S. 66, 5 ; 107e sourate récitée).

On peut remarquer qu'aucune des femmes de Mohamed n'a laissé son nom dans le Coran.

Classé par thèmes et remis dans l'ordre de sa récitation, le Coran est finalement un livre fort plaisant à lire.


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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:55

CHAPITRE 12 : MOHAMED À MÉDINE.
De 622 à 632.


12. 1. Le 16 juillet 622, bannissement de Mohamed de la Mecque, l'Hégire.
12. 2. Janvier 623, le raid de Nakhla et premières conversions.
12. 3. Et Mohamed rencontre les juifs de Yathrib.
12. 4. La bataille de Badr en 623 et ses conséquences théologiques.
12. 5. Dès 623, commence l'élimination des opposants.
12. 6. Abraham et ses épouses anonymes ; Abraham et la Kaaba.

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12. 7. La Charte de Yathrib ou comment les chefs de tribu défendent leur légitimité en se disant inspirés par Dieu.
12. 8. Le jeûne du Ramadan ou comment les incohérences du Coran se résolvent par la soumission.
12. 9. En 624 : La défaite de 'Uhud devant Yathrib.
12. 10. Quelle est la place réelle de Gabriel/Djibril dans le Coran ?
12. 11. La vie conjugale de Mohamed à Yathrib.

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12. 12. Droits et devoirs des femmes : les archaïsmes de l'Arabie se trouvent divinisés par le Coran.
12. 13. Sociologie musulmane : apartheid sexuel et emboîtement des infériorités.
12. 14. L'esclavage, entre morale et perversion.
12. 15. Règles morales à Yathrib : évolution vers une législation.
12. 16. Rites, rituels et tabous ou comment des obligations obsessionnelles se voient sanctuarisées dans le Coran.
12. 17. Ébauches de législation.

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12. 18. En 626, an 5 de l'Hégire, la bataille du fossé (Al-Khandaq).
12. 19. En 627, la deuxième tribu juive, celle des Nadir, est chassée.
12. 20. En 627, troisième tribu juive de Médine est exterminée, puis les tribus juives du Hedjāz sont attaquées.
12. 21. Relations tribales de Mohamed à Yathrib/Médine : désir d’autocratie et carence d'autorité.
12. 22. En 627, négociations pour le retour de Mohamed à la Mecque : la trêve d'Al-Hudaybiyya.

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12. 23. En 630, conquête de la Mecque : la bataille de Hunayn.
12. 24. Mohamed, maître de la Mecque : les Quraysh ont-ils vraiment changé ?
12. 25. Mohamed gère sa théocratie : obéissance absolue, pouvoir judiciaire et gestion financière.
12. 26. La dhimma ou comment juifs et chrétiens vont être intégrés dans la théocratie de Mohamed.
12. 27. Le pèlerinage de l'Adieu en 632 : le corpus coranique est déjà achevé.
12 . 28. Au terme de la vie de Mohamed, combien de mystères encore inexpliqués !

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 6:56

CHAPITRE 12 (SUITE): MOHAMED À MÉDINE.

De 622 à 632.

12. 12. Droits et devoirs des femmes : les archaïsmes de l'Arabie se trouvent divinisés par le Coran.
Le Coran récité à Yathrib montre que Mohamed a réuni suffisamment de fidèles pour avoir besoin d'une législation. Les droits et devoirs des femmes y sont détaillés longuement, de façon souvent fastidieuse et parfois confuse (S. 4), mais le Coran est une innovation. Le Christ avait refusé de légiférer quel que soit le sujet. Le paganisme qui persistait à la Mecque et à Yathrib/Médine, n'avait pas reconnu aux femmes de personnalité juridique. Elles étaient considérées comme des choses appartenant aux hommes et n'avaient aucun droit.

Le Coran donne donc des droits aux femmes :
- Les nouveau-nées filles ne peuvent pas être tuées (S. 16, 58-59).
- Un homme doit traiter sa femme aussi bien que lui-même : « Que celui qui a de grands moyens dépense de ses grands moyens ; et que celui à qui la potion a été mesurée dépense donc de ce que Dieu lui a apporté. » (S. 65, 7).
- Un homme doit s'efforcer à l’équité envers toutes ses femmes : « Or vous ne serez jamais capables de faire l’égalité entre les femmes, quand bien même vous le voudriez. Ne laissez pas aller la situation au point que l’une d’entre elles prenne le pas sur les autres. » (S. 4, 129). De nos jours, certains musulmans concluent de ce verset que le Coran instaure la monogamie, l'équité entre toutes les épouses étant impossible. Si l'on veut ! L'histoire de l'islam montre néanmoins que cette interprétation n'a pas prévalu pendant 1400 ans.
- La femme qui allaite doit être nourrie pendant deux ans, même si son mari a divorcé d'elle (S. 65, 6 ; S. 2, 233).
- Les conditions du divorce sont établies pour préserver le patrimoine des femmes : « Si vous voulez substituer épouse à épouse et que vous avez donné à l’une un quintār, n’en reprenez rien. » ( S. 4, 20).
- Les filles héritent, même si leur part est la moitié de celle d'un fils : « Dieu vous ordonne d’attribuer au garçon une part égale à celle de deux filles. » (S. 4, 11).
- Les femmes disposent de leurs biens si elles n'ont pas commis de faute (S. 4, 19).
- L'entretien des veuves est prévu pendant une année après la mort de leur mari ; on ne peut pas les expulser pendant ce délai (S. 2, 240).

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Mohamed et les saintes femmes au paradis (Herāt, 1436).
À ceux qui pourraient être surpris de voir représenter Mohamed, il faut rappeler que, jusqu'au XVIe siècle, le Prophète
de l'islam a été dessiné sans réticence par les musulmans. Pour ne pas créer d'inutiles polémiques,
seules ses représentations réalisées par des musulmans ont été retenues ici.

Le Coran donne des devoirs aux femmes :
- Les musulmanes doivent épouser uniquement des musulmans : « Ne donnez pas d'épouses aux faiseurs de dieux tant qu'ils n'auront pas cru » (S. 2, 221).
- Elles doivent dire qu'elle sont enceintes en cas de divorce (S. 2, 228).
- Leurs maris peuvent divorcer d'elles d'une simple formule en « comparant leurs femmes au dos de leurs mères » (S. 58, 3) ; mais, elles, ne peuvent divorcer sans en référer à un juge (S. 58, 1).
- Les femmes doivent obéir à leur mari et elles leur sont inférieures : « Quant [aux femmes]... les hommes ont le pas sur elles. » (S. 2, 228). Cette obéissance est justifiée par la dépendance financière des femmes : « Les hommes sont des directeurs pour les femmes, à cause de l’excellence qu’entre eux Dieu accorde aux uns sur les autres, ainsi que de la dépense qu’ils font de leurs biens. » (S. 4, 34). C'est finalement, « l’excellence » intrinsèque des hommes qui est la meilleure justification de l'infériorité des femmes, d'autant que leur infériorité intellectuelle est proclamée : « Faites-en témoigner par deux témoins d’entre vos hommes ; et à défaut un homme et deux femmes..., en sorte que si l’une d’elles s’égare, l’autre puisse lui rappeler. » (S. 2, 282). Délicieuse remarque sexiste qui stigmatise l'intelligence des femmes et explique qu'aucune Marie Curie musulmane n'ait jamais reçu la formation intellectuelle qui lui permette d'obtenir de Prix Nobel en sciences.
- Les femmes doivent accepter d'être battues si elles désobéissent. À la Mecque, Job avait simplement été donné en exemple : en fidélité à son serment envers Allah, Job frappe son épouse comme il l'a promis. Être fidèle à un serment fait à Dieu est plus important que de ne pas être violent envers sa femme : « Prends dans ta main un régime sans les dattes, puis frappe. Et ne viole pas ton serment. » (S. 38, 43). À Yathrib, la violence devient légale envers la femme désobéissante. Il faut l'enfermer et la battre jusqu'à ce quelle se soumette : « Et quant à celles dont vous craignez l’infidélité, exhortez-les, abandonnez-les dans leurs lits, et battez-les. Si elles viennent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles. Dieu demeure haut, grand, vraiment ! » (S. 4, 34).

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Un couple (1400-1405, Iran ; The Metropolitan Museum of Art, New York).

Le caractère divin du Coran conduira cette législation sur les femmes, avec ses avancées mais aussi ses archaïsmes, à se pérenniser dans les états musulmans jusqu’à nos jours. Mais, indépendamment de ces droits et devoirs, la législation du Coran divinise les archaïsmes de l'Arabie du VIIe siècle. Ainsi, plusieurs prescriptions coraniques reprennent-elle des traditions préislamiques sans réflexion particulière. Ce faisant, elles légalisent autant d'entorses aux « Droits de l’homme » (qui concernent bien évidemment aussi les femmes) :
- Les enfants pré-pubères peuvent être épousées et cela est officialisé d'une façon étonnante : par un sous-entendu. En effet, le mariage des fillettes est autorisé par un verset qui légifère sur leur possibilité de divorce : « Et quand à celles de vos femmes qui n'espèrent plus de règles : si vous avez du doute leur délai est de trois lunes. De même pour celles qui n'ont pas encore de règles. » (S. 65, 4). Un hadith réputé authentique confirme : « Aïcha a raconté que le prophète l'a prise pour épouse alors qu'elle n'était âgée que de six ans et qu'il a consommé son mariage avec elle quand elle eut neuf ans. » (Hadith Sahih al-Bukhārī  Vol. 7, 64). Le mariage avec les filles pré-pubères semble si naturel, si ordinaire, qu'il n'a pas besoin d'être autorisé. Mais c'est tout de même une énormité d'autoriser leur mariage simplement en définissant leurs conditions de divorce. On verra que dans d'autres domaines tous aussi effroyables de simples sous-entendus autorisent des pratiques perverses.
- La polygamie est légale et officialise l’infériorité des femmes. Le nombre d'épouses est limité à quatre. « Prenez des épouses, par deux, par trois, par quatre, parmi les femmes qui vous plaisent,- ou, si vous craignez de n’être pas justes, une seule, ou des esclaves que vos mains possèdent. » (S. 4, 3). C'est un progrès indéniable sur les mœurs des contemporains de Mohamed, mais la polygamie reste une pratique perverse. Jamais aucun musulman n'a milité pour que l'égalité des sexes soit obtenue par la polyandrie (le droit pour une femme d'avoir plusieurs maris). Ce sont pourtant des pratiques choquantes au même titre, si on admet l'égalité des sexes. Par ailleurs, le concubinage avec les esclaves est autorisé sans limitation de nombre. Cela contourne la restriction à quatre épouses (S. 4, 3 ; S. 4, 24 ; S. 23, 6 ; S. 33, 50-52 ; S. 70, 30...), mais cela transforme les esclaves en objets sexuels et cela au nom de Dieu.
- Les femmes doivent se dissimuler pour mériter le respect. En fait, l'obligation du voile est davantage qu'une mode vestimentaire (S. 24, 31) : elle induit des préjugés sexistes. Ces préjugés sont moins graves que le mariage des enfants, la polygamie ou l'esclavage ; mais, comme ils sont plus subtils, ils se sont maintenus jusqu’à nos jours, y compris en occident, pérennisant des comportements déviants. En effet, l'obligation du voile signifie que les femmes ne sont pas pourvues d'une dignité intrinsèque suffisante pour leur obtenir le respect par elles-mêmes : elles doivent porter un vêtement couvrant inconfortable pour le mériter. La femme n'ayant pas de dignité intrinsèque, elle se voit réduite à l'état de gibier sexuel potentiel face à l'homme qui n'est tenu à aucune maîtrise de ses pulsions. Les hommes sont finalement traités comme des prédateurs sexuels potentiels face à des femmes réduites au rôle de gibier passif. « Oh, le Prophète ! Dis à tes épouses, et à tes filles, et aux femmes des croyants, de ramener sur elles leurs grands voiles : elles en seront plus vite reconnues et exemptes de peine. » (S. 33, 59). Implicitement, les non-musulmanes peuvent être importunées, puisqu'elles ne sont pas voilées.
Finalement hommes comme femmes se voient ramenés à leurs pulsions sexuelles les plus primitives. Le Coran n'apprend aux hommes, ni le respect, ni l'égalité, ni les relations autres que sexuelles avec les femmes. Ainsi, dans les sociétés occidentales ou même dans les pays musulmans, voit-on certains musulmans se croire autorisés à des pratiques de harcèlement sexuel envers les femmes non voilées comme si elles étaient des prostituées. Et combien de filles – même en Europe - se voient contraintes à se voiler, non par conviction religieuse, mais simplement pour avoir la paix !

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Punition des femmes ayant laissé des étrangers voir leurs cheveux
(Mir Haydar,
Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; Collection Granger).

12. 13. Sociologie musulmane : apartheid sexuel et emboîtement des infériorités.

Le Coran reprend la structure sociale de l'Arabie du VIIe siècle et il le fait sans percevoir ce qu'elle a de spécifique. Ainsi, dans plusieurs domaines, les archaïsmes de la civilisation de l'Arabie du VIIe siècle sont-ils intégrés au Coran sans réflexion particulière.

L’apartheid sexuel, la séparation des sexes dans l'espace public, est ainsi simplement sous entendu dans quelques versets. « Oh les croyants ! Qu’un groupe de gens ne se raille pas d’un groupe d’autres : ceux-ci sont peut-être mieux qu’eux. Et que les femmes ne se raillent pas de femmes : celles-ci sont peut-être mieux qu’elles. » (S. 49, 11). Le Coran n’imagine pas que des femmes puissent railler des hommes ou vice versa !

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Une procession de mariage : les femmes sont absentes et invisibles
(Les
Makamat de Hariri, peintures exécutées par Yahyā-ibn-Mahmūd-al-Wāsitī, 1237 ; BnF).

Hommes et femmes vivent séparés dans l'espace public et ne communiquent pas. Ainsi Mohamed parle-t-il aux hommes (S. 33, 40). Le groupe des mâles regroupe humains et djinns, et leur unité masculine semble l'emporter sur l'unité au sein de la même espèce entre hommes et femmes : « Dis : « Je cherche protection auprès du Seigneur des hommes. Souverain des hommes. Dieu des hommes... qu'il soit des djinns ou des humains » (S. 114, 2-6). Même quand le Coran légifère sur les règles des femmes, il parle aux hommes en leur signalant l'interdit des relations sexuelles pendant les menstrues (S. 2, 222). Un autre verset confirme cette pauvreté de la communication autorisée entre les sexes. Une femme ne semble pas pouvoir plaire à un homme autrement que par son apparence. Un homme regarde une femme, mais ne peut pas entrer en communication avec elle pour apprécier ses facultés, son intelligence ou son caractère : « Dorénavant il ne t’est plus permis de prendre femmes... même si leur beauté te plaît. » (S. 33, 52). Seule la beauté d'une femme peut donc séduire. Et les femmes vont devoir se voiler pour mériter le respect (S. 33, 59) et rester confinées chez elles : « Tenez-vous dignes, dans vos foyers et ne vous monterez pas de la façon dont on se montrait lors de l’ancienne ignorance. » (S. 33, 33). Le contact entre les hommes et les femmes n'existe pas en dehors du mariage et de la famille. Voilà la femme incapable de trouver un mari seule. Elle dépendra uniquement du choix familial et pourra épouser un cousin et renforcer ainsi la stabilité familiale et l'obéissance à son chef. L'apartheid sexuel structure la société musulmane et persiste jusqu’à nos jours.

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Punition des épouses sorties sans l'autorisation de leur mari
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

Jésus, en révélant que Dieu est Père, a affirmé l'égalité fondamentale des êtres humains, frères du même Père. Qu'ils soient hommes, femmes, juifs, gentils, esclaves ou personnes libres, tous sont égaux (Galates 3, 28). À l'opposé, le Coran va hiérarchiser l'humanité :

Les musulmans sont naturellement supérieurs aux non musulmans : « Vous formez la meilleure Communauté suscitée pour les hommes : vous ordonnez ce qui est convenable, vous interdisez ce qui est blâmable, vous croyez en Dieu. » (S. 3, 110).

Mais au sein même de l'islam, une hiérarchie secondaire se dessine :
- Les arabes sont supérieurs aux non arabes : « Pour les croyants, le Prophète a priorité sur eux-mêmes ; et ses épouses sont leurs mères. Et les gens de parenté ont, les uns envers les autres, priorité, selon le Livre de Dieu, sur les croyants et émigrés. » (S. 33,6). En application de ce verset, le Prophète, sa famille et les arabes deviendront supérieurs aux musulmans non arabes lors de la dynastie omeyyade. Cela est de nos jours méconnu, mais l'islam des origines pratiquait les distinctions raciales et ethniques en son sein.
- Les hommes sont supérieurs aux femmes : « Les hommes sont des directeurs pour les femmes, à cause de l’excellence qu’entre eux Dieu accorde aux uns sur les autres ! » (S. 4, 34) et « Les hommes ont le pas sur elles. » (S. 2, 228).
- Les aînés dominent les jeunes : « Nous enjoignons à l'homme au sujet de ses parents... ceci : « Sois-Moi reconnaissant, ainsi qu'à tes parents. » » (S. 31, 14-15).
- Les riches dominent les pauvres : « C'est Nous qui distribuons chez eux les vivres, dans la vie présente, et élevons en grade les uns d'entre eux au dessus des autres, de sorte que parmi eux les uns mettent les autres à la corvée. » (S. 43-32) et Sourate 39 (29).

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L'homme riche et le mendiant
(
Le Langage des oiseaux, de Farid al-Dīn, vers 1600, art safavide ; Iran).

- Les bien-portants dominent les malades : « Sont-ils égaux, le voyant de l’aveugle ? » (S. 13, 16) et Sourate 35 (19).
- Les maîtres sont supérieurs aux esclaves avec la bénédiction d'Allah : « En avez-vous, parmi les esclaves que vos mains possèdent, que vous associiez à ce que Nous vous avons attribué, de sorte que vous en deveniez égaux ? » (S. 30, 28) et Sourate 16 (71).
- Ceux qui partent en guerre pour Allah sont supérieurs à ceux qui ne se battent pas : « Ne sont pas égaux ceux des croyants qui restent assis à la maison, - sauf ceux qui sont malades, - et ceux qui luttent corps et biens dans le sentier de Dieu. » (S. 4, 95-96).

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Cavaliers s'exerçant à la lance (Égypte, vers 1470 ; BnF).

La structure tribale est confirmée : l'homme le plus âgé gouverne son clan et ses commensaux : femmes, enfants, petits-enfants, clients, esclaves. Dans le christianisme, l'unité de base de la société est la famille nucléaire, formée d'un homme, de sa femme et de leurs enfants. Dans l'islam, l'unité de base est la tribu.

L'islam structure sa vision du monde sur un emboîtement d'infériorités et de soumissions qui entretiendra son complexe de supériorité par rapport aux civilisations non musulmanes. Initialement porteur d'un esprit conquérant, ce sentiment de supériorité induira finalement la conviction qu'aucun peuple non musulman ne peut l'égaler... Une fois qu'ils auront bâti un empire structuré, les musulmans ne sauront alors plus remarquer, s'inspirer ou imiter les progrès de leurs voisins. Ils resteront convaincus que personne ne peut les égaler... jusqu'au jour où ils seront envahis au cœur de leur empire sans avoir compris qu'ils avaient, depuis longtemps, été dépassés par les découvertes scientifiques et technologiques de ceux qu'ils considéraient comme inférieurs, puisque non musulmans.

12. 14. L'esclavage, entre morale et perversion.
Le Coran n'interdit pas l'esclavage. Au contraire, en légiférant sur lui, il le légitime de toute la puissance de son origine divine supposée. La bonté envers l’esclave est préconisée ainsi que son affranchissement (S. 4, 36), soit par le financement de l'état (S. 9, 60), soit par la charité privée (S. 24, 33 ; S. 2, 177 ; S. 90, 13). Le souci d'adoucir les conditions de l'esclavage a manifestement prévalu, mais, que ce soit maladresse inconsciente ou subtile cruauté, le seul fait de légiférer sur lui sans l’abolir l'a en fait rendu licite au nom d'Allah.

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Al-Hārith pleurant son esclave mort
(Les
Makamat de Hariri, peintures exécutées par Yahyā-ibn-Mahmūd-al-Wāsitī, 1237 ; BnF).

La domination du maître sur l'esclave est voulue par Allah : « Dieu a donné aux uns d'entre vous excellence sur les autres. Or, ceux à qui excellence a été donnée n'ont point à rendre leur portion aux esclaves au point qu'il en deviennent égaux. » (S. 16, 71) et  Sourate 30 (28).
L'esclave reste une monnaie d'échange. Affranchir un esclave permet au croyant de racheter un meurtre (S. 4, 92), de se remarier avec la même femme après un divorce un peu hâtif (S. 58, 3) et d'éviter de respecter un serment hasardeux : «  Dieu ne s'en prend pas à vous pour la frivolité de vos serments, mais Il s'en prend à vous pour les serments que vous contractez délibérément. L'expiation en sera ... de libérer un esclave. » (S. 5, 89).
Le concubinage avec les esclaves est licite (S. 4, 3) et sans limite de nombre (S. 23, 1-6 ; S. 3, 50-52 et S. 70, 30). En cas d'adultère, les femmes esclaves sont moins punies que les femmes libres, ce qui semble signifier que l'on ne leur a pas demandé leur consentement : « Si, une fois engagées dans le mariage, elles commentent une turpitude, sur elles alors la moitié du châtiment qui revient aux femmes libres mariées. » (S. 4, 25).

Les esclaves sont bien à la disposition sexuelle de leur maître et ceci de toutes les façons imaginables. Ainsi, à l'occasion d'un verset sur la circulation dans le gynécée, la castration des esclaves hommes est-elle implicitement acceptée. Qu'un simple sous-entendu serve à justifier un tel acte est totalement invraisemblable et conduit à s'interroger sur la nature même du Coran : Mohamed ne semble pas avoir eu conscience de l'impact de ses paroles. « Que les croyantes … ne montent leurs parures qu'à leur mari, ou à leurs fils, ou au fils de leur mari, ou à leurs frères, ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs sœurs, ou à leur compagnes ou aux esclaves que leurs mains possèdent ou aux domestiques mâles qui n'ont pas le désir, ou aux garçons qui n'ont pas encore puissance sur les parties cachées des femmes » (S. 24, 31). La castration en elle-même n'est pas directement citée, elle ne fait l'objet d'aucune consigne. Mais le seul sous-entendu au sujet des « domestiques mâles qui n'ont pas le désir » la rend légale. Cette autorisation indirecte sera parfaitement comprise puisque des eunuques garderont la Kaaba jusqu'à la fin du XXe siècle *.
Le corps des filles esclaves appartient clairement à leur maître. Ainsi, le viol des filles esclaves et leur prostitution, s'ils ne sont pas recommandés, font-ils l'objet de la miséricorde divine... On peut même se demander si ce n'est pas la victime qui fait l'objet de la miséricorde divine, plutôt que son violeur ! Pour des crimes si graves, le viol et le proxénétisme, l'absence de châtiment est incompréhensible, surtout comparée à la cruauté des châtiments prescrits pour des choses bien moins graves comme le vol : « Ne contraignez pas vos esclaves femmes à la prostitution si elles veulent le mariage. Les contraint-on ? Dieu est alors, quand elles ont été contraintes, pardonneur, miséricordieux, vraiment ! » (S. 24, 33). Pour un vol, on coupe la main du voleur (S. 5, 38) ; pour un viol, la victime peut espérer le pardon d'Allah …  Dans bien des sociétés archaïques, la femme violée, donc victime, s'est ainsi vu transformée en coupable du crime de son violeur. Le Coran s'inscrit dans cet archaïsme.

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Al-Hârith au marché aux esclaves,
(Maqamat d'
al-Hariri, XIIIe siècle, Syrie ; BNF.)

Le Coran autorise donc par de simples sous-entendus des conduites absolument perverses. Ainsi deviennent licites - ordonnés par Allah -, l'esclavage en général, la castration des esclaves hommes (S. 24, 31), le viol des esclaves femmes (S. 24, 33) et, on l'a vu dans un tout autre domaine, la pédophilie, puisqu'il est simplement légiféré sur les conditions de divorce des filles pré-pubères (S. 65, 4). À l'opposé, le Coran réglemente des comportements banals par une surabondance de précisions dérisoires. Par exemple, la façon licite de dîner chez son voisin est détaillée jusqu'à l'absurde : « À l'aveugle nul grief, et au boiteux nul grief, et au malade nul grief non plus qu'à vous, de manger dans votre maison, ou dans la maison de votre père, ou dans la maison de votre mère, ou dans la maison de votre frère, ou dans la maison de votre sœur, ou dans la maison de votre oncle paternel, ou dans la maison de votre tante paternelle, ou dans la maison de votre oncle maternel, ou dans la maison de votre tante maternelle, ou dans celle dont vous possédez les clefs, ou chez votre ami. Nul grief à vous, non plus de manger ensemble ou séparément. » (S. 24, 61).

Le Coran qui porte l'avenir législatif de la civilisation musulmane, semble avoir été défini au hasard des circonstances de la vie de Mohamed et sans tenir compte de la hiérarchisation des sujets traités.

Finalement, le Coran, en voulant adoucir la condition de l'esclave en terre d'islam, a en fait légitimé l'esclavage de toute la puissance de son origine divine supposée. Mais aucune loi ne peut rendre l'esclavage acceptable, même adouci par Dieu. De nos jours, le quasi esclavage de certains travailleurs immigrés dans les pays musulmans procède de la légitimation coranique de l'esclavage.

* : Islam, p. 357, Bernard Lewis, Quarto Gallimard, 2005.

12. 15. Règles morales à Yathrib : évolution vers une législation.
La peur de la contestation motive certaines règles de conduite sociale.
« Taxe à titre d'impôt ce qui est superflu, commande ce qui convient et éloigne-toi des ignorants. » (S. 7, 199). De nos jours, la dernière partie de ce verset récité à la Mecque est souvent citée pour convaincre les non musulmans que l'islam n'est pas une religion obscurantiste. Remis dans son contexte, ce verset retrouve son vrai sens. Il s'agit de s'éloigner de ceux qui refusent la prédication de Mohamed, de payer un impôt, de respecter les rituels de prières et non d'acquérir un savoir non religieux. À Yathrib, l’ambiguïté est levée : la connaissance objective est déconseillée. « Ô vous qui croyez, n’interrogez pas sur les choses dont le sens, s’il vous était divulgué, pourrait vous causer de la peine. Un peuple avant vous avait réclamé ces choses, mais ensuite il devient infidèle à cause d’elles. » (S. 5, 101-102). La connaissance, la réflexion et les interrogations personnelles sont désormais reconnues pour ce qu'elles sont : des sources de doute spirituel dans une théocratie.

Toute source de divergence est combattue. Discuter à plusieurs est comparé … au cannibalisme ! « Oh, les croyants ! Évitez de trop conjecturer ; oui, une partie de la conjecture est péché. Et n’épiez pas ; et ne médisez pas les uns des autres, - l’un de vous aimerait-il manger la chair de son frère mort ? Non ! vous en avez horreur ! » (S. 49, 12).
Au sein de la communauté, on ne se critique pas, on ne s'insulte pas - marque légitime de politesse - mais on ne se taquine pas non plus : « Ne vous blâmez pas et ne vous lancez pas mutuellement de sobriquets. Quel vilain mot que « pervers » après qu’on a cru ! » (S. 49, 11).

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Abu Zaid se moquant d'al-Harith, (Les Makamat de Hariri,
peintures exécutées par Yahyā-ibn-Mahmūd-al-Wāsitī, 1237 ; BnF).

Dans un autre domaine, c'est initialement la bienséance sociale qui conduit à limiter la consommation de l'alcool. En fait, l'interdiction de l'alcool a été progressive. Comme Allah ne change jamais d'avis (S. 2, 106 ; S. 33, 62), on peut penser que c'est Mohamed qui a affiné son opinion en fonction de ses expériences personnelles :
- Au début, le plaisir que procure l'alcool est reconnu et même présenté comme une bénédiction de Dieu : « Des produits des dattiers et des vignes, vous tirez une boisson enivrante et aussi un aliment excellent. Voilà bien un signe pour des gens qui comprennent » (S. 16, 67 ; 70e dans l'ordre de la récitation).

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Femme qui s'adonne au vin dans la solitude (art Safavide ; Ispahan, Iran).

- Plus tard, les dangers du vin sont mis en balance avec ses plaisirs : « Ils t'interrogent sur le vin et le jeu de hasard. - Dis : « Dans les deux il y a grand péché et quelques avantages ; mais le péché y est plus grand que l'utilité ! » (S. 2, 219, 87e récitée).

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Allégorie de la convivialité et de l'ivresse (Divan, Collection Poèmes de Hafiz, période safavide, 1530).

- Ensuite, ceux qui se sont présentés ivres à la prière ont entraîné quelques troubles par leur liberté de parole. On a déjà vu à quel point le Coran - ou Mohamed - craint la liberté d'expression. La levée des inhibitions induite par l'alcool semble incompatible avec la soumission et le silence imposés par la loi coranique : « Oh, les croyants ! N’approchez pas de l’Office alors que vous êtes ivres, jusqu’à ce que vous sachiez ce que vous dites. » (S. 4, 43 ; 92e récitée). Le Talmud a cependant pu inspirer Mohamed, puisqu’il interdit de prier en état d'ivresse (Talmud, Érouvine, 65-A).

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Châtiment des buveurs
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

- Finalement, à l’extrême fin de la vie de Mohamed, l'interdit de l'alcool s'impose : « Oh, les croyants ! Oui, le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées, les flèches de divination ne sont qu'ordure, œuvre du Diable. Donc, à écarter. Peut-être serez-vous gagnants ? Oui, le Diable ne veut que jeter parmi vous, dans le vin et le jeu de hasard, inimitié et haine, et vous empêcher du Rappel de Dieu et de l'Office. Eh bien, vous abstiendrez-vous ? » (S. 5, 90-91 ; 112e récitée). Les jeux de hasard, la divination et l'alcool se voient définitivement interdits.

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Mohamed buvant une des coupes de lumière : celle de lait, et délaissant celle de miel et de vin. (Mir Haydar, Mira‘j-nameh,
Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF). Même s'il semble bien que Mohamed ait bu de l'alcool jusqu'en 631
(selon la chronologie du Coran), il est représenté sobre dans l'iconographie.

Après la reconnaissance initiale des plaisirs procurés par l'alcool perçus comme un bienfait d'Allah, cette interdiction finale est significative : « Ne méditeront-ils donc pas le Coran ? S’il avait été d’un autre que Dieu, ils y auraient trouvé maintes contradictions. » (S. 4, 82)...

Les règles de morale familiale et sexuelle.
La communauté des croyants se fonde sur la fidélité aux liens familiaux : « Si donc vous êtes investis de pouvoir, se peut-il que vous alliez commettant le désordre sur terre et rompant vos parentés. » (S. 47, 22). Les liens tribaux et familiaux ne doivent pas être oubliés, même après un succès individuel.

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Symbole de la piété filiale : un fils enterre son père
(
Le langage des oiseaux de Farid al-Dīn, vers 1487, art timouride, Herāt).

Des grands principes de foi et de morale sont repris par le Coran : « Dis : « Venez, je vais vous réciter ce que votre Seigneur vous a interdit ; - ceci : Ne Lui associez quoi  que ce soit ; - soyez cependant bienfaisants envers les père et mère ! - Et ne tuez pas vos enfants pour une pénurie de vivres..., n’approchez pas des turpitudes - tant de ce qui en paraît que de ce qui s’en cache. Et, sauf en droit, ne tuez personne que Dieu ait défendu ; - voilà ce que Dieu vous enjoint. » (S. 6, 151). Pour se marier, les femmes ne doivent donc croire qu'en un seul Dieu. Les relations sexuelles extraconjugales leur sont interdites. L'interdit du meurtre des enfants est confirmé (S. 60, 12), même en cas de famine (S. 6, 140). Les enfants sont protégés dans l'islam naissant, la rupture avec les mœurs préislamiques est donc nette et ce progrès persistera. Les femmes comme les hommes sont maintenant appelés dans une communauté qui n'est donc pas qu'une réunion de guerriers : « Soumis et soumises, croyants et croyantes, dévoués et dévouées, loyaux et loyales, endurants et endurantes, craignants et craignantes, bienfaisants et bienfaisantes, jeûneurs et jeûneuses, gardiens de leur sexe et gardiennes, invocateurs de Dieu et invocatrices, Dieu a préparé pour eux pardon et énorme salaire. » (S. 33, 35).

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Jeune roi jouant avec des colombes (Tabriz, Le roi et le derviche, 1540 ; BnF). Les enfants musulmans sont
protégés par la prescription coranique... hormis les fillettes quand elles sont mariées trop tôt et les enfants esclaves.

Les entorses à la morale sexuelle sont punies avec sévérité.
Les adultères, qu'ils soient hommes ou femmes, sont condamnés au fouet (S. 24, 2). La lapidation des femmes adultères ne se trouve pas dans le Coran, mais uniquement dans les hadiths. Selon un hadith, Mohamed attend le sevrage d'un nouveau-né pour faire lapider sa mère fautive : « Le prophète a confié l’enfant à un homme et a ordonné de creuser un trou de profondeur suffisante pour couvrir son corps jusqu’à la poitrine, puis il a ordonné de la lapider. Quand Khaled Ben al Walid est passé, il a lancé une pierre qui a touché la tête de la femme dont le sang s’est projeté contre le visage de Khaled, il a alors commencé à l’insulter. Le messager d’Allah l’a entendu et a dit « Doucement ô Khaled, par celui qui détient le sort de mon âme, elle s’est repentie »… Le prophète a ordonné ensuite qu’elle soit enterrée puis a fait la prière des funérailles. » (Muslim 682).

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Châtiments des femmes ayant donné naissance à des enfants illégitimes
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

L’homosexualité est réprouvée dans la lignée de la condamnation des habitants de Sodome (S. 26, 165-166). Les homosexuels sont promis à la torture : « Si c’est deux hommes des vôtres qui ont commis [la turpitude], alors la torture ! S’ils se repentent ensuite, et se réforment, alors passez. Oui, Dieu demeure accueillant au repentir, miséricordieux. » (S. 4, 16). Il peut sembler néanmoins quelque peu étrange qu'Allah fasse étalage de sa miséricorde alors que celle-ci ne survient qu'après la torture du coupable et à condition que le repentir suive la séance de torture...

12. 16. Rites, rituels et tabous ou comment des obligations obsessionnelles se voient sanctuarisées dans le Coran.

La civilisation préislamique respectait des tabous alimentaires. Le Coran en garde le témoignage : les femmes ne pouvaient pas manger la production du ventre d'une bête vivante (le lait probablement) qui était réservée aux hommes, alors que tous mangeaient l'animal mort  (S. 6, 139). On offrait alors une partie de sa récolte à Dieu (S. 6, 136). Puisque désormais, tout appartient à Allah, il faut maintenant respecter d'autres lois. La Sourate 6 (138) prescrit donc que les bêtes de somme ne peuvent plus être consommées et que l'on doit égorger un animal en invoquant le nom d'Allah  (S 6. 145).

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Le dromadaire est égorgé pendant que le repas se prépare
(Maqamat of al-Hariri, 1237, Syrie ; BnF).

Les interdits alimentaires des musulmans sont calqués sur ceux des juifs, décrits dans le Deutéronome (14, 3-21). L'auteur du Coran semble attacher une extrême importance à ces interdits, ce qui contraste avec la levée de tous ces tabous proposée par le Christ (Marc 7, 14). Malgré la confusion des interdits coraniques, le Coran considère comme « criminels » (!) ceux qui suspectent ces restrictions d'être fausses : « À ceux qui se sont judaïsés, Nous avons interdit toute bête à ongle. Des bovins et des ovins, Nous leur avons interdit les graisses des deux, sauf celle de leurs dos ou des entrailles, ou celle qui est mêlée à l'os. Ainsi les avons-Nous payés de leur rébellion. Oui, et Nous sommes véridique ! Puis, s'ils te traitent de m enteur alors, dis : « Votre Seigneur est détenteur d'une immense miséricorde. Et sa rigueur ne saura être détournée des criminels. » » (S. 6, 146-147).
La Sourate 5 est tardive ; elle date de 631. Elle fait la synthèse des interdits juifs et des interdits issus du rejet des sacrifices bétyliques : « Vous sont interdits la bête trouvée morte, le sang, la chair de porc, ce sur quoi on a invoqué un autre nom que celui de Dieu, la bête étouffée, ou morte d'une chute ou morte d'un coup de corne, et celle qu'une bête féroce a dévorez, - sauf celle que vous égorgez avant qu'elle soit morte - , et celle qu'on a immolée sur les pierres dressées, ainsi que de procéder au partage par tirage au sort au moyen de flèches. Car cela est perversité. ». La Sourate 5 (4) reprend les mêmes interdits, associés à la peur du châtiment : « Et craignez Allah. Car Allah est, certes, prompt dans les comptes. » (S. 5, 3). Une fois de plus, seule la soumission dans la peur justifie une prescription coranique qu'aucune science objectif ne légitime.

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Abu Zaid assiste à un banquet (Maqamat of al-Hariri, XIIIe siècle, Syrie ; BnF).

Dans un autre domaine, celui de la prière, le Coran instaure également des rites précis. Non seulement, le croyant doit prier plusieurs fois par jour, mais sa prière doit être précédée d'ablutions. Se laver avant de prier semble indispensable pour le Coran, sans que l'on comprenne bien à quoi sert d'être propre avant de prier : « Oh, les croyants ! N’approchez pas de l’Office alors que vous êtes... pollués - sauf ceux qui font route, - jusqu’à ce que vous vous soyez douchés. Et si vous êtes malades ou en voyage, ou si l’un de vous vient des cabinets, ou si vous vous êtes entre-touchés avec des femmes et que vous ne trouviez pas d’eau, faites alors ablution pulvérale sur une terre propre, et passez les mains sur vos visages et vos mains. » (S. 4, 43). En fait, la sourate 5 reprend le même descriptif d’ablution obligatoire avant de prier et le met en lien avec le pardon de Dieu. « Lorsque vous vous disposez à la prière : lavez vos visages et vos mains, etc..., Dieu ne vous veut pas de gêne, mais Il veut vous purifier, et parfaire sur vous Son bienfait. Peut-être seriez-vous reconnaissants ? » (S. 5, 6). Le Christ avait dépassé cet archaïsme ; c'était l'acte de charité qui purifiait et non la toilette (Luc 11, 37-41). Le Coran revient aux interdits juifs dont il s'inspire directement (Talmud, Bérakhot, 15, A).

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Ablutions rituelles (XVe siècle, le Caire ; BnF).

Cet aspect archaïque de la foi de Mohamed se retrouve dans la façon dont les règles des femmes sont considérées. Le Coran transforme une donnée physiologique en péché : « ils t’interrogent sur les menstrues. - Dis : « C’est une souillure. Séparez-vous donc des épouses pendant les menstrues, et n’en approchez qu’elles ne soient purifiées ... Oui, Dieu aime ceux qui bien se repentent ; et Il aime ceux qui bien se purifient. » (S. 2, 222). On voit mal pourquoi une femme devrait se repentir d'avoir eu ses règles, phénomène purement physiologique. Une fois de plus, le Coran revient aux préjugés de l'Ancienne Alliance que le Christ avait pourtant abolis et pérennise des tabous archaïques.
Le rituel magique de lavage s’applique aussi à la m anipulation du Coran : « Je jure par les couchers d’étoiles ! –vraiment c’est un serment énorme si vous saviez ! – que ceci est certes oui une noble Lecture, dans un Livre bien gardé, que seuls les purifiés touchent. » (S. 56, 75-79). Que peut bien signifier « être purifié » avant de toucher le Coran ? Cela signifie-t-il qu'il faut se laver pour toucher le Coran ? Ou bien faut-il avoir une conviction intime conforme à la foi musulmane ? Voilà qui semblerait bien étrange pour un livre qui se veut universel.

À Médine, le détail de l'organisation de la prière se précise en fonction des possibilités de chacun. Malgré une adaptation pour les plus fragiles, la prière pluriquotidienne reste la prescription de base : « Ton Seigneur sait que tu te tiens debout près des deux tiers de la nuit, sa moitié, son tiers ; de même une partie de ceux qui sont avec toi... Récitez-donc du Coran, ce qui sera facile. Il sait qu'il y aura parmi vous des malades et d'autres qui voyageront sur la terre en quête de la grâce de Dieu et d'autres qui combattront dans le sentier de Dieu. Récitez donc ce qui sera facile. » (S. 73, 20).

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Mohamed supplie Allah d'épargner aux hommes les cinquante prières journalières
(Mir Haydar,
Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

Précédant la prière, la pratique des ablutions instaure donc un rituel pointilleux. La Tradition le précisera encore en décrivant l'ordre des ablutions, les soins de la pilosité et l’aspect des vêtements. La prière cinq fois par jour, chaque fois précédée d'ablutions, envahit toute la journée et toute la nuit du croyant. L'impossibilité d'obéir à ce règlement, quand on mène une vie normale, conduit à une culpabilité qu'entretient la peur de châtiments promis par ce Dieu si redoutable.

Seuls les hommes les plus rigides peuvent accomplir ces rituels correctement et se sentir suffisamment respectueux de la loi pour se croire dépositaires de la bonne pratique. La culpabilité devient le lot des personnalités souples. Le sentiment d'être de bons croyants est donc réservé aux hommes les plus intransigeants, les plus rigides et les plus inflexibles, en un mot à ceux qui souffrent d'une personnalité obsessionnelle.
Les autres dissimulent leur échec dans le silence et la culpabilité.

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Fontaine des ablutions de la mosquée de Kairouan en Tunisie.

12. 17. Ébauches de législation.
Au sein de sa coalition tribale, Mohamed a tous les pouvoirs. Le nombre de ses fidèles augmente et désormais, au milieu de consignes morales, des versets ressemblent de plus en plus à une ébauche de législation.

Les lois économiques sont précisées : « Dieu a rendu licite le commerce et illicite l'intérêt. » (S. 2, 275).
Désormais, Mohamed s'oppose aux juifs. Leur exemple est rejeté et les prêts d'argent à un intérêt deviennent interdits : « C’est à cause d’une prévarication de ceux qui sont devenus Juifs que Nous leur avons rendu illicites les excellentes choses, qui leur avait été rendues licites..., - et de ce qu’ils prennent des intérêts, - chose qui leur était interdite, et de ce qu’ils mangent à tort les biens des gens. » (S. 4, 160-161). On peut toujours emprunter de l'argent, mais sans intérêt. La garantie du remboursement est obtenue par l'échange d'un gage (S. 2, 283) ou par le témoignage de deux témoins, « à défaut de deux hommes, un homme et deux femmes d'entre ceux des témoins qui sont agréez, en sorte que si l'une d'elle s'égare, l'autre puisse lui rappeler » (S. 2, 282). Au passage, notons à nouveau la délicieuse remarque sexiste.

Des éléments de droit pénal se retrouvent dans le Coran.
- Le témoignage en justice doit être sincère sous le regard d'Allah puisqu'Il connaît la vérité : « Allons ! Debout, témoins pour Dieu avec justice ! Fût-ce contre vous-même ou contre père et mère ou proches parents, et qu’il s’agisse d’un riche ou d’un besogneux, car Dieu a priorité sur les deux. Ne suivez pas vos passions, afin d’être justes. Si vous louvoyez ou si vous devenez indifférents, alors oui, Dieu demeure bien informé de ce que vous faites. » (S. 4, 135).

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Mohamed assiste à la punition des faux témoins lors de son voyage nocturne
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

- Le talion reste la base de la justice musulmane. Inspiré des coutumes ancestrales, il est issu du code Hammourabi daté du XVIIIe siècle avant JC. Il s'agit de punir autant qu'on a été lésé (S. 5, 45). « Si vous poursuivez, poursuivez alors selon qu'on vous a poursuivis. » (S. 16, 126). On ne parle pas là de légitime défense qui a lieu au moment même de l’agression, mais de l'acte de justice chargé de compenser un crime ou un délit.
Dans la jurisprudence musulmane ultérieure, la vengeance sera transmise par héritage. Il s'agit du qisās, le droit de « retrancher à égalité ». Il s’agit de faire subir à la famille du coupable le même préjudice qu’à subi la famille victime, à moins d’un accord basé sur une compensation. La base théologique de ce principe de compensation est dans le Coran : « Ô les croyants ! On vous a prescrit le talion au sujet des tués : homme libre pour homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme. Mais celui à qui son frère aura pardonné en quelque façon doit faire face à une requête convenable et doit payer des dommages de bonne grâce. Ceci est un allègement de la part de votre Seigneur et une miséricorde. Donc, quiconque, après cela, transgresse, aura un châtiment douloureux. » (S. 2, 178). Des dommages financiers peuvent compenser un meurtre, sur la base d'un accord entre les parties. La recherche de la modération est une preuve d'intelligence. Les familles sont ainsi épargnées, qui auraient autrement vu successivement tous leurs membres pris dans l'engrenage de la vengeance : « C’est dans le talion que vous aurez la préservation de la vie, ô vous doués d’intelligence, ainsi atteindrez-vous la piété. » (S. 2, 178).
Il est conseillé de pardonner, afin d'obtenir pour soi-même un pardon d'Allah : « Les blessures tombent sous la loi du talion. Après, quiconque y renonce par charité, cela lui vaudra une expiation. Et ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allah a fait descendre, ceux-là sont des injustes. » (S. 5, 44).
Le Coran adapte donc positivement le talion en instaurant la compensation financière et en préconisant le pardon, mais il maintient ce principe du talion qui peut faire porter la punition sur un membre de la famille du coupable, plutôt que sur le coupable lui-même. Le Coran modernise une loi ancestrale, mais reste dans les limites de celle-ci, puisqu'il est soumis à son injustice fondamentale et à son archaïsme issu du paganisme et du polythéisme sumérien.

- Mais, dans un domaine très particulier, les arrangements interhumains ne pourront pas faire oublier le crime. En effet, si on tue intentionnellement un membre de l’oumma, la Géhenne est inéluctable. « Quiconque tue par erreur un croyant, qu’il affranchisse alors un esclave croyant, et remette à ses gens le prix du sang ... Quiconque intentionnellement tue un croyant, sa récompense alors est la Géhenne, d’y demeurer éternellement. Et sur lui la colère de Dieu, ainsi que sa malédiction, tandis qu’Il lui a préparé un énorme châtiment. » (S. 4, 92).

- Dans un autre domaine, le vol est également réprouvé par le Coran. On punit le voleur en lui coupant la main ! Cela semble paradoxal, puisque l'on peut compenser un meurtre en libérant un esclave, alors que le simple vol – sans précision de montant – est châtié de façon atroce et sans possibilité de rachat : « Quant au voleur et à la voleuse, à tous deux coupez la main, en récompense de ce qu’ils se sont acquis, en punition de la part de Dieu. Et Dieu est puissant, sage. Puis quiconque se repent après son manquement, et se réforme, alors, oui, Dieu accepte son repentir. Vraiment, Dieu est pardonneur, miséricordieux. » (S. 5, 38-39).

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Abu Zaïd avec le voleur devant le Cadi (Maqamat of al-Hariri, XIIIe siècle, Syrie ; BnF).

Une fois de plus, le pardon d'Allah suit les sévices physiques comme on l'a vu pour l'homosexualité. Allah pardonne après la mutilation et à condition que le voleur se repente … Comment qualifier une telle attitude supposée divine de miséricordieuse ? On peut remarquer que le Coran ne semble pas avoir de ligne directrice bien claire puisque la hiérarchisation de la gravité des délits est irrationnelle. Mais la présence de ce verset a rendu divine la cruauté du châtiment et de nos jours, plusieurs pays musulmans pratiquent toujours ces mutilations pour de simples vols...

Pour finir sur une note un peu plus joyeuse, le Coran nous offre un verset très amusant pour résoudre les soucis entraînés par le meurtre. Si un meurtrier bénéficie de la loi du talion pour limiter son châtiment - ou le faire supporter par un autre membre de sa tribu - le Coran signale en fait un procédé plein d'originalité pour régler le problème sans nuire à quiconque.

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Meurtre dans un paysage (École moghole, Livre d'astrologie et des Talismans, vers 1580 ; BnF).

On le sait peu, mais le Coran a donné aux musulmans le pouvoir de ressusciter les victimes de meurtre. Selon le conseil du prophète Moïse dans le Coran, les croyants doivent gifler le cadavre avec de la viande de vache et la nécessité qu'elle soit halal n'est même pas spécifiée : « Et quand vous avez tué un homme et que vous cherchiez à étouffer l’affaire !... Mais Dieu sort ce que vous cachez. Nous dîmes donc : « Frappez le mort avec un morceau de vache. » C’est ainsi que Dieu ressuscite les morts et vous montre Ses signes. Peut-être comprendrez-vous ! » (S. 2, 72-73).

Ce précédé a-t-il été expérimenté ?
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 7:00

CHAPITRE 12 : MOHAMED À MÉDINE.
De 622 à 632.


12. 1. Le 16 juillet 622, bannissement de Mohamed de la Mecque, l'Hégire.
12. 2. Janvier 623, le raid de Nakhla et premières conversions.
12. 3. Et Mohamed rencontre les juifs de Yathrib.
12. 4. La bataille de Badr en 623 et ses conséquences théologiques.
12. 5. Dès 623, commence l'élimination des opposants.
12. 6. Abraham et ses épouses anonymes ; Abraham et la Kaaba.

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12. 7. La Charte de Yathrib ou comment les chefs de tribu défendent leur légitimité en se disant inspirés par Dieu.
12. 8. Le jeûne du Ramadan ou comment les incohérences du Coran se résolvent par la soumission.
12. 9. En 624 : La défaite de 'Uhud devant Yathrib.
12. 10. Quelle est la place réelle de Gabriel/Djibril dans le Coran ?
12. 11. La vie conjugale de Mohamed à Yathrib.

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12. 12. Droits et devoirs des femmes : les archaïsmes de l'Arabie se trouvent divinisés par le Coran.
12. 13. Sociologie musulmane : apartheid sexuel et emboîtement des infériorités.
12. 14. L'esclavage, entre morale et perversion.
12. 15. Règles morales à Yathrib : évolution vers une législation.
12. 16. Rites, rituels et tabous ou comment des obligations obsessionnelles se voient sanctuarisées dans le Coran.
12. 17. Ébauches de législation.

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12. 18. En 626, an 5 de l'Hégire, la bataille du fossé (Al-Khandaq).
12. 19. En 627, la deuxième tribu juive, celle des Nadir, est chassée.
12. 20. En 627, troisième tribu juive de Médine est exterminée, puis les tribus juives du Hedjāz sont attaquées.
12. 21. Relations tribales de Mohamed à Yathrib/Médine : désir d’autocratie et carence d'autorité.
12. 22. En 627, négociations pour le retour de Mohamed à la Mecque : la trêve d'Al-Hudaybiyya.

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12. 23. En 630, conquête de la Mecque : la bataille de Hunayn.
12. 24. Mohamed, maître de la Mecque : les Quraysh ont-ils vraiment changé ?
12. 25. Mohamed gère sa théocratie : obéissance absolue, pouvoir judiciaire et gestion financière.
12. 26. La dhimma ou comment juifs et chrétiens vont être intégrés dans la théocratie de Mohamed.
12. 27. Le pèlerinage de l'Adieu en 632 : le corpus coranique est déjà achevé.
12 . 28. Au terme de la vie de Mohamed, combien de mystères encore inexpliqués !



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Dernière édition par Pierresuzanne le Dim 6 Avr 2014 - 7:02, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 7:01

CHAPITRE 12 (SUITE): MOHAMED À MÉDINE.

De 622 à 632.

12. 18. En 626, an 5 de l'Hégire, la bataille du fossé (Al-Khandaq).
À l'initiative des Quraysh de la Mecque, des tribus du Hedjāz se coalisent contre Mohamed. Elles veulent mettre fin à ses exactions dans le Hedjāz.

Selon la Tradition, le perse Salmān al-fārisīy aurait conseillé à Mohamed de creuser un fossé autour de son camp pour repousser la cavalerie mecquoise, d'où le nom de « bataille du fossé » que prendra cet épisode. Le fossé autour de Yathrib aurait mesuré dix mètres de large et autant de profondeur, pour achever de protéger Yathrib qui était, semble-t-il, entourée de remparts quasiment sur tout son pourtour. Le fossé ne fut creusé que là où les murs manquaient. La Tradition raconte que ces remparts étaient gardés par différentes tribus de Médine, dont la tribu juive des Qurayza... mais le Coran n'en parle pas. Nul doute que le Coran l'aurait précisé si cela avait été le cas. En effet, c'est en raison de leur supposée défection – d'après ce que racontera bien plus tard la Tradition – que les Qurayza seront bientôt punis.

Les tribus de la Mecque mettent le siège devant Yathrib. Les hommes de Mohamed se retranchent derrière le mur. Le face-à-face dure 26 jours, mais aucun combat réel n'a lieu. Les tribus de la Mecque finissent par se lasser et retournent chez elles : « Dieu a renvoyé avec rage ceux qui mécroient, - lesquels jamais n'obtiendront le bien, - Dieu a épargné aux croyants le combat. » (S. 33, 25). Mohamed triomphe. Notons au passage la « rage » d'Allah, joli anthropomorphisme. Mais cette rage ne serait-elle pas davantage celle de Mohamed ?

Le Coran permet de penser que la Tradition n'a pas tout raconté (S. 33, 9-25). En effet, un verset laisse penser que les habitants de Yathrib auraient profité de l'attaque des Quraysh pour se retourner contre Mohamed (v. 13). Mohamed est pris entre deux feux, sa troupe se débande et chacun rentre chez soi. Certains doutent de la puissance d'Allah (v. 10) : ils sont menacés de châtiment. Il ne sert à rien de fuir devant Allah. S'Il a décidé de châtier, le châtiment trouvera sa victime (v. 17). On a déjà vu qu'en cas de difficulté militaire, Mohamed n'hésite pas à motiver ses troupes en rappelant que son Dieu est capable de tuer ses propres alliés peu courageux. Le salut vient une fois de plus de troupes célestes naturellement toujours invisibles. En fait, il semble bien que ce soit la lassitude des tribus de la Mecque qui ait permis la victoire de Mohamed  : « Ho les croyants, Rappelez-vous le bienfait de Dieu sur vous, quand des troupes vinrent sur vous. Nous envoyâmes alors contre elles un vent et des troupes que vous ne vîtes pas ! Cependant que Dieu reste observateur de ce que vous faites. Quand ils nous vinrent d'en haut et d'en bas, et que les regards chaviraient et que les cœurs remontaient aux gorges et que vous pensiez de Dieu toutes sortes de pensées. Les croyants, alors, étaient éprouvés et secoués d'une rude secousse. Et quand les hypocrites disaient et ceux qui ont la maladie au cœur : « Dieu et son messager ne nous ont promis qu'en tromperie » ! De même, quand un groupe d'entre eux dit : « Gens de Yathrib ! Pas de résistance pour vous ! Retournez ! » (v. 13). Partie d'entre eux cependant demandait congé au Prophète en disant : « Oui, nos maisons sont à nu », alors qu'elles n'étaient pas à nu mais qu'ils voulaient juste s'enfuir. » … Tandis qu'auparavant ils avaient certainement passé contrat avec Dieu qu'ils ne tourneraient pas les derrières. Et le pacte de Dieu est chose sur quoi on interrogera. » (S. 33, 9-15).

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La Sourate 33 (Coran de Grenade, 1304 ; BnF).

Personne ne semble avoir envie de se battre. Les Quraysh de la Mecque rentrent chez eux. Les habitants de Yathrib ne vont pas jusqu'au bout de leur révolte contre Mohamed. Ses fidèles se débandent : « Allah a épargné le combat aux croyants. » (S. 23, 25).
Seul Mohamed a assez de persévérance et de jugement politique pour tirer profit de cette fausse victoire. Quoique rejeté par tous, il ne cède jamais. Sa théorie du Dieu des combats finira pourtant un jour par canaliser, motiver et discipliner ses troupes arabes, d'autant qu'elle est associée à la promesse de butin.

Et ce butin va devoir être rapidement trouvé.

12. 19. En 627, la deuxième tribu juive, celle des Nadir, est chassée.
La position théologique de Mohamed est intenable. À la Mecque, il était convaincu que les juifs témoigneraient en sa faveur et il l'avait proclamé au nom d'Allah (S. 26, 197). Mais à Yathrib, les juifs le rejettent. Mohamed cherche une échappatoire en proclamant que les juifs savent qu'ils mentent (S. 2, 90 ; S 3, 78). Puis, il les accuse de savoir qu'il est prophète et de faire preuve de m auvaise foi (S. 4, 46 ; S. 3, 99). « O gens du Livre, pourquoi enrobez-vous de faux le vrai et cachez-vous le vrai, alors que vous savez ? » (S. 3, 71). Mohamed est pris dans ses contradictions.

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Des familles juives allant à la synagogue, au fond les rouleaux de la Thora (Haggadah de Sarajevo,
page du Talmud illustré, réalisée en 1350 à Saragosse ; Musée national de Bosnie-Herzégovine).

Mohamed va jusqu'à réinventer la révélation biblique pour obtenir le soutien des juifs. Il fait parler les prophètes de l'Ancienne Alliance en inventant des paroles bibliques qui n'existent pas dans la Bible : « Dieu prit l'engagement des Prophètes - « Chaque fois que Je vous donnerai du Livre et de la sagesse, et qu'ensuite un messager vous viendra confirmant ce que vous avez déjà, vous devrez y croire, certes, et vous devez lui porter secours. » (S. 3, 81). Les juifs devraient donc l'aider en raison de ce que la Bible est supposée ordonner.
Rien n'y fait, les juifs font du prosélytisme : « Des gens du Livre (les juifs) auraient bien voulu, s'ils avaient pu vous égarer. » (S. 3, 69). Mohamed ne trouve qu'une seule issue : il empêche ses adeptes de discuter amicalement avec eux : « Oh les croyants, ne prenez pas de confidents au dehors : ils ne failliraient pas de vous perdre. » (S. 3, 118). Interdire à des croyants de se confronter à des opinions divergentes est un mécanisme sectaire, ce qui n'est jamais relevé quand on parle de l'islam.

Les juifs n'ont cure des prétentions prophétiques de Mohamed. Ils se moquent de lui avec un jeu de mot cruel que retranscrit le Coran : « Ho les croyants ! Ne dites pas : « Favorise-nous », mais dites : « Regarde-nous » ; et écoutez. Car il y a pour les mécréants un châtiment douloureux. » (S. 2, 104). Le même reproche est fait sourate 4 (S. 4, 46). Traduire un jeu de mots suffit pour lui faire perdre toute sa signification. En fait « Favorise-nous » se disait « Rai'na », en arabe, expression qui est proche du mot hébreu qui signifie « notre méchant » (Note d'Hamidullah)*. Cela laisse bien entendre ce que les juifs pensaient réellement de Mohamed : c'est un « méchant » et cela renseigne au passage sur son manque d'esprit de répartie. Il ne sait se défendre qu'en promettant des châtiments au nom d'Allah.

Les deux dernières tribus juives de Yathrib ont signé la Charte de Yathrib : leur foi est respectée et elles sont protégées par leurs alliances avec les tribus arabes. Néanmoins, elles se doivent d'être solidaires de Mohamed lors de ses guerres. Mohamed les accuse d'avoir fait « schisme d'avec Dieu et Son messager » (S. 59, 4)**. Que s'est-il donc passé ? Auraient-elles refusé une contribution financière pour soutenir son effort de guerre ? Rien n'est dit explicitement. Mais, cette fois-ci, le Coran va justifier succinctement les exactions contre les Nadīr. Ils auraient « rompu le pacte de confiance mutuelle » (S. 4, 155 et S. 5, 13). Il s'agit d'un crime tribal dont le contenu n'est pas précisé**. Dans Expédition contre les Banū Nadir, Tabarī explique que les Nadir ont voulu assassiner Mohamed en laissant tomber une pierre sur lui. Il est étrange qu'un tel acte n'ait laissé aucune trace écrite avant le IXe siècle. En particulier, le Coran n'y fait aucune allusion. On est donc tenté d'y voir une justification a posteriori.

Mohamed oblige les Nadīr à sortir de chez eux. Il s'abrite derrière la décision d'Allah : « Il [la divinité] est Celui qui a expulsé de leurs demeures ceux qui avaient été ingrats parmi ceux qui avaient reçu l’Écriture, Il les a contraints à sortir pour le premier rassemblement (li awwal hashr). » (S. 59, 2-6). Le terme « hashr » s’applique au fait de rassembler de force un troupeau ou de rabattre un fauve à la chasse **.
Après avoir chassé les Nadīr, Mohamed fait abattre leurs palmiers. Il s'agit là d'un crime tribal manifeste, contrairement au reproche elliptique fait aux Nadīr. Le palmier est en effet le seul moyen de survie dans les milieux désertiques. Cela interdit définitivement le retour des Nadīr. Mohamed va donc devoir justifier ses actions : « Vous n’eussiez jamais pu croire que l’on parviendrait à les expulser ; et eux ils se croyaient à l’abri de l’action de Dieu dans leurs demeures fortifiées : mais Dieu les a attaqués d’une manière qu’ils n’avaient pas prévue ; il a jeté la terreur dans leurs cœurs, si bien qu’ils en sont venus à détruire eux-mêmes leurs maisons et [à les laisser détruire] par la main des fidèles à Dieu ; considérez donc, ô hommes doués de sens qu’elle leçon doit être tirée de cela. Si ce n’est que Dieu leur avait imposé l'exil, Il les aurait soumis aux tourments en ce monde ; mais [n’en doutez pas], ils subiront dans l’autre monde les tourments du feu. Ils ont pris [l’initiative] de rompre avec Dieu et avec son messager ; celui qui [prend l’initiative illégitime] de rompre avec Dieu, Celui-ci lui applique le plus violent des châtiments. Les palmiers que vous avez coupés [vous, les partisans de Mohamed sur les terres des Nadīr] et ceux que vous avez laissés sur pied, c’est avec la permission de Dieu et pour que les pervers soient humiliés. » (S.  59, 2-5, trad. J. Chabbi)**. Mohamed s'abrite dans la décision d'Allah. Il n'a donc commis aucun crime. Toutes ses actions sont légitimées par sa voix intérieure, à défaut d'être légitimes au regard des lois tribales.

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Soumission des Nadir
(
Histoire universelle de Rashid al-Dīn, Iran, 1314 ; Collection des arts islamiques, Londres).
À ceux qui pourraient être surpris de voir représenter Mohamed, il faut rappeler que, jusqu'au XVIe siècle, le Prophète
de l'islam a été dessiné sans réticence par les musulmans. Pour ne pas créer d'inutiles polémiques,
seules ses représentations réalisées par des musulmans ont été retenues ici.

Les membres des tribus arabes alliées des Nadīr ont bien essayé de leur venir en aide en conformité à leur alliance tribale ancestrale, mais ils sont en infériorité numérique. Ils renoncent à les aider. Avec un certain cynisme, le Coran accuse les arabes alliés des Nadīr de trahison : « N’as-tu pas vu ceux qui sont traîtres à leur alliances (munāfiqūn), disant à leurs alliés, des gens du Livre, qui ont été infidèles : « Si on vous chasse, nous partirons très certainement avec vous, et n’obéirons jamais à personne à votre sujet ; et si on vous combat, très certainement nous vous secourrons » ? Or Dieu atteste qu’en vérité ce sont bien des menteurs. Si ceux-là sont chassés, ceux-ci ne partiront pas avec eux, et s'ils sont combattus, ceux-ci ne les secourront pas ; et quand même ils les secourraient, très certainement ils tourneront les derrières ; puis, ils ne seront pas secourus. » (S. 59, 11-12). Très souvent, les versions françaises du Coran traduisent le mot « munāfiqūn » par hypocrites, ce qui laisse sous-entendre qu'il s'agit de mauvais croyants. En fait, le mot « munāfiqūn » n'a aucun contenu religieux, il s'agit simplement de quelqu'un qui a trahi un engagement tribal.

Les Nadīr sont chassés de Yathrib. Leurs habitations et leurs terres agricoles sont détruites. Comme il n'y a pas eu de vrai combat, Mohamed s'approprie l’intégralité de leurs biens et il ne les partage qu'à sa discrétion : « Tout ce que Dieu a fait qu'il en revienne de butin à Son messager, - or vous n'y aviez engagé ni chevaux, ni chameaux, mais Dieu, Lui, donne à Ses messagers autorité sur qui Il veut, tandis que Dieu est capable de tout … ce que le messager vous apporte, prenez-le et de ce dont il vous prive, abstenez-vous. » (S. 59, 6-7).

Le récit coranique sur la punition des Nadir s'achève curieusement sourate 59 par une évocation des relations de Mohamed avec les tribus arabes de Yathrib. Ces tribus l'ont accueilli en réfugié. Elles doivent désormais se montrer heureuses de se sacrifier pour lui. Très étrangement, leur amour est même réclamé. Une fois de plus, on voit surgir ce besoin affectif dans la prédication de Mohamed, et ici dans un contexte pour le moins décalé : « À ceux qui avant ceux-ci se sont installés dans le Pays et dans la foi, qui aiment ceux qui émigrent vers eux, et ne trouvent dans leurs propres cœurs aucun besoin de ce dont ils ont eux-mêmes été gratifiés, car ils les aiment plus qu'eux-mêmes, même s'il y a pénurie chez eux. Quiconque se garde de sa propre avidité.... le voilà alors celui qui réussit. » (S. 59, 9). Les arabes devraient donc être heureux de le nourrir, même si eux-mêmes connaissent la pénurie. Seule une mère fait cela pour ses petits. Étrange demande, naïve et immature, d'autant plus qu'elle fait immédiatement suite aux exactions commises contre les Nadīr. Ce que réclame Mohamed est clairement un substitut de maternage. À la Mecque, la ville de son père, il réclamait une part d'affection paternelle de ses fidèles (S. 6, 20) ; à Yathrib, la ville de sa mère, il revendique d'être soutenu comme un enfant l'est par sa mère et juste après que les juifs lui ont fait défaut... Étrange coïncidence. Mohamed transfère un désir inconscient de maternage vers les tribus arabes, juste après la défection des juifs de Yathrib. C'est à se demander si sa propre mère n'aurait pas été juive. Cela expliquerait bien des éléments obscurs, en particulier sa conviction mecquoise d'avoir une foi conforme au judaïsme.
Avant son décès précoce, sa mère lui aurait ainsi enseigné un judaïsme adapté à son jeune âge. Cela expliquera sa connaissance rudimentaire du judaïsme qui se limite à ce qui intéresse un enfant (Noé et son arche, Moïse et ses miracles, Salomon et la reine de Saba, Jonas et la baleine). Cela rendrait également compte de sa méconnaissance de la théologie juive, avec son ignorance des caractéristiques éternelles de Yahvé : la bonté et la liberté. Cette hypothèse est certes hasardeuse, mais elle contient finalement une part de vraisemblable.

* : Le Coran, traduction de Muhammad Hamidullah, p. 18-19, le club français du livre, 1959.
** : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, p. 331-336, Jacqueline Chabbi, Fayard. 2008.

12. 20. En 627, troisième tribu juive de Médine est exterminée, puis les tribus juives du Hedjāz sont attaquées.
Il ne reste plus qu'une seule tribu juive à Yathrib, les Qurayza qui vivent dans des habitations éloignées de Médine. Les Qurayza sont des agriculteurs et des commerçants. Lors de la bataille du fossé, la Tradition prétendra qu'ils gardaient  les remparts et qu'ils avaient trahi. Mais le Coran n'y fait aucune allusion. Selon le Coran, Mohamed craint simplement leur trahison, sans rien de précis à leur reprocher : « Si jamais tu crains avec certitude la trahison de la part d'un peuple, désavoue-le, alors, en toute légalité. Dieu n'aime pas les traîtres. » (S. 8, 58).
Mohamed part assiéger les Qurayza dans leurs hameaux fortifiés de murs en terre : « Ils ne vous combattront ensemble que de villes fortifiées ou de derrière des murailles. » (S. 59, 14).
Les arabes de Yathrib et les Qurayza sont regroupés dans un verset. On a vu que les « munāfiqūn » ne sont pas de mauvais musulmans, comme le dira plus tard la Tradition, mais des arabes de Yathrib indépendants de Mohamed. Il est appliqué à ceux qui protègent les Qurayza selon des accords anciens entérinés par la Charte de Yathrib et qui vont renoncer à les protéger. « S’ils ne cessent pas [de s’opposer à toi,], les traîtres à leur alliance [al munāfiqūn], ceux dont le cœur est malade et ceux qui tremblent de peur à Médine (les juifs probablement). Nous jurons bien que nous te lancerons contre eux, tu ne les auras pas longtemps comme voisins [à Médine]. » (S. 33, 60 ; trad. J. Chabbi).

Les tribus arabes protectrices des Qurayza ne bougent pas. Comme le massacre des juifs correspond à une promesse d'Allah, les hommes de Mohamed n'ont pas à se sentir responsables de cette trahison des règles de solidarité envers une tribu juive de l'oumma.
Les hommes Qurayza sont tués et les femmes sont réduites en esclavage : « [Allah] a fait descendre de leurs demeures imprenables ceux qui leur ont prêté main-forte parmi les Hommes de l’Écriture (les Qurayza) ; Il a jeté la terreur en leurs cœurs ; une partie d’entre eux, vous les avez tués et une autre vous l’avez rendue captive (ta’sirūn). » (S. 33, 26 ; trad. J. Chabbi).
« Maudits soient-ils ! Où qu’ils se terrent, ils seront pris et mis en pièces jusqu’au dernier (ukhidhū wa quttilū taqtīlān). » ( S. 33, 61 ; trad. J. Chabbi). Le verbe employé en arabe suggère une tuerie massive.

La Sīra confirme le Coran : « Le prophète ordonna de faire descendre de leurs fortins les Banū Qurayza et de les enfermer… ils étaient 600 à 700 hommes... ; et le prophète ne cessa de les égorger jusqu’à leur extermination totale » (Sīra, II ; 240, 24, trad. Wahib Attalah). Selon la Tradition, Rayhana bint Zaid, une femme Qurayza réduite en esclavage, est épousée par Mohamed … ou contrainte de devenir sa concubine (Tabaqat, vol VIII, p. 92–93).

Un verset suggère que les Qurayza n'avaient pas bien accueilli Mohamed. Il semble même qu'ils ne l’avaient jamais convié chez eux : « Dieu vous a fait héritiers d’une terre sur laquelle vous n’aviez jamais mis le pied. » (S. 33, 27)*. Mohamed s'approprie leurs biens. Les juifs ne se sont pas défendus : Allah a mis la « terreur dans leurs cœurs » (S. 33, 26 ; S. 59, 2).

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Mohamed (représenté par une flamme, donc à la fois sur le trône et en train de se battre) et Ali attaquent les Banu Qurayza
(enluminure du XIXe siècle, Muhammad Rafi Bazil ; British Muséum.).

Nous sommes en 627 et Mohamed n'a plus d'opposants à Yathrib, en particulier aucun dont les connaissances bibliques pourraient le prendre en défaut.

Selon la Tradition, Mohamed va maintenant s'attaquer à toutes les tribus juives du Hedjāz.
Le Coran ne parle que de celle de Khaybar (S. 62, 1-8). Il s'agit d'une riche oasis agricole à 150 km au nord de Yathrib. Elle abrite une des tribus juives du Hedjāz et, toujours selon la Tradition, les Nadīr y auraient trouvé refuge après leur expulsion de Yathrib. La Sourate 62 évoque les rabbins qui portent à dos d'âne les rouleaux de la Thora entre des habitats dispersés (S. 62, 6). Mohamed n'a rien à leur reprocher, sauf de ne pas l'avoir cru messager de Dieu : « qu'il est mauvais l'exemple de ceux qui traitent de m ensonge les signes de Dieu » (S. 62, 5). Selon la Tradition, Mohamed ne réclame pas leur conversion, mais simplement leur soumission politique et le paiement d'un tribut annuel. La Tradition brodera des siècles plus tard et imaginera des trahisons justifiant l'attaque de Mohamed, mais le Coran n'en garde aucune trace.

Le sort final des Nadīr réfugiés à Khaybar a été racontée par la Sīra. Après ce que l'on a vu des adaptations et des réécritures de la Tradition, il faut sans doute prendre ce récit avec précaution. Le récit de la Sīra est néanmoins tragiquement clair : « L'Envoyé d'Allah ordonne de creuser la ruine. On en extrait une partie du trésor des Nadīr. Il demande à Kinanā où se trouve le reste. Mais il refuse de le dire. L’Envoyé d'Allah ordonne à al-Zubayr de le torturer. Al-Zubayr se mit à brûler sa poitrine avec un briquet jusqu'à ce que Kinanā soit sur le point de mourir. Puis l'Envoyé d'Allāh le livra à Muhammad ben Maslamah, celui-ci lui coupa le cou, en vengeance de son frère. » (Sīra II, 136, 137). Toujours selon la Tradition, Kinanā était marié à Safiyya, une belle juive de 17 ans. La nuit même, Mohamed l'épouse et consomme son mariage avec elle. Il ne respecte pas le délai de 4 mois 10 jours pourtant préconisé par le Coran après veuvage (S. 2, 234). La Sīra raconte la nuit de noce : « Tout au long de la nuit, Abū Ayyūb s'était tenu debout à l'entrée de la tente, la main sur son sabre. Lorsque le Messager de Dieu en sortit à l'aube, il le vit qui rendait grâce à Dieu, le plus grand. Il lui demanda : « Qu'as-tu Abū Ayyūb ? » « Tu étais dans la tente avec cette femme, dont tu as tué le père, le premier mari, le second mari et les frères. Je craignais qu'elle ne veuille te tuer ». Le Messager de Dieu rit de bon cœur et lui dit sa gratitude. » (Sīra II, 636).

Il est significatif de voir que les savants musulmans du XXe siècle essaient de justifier le comportement de leur Prophète en racontant cette histoire d'une façon plus acceptable. Muhammad Husayn Haukal en est l'exemple qui écrit au XXe siècle : « le prophète accorda la liberté [à Safiyya] et l'épousa, suivant les exemples de grands conquérants qui épousèrent les filles et les épouses des rois qu'ils avaient déposés, en partie pour atténuer leur tragédie, et en partie pour préserver leur dignité » (The Life of Muhammad, p. 373, Haykal, North American Trust Publications, 1976).

Si le Coran ne justifie jamais la persécution les juifs, on voit néanmoins se profiler tout au long de la récitation coranique un reproche récurent : les juifs auraient été « associateurs », c'est à dire polythéistes. « Ils ont dits : « Soyez judéens ou nazaréens, c’est la bonne direction pour vous ! » Réponds-leur : « Non, [il faut suivre comme moi] la voie d’Abraham en homme pur. Lui [Abraham], il n’a pas été de ceux qui associent. » (S. 2, 134-135). Contrairement à Abraham qui n'est pas associateur, les juifs l'auraient donc été ! Les juifs sont ensuite accusés d'être « associateurs » avec de plus en plus de précision (S. 3, 67 ; S. 22, 17). Il s'agit d'une désinformation manifeste. En effet, au VIIe siècle, cela fait plus de 1000 ans que les juifs sont strictement monothéistes. À la fin de sa vie, par sa voix intérieure, Mohamed va jusqu'à les comparer à des singes (S. 7, 166) et à des cochons. « Celui que Dieu a maudit, et contre qui Il s'est mis en colère, et dont Il a fait des singes et des cochons. » (S. 5, 60). Il semble bien qu'il ne reste que l'insulte et la désinformation à Mohamed pour dissimuler ses incohérences théologiques et justifier ses exactions.

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Mohamed, le sceau des prophètes, assis devant les prophètes du passé
(manuscrit persan, XVIe siècle ; BnF).

Mohamed est désormais le seul dans le Hedjāz à tenir un discours sur la Bible. Dans sa petite théocratie, plus personne ne mettra en doute son inspiration divine.

* : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, p. 344, Jacqueline Chabbi, Fayard. 2008.

12. 21. Relations tribales de Mohamed à Yathrib/Médine : désir d’autocratie et carence d'autorité.

En 622, les clans de Yathrib ont accueilli Mohamed selon le devoir de solidarité tribale. Ils sont appelés « ceux qui prêtent assistance » (S. 9, 100 ; S. 8, 74). La place de Mohamed reste celle d'un réfugié invité (S. 63, 8 ; S. 9, 84). Cependant, au fil des années, les habitants de Yathrib semblent avoir eu peur de lui. En effet, ils ne se sont pas opposés militairement à lui quand leurs tribus juives alliées ont été attaquées.

Pourtant, ils résistent idéologiquement. Une saynète est à nouveau racontée par le Coran. Mohamed essaie de séduire les arabes de Yathrib en les écoutant avec attention. Mais, au moment où il exige qu'ils demandent pardon à Allah par son intermédiaire, ils se dérobent : « Quand tu les vois, leurs corps t’émerveillent, et s'ils parlent, tu écoutes leur parole. Ils sont comme des bûches habillées !... Et quand on leur dit : « Venez ! Le messager de Dieu va implorer pardon pour vous », ils replient leurs têtes, et tu les vois faire de l'obstruction tandis qu'ils s’enflent d'orgueil. » (S. 63, 4-5). Ces réfractaires incitent même à ne pas donner d'argent à ses fidèles pour ne pas les encourager : « C'est eux qui disent : « Ne faites pas largesses à ceux qui sont auprès du Messager de Dieu, afin qu'ils se dispersent. » (S. 63, 7).

Mohamed a toujours de la peine à convaincre par la parole, mais il exige un respect de plus en plus formel aux siens. Le saluer correctement devient une condition du salut. Allah aurait Lui-même donné exemple : « Oui, Dieu et Ses anges se penchent sur le Prophète. Ô croyants, penchez-vous sur lui et saluez-le de salutation. » (S. 33, 56). Lors de ses communications directes avec Dieu, Mohamed a donc été salué avec respect par Allah et ses fidèles doivent faire de même : « Et quand ils viennent à toi, ils te saluent d'une façon dont Dieu ne t'a pas salué, et disent en eux-mêmes : « Que Dieu ne nous châtie pas de ce que nous disons ! » Il leur suffira de la Géhenne, où ils tomberont. » (S. 58, 8).

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Châtiment des hypocrites
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

Sur le chapitre du respect, le Coran donne toute une liste de détails concernant le confort de Mohamed. Ces multiples prescriptions contrastent curieusement avec la brièveté des versets justifiant ses exactions. Mohamed ne souhaite pas être laissé debout : Allah s'en occupe par la voix du Coran. « Le fait est que quand ils ont l'occasion de faire du commerce ou de s'amuser, ils s'y dispersent et te laissent debout ! » (S. 63, 11). Il est vrai qu'il avait environ 55 ans quand le verset est récité. Il ne faut pas crier autour de chez Mohamed : « Il y en a qui te crient de derrière les cloisons, en vérité ! La plupart d'entre eux ne comprennent pas. Et qu'ils patientent jusqu'à ce que tu sortes à eux, certes ce serait mieux pour eux. Dieu cependant est miséricordieux. » (S. 49, 4-5). Dans son grand âge, Mohamed souffre du bruit de la rue, ce qui justifie bien quelques versets coraniques.
Probablement envahi par ses fidèles, Mohamed réglemente le comportement convenable dans sa maison toujours par l'intermédiaire de sa révélation : « Ho les croyants ! N'entrez pas aux demeures du Prophète, - à moins qu'invitation ne vous soit faite à un repas, et encore pas dans le temps de la cuisine. Mais lorsqu'on vous appelle, alors entrez. Puis quand vous aurez mangé, alors dispersez-vous, sans chercher à vous rendre familier pour causer. Oui, cela fait de la peine au Prophète, mais devant vous il a honte, alors que Dieu n'a pas honte de la vérité. » (S. 33, 53). Il est intéressant de noter que Mohamed éprouve de la honte, à 50 ans passés, pour un point de détail. Il s'abrite donc dans sa révélation intérieure pour réclamer une chose, somme toute, naturelle.

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Mohamed prêche dans sa maison/mosquée devant Ali (à sa gauche) et les deux fils de celui-ci,
(Maqtal-i-al-i-Rasul, XVIe siècle, Bagdad, Iraq ; Topkapi).

Il faut demander congé à Mohamed avant de le quitter, c'est une condition de la foi : « Sont croyants ceux qui croient en Dieu et en Son messager, et qui, lorsqu'ils sont en sa compagnie pour une affaire d'intérêt commun, ne s'en vont pas, qu'ils ne lui aient demandé congé. Oui, ceux qui te demandent congé, voilà ceux qui croient en Dieu et en Son messager. » (S. 24, 62).
L'intimité familiale de Mohamed doit être respectée : il ne faut pas entrer chez lui quand il est dévêtu (S. 24, 58-60). La Sourate 33 est récitée après son mariage avec Zaynab, la femme répudiée par son fils adoptif Zaïd,. La Sourate 33 signale que les femmes de Mohamed ne doivent pas être sollicitées directement. Il ne s'agit pas d'éviter de les importuner en leur demandant de trop nombreux services, mais clairement de jalousie. La fin du verset le prouve : « Et quand vous demandez à ces femmes quelques objets, demandez-leur, alors, de derrière un rideau : c'est, pour vos cœurs et leurs cœurs, plus pur. Et ce n'est pas à vous de faire de la peine au Prophète, - ni de vous marier jamais avec ses épouses après lui, ce serait, auprès de Dieu une énormité. » (S. 33, 53). Par la grâce de ce verset, aucune des veuves de Mohamed ne pourra se remarier, même si elles sont pour la plupart encore jeunes à son décès.

Sa vie de guide religieux est également évoquée et laisse apparaître les mêmes difficultés à se faire obéir. Quand Mohamed parle, on doit se taire et écouter et c'est Allah Lui-même qui l'ordonne : « Ho, les croyants ! N'élevez pas vos voix par dessus la voix du Prophète, et ne haussez pas le ton avec lui comme vous le haussez les uns avec les autres, de peur que vos œuvres deviennent vaines sans que vous vous en doutiez. Oui, ceux qui auprès du messager de Dieu baissent leurs voix sont ceux dont Dieu a examiné les cœurs en piété. À eux pardon et énorme salaire. » (S 49, 2-3). Toujours par sa voie céleste, Mohamed réclame la prééminence : « Ne traitez pas l'appel du messager comme vous faîtes, entre vous, de l'appel des uns aux autres. » (S. 24, 63).

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Mohamed prêchant
(ouvrage d’al-Bīrūnī, al-Āthār al-bāqiya, Iran, XVIe siècle ; BnF)

Mohamed souhaite l'ordre et la discipline pendant les prières, mais il n'est pas obéi. Heureusement, Allah intervient : « Ho, les croyants ! Quand on vous dit : « Faites de la place, dans les assemblées », alors faites de la place : Dieu vous fera de la place. Et quand on vous dit : « levez-vous » alors levez-vous. » (S. 58, 11). Voilà Allah réduit au rôle de chaisière dans la mosquée de Mohamed. La récompense est ici à la mesure de l'acte de piété : « Dieu élèvera en grades parmi vous ceux qui croient, et ceux à qui science a été apportée. » (S. 58, 11). Est-ce vraiment cela un savant musulman « à qui science a été apportée », quelqu'un qui fait place dans les assemblées et se lève quand on le lui demande ?

Mais, la structure grammaticale du Coran conduit à s'interroger. En effet, Allah parle de Lui à la première personne du singulier en disant « Je » (S. 58, 21 ; S 56, 75...) ou à la première personne du pluriel en disant « Nous » (S. 57, 27 ; S. 56, 73 ; S. 38, 46-47 ; S. 59, 21), ou bien à la troisième personne du singulier en disant « Il » (S. 55 ; S.  25, 45). Dans la sourate 25, Allah passe du « Il » au « Nous », dans des versets qui se suivent (S. 25, 45-60). Dans la sourate 58, Allah passe du « Je » au « Il » en deux versets : « «Très certainement, Je prédominerai, Moi, ainsi que Mes messagers »... Très certainement dans le cœur de ceux-ci Il a prescrit la foi et Il les a aidés d'un Esprit de Lui. » (S. 58, 21-23).

Mais qui parle donc, Dieu ou Mohamed ?

D'autant que certains versets rendent la soumission au seul Mohamed suffisante
: « Quiconque obéit au messager obéit alors certainement à Dieu. » (S. 4, 80). Ou « Ils font un tête-à-tête de péché et de transgression et de désobéissance au Messager. » (S. 58, 8). À qui doit-on obéir, à Mohamed ou à Allah ? D'autant que la suite de ce verset est celui où l'on voit Allah saluer Mohamed avec respect : « Quand ils viennent à toi, ils te saluent d'une façon dont Dieu ne t'a pas salué. » (S. 58-8 (fin)).
Qui est donc l'auteur du Coran ? La structure du texte coranique éclaire les non-musulmans. Le poids des interdits et le respect quasi-divin qui entoure le Prophète interdisent aux musulmans de se pencher avec trop d'attention sur la structure de leur texte saint. Oser le faire transgresse un tabou dont l'instauration a en fait été fort utile pour sauvegarder l'affirmation bien fragile de l'origine divine du Coran.

12. 22. En 627, négociations pour le retour de Mohamed à la Mecque : la trêve d'Al-Hudaybiyya.

Comme le suggère le Coran et comme le raconte la Tradition, Mohamed aurait souhaité retourner à la Mecque après la bataille du fossé (S. 48, 25 ; S. 22, 25 ; S. 8, 34 ; S. 5, 2)*. Mohamed prend prétexte du petit pèlerinage - l''umra prescrit par la sourate 2 (S. 2, 196) - pour se diriger vers la Mecque. Il part avec quelques proches compagnons en conduisant un troupeau à sacrifier (S. 48, 25).
Le petit pèlerinage, l' 'umra, est réservé aux Quraysh. C'est une visite bétylique à la Kaaba avec un sacrifice sur place (S. 22, 28-37). On rappelle que la Kaaba était alors emplie de pierres dressées, des bétyles, pierres sacrées logeant chacune un dieu. En période pré-islamique, au cours de l''umra, les Quraysh effectuaient sept tours autour de la Kaaba dans le sens des aiguilles d'une montre. Ils se tenaient debout, s'inclinaient et se prosternaient (S. 22, 26). Ils sacrifiaient ensuite des dromadaires juste à coté sur le rocher d'al-Marwa, pour obtenir nourriture et protection (S. 106). Il ne faut donc pas confondre l''umra avec le Grand Hādjdj qui se déroulait à A'rafāt à 10 kilomètres de la Mecque. Le Grand Hādjdj était réservé aux tribus de pasteurs qui accomplissaient le sacrifice à Minā et lapidaient – semble-t-il - des stèles juste à coté. Actuellement, le pèlerinage de la Mecque a regroupé les deux pratiques, mais en période pré-islamique, ces deux pèlerinages avaient lieu à deux périodes différentes de l'année.

Le Coran garde la trace d'un encouragement divin offert à Mohamed : « Dieu réalisera par la vérité la vision de Son messager : très certainement vous entrerez dans la Sainte Mosquée, si Dieu veut, en sécurité, ayant rasé vos têtes et coupé les cheveux. » (S. 48, 27). En fait, la date de récitation de ce verset est tardive. Mohamed ne l'inclut dans sa récitation qu'après son retour effectif à la Mecque. Le Coran ne prophétise jamais sur l'avenir : il réécrit le passé.

En 627, Mohamed part donc vers la Mecque alors qu'elle lui est toujours officiellement interdite.

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Mohamed avance vers la Mecque accompagné des anges Gabriel, Michael, Israfil et Azra
et précédé de ses compagnons
(Siyer-i-Nebi,
La Vie du Prophète, écrit vers 1588).

Il est arrêté à proximité, à al-hudaybiyya au lieu dit de « l’Arbre bossu », par les Quraysh qui lui refusent l'entrée. « Les bêtes de sacrifice restent attachées », raconte le Coran, ne pouvant « atteindre leur lieu d'immolation » (S. 48, 25). Des négociations s'engagent. La négociation d'al-hudaybiyya est un « fath » (S. 48), c'est à dire une trêve, un don d'Allah. On voit là une caractéristique de la civilisation tribale. Une victoire obtenue par la négociation est encore plus appréciée qu'une victoire obtenue par les armes et manifeste le soutien d'Allah autant que les victoires militaires *.

Ces négociations ont été rapportées par al-Djājiz, historiographe musulman mort en 856. Ce récit appartient donc à la Tradition musulmane. En fait - et de façon tout à fait étrange pour nos esprits du XXIe siècle - elles commencent par un concours d'insultes à teneur sexuelle. La pratique bédouine du concours d'insultes a certes disparu de nos jours, mais le Coran garde la trace de cette tradition dont Allah Lui-même ne se prive pas, puisqu'Il traite à son tour de « châtré » celui qui a insulté Son messager (S. 108, 3). Selon al-Djājiz, les Quraysh de la Mecque insultent Mohamed en lui reprochant d'avoir renoncé à la fierté de ses pères, d'être entouré de « nègres » (sūdān), d' « impuissants » ('ujara) et de « va-nu-pieds sans tribu » (awbāsh an-nās). Le futur calife Abū Bahr répond aux Quraysh de « retourner sucer la vulve d'al-Lāt ». Il s'agit d'une des déesses tutélaires de la Mecque dont parlent les versets dits sataniques du Coran*.

Après négociation, Mohamed obtient finalement le droit de venir en pèlerinage à la Mecque l'année suivante. La Sourate 22 évoque le voyage du pèlerin : « Fais annonce aux gens pour le Pèlerinage : qu'ils viennent à toi, à pied et aussi à dromadaire de toute espèce, de tout chemin creux afin qu'ils témoignent eux-mêmes d'avantages qui sont leurs, et qu'ils rappellent le nom de Dieu, pendant quelques jours bien connus, sur la bête du cheptel qu'Il leur a attribuée en nourriture. Mangez-en vous-mêmes, et faites-en aussi un repas au besogneux misérable. Qu’ils ôtent ensuite leur crasse, et qu'ils remplissent leurs vœux, et qu'il fassent les tours autour de l'Antique Maison. » (S. 22, 27-30).

En 628, Mohamed retourne donc à la Mecque. Il y accomplit son pèlerinage à la Kaaba toujours païenne. Dans le Coran, Mohamed raconte avoir sacrifié au rocher nommé al-Marwa, près de la Kaaba, en exacte conformité aux rites de l''umra païenne : « De ces bêtes-là vous tirez des avantages jusqu’à un terme dénommé ; puis vers l’Antique Maison (la Kaaba) est leur lieu d’immolation » (S. 22, 33).
Très curieusement, Mohamed accomplit donc en 628 un pèlerinage rigoureusement païen et polythéiste, une visite bétylique à la Kaaba. La Kaaba étant un Temple supposé fondé par Abraham, la Tradition raconte que c'est sur les pas d'Abraham - et même sur ceux d'Adam - que Mohamed a prié. Mais cette explication n'est pas suffisante. Si on prend une comparaison, on sait que le Golgotha et le tombeau du Christ ont été recouverts de terre par les romains en 135 et qu'ils ont bâti au dessus un temple dédié à Vénus. Si un père de l’Église, Clément d’Alexandrie par exemple ou bien le pape Calixte s'étaient rendus en pèlerinage à Jérusalem – devenue Ælia Capitolina - comment croire un seul instant qu'ils seraient entrés dans le temple dédié à Vénus ? Comment les imaginer offrant quelques libations sur l'autel de la déesse ou lui sacrifiant quelques boucs ou verrats - selon le respect de son culte païen - sous prétexte que son temple se trouvait à l'endroit précis où leur Seigneur Jésus-Christ était ressuscité ! Aucun d'eux ne serait saint de nos jours et leurs propres fidèles les auraient conspués.

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Aphrodite à Pompéi (maison de Vénus, premier siècle ; Pompéi).
Les Pères de l’Église ont-ils égorgé des porcs sur l'autel de Venus, à Jérusalem, sous prétexte que son temple
avait été installé par les romains au dessus du Golgotha, là où Notre Seigneur Jésus-Christ a été crucifié pour nos péchés ?

C'est pourtant ce que fait Mohamed en 628 : il accomplit des rites païens, sans aucun scrupule et sans la moindre hésitation théologique. Quel est donc la nature du monothéisme de Mohamed ? La question peut se poser. S'agit-il simplement pour lui de regrouper autour de lui des hommes qui croient en lui, prêts à se soumettre à ses directives supposées provenir d'un dieu mal défini ? S'agit-il uniquement de regrouper des hommes prêts à se montrer disciplinés dans l'engagement militaire dans l'attente de butin, mais sans que le contenu théologique de leur foi ait besoin d'être très précis ? En effet, en 628, la Mecque est sans aucun doute toujours païenne. Mais, bien plus significatif, le Coran n'a pas même anticipé sur la purification du culte de la Kaaba. En effet, l'interdiction de sacrifier devant les pierres dressées, les « nusub », n'est pas encore donnée. Ce n'est qu'en 631, que l'adoration des bétyles devient interdite : « Oh, les croyants ! Oui …. les pierres dressées ne sont qu'ordure, œuvre du Diable » (S. 5, 90 ; 112e récitée) et que l'on ne peut plus sacrifier au-dessus : « Vous est interdite la bête... qu'on a immolée sur les pierres dressées » (S. 5, 3). En 628, lors de son 'umra, les pratiques religieuses de Mohamed sont donc toujours polythéistes et païennes : il adore toujours les multiples idoles de pierre de la Kaaba, même si sa préférence semble aller à la Pierre noire (S. 106).

L’exégèse tardive brodera sur Mohamed renversant les idoles de la Kaaba et effaçant une fresque représentant Jésus, Abraham et Marie lors de sa prise de pouvoir à la Mecque en 631. Mais, il n'existe nulle trace dans le Coran  – ni explicite ni suggérée - de cette légende. En revanche, elle apparaît pour la première fois dans le Livre des idoles rédigé par ’Ibn al-Kalbī au IXe siècle...**

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Mohamed abat les idoles de la Kaaba (Chiraz, Iran, 1585-1595).

Hélas pour la piété musulmane, les idoles de Mohamed contenues dans la Kaaba ne sont ni Abraham, ni Marie, ni Jésus, ce sont simplement des bétyles, des pierres dressées sacrées. Comme on l'a vu pour l’interprétation spécieuse que la Tradition donne de la sourate 94, l'islam abbasside a cherché à dissimuler le paganisme de son Prophète.

* : Le Seigneur des tribus, J. Chabbi, p. 238, CNRS éditions, 2010.
** : Le Coran décrypté, J. Chabbi, p. 280, Fayard, 2008.
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 7:05

CHAPITRE 12 : MOHAMED À MÉDINE.
De 622 à 632.


12. 1. Le 16 juillet 622, bannissement de Mohamed de la Mecque, l'Hégire.
12. 2. Janvier 623, le raid de Nakhla et premières conversions.
12. 3. Et Mohamed rencontre les juifs de Yathrib.
12. 4. La bataille de Badr en 623 et ses conséquences théologiques.
12. 5. Dès 623, commence l'élimination des opposants.
12. 6. Abraham et ses épouses anonymes ; Abraham et la Kaaba.

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12. 7. La Charte de Yathrib ou comment les chefs de tribu défendent leur légitimité en se disant inspirés par Dieu.
12. 8. Le jeûne du Ramadan ou comment les incohérences du Coran se résolvent par la soumission.
12. 9. En 624 : La défaite de 'Uhud devant Yathrib.
12. 10. Quelle est la place réelle de Gabriel/Djibril dans le Coran ?
12. 11. La vie conjugale de Mohamed à Yathrib.

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12. 12. Droits et devoirs des femmes : les archaïsmes de l'Arabie se trouvent divinisés par le Coran.
12. 13. Sociologie musulmane : apartheid sexuel et emboîtement des infériorités.
12. 14. L'esclavage, entre morale et perversion.
12. 15. Règles morales à Yathrib : évolution vers une législation.
12. 16. Rites, rituels et tabous ou comment des obligations obsessionnelles se voient sanctuarisées dans le Coran.
12. 17. Ébauches de législation.

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12. 18. En 626, an 5 de l'Hégire, la bataille du fossé (Al-Khandaq).
12. 19. En 627, la deuxième tribu juive, celle des Nadir, est chassée.
12. 20. En 627, troisième tribu juive de Médine est exterminée, puis les tribus juives du Hedjāz sont attaquées.
12. 21. Relations tribales de Mohamed à Yathrib/Médine : désir d’autocratie et carence d'autorité.
12. 22. En 627, négociations pour le retour de Mohamed à la Mecque : la trêve d'Al-Hudaybiyya.

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12. 23. En 630, conquête de la Mecque : la bataille de Hunayn.
12. 24. Mohamed, maître de la Mecque : les Quraysh ont-ils vraiment changé ?
12. 25. Mohamed gère sa théocratie : obéissance absolue, pouvoir judiciaire et gestion financière.
12. 26. La dhimma ou comment juifs et chrétiens vont être intégrés dans la théocratie de Mohamed.
12. 27. Le pèlerinage de l'Adieu en 632 : le corpus coranique est déjà achevé.
12 . 28. Au terme de la vie de Mohamed, combien de mystères encore inexpliqués !

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 7:07

CHAPITRE 12 (FIN): MOHAMED À MÉDINE.

De 622 à 632.

12. 23. En 630, conquête de la Mecque : la bataille de Hunayn.
Depuis le début de l'Hégire en 622, le Hedjāz, la région qui va de Médine à la Mecque, est le théâtre de multiples conflits. Plusieurs tribus s'affrontent. Mohamed a naturellement envoyé ses troupes harceler les Quraysh de la Mecque, mais de multiples autres tribus organisent des coups de main et rançonnent les caravanes. Mohamed a avancé ses pions. Il conclut la paix avec les différentes tribus lors du serment dit « de Baya » qui est prêté « sous un arbre » (S. 48, 18).
Désormais, les tribus du Hedjāz, et particulièrement celle de la Mecque, sont engagées avec lui par un serment de soutien réciproque dont le but clairement affiché est le partage du butin : « Dieu a très certainement agréé les croyants quand ils t'ont prêté serment sous l'Arbre. Il a donc su ce qu'il y avait dans leurs cœurs, et fait descendre sur eux la tranquillité, et Il les a récompensés par une proche victoire ainsi que par beaucoup de butin. » (S. 48. 18-19).


En 630, l’occasion tant attendue se présente. La puissante tribu des Hawāzin attaque la Mecque qui est maintenant l'alliée de Mohamed. Fidèle au serment de Baya, Mohamed vole à son secours. C'est la bataille de Hunayn, si importante politiquement qu'elle est nommément citée dans le Coran. « Dieu vous a secourus en maints endroits, ainsi qu'à la journée de Hunayn, quand vous vous êtes complus en votre grand nombre, - ce qui, ensuite, ne vous a pas du tout mis au large ; et la terre, toute vaste qu'elle est, vous fut étroite ; puis, vous tournâtes les talons. » (S  9, 25). Étrange verset qui préserve la mémoire du peu de courage des fidèles de Mohamed : rassurés par leur grand nombre – probablement pas plus d'une à deux centaines - ils pensent venir à bout facilement d'une simple tribu, mais ils s'enfuient bien vite devant la combativité de leurs adversaires. Manifestement, le sang froid de Mohamed et la discipline d'une poignée des siens ont prévalu : « Puis, Dieu fit descendre Sa Tranquillité sur Son messager et sur les croyants. » (S. 9, 26). La victoire est clairement attribuée à Allah : « Allah a fait descendre des combattants que vous ne vîtes pas. Il a plongé dans le tourment de la défaite ceux qui avaient été infidèles » (S. 9, 26 ;  trad. J. Chabbi).

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Mohamed arrive à La Mecque (Ishāq-al-Nishāpūrī, 1581, BnF).

À ceux qui pourraient être surpris de voir représenter Mohamed, il faut rappeler que, jusqu'au XVIe siècle, le Prophète
de l'islam a été dessiné sans réticence par les musulmans. Pour ne pas créer d'inutiles polémiques,
seules ses représentations réalisées par des musulmans ont été retenues ici.

Mohamed vient de sauver la Mecque du coup de main des Hawāzin : il s'y installe en maître. Nous sommes en 630.
De nouvelles règles vont rapidement s'imposer aux Quraysh comme en témoigne la sourate 9, l'avant dernière sourate récitée. Elle nous livre un témoignage très vivant de la prise de pouvoir de Mohamed à la Mecque.
Initialement, ceux qui refusent de se soumettre à la croyance de Mohamed peuvent demander un « idjāra », un contrat de voisinage comme celui qui avait permis à Mohamed de rester à la Mecque avant l'Hégire. C'est une pratique habituelle et le Coran la propose : « Si un quelconque faiseur de dieux te demande asile, alors donne-lui asile, jusqu'à ce qu'il entende la parole de Dieu, puis fais-le parvenir à son lieu de sécurité. Ceci, parce que ce sont vraiment des gens qui ne savent pas. » (S. 9, 6). Dans un premier temps, l'ignorance des Quraysh polythéistes semble justifier la tolérance. Mais ce contrat est précaire. En effet, le Coran lui-même affirme tout de suite qu'on ne saurait être tenu de respecter la parole donnée à un « faiseur de dieux » : « Comment pacte y aurait-il, près de Dieu et de Son messager, pour les faiseurs de dieux ? Sauf pour ceux avec qui vous avez conclu un pacte près de la Sainte Mosquée. » (S. 9, 7). Par ce verset, même de nos jours, bien des musulmans ne se croient pas engagés par des alliances conclues avec des non-musulmans, en particulier si l'engagement a été pris loin de la Kaaba. Dans la logique musulmane, il ne s'agit pas de déloyauté mais simplement d'une autorisation coranique. De nos jours, certains non-musulmans sont parfois surpris par le manque de fiabilité de certains musulmans lors de contrats commerciaux ou même d'accords politiques. Ils peuvent en trouver ici l'explication théologique.

Rapidement, le ton change. Ceux qui refusent de se soumettre à la révélation de Mohamed sont chassés de la Mecque. Ils ont quatre mois pour partir : « Désaveu de la part de Dieu et de Son messager, à l'égard de ceux des faiseurs de dieux avec qui vous aviez conclu un pacte : « Pendant quatre mois, donc, voyagez librement de par la terre ; et sachez que vraiment vous ne réduirez pas Dieu à l'impuissance, c’est Lui qui couvre d'ignominie les mécréants. » (S. 9, 1-2).

La Mecque est maintenant débarrassée de toute personne réfractaire à la nouvelle foi. Les païens sont pourchassés : « Lorsque les mois sacrés expirent, alors tuez les faiseurs de dieux, où que vous les trouviez ; et capturez-les, et assiégez-les, et tenez-vous tapis pour eux dans tout guet-apens. » (S. 9, 5). Une échappatoire leur est proposée : la conversion : « Si ensuite, ils se repentent et établissent l'Office et acquittent l'impôt, alors relâchez leur sentier. » (S. 9, 5).

Pour conserver leurs maisons et leur commerces, les Quraysh ont donc dû se convertir (S. 9, 1-3). Ces tous nouveaux convertis doivent rompre avec leurs familles restées polythéistes, familles résidant maintenant hors de la Mecque : « Ne prenez pas pour amis vos pères et vos frères s'ils préfèrent la mécréance à la croyance. Quiconque les prend pour amis, alors c'est eux les prévaricateurs. » (S. 9, 23).
Les Quraysh vivaient des revenus du pèlerinage païen, en particulier les Quraysh de la famille paternelle de Mohamed. Une nouvelle prescription du Coran ruine leur activité : le pèlerinage préislamique devient interdit puisque les lieux de prosternation sont fermés aux païens. « Qu'ont-ils les faiseurs de dieux, à peupler les mosquées de Dieu, cependant qu'ils témoignent mécréance contre eux-même ?... Que peu plent les mosquées de Dieu ceux qui croient en Dieu et au Jour dernier... » (S. 9, 17). Non seulement les impies sont interdits de séjour à la Mecque, mais ils ne peuvent même plus y entrer pour l'umra. Les Quraysh vivant à l'extérieur de la Mecque qui souhaitent revenir accomplir une visite bétylique à la Kaaba se voient interdit l'accès à la Ville sainte après une année de transition : « Les faiseurs de dieux sont une impureté : qu'ils ne s'approchent plus de la Sainte Mosquée, après cette présente année. » (S. 9, 28).

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Mohamed, représenté par un nimbe doré, entre à la Mecque
(manuscrit du Cachemire, XIXe siècle).

En 631, la Mecque s'est refermée sur elle-même. Intégrisme sectaire... ou pureté spirituelle indispensable ? Chacun choisira selon ses convictions. Base arrière des multiples coups de main qui étendront sa mainmise sur le Hedjāz, la Mecque appartient désormais à Mohamed.

12.  24.  Mohamed, maître de la Mecque : les Quraysh ont-ils vraiment changé ?
Mohamed a désormais pris le contrôle de la Mecque. Il étend également sa domination sur les tribus de pasteurs nomades qui organisaient le grand pèlerinage à A'rafāt et à Minā. Le mois supplémentaire ajouté - au choix des grands chefs tribaux pasteurs - à l'année de 12 mois lunaires tous les trois ans est tout simplement supprimé (S. 9, 37). Il semble bien que soumettre les tribus de pasteurs autonomes et les déposséder de tous les symboles de leur autorité soit pour Mohamed plus important que les réalités astronomiques et la durée réelle de l'année terrestre.

Les ressources économiques autour de la Kaaba provenaient du pèlerinage païen ; cela suscite quelques inquiétudes à ceux qui se sont convertis pour garder leurs biens : « Si vous redoutez une pénurie, eh bien, Dieu bientôt vous mettra au large, s'Il veut, de par Sa grâce. » (S. 9, 28). La promesse de rentabilité économique du nouveau culte est prudente : Allah donnera des revenus … « S'Il veut » ! D'ailleurs, tout de suite, le Coran prévient qu'aux biens matériels, on doit préférer Allah, Mohamed et le combat : « Dis : « Si vos pères et vos enfants et vos frères et vos épouses et vos clans et les biens que vous gagnez et le négoce dont vous craignez le déclin et les demeures qui vous agréent vous sont plus chers que Dieu et son messager et la lutte dans le sentier de Dieu, alors attendez que Dieu fasse venir Son commandement. » (S. 9, 24).

Ceux qui n'ont pas voulu quitter leur ville et laisser leurs biens ont donc dû se soumettre spirituellement. La sourate 9 se fait l'écho du manque d'enthousiasme des nouveaux convertis. Il leur est reproché de « ne se rendre à l'Office que paresseux » et de ne faire « largesses qu'à contrecœur. » (S. 9, 54). Les Quraysh semblent s'être discrètement réunis pour partager leurs soucis et leurs doutes : « Ne savent-ils pas que, oui, Dieu sait leur secret et leur tête-à-tête, et que, oui  Dieu est le très grand connaisseur des invisibles » (S. 9, 78). Ceux qui font semblant de croire se voient percés à jour par l’omniscience divine : « Hypocrisie s'ensuit donc, en leurs cœurs, jusqu'au jour où ils Le rencontrent. Pour avoir violé ce qu'ils avaient promis à Dieu et pour avoir pris l'habitude de m entir ! » (S. 9, 77). Le Coran propose le repentir : après une dérobade, la conversion reste possible. « Ils vous agréent de bouche, tandis que leurs cœurs refusent ; et la plupart d'entre eux sont des pervers.... Ils ne respectent à l'égard du croyant, ni parenté, ni foi jurée. C'est eux les transgresseurs. Si ensuite, ils se repentent, et établissent l'Office et acquittent l'impôt, alors ils seront vos frères en religion. » (S. 9, 8-11).
Néanmoins, les Quraysh qui regrettent d'être devenus musulmans, ne peuvent pas apostasier : « Si après le pacte, ils violent leurs serments et attaquent la religion, alors combattez les meneurs de la Mécréance. » (S. 9, 12). De façon finalement assez enfantine, Mohamed motive ses troupes à la guerre contre les apostats Quraysh en affirmant que ce sont eux qui ont commencé les premiers : « Vous combattez, n'est-ce pas, un peuple qui a violé ses serments et voulu bannir le Messager. Et c'est eux qui vous ont entrepris les premiers. Allez-vous les redouter ? Dieu a plus de droit à ce que vous le redoutiez, si vous êtes croyants ! » (S. 9, 13).

Mohamed n'essaye plus de convertir par la récitation du Coran ; ses méthodes sont maintenant plus radicales : « Combattez-les, afin que Dieu par vos mains les châtie, et qu'Il les couvre d'ignominie, et qu'Il vous donne secours contre eux, et qu'Il guérisse les cœurs des croyants et qu'Il bannisse de leurs poitrines la rage. Dieu accueille de qui Il veut le repentir. Dieu est savant, sage. » (S. 9, 14). Mais, les fidèles eux-mêmes de Mohamed semblent peu motivés pour combattre les habitants de la Mecque. Cela est normal, les apostats de la Mecque sont leurs propres frères et leurs cousins. Le Coran menace les tièdes : « Comptez-vous qu'on vous fera relâche tant que Dieu n'a pas reconnu ceux d'entre vous qui luttent et qui ne se ménagent pas des entrées en dehors de Dieu et de Son messager et des croyants ? Dieu est informé de ce que vous faites. » (S. 9, 16).

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Mohamed guide les bons musulmans dans la prière, alors que les mauvais croyants restent dehors
(Mir Haydar, Mira‘j-nameh, Herāt (Afghanistan), 1436 ; BnF).

La Sourate 2 (217) avait annoncé la damnation des apostats et la Sourate 4 qu'il fallait même les tuer dès ici-bas : « Mais s'ils tournent le dos, saisissez-les alors et tuez-les où que vous les trouviez » (S. 4, 89). Maintenant les circonstances sont différentes, Allah se fait plus modéré : certains – pas tous - seront pardonnés. « Ne vous excusez-pas : vous avez bel et bien été infidèles après avoir cru. Si nous pardonnons à une partie des vôtres, Nous en châtierons une partie, car ils sont criminels, vraiment. » (S. 9, 66). Pour qu'une telle modération se fasse jour, au moment où Mohamed est revenu triomphant à la Mecque, la proportion des Quraysh hésitants devait être bien significative.

Le prix à payer pour rester à la Mecque a été lourd. Les Quraysh résistent comme ils peuvent. Quand, en 631, Mohamed part à l'attaque de l'oasis chrétienne de Tobrouk, ils refusent de le suivre au combat : « Si vous ne partez pas en campagne, Il vous châtiera d'un châtiment douloureux et cherchera un autre peuple à vous substituer, cependant que vous ne saurez en quoi que ce soit Lui nuire. » (S. 9, 39). Comme d'habitude, Mohamed retombe sur ses pieds : il se félicite de leur défection, ils auraient été source de « désordre » (S. 9, 47) et n'auraient pensé qu'à sauver leur vie (S. 9, 57).
Les riches refusent également de se battre (S. 9, 86). Le Coran rappelle que seuls les malades (S. 9, 91) et les pauvres (qui ne peuvent acquérir de chevaux pour le combat) sont exemptés de combattre dans le sentier d'Allah (S. 9, 92). Quels combattants reste-il à Mohamed en dehors de ses premiers compagnons (S. 9, 100) ?
Toute une série de versets va donc encourager la lutte au nom de Dieu : « Si vous ne partez pas en campagne. Il vous châtiera d'un châtiment douloureux. » (S. 9, 39) puis S. 9 (40) et S. 9 (41). Ceux qui refusent de se battre iront en enfer, même si Mohamed tente de les excuser (S. 9, 95) ; à leur mort, Mohamed ne priera pas pour eux (S. 9, 84) ; le paradis est réservé à ceux qui combattent (S. 9, 89) ainsi que le butin (S. 9, 76) ; ceux qui regrettent leur refus ne pourront plus partir au combat une autre fois (S. 9, 83)...

Malgré tout, il semble bien que certains Quraysh refusent toujours de partir au combat. Une échappatoire leur est proposée : ils peuvent choisir de rester à étudier la révélation pour être aptes à l'enseigner : « Les croyants n'ont pas à sortir tous en expédition. Pourquoi, donc, de chacune de leurs sections, un groupe ne s'en irait-il pas s'instruire de la religion, afin d'avertir le peuple quand ils rentrent chez eux ? » (S. 9, 122). Les exégètes musulmans y voient avec fierté les prémices des medersas et de l'éducation dispensée à tous. Remis dans son contexte, ce verset ressemble davantage à un compromis.

Les Quraysh n'ont pas tellement changé en dix ans. Ils reprochent à Mohamed d'être crédule (S. 9, 61) et le raillent (S. 9, 64), ce qu'Allah ne saurait pardonner même si Mohamed le demande 70 fois (S. 9, 79-80). Ils critiquent la gestion financière de Mohamed : « Il en est parmi eux qui te blâment au sujet des recettes d’État, s'il leur en est donné, donc, les voilà contents, et s'il ne leur en est pas donné, voilà qu'ils se fâchent » (S. 9, 58). Toute l'argumentation de Mohamed repose sur la menace de la Géhenne (S. 9, 63)... mais également sur l'attente d'un don surnaturel de lecture des cœurs : « Les hypocrites craignent qu'on ne fasse descendre contre eux une sourate qui les informe de ce qui est dans leurs cœurs. Dis « raillez ! Oui, Dieu va faire sortir ce que vous craignez. » (S. 9, 64). Mais la récitation de versets coraniques de contenu miraculeux se fait attendre. Curieusement, avec ce petit verset, Mohamed semble avoir recommencé à promettre des signes surnaturels aux habitants de la Mecque, alors qu'il s'en était abstenu à Yathrib. Effectivement, les versets ordinaires ne semblent toujours pas apporter la conversion attendue : « Quand une sourate vient à descendre, ils se regardent les uns les autres : « Quelqu'un vous voit-il donc ? » Puis, ils s'en retournent - que Dieu retourne leurs cœurs ! - parce que vraiment ce sont des gens qui ne comprennent pas. ». (S. 9, 127).
Les Quraysh sont définitivement sceptiques, mais ils ont été ruinés par l'interdiction du pèlerinage païen. Il faudra bien un jour qu'ils aillent eux-aussi chercher quelques revenus. Ils le feront par la razzia, la conquête et la soumission de nouveaux croyants.

Désormais, les troupes de Mohamed vont tour à tour attaquer toutes les tribus arabes du Hedjāz et aller jusqu'au Yémen, pour soumettre ce pays par l'assassinat de son prophète-dirigeant, Al-Aswad, dit le Noir.

12. 25. Mohamed gère sa théocratie : obéissance absolue, pouvoir judiciaire et gestion financière.

Mohamed a conscience de l'oppression qu'il fait peser sur les siens. Il la justifie en accusant : « Doutent-ils ? Ou craignent-ils que Dieu les opprime, ainsi que son messager ? Non, mais c'est eux les prévaricateurs. » (S. 24, 50 ;  102e). Mais Mohamed refuse de suivre la voie de la facilité : « Sachez qu'en vérité le messager de Dieu est chez vous. S'il vous obéissait, en beaucoup de cas, vous retomberiez dans la perdition. » (S. 49, 7 ; 106e).

Mohamed est désigné juge de l'oumma quand la 102e sourate est récitée. Son talent n'a donc pas suffi. Une prescription divine a été nécessaire, ce qui est la façon habituelle de légitimer le pouvoir des chefs tribaux dans la péninsule arabique au VIIe siècle. Le verset récité n’obtient pas le consensus : « Quand on les appelle vers Dieu et Son messager, pour que celui-ci juge parmi eux, voilà que quelques-uns d'entre eux s'esquivent. » (S. 24, 48 ; 102 e). Juste après, à la 105e position, la demande coranique est honorée : une femme vient lui demander d'arbitrer un différend conjugal (S. 58, 1-8). La sourate explique alors les conditions pour annuler un divorce hâtif : on doit jeûner ou libérer un esclave.

La prise de pouvoir de Mohamed n'a pas été naturelle, le Coran a dû insister. « Obéir à Dieu et à Son messager ! » est répété à de multiples reprises (S. 8, 20 ; S. 4, 59 ; S. 47, 33 ; S. 24, 54 ; S. 58, 13 ; S. 3, 32 ...). Pourquoi répéter si souvent la même demande, si l'on n'a pas de difficulté à se faire obéir ? Un verset, a priori inquiétant, semble confirmer cette hypothèse : « Le paiement de ceux qui font la guerre contre Dieu et Son messager et qui s'efforcent au désordre sur la terre, c'est qu’ils soient tués ou crucifiés, ou que leur soient coupés la main et la jambe opposées, ou qu'ils soient expulsés de la terre » (S. 5, 33). La cruauté des châtiments promis à ceux qui s'opposent par la guerre, mais aussi par un simple désordre, parait bien excessive. Ils n'ont jamais été appliqués - ou exceptionnellement - en terre d'islam. Ils s'inspirent directement du verset mecquois où Pharaon, le roi pécheur, menace les égyptiens et promet crucifixion et membres coupés (S. 7, 124). La formule a dû sembler suffisamment terrifiante pour être reprise. Mohamed souhaite être obéi ! Voilà qui est manifeste, qu'il l'ait été est moins certain, tant l'excès de ses menaces les rend peu crédibles. La Tradition rapportera avec complaisance un hadith de nos jours inacceptable, mais qui se fait le relais de ce désir d'autocratie de Mohamed : « J’ai été envoyé avec les expressions les plus courtes, portant les significations les plus larges, et j’ai été victorieux par la terreur. » (Bukhārī,  vol. 4, livre 52, n° 220).

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Mohamed siège devant les premiers croyants avec les quatre premiers califes (Miniature du Cachemire, XIXe siècle ; BnF).
Dans ce manuscrit chiite, Ali est lui aussi symbolisé par une flamme.

Dans tous les domaines, Mohamed souhaite imposer sa domination. Il exige de l'argent des croyants en affirmant le faire pour leur propre bien : « Prends sur leurs biens un impôt par quoi tu les purifies et les purges, et penche-toi sur eux; Oui, ton penchant est leur repos. » (S. 9, 103 ; 103e sourate récitée).
Chacun doit verser la Zakāt, l’impôt religieux, à Mohamed, en particulier pour recevoir le pardon divin (S. 58, 13 ; 105e sourate récitée). L'ordre de payer la Zakāt est répété à de multiples reprises (S. 24, 56 ; S. 2, 43 ; ...). Détail cocasse, ses propres épouses doivent le verser (S. 33, 33). À qui le versaient-elles ? À leur mari ? Mais, le Coran dit que c'est Allah qui reçoit l'impôt : « Ne savent-ils pas que, oui, c'est Dieu qui accueille le repentir de Ses esclaves et qui reçoit les impôts. » (S. 9, 104). Néanmoins, il est signifié ailleurs qu'Allah n'a nul besoin des biens matériels des croyants : « Ni leurs chairs, ni leurs sangs (des animaux sacrifiés) n'atteignent jamais Dieu, mais c'est votre piété qui L'atteint ! » (S. 22, 37). C'est donc clairement Mohamed qui reçoit et gère les sommes d'argent ainsi récoltées et les habitants de la Mecque ne se privent pas de critiquer sa mauvaise gestion (S. 9, 58). Mohamed conseille aux croyants de se satisfaire de ce qu'il offre spontanément,... et de se contenter habituellement de la grâce de Dieu : « Si vraiment ils agréaient ce que leur donnent Dieu et Son messager, et disaient : «  Dieu nous suffit ! Dieu de par sa grâce va nous donner. Son messager aussi. Oui, vers Dieu vont nos désirs. » (S. 9, 59).
Le budget de Mohamed inclut des charges de solidarité, le rachat d'esclaves et le désendettement de ses fidèles, mais il reste clairement le gestionnaire des sommes collectées : « Les recettes de l’État sont pour les besogneux et pour les pauvres, et pour ceux qui  travaillent, et pour ceux dont les cœurs sont à gagner, et pour affranchir des jougs, et pour ceux qui sont lourdement endettés, et dans le sentier de Dieu et pour l'enfant de la route. Arrêté de Dieu. » (S. 9, 60).

Il ne va bientôt rester qu'une seule façon à ses fidèles de s'enrichir : la guerre dans le sentier d'Allah. En effet, quand la victoire est obtenue sans combat – par négociation ou par reddition - Mohamed garde la totalité du butin (S. 59, 6). Pour s'enrichir, ses fidèles vont devoir se battre, d'autant que la terre des vaincus leur est promise par Allah : « Très certainement, Nous allons détruire les prévaricateurs et vous installer sur terre après eux. » (S. 14, 13). On voit s'installer le ressort spirituel qui donnera aux croyants la force de partir au combat hors d'Arabie en profitant de la faiblesse des états voisins.

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Mohamed prie pour que les siens gagnent le combat avant un engagement militaire
(Siyer-i Nebi, 1594 ; Musée de Topkapi).

Le combat est prescrit, même s'il est désagréable aux croyants : « On vous a prescrit le combat. Il vous est cependant désagréable. Or, il se peut que vous avez de l'aversion pour une chose qui cependant vous est un bien » (S. 2, 216). Les combattants sont supérieurs à ceux qui restent chez eux (S. 4, 95). Se battre pour Dieu sauve de l'enfer et conduit au paradis (S. 4, 6), mais permet aussi d'obtenir des biens terrestres. Allah présente cela comme une transaction, un marché : « Oh, les croyants ! Vous indiquerai-je un marché qui vous sauvera d'un châtiment douloureux ? Vous croyez en Allah et en Son messager et vous combattez avec vos biens et vos personnes dans le chemin d´Allah... Il vous pardonnera vos péchés et vous fera entrer dans des Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux... Voilà l´énorme succès et Il vous accordera d´autres choses encore que vous aimez : un secours venant d´Allah et une victoire prochaine. » (S. 61, 10-12).
Allah s'engage par une promesse solennelle au sujet de la guerre sainte, promesse qui aurait déjà été faite dans les Évangiles ! Une fois de plus, on voit que l'auteur du Coran ne connaît pas les Évangiles : « Certes, Allah a acheté des croyants, leurs personnes et leurs biens, en échange du Paradis. Ils combattent dans le sentier d´Allah : ils tuent, et ils se font tuer. C'est une promesse authentique qu´Il a prise sur Lui-même dans la Thora, l´Évangile et le Coran. Et qui est plus fidèle qu´Allah à son engagement ? » (S. 9, 111). Où sont les versets des Évangiles promettant le paradis à ceux qui tuent au nom de Dieu ?

La légitime défense est conseillée (S. 9, 36 ; S. 9, 12-14), mais aussi l'attaque pour répandre la foi : « Lors donc que vous rencontrez ceux qui ne croient pas, alors frappez aux cols. Puis, quand vous les avez dominés, alors, serrez le garrot. Ensuite, soit libération gratuite, soit rançon, afin que la guerre dépose ses charges. » (S. 47, 4).

Très rapidement, les affidés à Mohamed sortiront de la péninsule arabique et porteront la guerre en des lieux où personne ne s'était jamais opposé à leur pratique religieuse. Invoquer la légitime-défense pour  justifier la conquête arabe ne sera que le prétexte invoqué par les relectures modernes, en particulier par des musulmans vivant de nos jours en occident. En fait, la guerre sainte musulmane et la conquête arabe sont des guerres d'agression et de conquête et elles sont légitimées par la parole coranique. À la toute dernière sourate récitée, la victoire armée offerte par Allah est devenue l'unique moyen de l'expansion territoriale de l'oumma : « Lorsque vient le secours de Dieu, ainsi que la victoire, et que tu vois les gens entrer par légions dans la religion de Dieu, alors chante louange... » (S. 110, 1-3, 114e et dernière Sourate).

On voit clairement que ce n’est pas la prédication du Coran qui a entraîné les conversions, mais bien la victoire militaire. Mohamed gère le budget tribal. Ses alliés veulent s'enrichir  et le butin s'obtient par la guerre.
Ainsi les arabes bâtiront-ils un empire sur trois continents et répandront-ils l'islam.

12. 26. La dhimma ou comment juifs et chrétiens vont être intégrés dans la théocratie de Mohamed.

Si on analyse le contenu du Coran, il semble que Mohamed ait tardé à comprendre la nature du christianisme.
La personne même du Christ est présentée de façon ambiguë dans le Coran. L'humanité de Jésus est certes proclamée avec force : Jésus est appelé « le fils de Marie » dans tout le Coran (S. 2, 253 ; S. 2, 87 ; S. 4, 171 ; S. 4, 157 ; S. 43, 57 ; S. 23, 50). Néanmoins, son statut de Messie, « al-masīb », est reconnu, même si c'est tardivement, à Médine (S 4, 171 ; S. 4, 172 ; S. 5, 17 ; S. 5, 72 ; S. 5, 5). En fait, la personne même de Jésus a une place étrange dans le Coran, ni tout à fait humaine, ni tout à fait divine. Avant même sa conception, Jésus est « illustre ici-bas, comme dans l'au-delà. » (S. 3, 45) ce qui proclame l'éternité de l’Être de Jésus. Jésus est Verbe de Dieu, Parole de Dieu (S. 4, 171 ; S. 3, 45 ; S. 19, 34). Il est conçu par l'action « de ...l'esprit » (S. 66, 12). Il est à la fois un Esprit issu de Dieu (S. 4, 171) et inspiré par l'Esprit (S. 2, 87 ; S. 2, 253). Le Coran reconnaît que Jésus fait des miracles (S. 5, 110), même s'il est toujours précisé que c'est « avec la permission de Dieu ». « Je guéris l'aveugle-né et le lépreux, et je ressuscite les morts, par la permission de Dieu. Et je vous apprends ce que vous mangez et ce que vous amassez dans vos maisons. » (S. 3, 49). Jésus serait monté aux cieux sans mourir, même si nous avons déjà analysé les contradictions du Coran dont certains versets disent qu'il ressuscite après être décédé (S. 19, 33 ; S. 3, 55) et d'autres qu'il monte au ciel directement sans mourir (S. 4, 157, 158). Jésus n'a donc pas grand chose d'humain dans le Coran : il est considéré comme une Théophanie par les musulmans - une manifestation de Dieu - mais qui n'est pas Dieu lui-même (S. 5, 116 ; S. 4, 171).

Pendant longtemps, Mohamed a espéré être reconnu par les chrétiens. Est-ce en lien avec cet espoir que leur victoire de 627 sur les Sassanides a été attribuée à la Providence divine ? « Les grecs ont été vaincus sur la terre proche. Mais après cette défaite, ils vaincront dans quelques années... Dieu assiste qui Il veut. » (S. 30, 2-4).
Au début de l'Hégire, le Coran affirme que les chrétiens accèdent au salut et le contenu de leur foi ne semble alors poser aucun problème : « Les Nazaréens... et quiconque a cru en Dieu et au Jour dernier, et fait bonne œuvre, pour ceux-là, leur récompense est auprès de leur Seigneur. » (S. 2, 62 ; 87e). Les monastères sont donnés en exemple jusqu'à très tard dans la révélation : « Nous avons envoyé après eux Jésus, fils de Marie. Nous lui avons donné l’Évangile. Nous avons établi dans les cœurs de ceux qui le suivent la mansuétude, la compassion et la vie monastique qu’ils ont instaurée - nous ne la leur avions pas prescrite - uniquement poussés par la recherche de la satisfaction de Dieu. » (S. 57-27, 94e) et S. 24, (35-36 ; 102e).

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L'église des vierges... peut-être une église copte (XVIe siècle, manuscrit ottoman ; BnF).

Manifestement, Mohamed ignore que les chrétiens croient en la Trinité. Pendant toute la révélation, il pense que le Dieu qu'il annonce et le Dieu des chrétiens et des juifs est le même (S. 10, 94 ; 51e et S. 29, 46 ; 85e).
À son arrivée à Yathrib, Mohamed apprend pourtant l'existence du concept de Trinité, puisqu'il en parle sourate 4 : « Ne dites pas « Trois ». Cessez ! Ce sera meilleur pour vous. Dieu est un seul Dieu, Rien d'autre. » (S. 4, 171). Pas plus qu'il n'a compris que la Trinité est Un Dieu unique, Mohamed n'a saisi que tous chrétiens croient en la Trinité. En effet, très tardivement, jusqu'à la 112e sourate récitée, Mohamed crédite les chrétiens d'une bonne opinion, d'autant qu'il pense qu'ils vont se rallier à lui : « Certes, vous trouverez que ceux qui vouent la plus profonde hostilité à ceux qui croient sont les judéens et les polythéistes ; certes, vous trouverez que ceux qui vouent la plus sincère amitié à ceux qui croient sont ceux qui disent : « Nous sommes nazaréens... Lorsqu’ils [ils] entendent [la Révélation] qui est descendue sur le Messager, tu vois leurs yeux déborder de larmes ; sachant que c’est la vérité. » (S. 5, 82-85 ; 112e)*.

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Gabriel dirige un débat entre Mohamed et des moines (Topkapi).

Puis, à la fin de sa vie, Mohamed est plus formel : « Ils sont infidèles ceux qui disent qu’Allah est le troisième de Trois (thālith thalātha). » (S. 5, 73 ; 112e). Suite à ce verset, ceux qui ont foi en la Trinité sont infidèles alors qu'ils étaient sauvés quelques années plus tôt ! Pourtant, le Coran affirme : « Que les gens de l’Évangile jugent d’après ce que Dieu y a fait descendre ! » (S. 5, 47). C'est ce que font les chrétiens. Dans les Évangiles, Jésus affirme l'existence du Père et de l'Esprit et il affirme être un avec le Père (Jean 10, 30). En jugeant selon les Évangiles, les chrétiens croient donc en la divinité du Christ et en la Trinité. Sont-ils sauvés ou damnés ? Le Coran hésite.

Est-ce le refus des chrétiens de se convertir, qui a poussé Mohamed à une exploration théologique un peu plus fine ? Néanmoins, le concept de Trinité restera toujours méconnu et incompris par l'auteur du Coran qui ignore que la Trinité des chrétiens se compose du Père, du Fils, et de l'Esprit Saint : « Et quand Dieu dira : « O Jésus, fils de Marie, est-ce toi qui as dit aux gens : « Prenez-moi ainsi que ma mère pour deux divinités en dehors de Dieu ? » (S. 5, 116 ; 112e). Pour Mohamed, et jusqu'à la toute fin de sa vie, la Trinité se compose de Dieu, de Jésus et de Marie !

Finalement, Mohamed renonce à convertir les chrétiens. Son discours sur eux change alors : les moines sont accusés de rapacité : « Ils mangent le bien des gens pour des choses vaines. » (S. 9, 34 ; 113e).
La rupture avec les chrétiens est ainsi consommée, comme l'avait été celle avec les juifs. Ils sont tous – juifs et chrétiens - accusés de polythéisme, les juifs en sacralisant leurs rabbins (les docteurs) et les chrétiens en divinisant leurs moines : « Ils ont pris leurs docteurs et leurs moines, tout comme le Christ fils de Marie, pour des Seigneurs en dehors de Dieu, alors qu'on ne leur a commandé que d'adorer un Dieu unique. » (S. 9. 31, 113e) (**1).

En 631, Mohamed attaque l'oasis chrétienne de Tabouk au nord de l'Arabie. Il n'essaie pas de convertir les chrétiens. Il les soumet et exige d'eux le paiement d'un tribut compensatoire : « Combattez (qātilū) ceux qui ne sont pas fidèles à Allah, qui ne confessent pas la réalité du Jour dernier, qui ne respectent pas ce qu’Allah et son messager ont déclaré interdit et qui ne professent pas la religion vraie, parmi ceux auxquels a été adressée la Révélation [antérieurement]. Combattez-les jusqu’à ce qu’ils s’acquittent du « tribut compensatoire » [hatta yutū al-djizya] de leur propre main et avec [la plus grande] humilité. » (S. 9, 29 ; trad. J. Chabbi) (**2). De multiples attaques de communautés chrétiennes partout en Arabie, se concluent par la soumission des chrétiens.

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Mohamed conduit la prière d'Abraham, de Moïse et de Jésus
(manuscrit persan dans
Illustrated History de Barbara Hanawalt ; Oxford University Press, 1998).

Ce verset crée le statut de dhimmi qui implique une infériorité définitive corrélée au paiement d'un impôt. Seule la protection de la dhimma permet désormais de pratiquer une religion autre que l'islam. La liste des religions autorisées est strictement définie par le Coran : « Oui, ceux qui ont cru et ceux qui se sont judaïsés, et les Nazaréens, et les Sabéens, quiconque a cru en Dieu et au Jour dernier et fait œuvre bonne, pour ceux-là, leur récompense est auprès de leur Seigneur. Sur eux, nulle crainte ; et point ne seront affligés. » (S. 2, 62). Les religions concernées par cette tolérance si particulière sont donc citées et leur liste est fixée. Leur monothéisme est imparfait et même mis en doute par le Coran, mais elles seront à l'avenir tolérées en vertu de ce verset. Les manichéens y sont oubliés, ils seront donc persécutés. De nos jours, les sabéens semblent avoir disparu. Étaient-ils des adeptes du zoroastrisme, des mages adorateurs d'étoiles, des disciples de Jean-le-Baptiste attendant toujours le Messie ? On ne sait. Le Coran, livre parfait, rend la liste des monothéismes licites définitive. C'est pour cela que les monothéismes qui apparaîtront en terre d'islam dans les siècles ultérieurs, ne trouveront jamais leur place dans la société musulmane. Que ce soit les Baha’i en Iran ou les Ahmadis en Inde, ils seront persécutés (***1).

Les juifs sont finalement associés aux chrétiens dans un verset très tardif qui affirme qu'ils croient eux-aussi que Dieu à un fils ! C'est naturellement faux pour les juifs qui n'ont jamais donné de fils à Dieu. En fin de révélation, est-ce le souci de l'esthétique du verset - avec une recherche de symétrie - ou une dernière justification a posteriori de l'extermination des juifs ? Impossible de le savoir, mais il s'agit, soit d'une grossière méconnaissance théologique de l'auteur du Coran, soit d'une accusation infondée : « Et les Juifs disent : «‘uzayr est fils de Dieu », les nazaréens disent : « Le Christ est fils de Dieu... » (S. 9, 30). Mais on a déjà remarqué que le Coran n'hésite par à utiliser la désinformation pour justifier la persécutions des juifs de Yathrib en racontant qu'ils sont polythéistes.

L'humilité des dhimmi sera exigée tout au long des dynasties musulmanes par le choix de vêtements spécifiques, de montures plus basses et d'emplois subalternes. Les chrétiens ou les juifs qui s'élèveront dans la société musulmane resteront toujours à la merci d'un rappel, parfois violent, de leur infériorité (***2). Ce n'est qu'en 1856, que l'empire ottoman abolira la dhimma.

* : Le Seigneur des tribus, l'islam de Mohamed, p. 540-541, Jacqueline Chabbi, CNRS éditions. 1997.
** : Le Coran décrypté : figures bibliques en Arabie, **1: p 393 / **2 : p. 360- 362, Jacqueline Chabbi, Fayard. 2008.
*** : Islam ; ***1 : p. 467 / ***2 : p. 462 ; Bernard Lewis, Gallimard, 2005.

12. 27.  Le pèlerinage de l'Adieu en 632 : le corpus coranique est déjà achevé.

Seule la Tradition musulmane permet de connaître le dernier pèlerinage accompli par Mohamed à la Mecque à la toute fin de sa vie. Après tant de détails révélés sur les aléas de ses débuts, les menus soucis de ses relations conjugales, les conflits sociaux et politiques qui ont retardé l'accomplissement de son destin, rien n'est dit dans le Coran sur ce que la Tradition nommera le pèlerinage de l'Adieu. Que s'est-il donc passé ?
Inscrit dans les antiques pèlerinages de la Mecque, 'umra et Hādjdj enfin réunis, Mohamed va inaugurer, en 632, un nouveau rituel dont le Coran ne parle pas. Le Coran en reste aux deux pèlerinages antiques, le Hādjdj des tribus de pasteurs et l'umra des Quraysh : « le grand et le petit » pèlerinages prescrits au début de l'Hégire (S. 2, 196). Le Hādjdj  se déroule dans la plaine 'A'rafāt et concerne les pasteurs nomades : « Quand vous sortez d'A'rafāt, alors souvenez-vous de Dieu, près du Monument sacré » (S. 2, 198). Il s'achève par le sacrifice d'un animal à Minā. C'est alors seulement que le pèlerin peut se couper les cheveux pour se désacraliser (S. 2, 196). La lapidation des stèles à Minā n'est pas évoquée dans le Coran : est-ce un innovation de la Tradition ou une reprise de l'ancien Hādjdj ? Impossible de le savoir. Le petit pèlerinage se déroule, lui, à la Kaaba, c'est l'umra qui s'adresse aux résidents de la Mecque. Après s'être lavé, les pèlerins se tiennent debout à la Kaaba, se prosternent et s'inclinent puis accomplissent sept « tours autour de l'Antique Maison » (S. 22, 29, 103e récitée) dans le sens du mouvement apparent du soleil. Leur sacrifice sanglant accompli « près de l'antique maison » (S. 22, 33), au rocher d'al-Marwa, ils se désacralisent eux aussi en se coupant les cheveux.
Dans les sourates récitées à la fin de la vie de Mohamed (S. 22 ; S. 48), les intentions spirituelles et morales du pèlerinage sont clairement indiquées : on partage désormais avec le mendiant qui réclame et avec l'indigent qui se tait dignement (S. 22, 36). À la 103e place de la récitation, la sourate 22 prescrit à chacun de venir annuellement ou de remplacer le pèlerinage par 10 jours de jeûne, et confirme que les règles de désacralisation - le rasage de la tête - restent semblables à celles du pèlerinage païen ancestral (S. 48, 27, 111e). Désormais, les croyants doivent venir à la Kaaba pour affirmer leur foi en l'unicité de Dieu, pour témoigner des biens matériels qu'ils ont reçus d'Allah (S. 22, 30-31) mais aussi préparer leur salut, ce qui est préférable aux biens matériels (S. 2, 201). Les seules consignes du Coran organisant un nouveau pèlerinage sont donc d'ordre moral et spirituel, mais ne concernent pas les rituels liturgiques. Ainsi étrangement, dans la sourate 22 récitée à la toute fin de la vie de Mohamed, le sacrifice sanglant de l''umra se déroule-t-il toujours au rocher d'al-Marwa, près de la Kaaba. Rien ne transparaît donc du pèlerinage de l'Adieu dans le Coran et des changements qui y seront décidés.

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La Kaaba et le pèlerinage qui y est prescrit
(manuscrit ottoman du XVIIe siècle ; BnF).

Au moment de la prise de la Mecque en 630, la sourate 5, au 112e rang, est la dernière sourate à faire allusion au pèlerinage à la Kaaba. Quelques précisions supplémentaires sont données. D'abord, la chasse devient interdite pendant la période où le pèlerin est sacralisé : « Ne vous permettez pas la chasse dans le temps que vous êtes sacralisé. » (S. 5, 1). Puis une très courte consigne, perdue au milieu de règles générales, interdit de sacrifier devant les bétyles, les pierres dressées : « Vous sont interdits... la bête … qu'on a immolée sur les pierres dressées » (S. 5, 3). Finalement, le culte bétylique est interdit, consigne également noyée au milieu de nombreuses autres interdits : vin,  jeux de hasard, divination : « Oh, les croyants ! Oui …. les pierres dressées ne sont qu'ordure, œuvre du Diable » (S. 5, 90 ; 112e récitée). Maintenant les bêtes de sacrifice ne peuvent plus être immolées sur des pierres dressées (S. 5, 3) et leur culte est interdit (S. 5, 90). Mohamed vient d'arriver à la Mecque. Nous sommes en 630/631. Pour conclure le Coran, il ne reste que la longue sourate 9 qui raconte en détail son installation victorieuse à la Mecque, puis la toute dernière sourate, la courte sourate 110 qui proclame sa victoire par les armes.

En 632, Mohamed aurait donc accompli pour la première fois un pèlerinage différent, inspiré du pèlerinage ancestral mais subtilement modifié : il sera nommé le « Pèlerinage de l'Adieu ». La Tradition racontera que Mohamed avait déjà détruit les idoles de la Kaaba, les bétyles ancestraux, laissant seule la pierre noire offerte à la vénération des croyants. Lors de ce dernier pèlerinage, Mohamed aurait embrassé la Pierre noire. « Je sais que tu es une pierre et que tu ne peux ni apporter profit ni porter préjudice. Si je n'avais pas vu le messager d'Allah t'embrasser, je ne t'aurais pas embrassée », aurait dit Omar, selon un hadith authentique de Bukhārī. Pour la première fois, lors du pèlerinage de l'Adieu, Mohamed aurait sacrifié les animaux au val de Minā, à 10 kilomètres de la Kaaba, et non plus à la Kaaba comme le prescrit pourtant la sourate 22 (S. 22, 33). C'est toujours à Minā que le sacrifice a lieu de nos jours.

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Une caravane en route pour le pèlerinage à la Mecque (Les Makamat de Hariri,
peintures exécutées par Yahyā-ibn-Mahmūd-al-Wāsitī, 1237 ; BnF).

Au fil des siècles, les hadiths rappelleront – amplifieront (?) - la présence d'Abraham à la Mecque.
Au IIIe siècle de l'Hégire, Ismaël deviendra l'enfant proposé au sacrifice au lieu saint de la Mecque et le père des arabes. Pourtant, le Coran ne dit jamais le nom du fils offert en sacrifice et pas davantage le Coran ne prétend que ce sacrifice a eu lieu à la Mecque (S. 37, 99-109). Nulle part, le Coran ne donne de fils à Ismaël, et en particulier aucun qui serait prophète (S. 29, 27).
Le Coran affirme seulement qu'Abraham s'est tenu debout à la Kaaba (S. 2, 125-127, S. 3, 97), pour la purifier (S. 22, 26). La station d'Abraham va donc se trouver matérialisée face à la Pierre noire, devenue l'unique bétyle saint de la Kaaba. En père protecteur, il est censé y avoir mis sa famille à l'abri (S. 14, 37). Peut-on supposer qu'il reprend à son compte le rôle de Père protecteur qui était déjà célébré dans le pèlerinage préislamique comme en témoigne la Sourate 106 ?
Mais jamais Agar n'est nommée dans le Coran. Jamais, le Coran ne parle donc d'Agar, ni de ses courses sept fois répétées à la recherche d'eau. C'est pourtant ce geste maternel de recherche désespérée d'eau pour sauver son fils qui sera désormais commémoré par les courses répétées entre les deux collines de Safā et de Marwah, juste à coté de la Kaaba. Est-ce la prolongation - l'adaptation à la nouvelle foi - du culte ancestral suggérée par la configuration du site - déclivité où se collectent les eaux - et de la célébration de la fonction maternelle de nourrissage évoquée dans la sourate 106 ?
Agar, la mère idéalisée, va maintenant trouver sa place près de la Kaaba - près de la station d'Abraham - là où le Coran ne lui en avait donné aucune. Que la station d'Abraham, le père emblématique, soit située face à une pierre dressée, la Pierre noire, et que la course d'Agar, la mère symbolique, soit célébrée autour de deux collines, Safā et Marwah, ne peut plus surprendre nos esprits formés à la symbolique des objets.

Que les courses autour de la Kaaba et des deux collines de Safā et de Marwa soient sept fois répétées parle maintenant à nos lecteurs. La Tradition musulmane s'inscrit dans une longue filiation spirituelle qui interroge le cosmos à la recherche de ses origines et reproduit la course des seuls sept astres mobiles visibles à l’œil nu. Néanmoins, la Tradition musulmane change le sens des circumductions, on tourne désormais dans le sens inverse des aiguilles d'une montre et donc dans le sens inverse de la course apparente du soleil. S'agit-il de s'éloigner de ce culte astral entaché de trop de paganisme ? Au fil des siècles, la Tradition musulmane va finalement rechercher ses origines dans le couple primitif idéalisé des parents d'Ismaël, le père fantasmé des arabes.

Néanmoins, le choix de ce couple originel ne semble pas avoir été celui de Mohamed puisque le Coran ne le nomme jamais.
Dans la récitation de Mohamed, Abraham n'est jamais associé à Agar qui est inconnue du Coran et leur fils Ismaël n'a pas de fils prophète. Si Mohamed a voulu célébré un couple primordial, rien dans le Coran ne permet de dire qu'il s'agit de celui formé par Abraham et Agar.
Le Coran qui ne dit rien du pèlerinage de l'Adieu. Sa dernière allusion au culte rendu à la Kaaba se termine sur la proclamation de la seule religion authentique : la « Soumission » à Allah. « Vous sont interdits la bête morte et le sang et la chair de porc, et ce sur quoi on a invoqué quoi que ce soit d'autre que Dieu, et la bête étouffée ou morte d'une chute ou morte d'un coup de corne, et celle qu'un bête féroce a dévorée, - sauf celle que vous égorgez avant qu'elle soit morte - , et celle qu'on a immolé sur les pierres dressées, ainsi que de tirer partage au sort au moyen de flèches. Tout cela est perversité Aujourd'hui, les mécréants désespèrent de votre religion : ne les craignez pas et craignez-Moi. Aujourd'hui, J'ai parachevé pour vous votre religion et accomplit pour vous Mon bienfait. Et Il m'agrée que la Soumission soit votre religion » (S. 5, 3).

Dès sa prise de pouvoir à la Mecque et la soumission des Quraysh, le but de Mohamed semble atteint. Après le pèlerinage de l'Adieu et pendant les derniers mois qui lui restent à vivre, plus aucun nouveau verset du Coran ne sera récité. Après le pèlerinage de l'Adieu, la Tradition raconte que Mohamed quitte la Mecque et qu'il retourne à Yathrib. Désormais, la ville de sa mère au nom ancestral a été débaptisée et se nomme simplement Médine, la Ville. Il y serait tombé malade quelques mois plus tard.

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Le décès de Mohamed (Siyer-i-Nebi, La Vie du Prophète, écrit vers 1588).

Cependant, deux textes syriaques laissent entendre que Mohamed dirigeait l'attaque sur Gaza en 634. En effet, un texte grec dont l'auteur est inconnu parle au sujet de l'attaque en Palestine « du prophète qui est apparu avec les Saracènes », et Thomas le presbyte évoque les « Tayâyê d-Mhmt » pour les « arabes de Mohamed », toujours au sujet de l'attaque de 634. Mais, quelle que soit la date réelle de son décès, dès avant le pèlerinage de l'Adieu, sa source prophétique s'est tarie...
Mohamed décède environ à l'âge de 62 ans, nous sommes aux alentours de 632 selon la Tradition musulmane. Il est enterré à Médine où son tombeau se trouve toujours offert à la vénération des musulmans.


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Le tombeau du Prophète (Maghreb, XVIIe siècle ; BnF).

* : Les fondations de l'islam, entre écriture et histoire, p.131, Alfred-Louis de Prémare, éditions du Seuil, 2002.

12 . 28.  Au terme de la vie de Mohamed, combien de mystères encore inexpliqués !

Comment ne pas être tenté de lire l'extraordinaire destin de Mohamed à la lumière des acquis des sciences humaines ? Comment imaginer que le Coran - livre qui s'affirme universel – ne sache pas affronter les autres cultures et le savoir de ceux qu'il aspire à convertir ? Comment craindre qu'Allah, dépositaire de toute connaissance sur terre et maître de toutes initiatives humaines, ne soit troublé par les suggestions de ses propres créatures ? En effet, tous les éléments de la vie de Mohamed, même les plus mystérieux, mêmes les plus dérangeants, même les plus ambigus, trouvent leur explication dans l'analyse de son humanité. Seul Mohamed pourrait dire la part de vérité que contient cette hypothèse, mais son mérite est de ne laisser aucun mystère sans réponse.

Le sanctuaire de la Kaaba est enfin purifié avec son organisation dans l'espace qui évoque le couple humain. Au creux du ventre de la Mecque (S. 48, 24), un unique bétyle - enfin débarrassé de tous ses rivaux - concentre désormais l'amour de tous. Mohamed vient de reconstituer dans la ville de son enfance une extraordinaire représentation d'un couple parental symbolique et il se l'est approprié. En restituant ce couple parental, Mohamed l’orphelin est enfin apaisé. Son Dieu si redoutable se fait silence, sa voix intérieure se tarit. Plus aucun verset ne viendra compléter le corpus coranique. Se détournant du sanctuaire parental laissé à son intimité, chambre nuptiale parentale désormais interdite, Mohamed accomplit le sacrifice sanglant - virilité affichée du couteau brandi - loin de la Kaaba purifiée. Puis, pour la première fois de sa vie, Mohamed abandonne le territoire de la Mecque sans y être contraint par quiconque. Lui qui, contre toute logique, a aspiré inlassablement à son retour à la Mecque, quitte enfin de lui-même le foyer parental, comme il advient à tout homme devenu psychologiquement adulte.

Il retourne à Yathrib, la ville de sa mère qu'il a dépouillée de toute identité propre pour la rendre à l’anonymat de son nom générique : Médine, la Ville. Désormais, chacun est à sa place. En effaçant le nom de la ville d'origine de sa mère, Mohamed a anéanti symboliquement sa mère. De même, il avait déjà refusé toute identité propre aux femmes mariées dans sa révélation intérieure. Mais seul l’anéantissement symbolique de sa mère lui a permis de restituer l'impossible primauté du père. Tout assujettissement des femmes dans l'islam est expliqué par ce père décédé avant sa naissance, présence évanescente au souvenir impossible et dont il doit restaurer la prééminence.

Mais, c'est bien pourtant à Médine que rentre Mohamed, rejoignant le néant maternel et s’identifiant au silence imposé à la femme. Désormais, il ne dira plus rien, laissant la page blanche de son humanité refoulée, disponible au processus de sacralisation de la Tradition. Fidèle à son Prophète bien au delà de ce qu'ils imaginent eux-mêmes, les exégètes musulmans construiront la mythification du « beau modèle » (S. 33, 21) - parangon idéalisé - oubliant, refusant, refoulant les méandres sombres de son humanité. Comme le fait un père, sa voix intérieure l'avait pourtant guidé au travers sa réalité d'homme pétri de contradictions et d'échecs, de frustrations et d'accomplissements mais aussi d'erreurs et de rédemption. Ainsi le Coran avait-il confirmé son humanité en affirmant son péché (S. 40, 55) et en proclamant sa rédemption (S. 48, 1-2). Mais le désir de s'identifier au néant maternel a été plus puissant que le rachat proposé par la voix intérieure de son père. De retour à Médine, la Tradition dira que Mohamed tombe malade. Pendant les mois de son agonie, Aïcha, son épouse bien-aimée le soigne avec diligence. Bienfaisante Aïcha, qu'il a épousée quand elle avait six ans, l'âge précis où – sa mère décédée - son propre cœur a été fracassé par un deuil impossible. Comment imaginer que le hasard seul l'ait conduit à aimer une fillette précisément de l'âge qu'il avait lui-même quand il est devenu orphelin ? Parvenu au terme de son destin et ayant épuisé tous ces ressorts de résilience, nul doute que Mohamed l'orphelin ne se soit endormi dans la paix.

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Le processus de sacralisation du Prophète a conduit à le symboliser par sa sandale
(Al-Juzūlī,
Dala’il al-khayrāt, 1698, Maghreb).


Repose en paix, Mohamed.
Tu as enfin dominé les oncles qui t'ont nourri en ton enfance orpheline.
Redoutables oncles qui t'ont appris la soumission sans l'équilibrer de la bienveillance structurante d'un père. Ils n'ont pas su davantage, une fois que tu es devenu adulte, reconnaître en toi la Voix fantasmée de ce père qui te portait. Leurs fils attendent patiemment que tes compagnons aient achevé de s'entre-déchirer pour ta succession. Ils prendront alors le pouvoir et fonderont la prestigieuse dynastie omeyyade. Leur pragmatisme marchand pérennisera la conquête arabe en lui donnant les institutions utiles à sa survie. La dynastie abbasside la supplantera un jour pour inventer l'islam. Les « combattants dans le chemin de Dieu » deviendront alors les « soumis », heureux de partir parfois au combat pour oublier, soulager et exorciser leur sujétion imposée. Mais leur histoire n'est déjà plus la tienne.



Repose en paix, Mohamed, et que la bénédiction et la miséricorde de Dieu soit sur toi.





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Al-Juzūlī, Dala’il al-khayrāt (Maghreb, 1698 ; BnF)
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 7:10

CHAPITRE 13 : DEUX CIVILISATIONS S’AFFRONTENT.
De 632 à 1099.



13. 1.  En 632, entre anarchie et guerre sainte, les compagnons de Mohamed assument sa succession.
13. 2. La mise par écrit des Corans, entre pluralité et piété.
13. 3. La mise par écrit du Coran officiel, entre épigraphie et archéologie.
13. 4. La mise par écrit du Coran : que nous dit la linguistique ?
13. 5. La dynastie omeyyade gouverne de 660 à 750.

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13. 6. La révolte des non-arabes : la bataille du Grand Zab donne le pouvoir aux Abbassides.
13. 7 . La Sīra ou la Biographie de Mohamed est rédigée au VIIIe siècle par Ibn Ishāq.
13. 8. La renaissance carolingienne.
13. 9. Le libre arbitre des hommes nuit-il à la toute puissance d'Allah ?
13. 10. Le mutazilisme (813-848).
13. 11. En 848, le mutazilisme politique a vécu, le sunnisme triomphe. Le libre-arbitre devient une hérésie qui contrevient à la toute puissance divine et le Coran acquiert son statut officiel de livre incréé.
13. 12. La médecine est la seule science indispensable : dans le Dār al-Islām, les chrétiens dirigent les hôpitaux.

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13. 13. Prédestination de l'homme ou prescience de Dieu ? Les chrétiens eux-aussi s'interrogent.
13. 14. Au IXe siècle, Rome est pillée par les musulmans et le pape est assujetti au paiement d'un tribut.
13. 15. L'esclavage.
13. 16. Bukhārī et les Hadiths.
13. 17. Au Xe siècle, Tabarī structure l'exégète sunnite.
13. 18 . Le soufisme.

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13. 19. Grandeur et décadence dans le Dār al-Islām, les dhimmi subissent la loi de leurs maîtres.
13. 20. En 1009, les portes de l'ijtihād se ferment... et le tombeau du Christ est détruit.
13. 21. Les croisades : impérialisme chrétien ou légitime défense ?

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« Dieu créa l'homme à son image, homme et femme, il les créa. Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez là » ».
Laboureur, paysans commerçant, souffleurs de verre, boutiquiers, menuisier et fileuse, calligraphes.






CHAPITRE 13 : DEUX CIVILISATIONS S’AFFRONTENT.

De 632 à 1099.



13. 1.  En 632, entre anarchie et guerre sainte, les compagnons de Mohamed assument sa succession.

En 632, pour succéder à Mohamed, un calife est choisi par cooptation parmi ses compagnons de la première heure.

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Mohamed et les premiers califes : Abū Bakr, Omar et Othmān, (XVIe siècle).

« Calife » signifie « lieutenant ». Le terme se retrouvera dans le Coran qui n'est pas encore écrit : Adam est calife de Dieu (S. 2, 30), ainsi que David (S. 38, 26). Mais, aucun des termes qui définiront la nouvelle religion n'existe encore. Ni le mot islam, ni le mot musulman, ni même le nom de Mohamed n'ont encore été mis par écrit. Il faudra encore un siècle pour qu'ils apparaissent dans des écrits arabes.

Ce sont donc des écrits chrétiens rédigés en syriaque qui nous permettent de connaître la conquête arabe dans des documents contemporains des événements. Aucun écrit arabe du VIIe siècle n'existe... pas même le Coran.


À la mort de Mohamed, Abū Bakr devient Calife, le lieutenant du Prophète d’Allah. Il gouverne de 632 à 634.
Dès la mort de Mohamed, les tribus qui lui avaient fait soumission, reprennent leur autonomie. Elles n’avaient pas saisi le contenu divin et éternel de leur alliance avec Mohamed. Conformément au code tribal ancestral, elles s'estiment libres de tout engagement à son décès. Les Guerres de la Ridda commencent. Ce sont les premières guerres internes à l'islam. Elles touchent jusqu'à l'oasis de Qatīf dans l'actuel Bahreïn. En raison des circonstances, il est probable que la jurisprudence sur l’apostasie date de cette époque : « Celui qui change de religion, tuez-le » (Sālih Bukhārī, vol 9. I.84, n° 57). C'est donc du règne d'Abū Bakr que date la soumission définitive de la péninsule arabique.

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Ali s’apprête à partir en guerre (Siyer-i-Nebi, La Vie
du Prophète, manuscrit ottoman, 1597 ; musée de Topkapi).

En 634, Omar est choisi comme successeur d'Abū Bakr. Il règne jusqu'en 644.
En 634, le frère de l'empereur de Byzance, Theodoros, perd la bataille d'al-Ajnādaynn près de Jérusalem.
À Noël 634, les chrétiens sont encerclés dans Jérusalem et ne peuvent aller fêter Noël à Bethléem. D'après le sermon du Patriarche Sophronios de Jérusalem, ils en sont empêchés par « le glaive barbare et sauvage des Saracènes, dégainé et plein d'une cruauté véritablement diabolique. » (*1). Les arabes sont appelés « Saracènes » dont proviendra le mot sarrasin. Aucune appartenance religieuse spécifique ne leur est reconnue.

Puis, dans son sermon de la Théophanie (sans doute au début 635), le même patriarche de Jérusalem, Sophronios, nous donne un bon aperçu de la conquête arabe vue du coté des vaincus : « D'où vient que les incursions barbares se multiplient et que les phalanges saracènes se sont levées contre nous ? Pourquoi tant de destructions et de pillages ? D'où vient que l'effusion de sang est devenue continuelle et que les cadavres sont la proie des oiseaux du ciel ? Pourquoi les églises détruites et la croix outragée ? ... Abomination de la désolation à nous prédite par le prophète, les Saracènes parcourent des contrées qui leur sont interdites, saccagent les villes, dévastent les champs, livrent les villages aux flammes, renversent les saints monastères, tiennent tête aux armées romaines, remportent des trophées à la guerre, ajoutent victoire sur victoire, s'alignant en masse contre nous...  et se vantant de dominer le monde entier en imitant leur chef continûment et sans retenue... » (*2). Le nom de leur chef, censé motiver leur désir « de dominer le monde entier », n'est pas relevé.

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Scène de guerre (al-tavārīḫ Gami,
par Rašid al-Dîn, manuscrit persan, 1430 ; BnF).

À noter que les manuscrits de Séert, que certains musulmans évoquent pour démontrer que les chrétiens étaient heureux de la conquête arabe, ne sont pas du VIIe siècle. Dans ces manuscrits retrouvés dans une copie du XVIIIe siècle, un chrétien nestorien, Ichoyahb III se félicite de la conquête arabe. Confronté aux guerres incessantes entre Byzantins et Perses, Ichoyahb III dit apprécier la pacification obtenue par la conquête arabo-musulmane et il se montre reconnaissant de la générosité des musulmans envers monastères et églises. Cependant, les manuscrits de Séert évoquent le calife fatimide Ali az-Zahir, mort de la peste en 1036. Ils ont donc été écrits après le XIe siècle. Ces manuscrits de Séert nous renseignent donc sur la façon dont les musulmans du XIe ou du XIIe siècles aimeraient que soit perçue la conquête arabe et non sur sa réalité historique du VIIe siècle.

En 635, Damas est prise sans combat : la garnison byzantine a fui. La même année, Jérusalem se rend, sans doute au moment des Rameaux. Une légende arabe du VIIIe siècle dira qu'Omar a pris lui-même possession de la ville de Jérusalem ; mais il s'agit sans doute d'un contresens entre Ælia (nom romain de Jérusalem employé par les arabes) et Eilat (ville sur le golfe de 'Aqaba), qui est occupée par les troupes d'Omar au même moment. L'histoire d'Omar priant sur le mont du Temple ressemble donc bien à une légende tardive, puisque les seules traces qu'elle a laissées sont dans les écrit de Tabarī au Xe siècle (*3).
En 636, les armées impériales byzantines subissent une défaite majeure face aux troupes d'Omar dans la vallée du Yarmuk. La Syrie passe sous contrôle arabe. Déjà, le Moyen-Orient est soumis aux conquérants arabes.
En 639, l’Égypte est conquise à son tour.

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Le phare d'Alexandrie (Mehmed ibn Emir Hasan al-Su’ūdī dans Le Lever des astres chanceux et les Sources de
la souveraineté, Istanbul, Turquie, 1582 ; BnF). Après la conquête arabe, le phare d'Alexandrie va
tomber en ruine : les musulmans ne sont pas marins.

En 640, pour la première fois, le nom de Mohamed est mis par écrit sous la plume de Thomas le Presbyte, un chroniqueur syriaque vivant en Mésopotamie qui relate la première décennie de conquêtes arabes. Son propre frère, portier au monastère de Mardē, au sud de la Turquie, a été tué avec de nombreux moines, lors de l'incursion des « Tayayē ». Dans sa chronique, en 640, Thomas raconte une attaque dans la région de Gaza : « À 9 heures, eut lieu le combat des Romains et des Tayayé de Mhmt en Palestine, à 12 miles à l'est de Gaza. Les Romains s'enfuirent abandonnant le Patrice Bar Yardan que les Tayayê tuèrent. Furent tués là environ 4000 paysans pauvres de Palestine, chrétiens, juifs et Samaritains, et les Tayayê dévastèrent la région » (Chronica minora, Pars secunda, III, 147-148) (*4). En fait, Thomas ne parle jamais des musulmans, ni de l'islam. Thomas parle des arabes, qu'il nomme les « Tayayē » et plus précisément des « Tayayē d-Mhmt », pour les arabes de Mohamed. Ainsi sera appelé le prophète de l'islam dans les écrits syriaques du VIIe siècle : Mhmt.

En 770, La chronique de Zuqnīn racontera la campagne du général arabe 'Iyād Ibn Ghann du siècle précédent. La chronique relate la prise d'Édesse, la conquête de la Palestine et de l'Arménie. Elle relate comment Ibn Ghann obtient par la négociation la reddition de Darā (Daras-Anastasiopolis). Il ne s'agit nullement de convertir les villes conquises à une nouvelle religion, mais de les assujettir au paiement d'un tribut en échange d'un arrêt des combats et du pillage. Bien plus tard, la Tradition musulmane fera l'amalgame entre reddition et conversion. Mais, au VIIe siècle, il ne s'agit pas de religion mais bien d'imposition au paiement d'un tribut (*5).

En 644, le Calife Omar est assassiné par un ancien esclave perse. Avant de mourir, Omar désigne un groupe de six hommes parmi lesquels son successeur doit être choisi. Ali en fait partie, ainsi que des membres de la famille élargie du Prophète. Leur supériorité sur les autres croyants puise sa légitimité dans une parole de Mohamed qui sera reprise dans le Coran (S. 33, 6). Mais, c'est 'Othmān qui est choisi comme troisième calife de préférence à Ali. 'Othmān est un Quraysh fidèle de la première heure. Il a épousé successivement deux des filles de Mohamed qui ne lui ont pas donné d'enfants.

'Othmān règne de 644 à 656. En 655, la flotte arabe bat l’armée byzantine qui avait temporairement repris Alexandrie. L’empire musulman s'étend en Afrique du Nord.
En 656, après un siège de plusieurs jours dans sa propre maison, 'Othmān est poignardé par des opposants qui lui reprochent ses exactions. Les assassins étaient-ils des fidèles d'Ali, mécontents de ne pas avoir vu leur candidat choisi ? Le doute s’installe.

En 656, Ali est choisi comme Calife.
Une période de transition difficile s’amorce alors dans la violence. Elle sera appelée la « Grande Épreuve », la fitna kubrā.

En 656, Aïcha, associée à Talha et à Zubayr, part donc en guerre contre le Calife Ali, qu'elle accuse du meurtre d'Othmān : c'est la bataille du chameau. On a vu que l'antagonisme entre Ali et Aïcha datait de bien avant la mort de Mohamed.

En été 657, Ma’awiya, gouverneur de Syrie, s'oppose à Ali. Il veut se faire livrer les meurtriers d'Othmān. Ali prétend qu'Othmān a été tué pour des actes d'oppression. Ils finissent par décider d'un compromis en acceptant un arbitrage extérieur. Mais cet arbitrage n'est pas accepté par tous. L’islam se divise alors en trois branches : les sunnites fidèles à 'Othmān, les chiites qui suivent Ali et finalement les Kharidjites, des alliés d'Ali qui refusent le compromis et s'opposent désormais à lui. Ces trois branches de l'islam auront un jour des contenus doctrinaux différents, mais, initialement, ce qui les différencie est politique.
En 658, la bataille de Nahrawam oppose Ali et ses ex-alliés Kharidjites. En 661, les Kharidjites assassinent Ali. La « Grande Épreuve », la fitna kubrā s’achève avec le règne d'Ali.

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Fatima, la fille de Mohamed, épouse Ali, le cousin de son père (Siyer-i-Nebi, La Vie du Prophète,
1588 ; Topkapi). Dans cette union, Ali puise la légitimité de son imanat. Il fonde
le chiisme qui prône la fidélité à la lignée familiale du Prophète.

En 660, dans un texte chrétien, l'Histoire d'Héraclius écrite par le patriarche arménien Sebèos, apparaît le mythe des arabes fils d'Ismaël. L'Histoire d'Héraclius parle des exactions de « l'armée dévastatrice des Ismaélites » (*6). Il s'agit donc d'un texte chrétien qui est en contradiction avec le Coran qui, lui, n'a donné aucun enfant à Ismaël et en particulier aucun qui serait prophète (S. 29, 27).
La même année, en 660, un autre auteur syriaque anonyme parle de la chute de l'empire Perse et du dernier empereur sassanide Yazdagird III décédé en 651 : « Dieu envoya contre eux l'assaut des Fils d'Ismaël » (*7). Voilà encore dans un écrit chrétien apparaître la conviction que les arabes sont fils d'Ismaël.

En 670, l'évêque franc Arculfe, en pèlerinage à Jérusalem, constate avec désolation la construction d'une mosquée rudimentaire sur l'esplanade du Temple « Sur cet emplacement célèbre où se dressait jadis le Temple magnifiquement construit, les Saracini fréquentent maintenant une maison de prière quadrangulaire qu'ils ont construite de manière grossière sur des ruines, elles est faites de planches dressés et de grandes poutres. » (*8). Les envahisseurs sont ici nommés « Saracini ».

En 682, les  conquérants arabes sont dénommés « Mahgrāyē » sur la page de garde d'un évangile : « Ce livre du Nouveau Testament a été achevé en l'année 993 des Grecs, qui est l'an 63 des Mahgrāyē, les fils d'Ismaël, fils d'Agar et d'Abraham »*. On voit confirmé que ce sont bien les chrétiens qui ont inventé le mythe des arabes descendants d’Ismaël. Le mot « Mahgrāyē » est transcrit dans les textes grecs en « moagaritai » qui correspond dans les textes bilingues en grec-arabe au terme « muhājirūn », « celui qui a quitté son pays pour combattre sur le chemin de Dieu » (*9).

Installés chez les peuples conquis, les « Mahgrâyê » ne font preuve d'aucun prosélytisme religieux, mais ils exigent de recevoir un tribut pour arrêter leurs pillages. Aucune mention de « musulmans », ou d' « islam » n'existe dans les textes du VIIe siècle. Si les arabes de Mhmt se percevaient comme soumis à Dieu, cela n'a laissé aucune trace chez les peuples conquis. En revanche, leur revendication à être des « combattants » a été parfaitement comprise, qu'ils soient par ailleurs nommés « Saracènes », « Tayayē » ou « Mahgrāyē ».
Il est à noter que le terme « 'Arabâya » ne désignait pas alors les habitants de la péninsule arabique mais ceux de la région de Nisibe au sud de la Turquie (*10).

Quant à Mohamed, M ahomet ou Muhammad, il est inconnu des écrits du VIIe siècle qui tous, que ce soit la Chronique de Sebèos, celle de Jacob d'Édesse ou celle de Thomas le Presbyte, le nomment « Mhmt » en syriaque (*11).

Les fondations de l'islam, *1 : p. 154 / *2 : p. 155 / *3 : p. 414 / *4 : p. 147 / *5 : p. 178-179/ *6 : p. 195/ *7 : p. 132 / *8 : p. 167 / *9 : p. 37 / * 10 : p. 39 / *11 : p. 38 ; A.-L. De Prémare, Points, 2002.

13. 2. La mise par écrit des Corans, entre pluralité et piété.

Le Coran est initialement un Kitāb : un récit oral fixé, un texte invariable. Il est appris par cœur et restitué exactement. Ainsi pratiquaient les nomades allant d’oasis en oasis et transmettant les nouvelles sous forme de récits exactement répétés : l'oralité en garantissait la véracité. Le Coran garde la trace de cette conception qui veut que la vérité ne puisse être transmise que sous forme de Kitāb, de paroles non écrites, récitée par cœur. Les juifs sont ainsi mis au défi de réciter par cœur la Thora : « Venez-donc avec la Thora et récitez-là, si vous êtes véridiques ! » (S. 3, 93).
Un « qur’ān » est la récitation par cœur d'un Kitāb, le fameux texte oral de référence. La racine arabe QR’ signifie « redire un message en en reprenant les paroles sans les modifier ni en ajouter »*. Ce serait donc l'origine du mot « Coran ». Mais curieusement, la Tradition musulmane prétendra que l'étymologie du mot « Coran » est « keryāna », un mot syriaque signifiant « lecture des écritures »*. Cette interprétation de la Tradition musulmane suggère une mise par écrit précoce et la Tradition maintient que certaines sourates ont été mises par écrit du vivant de Mohamed. Mais « keryāna » est un mot syriaque*. Pourquoi ne pas suivre l’étymologie arabe de la racine QR' ? Dans Le Seigneur des tribus, l'islam de Mohamed, J. Chabbi affirme que le Coran, d'après la racine QR', serait bien la récitation d’un Kitāb appris par cœur et non la lecture d’un texte saint écrit.

Cette interprétation est également celle de certains penseurs musulmans contemporains qui retiennent l’étymologie de QR' pour expliquer le mot Coran. Par exemple, Nasr Hamid Abou Zeïd ou Rachid Benzine pensent que la parole divine a longtemps été récitée par cœur avant sa mise par écrit. En musulmans convaincus, ils n'ont aucun doute sur l'inspiration divine de Mohamed. Mais ils essaient, par le moyen de la linguistique, des sciences sociales et de l'histoire, de replacer l'écriture de cette parole divine dans l'Arabie du VIIe siècle. Ils souhaitent ainsi la purifier de ses scories humaines, de ses archaïsmes et de ses erreurs, apparus lors de sa mise par écrit. Leurs travaux et leurs réflexions sont iconoclastes et évidemment contestés par l'orthodoxie musulmane. Pour l'instant, Nasr Hamid Abou Zeïd a été persécuté en Égypte et a dû fuir et Rachid Benzine, d'origine marocaine, vit en France.

Le Coran serait donc un « qur’ān » et non un « keryāna ». Ce serait la récitation par cœur d'une parole présentée comme divine et non la lecture d'un texte écrit et bien défini.

Cela est d'autant plus vraisemblable que la Tradition musulmane a conservé le témoignage du long travail de rédaction qui a présidé à l'élaboration du Coran et des multiples versions qui, au fil des ans, ont été tour à tour rédigées puis détruites :

- Du vivant de Mohamed, Aïcha aurait gardé des « cuirs sur lesquels était le Coran qui fut écrit de la bouche de l’envoyé de Dieu » (Ibn Shabba, Tārīkh al-Madīna, III, 997).

- Mohamed aurait eu des secrétaires particuliers, 'Abd-Allāh Ibn Mas'ūd, Abū-Musa al-Ash'arī, Abd-Allāh ibn Sad, Ubbay Ibn Kab et Zaïd Ibn Thābit, un médinois certainement d’origine juive puisqu’il aurait reçu sa formation scolaire à l’école juive de Yathrib. Abd-Allāh ibn Sad aurait perdu la foi en l’origine divine du Coran après avoir vu ses propres suggestions reprises par Mohamed pour finir des versets (Dāwud, 38, 4345). Le doute d'Abd-Allāh ibn Sad est d'ailleurs celui des contemporains de Mohamed qui lui attribuaient la paternité du Coran et son mérite poétique (S. 52, 29-33).

- La Tradition musulmane donne des versions contradictoires sur ce qui s'est passé après la mort de Mohamed. Un des secrétaires de Mohamed, Zaïd Ibn Thābit aurait refusé d’obéir à Abu Bakr et à Omar qui lui demandaient de mettre par écrit le Coran : « Feriez-vous donc ce que l’envoyé de Dieu n’a pas fait ? » (Ibn Hanbal, Musnad, V, 188.10).
- Néanmoins, une version aurait bien été rédigée à la demande d'Abu Bakr et d'Omar et aurait été confiée à Hafsa, la fille d’Omar, une des épouses de Mohamed (Ibn Abu-Dāwud, Masāhif, p. 8-10).

- D'autres versions coraniques ont laissé leur souvenir :
- 'Abd-Allāh Ibn Mas'ūd, un compagnon de la première heure de Mohamed, collecte et rédige lui aussi un Coran. Ali, l'époux de Fatima, le fondateur du chiisme, opte pour cette version (Ibn Abu-Dāwud, Masāhif, p. 10, chap. 15, §2).

- Abū-Musa al-Ash'arī rédige une version lue à Basra en Irak. Mais elle n'a pas été conservée. Abū-Musa est né au Yémen, terre juive et chrétienne où les Psaumes étaient connus. Est-ce en raison de sa participation à la rédaction du Coran que certains versets des Psaumes de la Bible sont repris dans le Coran ? Le Psaume 107(106), (23-30) décrit les dangers de la navigation et l'aide donnée par Yahvé aux marins. Avec un étrange décalage culturel, puisque les Quraysh ne sont pas marins, il se retrouve dans une Sourate réputée mecquoise (S. 10, 22).

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Sorciers navigants (Les Makamat de Hariri, peintures exécutées par Yahya al-Wasiti, 1237 ; BnF). La navigation
restera toujours pleine de danger et davantage l'occasion d'une production artistique que de recherche technologique en terre d'islam.

Un autre verset des Psaumes « Les justes posséderont la terre, là ils habiteront pour toujours. » (Ps 37 (36), 29) se retrouve dans le Coran d' Abū-Musa : « Très certainement, Nous avons écrit, dans le Psautier, après le Rappel : « Oui, ils hériteront la terre, Mes esclaves, gens de bien. » » (S. 21, 105). La présence de ce verset dans le Coran a permis aux musulmans de se croire les légitimes propriétaires des terres conquises suite au djihad, quels qu'en aient été les propriétaires antérieurs. Les hébreux n'avaient vu dans ce verset du Psaume que la reconnaissance de leur droit divin à occuper Canaan.

Jusqu'au Xe siècle, des procès auront lieu à Bagdad contre ceux qui s'obstinent à réciter des Corans divergents, Corans selon Ubbay, selon Ibn Mas'ūd ou d'autres qui « contrevenaient au consensus » (Yāqūt, Udabā, V, 114-117, Muhammad Ibn Shanabūdh ; v, 310-312, Muhammad Ibn Miqsam). Plusieurs versions du Coran ont donc coexisté pendant les premiers siècles de l'islam. De plus, la version dite d'Othmān a elle-même été corrigée très tardivement, puisque les versets sataniques qui reconnaissent la puissance divine de déesses de la Mecque, étaient encore inclus dans sa version du Coran du temps de Tabarī au IXe siècle.

Trois siècles de réflexions théologiques et de luttes politiques et juridiques ont donc été nécessaires pour que le Coran soit établi en une seule version, elle-même devenue définitive, et qui sera appelé Vulgate d'Othman. Ce sont des écrits musulmans qui en témoignent.

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Écriture coufique, (Sourate XLVIII, verset 20, copie du IXe siècle ; BnF). Aucune des
versions primitives du Coran n'est parvenue jusqu'à nous, sauf peut-être une...

* : Le Coran décrypté, p. 314,  Jacqueline Chabbi, Fayard, 2008.

13. 3. La mise par écrit du Coran officiel, entre épigraphie et archéologie.
La première tentative pour mettre par écrit un Coran entier daterait donc du Califat d'Othmān. La Tradition musulmane raconte qu'en 645, 'Othām aurait pris la décision de faire écrire le Coran suite à l'intervention d'Hudayfa, un juif converti à l'islam. Hudayfa remarque que les musulmans récitent des Corans différents. Il demande au Calife 'Othmān de fixer le Coran. Selon Bukhārī, Hudayfa aurait dit : « Rattrape cette oumma avant qu’elle ne diverge sur le Livre comme ont divergé les juifs et les chrétiens. » (Sahīh, 66, Fadā'il al-Qur'ān, 3 Jam' al-Qur'an)*. Là encore, on voit la trace dans les écrits de la Tradition de plusieurs versions coraniques orales.

Sous le califat d'Othmān, les feuillets d'une des veuves de Mohamed, Hafsa, qui était fille d'Omar, servent donc de base à la mise par écrit du Coran. Ils sont complétés par des témoignages convergents de croyants. La Tradition raconte qu'Othmān fait brûler « toutes autres versions existantes ». Chaque grande ville reçoit alors une copie, un Coran d'Othmān, mais aucun de ces exemplaires n'est parvenu jusqu'à nous. Les feuillets d’Hafsa sont brûlés après la mort de la jeune femme sur l'ordre de Marwān, le gouverneur de Médine. Le frère d'Hafsa, chargé de sa succession, les lui livra « de crainte qu'il ne s'y trouve en quelque passage une divergence avec ce qu'avait copié Othmān. » (Ibn Abu-Dāwud, Masāhif, p. 21. Balādhurī, Ansāb, I, 427, n°888)1.

Ibn Abu-Dāwud raconte qu'ensuite et jusqu'à la fin du VIIe siècle, le Coran a été corrigé par deux gouverneurs d’Irak. Le premier est 'Ubbayd-Allah, il a « ajouté 2000 harf au codex ». Un harf est une lettre, un mot, une proposition ou un mode de lecture. Le gouverneur 'Ubbayd-Allah est assassiné par les chiites en 686. Son successeur, le nouveau gouverneur d’Irak, Al-Hajjāj ibn Yusuf (686-714), corrige l’orthographe, la ponctuation et améliore l’ordre des sourates et des versets. Ce serait lui qui aurait eu l'idée de classer les sourates par ordre décroissant de taille, en faisant fi de la chronologie. Le gouverneur Al-Hajjāj ibn Yusuf fait à son tour détruire les versions précédentes après avoir envoyé la sienne dans toutes les provinces de l'empire (Samhūdi, Wafa', II, 667-668).

On voit que dès le début de la mise par écrit du Coran, le souci de ne présenter qu'une seule version a prévalu, mais que ces efforts d'homogénéisation ont été bien difficiles. Ils ont réclamé les destructions successives de toutes les éditions antérieures du Coran dit d'Othmān.

Pendant les mandats des deux gouverneurs d'Irak qui ont corrigé le Coran, le calife régnant est Abd-al-mālik (685-705). C'est lui qui fait bâtir le Dôme de Jérusalem en 692 qui n'est pas une mosquée mais un monument prenant la place du Temple de Jérusalem.

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Le Dôme du Rocher édifié par Abd-al-mālik en 692.

Une mosquée rudimentaire avait sans doute déjà été édifiée sur l'esplanade du Temple dès 670, comme en témoigne l'évêque Arculfe. Le Dôme du Rocher est construit en reprenant le plan du Saint Sépulcre de Jérusalem qui avait été édifié sous l'empereur Constantin. Il s'agit donc, en 692, de symboliser la domination de la nouvelle dynastie omeyyade sur l'empire byzantin vaincu **. S'installer à la place du Temple juif est également une façon de s'approprier ce lieu saint du judaïsme que l'islam naissant prétend conduire à sa perfection. Mais, en 692, le calife Abd-al-mālik a une autre raison d'édifier un monument remarquable sur le mont du Temple. Il souhaite créer un lieu de pèlerinage rival de celui de la Kaaba. En effet, il est en conflit avec Ibn al-Zubay qui s'est institué Calife de la Mecque et exige que les pèlerins venant à la Kaaba lui fassent allégeance. La construction du Dôme de l'esplanade du Temple par Abd-al-mālik a donc des objectifs clairement politiques. Sur le Dôme du Rocher, se trouve le premier fragment coranique daté avec certitude et conservé jusqu’à nos jours. Il s'agit d'un court verset de la sourate 112 : « Dis : Allah Un. Allah le plein. Il n’a pas engendré et Il n’a pas été engendré. Et Il n’a, comme équivalent, personne ». C'est quasiment le même verset qui est frappé sur les monnaies arabes en 697. C'est le seul extrait du Coran du VIIe siècle qui nous soit parvenu et qui soit daté avec certitude.

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Inscription du Dôme du Rocher. Les mosaïques ont été à plusieurs reprises
restaurées et refaites pendant plus de 1000 ans.

Indépendamment de l'unique verset du Coran inscrit sur le Dôme du Rocher, la participation d'Abd-al-mālik à la rédaction du Coran a laissé des traces dans la Tradition musulmane. Balādhurī rapporte les propos du calife Abd-al-mālik : « Je crains de mourir durant le mois du Ramadan : c'est durant ce mois que je suis né, durant ce mois que je fus sevré et durant ce mois que j'ai collecté le Coran. » (Ansāb, XI, p. 264, cité par Sharon, The Umayyads, 1991, p. 131, n° 37). D'après ce hadith, il semble bien que ce soit Abd-al-mālik le véritable compilateur du Coran et non Othmān. Or, Abd-al-mālik a régné de 685 à 705, ce qui retarde d'autant la mise par écrit du Coran.

En 1972, au Yémen, une découverte passionnante a eu lieu : un mur de la grande Mosquée de Sanaa s’est effondré, libérant une cache contenant 15000 parchemins couverts d'extraits du Coran. Pour les étudier, les yéménites firent alors appel à un chercheur allemand, le Pr Puin. Les peaux supportant les écrits ont été datées par carbone 14. Les animaux dont le cuir a servi, ont été tués, pour les plus anciens, dans une période allant de 645 à 690 ; pour les plus récents au cours du Xe siècle. Le Dr Puin a daté de 685 le plus ancien écrit grâce à son style et la forme de ses lettres. Il s'agit donc du plus ancien extrait du Coran parvenu jusqu'à nous. Il date du règne d'Abd-al-mālik... Mais, sous le texte de 685, le Dr Puin remarque, que, par transparence, apparaît un autre texte du Coran plus ancien et qui a été décapé pour laisser la place à la nouvelle version. À ce moment de ses recherches, le Dr Puin travaille sur microfilms. Dès que ses premiers résultats deviennent publics, en 1999, les autorités yéménites lui interdisent l'accès aux originaux et, curieusement, ses microfilms sont détruits. Le Dr Puin explique dans une interview : « Nombre de musulmans sont persuadés que, du début à la fin du Coran, tout est la parole inaltérée d'Allah. Ils se réfèrent au travail sur le texte de la Bible qui montre qu'elle n'est pas tombée directement du ciel. Mais, jusqu'à présent, le Coran a échappé à ce genre de discussion. La seule façon de briser un tel mur est de prouver que le Coran lui-aussi a une histoire. Les fragments de Sanaa nous aideront à y parvenir. » (source Wikipédia).

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Manuscrit de Sanaa en style Hijazi (fin VIIe siècle). Ici, les 20 derniers versets de la sourate
As-Sajda (La prosternation) et les 6 premiers versets de la sourate Al-Ahzab (Les coalisés).

Les manuscrits de Sanaa montrent en effet des divergences, peut-être pas très importantes mais réelles, de sens et de classification des versets, avec la version dite d'Othmān qui prévaut de nos jours. Et qu'en est-il de la version plus ancienne, effacée et recouverte, sur les manuscrits de Sanaa ?

Le Coran est donc un texte élaboré sur plus d'un siècle et plusieurs autres découvertes archéologiques confirment cette hypothèse.
Ainsi, les moquées construites sous la dynastie omeyyade – dynastie qui s'est achevée en 750 - , sont-elles orientées vers Jérusalem, comme le sont les synagogues, et non vers la Mecque
. Cette orientation suggère que le verset du Coran imposant la Qibla, l’orientation de la prière vers la Kaaba était méconnu - ou oublié - puisqu'il n'a pas été respecté : « Nous te tournerons certainement vers une orientation qui te complaira. Tourne ton visage, donc, vers la sainte Mosquée (La Kaaba). » (S. 2, 144). Ainsi, en Irak actuel, les fouilles de la mosquée d'al-Wasīt, fondée en 702, ont-elles mis en évidence une Qibla orientée vers Jérusalem. Il en est de même des mosquées de Kufa ou de Fostat près du Caire, ou bien encore des mosquées des palais des Omeyyades.

Les preuves archéologiques et épigraphiques démontrent donc qu'un siècle après la mort de Mohamed, le Coran n'était ni défini, ni connu, ni rédigé dans sa version définitive.

* : Les Fondations de l'islam, p. 283 à 305, A.-L. de Prémare, éd. Points.
** : Le Seigneur des tribus, l'islam de Mohamed, p. 161, Jacqueline Chabbi, CNRS éditions, 1997.

13. 4. La mise par écrit du Coran : que nous dit la linguistique ?

Indépendamment de la Tradition musulmane et de l'archéologie, les dernières recherches en linguistique confirment que le Coran est un texte élaboré sur des dizaines d'années et par de multiples générations de croyants de multiples origines.

Un chercheur allemand, Christoph Luxenberg a étudié le vocabulaire du Coran. Il remarque que certains mots ne sont pas arabes. Il identifie du vocabulaire latin et grec. Par exemple, la Mecque est qualifiée de « Umm-al-Qura », traduction littérale du grec « metropolis ». La route droite, « al-Sīrat al-Mustaquim », vient du « strada » latin, la « route droite » des romains. Le « qasr » coranique vient du château, « castum » en latin*.

Mais, par delà ces apports latins et grecs, Luxenberg remarque la fréquence du vocabulaire syriaque. Sa présence suggère que le Coran aurait été remanié, hors d'Arabie, au début du VIIIe siècle par les premières générations de syriaques chrétiens convertis à l'islam et qui parlaient le syro-araméen * .
L’arabe sud-sémitique de 630, celui parlé du temps de Mohamed, est connu par des graffitis non islamiques, laïcs pouvons-nous dire. Il est infiniment moins sophistiqué que celui du Coran. C’est donc l’apport de la richesse du vocabulaire syriaque, de l’écriture syriaque, ainsi que l’adjonction des voyelles qui auraient permis la rédaction du Coran dans une langue qui n'est déjà plus l'arabe de Mohamed.
L'arabe dit classique, l'arabe du Coran, aurait été élaboré sur 150 ans, c'est pourquoi il n'existe pas d'ouvrage en arabe classique avant la fin du VIIIe siècle. Luxenberg précise « Selon la tradition musulmane, le Coran daterait du VIIe siècle, alors que les premiers exemples de littérature en arabe dans le plein sens du terme ne se trouvent que deux siècles plus tard, au temps de la « Sīra », c'est-à-dire la Biographie de Mohamed, telle qu'elle a été écrite par Ibn Hichām, décédé en 828. On peut ainsi établir que la littérature post-coranique a été développée par degrés dans la période qui a suivi le travail de Khalil iln Ahmad, fondateur de la  lexicographie arabe, mort en 786, et de Sibawayh mort en 796, à qui l'on doit la grammaire de l'arabe classique. Maintenant, si nous considérons que la composition du Coran s'est achevée à la mort de Mohamed, en 632, nous avons devant nous un intervalle de 150 ans, durant lequel nous ne trouvons pas trace de littérature arabe. ».
Comment expliquer cet écart ? Si l'arabe classique du Coran s'est au contraire élaboré sur 150 ans, nous retrouvons une continuité dans l'usage de cette langue dans les écrits musulmans.

Christoph Luxenberg va plus loin, il analyse des versets incompréhensibles du Coran. En retrouvant le sens des mots par leur origine syriaque, il restitue un sens cohérent à des versets coraniques confus.
Voyons deux exemples :
- Le premier touche au sujet délicat du voile des femmes.
« Dis aux croyantes : de baisser leurs regards, d’être chastes, de ne monter que l’extérieur de leurs atours, de rabattre leurs voile (« khumur») sur leurs « poitrines ». » (S. 24, 31)*.
Pour Luxenberg, le mot traduit habituellement par « poitrine » est littéralement la fente des vêtements en syriaque. Il le traduit donc par le mot « poche ». Le mot « Khumur », traduit par foulard ou voile de nos jours, signifie « ceinture » en syriaque. Le verset devient : « les femmes doivent serrer leur ceinture sur leurs poches ». Pour les chrétiens, la ceinture était symbole de chasteté comme en témoigne la littérature et l’iconographie syriaque. Ce verset ne signifie donc pas une obligation à se voiler mais du rajout, peut-être tardif, peut-être d’origine chrétienne, d’une consigne rappelant l’importance de la pudeur, exprimée par le port symbolique d’une ceinture.

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Vierge à la ceinture (Filippo Lippi, vers 1450). La ceinture est
restée symbole de chasteté dans la culture chrétienne.

- Le second exemple porte sur un sujet tout aussi délicat, il concerne les fameuses Houris, ces jeunes filles toujours vierges qui attendent les élus au paradis. En fait, le mot « Houris » signifie « raisin blanc » en syriaque. Les élus au paradis se voient donc gratifier de raisins blancs et non pas de multiples concubines (S. 44, 54 ; S. 52, 20 ; S. 56, 22)*. Cela correspond à la vision poétique chrétienne du paradis dans la littérature syriaque qui est conservée et connue. Le raisin y était symbole d’abondance et de délice.

Un autre chercheur allemand Günter Lüling a posé une autre hypothèse. Il pense que le Coran est inspiré de livres chrétiens syriaques, des lectionnaires, expliquant les fondements de la foi chrétienne et destinés à l'évangélisation de l'Arabie (**1). Mohamed en aurait eu connaissance et y aurait puisé une partie de son inspiration poétique. Cette hypothèse est confortée par les traces épigraphiques laissées par le Patriarche jacobite Ahûdemmed, qui, à la fin du VIe siècle, avait organisé l'évangélisation de l'Arabie en dotant d'une église, d'une école, « d'un prêtre et d'un diacre... chaque tribu » (***). Ce travail d’évangélisation s’est poursuivi tout le VIIe siècle jusqu'à ce que la conquête arabo-musulmane y mette fin. Günter Lüling analyse la sourate 97. Nommée « La destinée », « al Qadr » en arabe, la sourate 97 est censée raconter le début de la révélation du Coran. En fait, c'est la transposition d'un hymne chrétien célébrant Noël. En effet, la transcription du mot « al Qadr » en syro araméen est « helqa », et signifie « l’Étoile de la nativité », celle qui a guidé les Rois mages lors de la naissance de Jésus.
La sourate 97 devient donc un chant chrétien célébrant la naissance du Christ : « L’Étoile de la nativité » : « Oui, nous avons fait descendre ceci (donc Jésus et non le Coran) la nuit de la nativité. Et qui te dira ce qu’est la nuit de la nativité ? La nuit de la nativité est meilleure que mille mois ! Durant la nuit de la nativité descendent les anges ainsi que l’Esprit, par permission de leur Seigneur. Avec chaque commandement, une paix. – Cela, jusqu’à l’apparition de l’aube. »****.
Si cette sourate a réellement été récitée par Mohamed, elle prouve que Mohamed s’est inspiré d’un livre de liturgie chrétienne syriaque. Si ce n'est pas le cas, cela signale que le Coran est une synthèse tardive de plusieurs textes de poésies sacrées. Cependant, dans le Coran, on trouve un indice suggérant que Mohamed puise son inspiration dans des textes anciens : « Ceux qui mécroient disent : « Oui, tout ceci n'est que calomnie que celui-là a blasphémé et à quoi d'autres gens l'ont aidé ». Or, ils commettent là prévarication et m ensonge. - Ils disent : « Contes anciens qu'il se fait écrire ! On les lui dicte matin et après -midi. » » (S. 25, 4-5).

Dans les trois premiers siècles de l'islam, les musulmans mutazilites affirmeront que Coran est créé. Leur conviction est logique, puisque le Coran est en train d'être élaboré. Selon eux, l'idée d'un Coran « incréé », existant de toute éternité auprès de Dieu, divinisait le Coran et constituait une « association », une entorse à l'unicité de Dieu. Qu'ils aient eu besoin d'affirmer que le Coran n'était pas incréé, démontre également que certains le croyaient.
Mais quel est donc ce Coran incréé ? Est-ce une version idéale existant auprès de Dieu et qui reste inconnue ? Serait-ce simplement un extrait de ce Coran céleste « incréé » qui aurait été révélé à Mohamed ? Éventuellement ! Mais ce Kitāb idéal récité par Mohamed – en supposant qu'il ait réellement été inspiré par une voix céleste – s'est manifestement dilué dans les versions écrites successives. À quel stade de sa mise par écrit le Coran terrestre est-il semblable au Coran incréé ? Pendant les deux premiers siècles de l'islam, cette notion de « Coran incréé » fera débat. On le comprend ! Finalement, ce n'est qu’après la fin de la rédaction du Coran, au IXe siècle, que la question sera tranchée. Le sunnisme l'emportera sur le mutazilisme et le Coran terrestre dit d'Othmān deviendra officiellement incréé, fidèle reproduction d’un écrit divin, dont il sera affirmé qu'il a été mis par écrit dès la mort de Mohamed. De nos jours, les aléas de la rédaction du Coran se sont perdus dans le passé au point que bien des musulmans sont convaincus que le Coran n'a existé qu'en un seul exemplaire, fidèle reproduction du Kitāb de Mohamed.

Les musulmans affirment que des Corans anciens (celui de Tachkent ou celui du Caire) ont appartenu à des compagnons de Mohamed. Mais, les spécialistes les datent du IXe siècle, soit plus de deux siècles après la mort de Mohamed. Ce sont les Corans complets les plus anciens parvenus jusqu'à nous. Seuls des fragments du Coran sont plus anciens. Ceux de la collection Chester Beatty, conservés à Dublin, sont datés de la fin VIIIe siècle. Ceux de la Bibliothèque nationale de France sont de datation incertaine. Quant à ceux de Sanaa, ils sont de nos jours hors de portée des scientifiques. On peut d'ailleurs légitimement penser que les Yéménites détiennent entre leurs mains, la preuve que le Coran n'est pas incréé, mais qu'il a au contraire été élaboré en plusieurs versions et sur plusieurs dizaines d'années. Si les Yéménites ne savaient pas détenir cette preuve, pourquoi auraient-ils de telles réticences à laisser les chercheurs occidentaux accéder aux manuscrits de Sanaa ?

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Le plus ancien feuillet du Coran (Sourate 26, 23-51) de la BnF,
évalué au VIIe/VIIIe siècle en raison de l'écriture en style Hijazi (ḥiǧāzī).

Face à l'impossibilité des musulmans à porter un regard technique sur le Coran, laissons la parole à Maxime Rodinson, un spécialiste occidental du Coran : « Le style d’Allah change en conséquence [de l’évolution de la vie de Mohamed]. Les versets haletants du début, hachés, concis au point d’en être extrêmement obscurs, pleins d’images syncopées d’une poésie saisissante, sont déjà devenus, à la Mecque, plus longs, plus plats et plus précis. Mais à Médine, à côté de morceaux qui rappellent encore heureusement les envolées mecquoises, on trouve surtout de filandreux et interminables articles de code, exhortations, protestations, proclamations d’un prosaïsme souvent pénible, encombrés de répétitions et de fautes de style. Il faut la foi des musulmans pour y voir encore un chef-d’œuvre inégalable de la rhétorique universelle dont la perfection suffit à prouver l’origine divine. » (**2).

Le Coran a donc été écrit et réécrit pendant plus de 150 ans et par des hommes de toutes origines, linguistiques, ethniques et religieuses à partir d'un noyau mystique imaginé par le premier grand poète arabe, « Mhmt », qui a travaillé à une synthèse de tous les mythes, de toutes les religions et de toutes les hérésies qui avaient cours en Arabie au VIIe siècle.

* : Die syro-arämaische Lesart des Koran, Christoph Luxenberg, Berlin, 2000.
** : Le choc Jésus-Mohamed, **1 : p. 106 / **2 : p. 226 ; Christian Makarian, CNRS éditions. 2011.
*** : Arabes chrétiens, p. 13-14, Nau, 1933 ; cf. Shahîd, Byzanthium Fourth Century, 1984, p. 419-422.
**** : Die Wiederentdeckung des Propheten Muhammad, Günter Lüling, 1981 ; et Uber den Ur-Qur’ān, 1974.

13. 5. La dynastie omeyyade gouverne de 660 à 750.

En 660, les descendants d'Umayya ibn 'Abd Sams, le grand oncle de Mohamed, remportent la première guerre interne à l’oumma, la fitna kubrā, la « Grande Épreuve ». Ali et ses fidèles sont balayés. Ali est assassiné un an après.

Les vainqueurs de la fitna kubrā fondent la dynastie omeyyade. Ils installent leur capitale à Damas. Forts de leur appartenance à la famille du Prophète, les Omeyyades créent une inégalité entre les croyants qu'ils justifient par une révélation de Mohamed. La famille du Prophète domine les arabes qui ne lui sont pas apparentés et les arabes dominent les non-arabes : « Pour les croyants, le Prophète a priorité sur eux-mêmes... Et les gens de parenté ont, les uns envers les autres, priorité, selon le Livre de Dieu, sur les croyants et émigrés. » (S. 33, 6).
Pour accéder à l'islam, le converti doit trouver une famille arabe qui consent à l'adopter. Il obtient un statut d’esclave affranchi « mawlā » en conformité avec une pratique inaugurée par la charte de Yathrib. La discrimination se fait selon la pureté de l’appartenance à l'ethnie arabe. La famille de Mohamed est donc supérieure aux arabes non apparentés. Les arabes sont supérieurs aux mawani (les convertis adoptés). Les mawani sont naturellement supérieurs aux dhimmi, les juifs, les chrétiens et les sabéens. Au prix d'un impôt, les dhimmi voient garanti leur droit à leur foi autonome, privilège dont sont exclus les païens et les manichéens.
Ainsi même entre musulmans, les inégalités raciales existent-elles. Mais, dans un état où le concubinage est généralisé, en particulier avec des esclaves étrangères (les prises de guerre), la démographie va rapidement évoluer en défaveur des musulmans arabes de pure souche. Ils deviennent minoritaires, en particulier au sein de la classe dirigeante qui bénéficie des harems les mieux fournis.

En 680 à la bataille de Kerbala, le calife omeyyade Ubbayd-Allah triomphe d'Hussein, le fils d'Ali et de Fatima. Hussein et sa famille sont tués. Il avait refusé l'allégeance au califat omeyyade. La rupture est consommée entre les chiites partisans d'Ali et les sunnites partisans du califat en place.
En 684 lors de la bataille Mardj Rahit, la dynastie omeyyade bat les tribus syriennes qui souhaitaient maintenir lors de la succession, le choix du Calife par cooptation des chefs tribaux. La dynastie omeyyade impose la succession héréditaire. C'est la seconde « fitna », la seconde guerre interne à l’oumma*.
De 685 à 687, le soulèvement de Kūfa oppose à nouveau les successeurs d’Ali aux Omeyyades.

L'homogénéité de l'empire omeyyade se construit dans la douleur à partir de sa capitale Damas. La Mecque est le siège d'un califat rival, celui d'Abd-Allāh Ibn al-Zubayr. En 692, Abd-al-mālik envoie Al-Hajjāj ibn Yusuf, le gouverneur d'Irak, celui qui a participé à la rédaction du Coran, faire le siège de la Mecque. Le siège dure sept mois. Le gouverneur Al-Hajjāj fait bombarder la Kaaba en plein pèlerinage et met fin au califat rival d'al-Zubayr. La Kaaba est incendiée et détruite.

Puis, en 697, le gouverneur Al-Hajjāj triomphe des Kharidjites. Les Kharidjites sont les membres du troisième courant de l'islam naissant qui a regroupé d'anciens alliés d'Ali. Ils continueront à occuper une place en désignant des regroupements fluctuants de tribus réfractaires. Leur opposition sera toujours davantage politique que religieuse.

L'arabe devient la langue de l'administration. Il remplace le perse et le grec. L'arabe finit par être parlé par chacun, quelle que soit sa religion. Le statut d'infériorité des dhimmi s'élabore avec la fiscalité qu'il implique (la capitation). Mais les dhimmi sont les seuls lettrés, l'administration omeyyade continue donc de les employer.

En 698, sous le règne d'Abd-al-mālik, le dinar arabe remplace le denier d'or byzantin et la drachme d'argent des Perses Sassanides. Cette monnaie unique, le dinar arabe en or, favorise le commence dans le nouvel empire.

De 705 à 715, le sixième calife Walid (705-715) fait construire la grande mosquée de Damas sur l'emplacement de la cathédrale Saint Jean Baptiste qui avait elle-même remplacé un temple dédié à Jupiter. Le minaret devient le symbole de l'architecture musulmane. Les décors non figuratifs, floraux, géométriques et calligraphiques, posent les bases de l'esthétique musulmane. Mais dans leurs palais du désert à usage privé, les omeyyades continuent de représenter la figure humaine, en particulier des danseuses nues (bains de Qusair Amra).

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Mosquée des Ommeyyades à Damas de nos jours et dessinée par Mehmed ibn Emir Hasan al-Su’ūdī dans
Le Lever des astres chanceux et les Sources de la souveraineté (Istanbul, Turquie, 1582 ; BnF).

Ce n'est qu'au début du VIIIe siècle que les croyants de la nouvelle foi se nomment eux-mêmes les musulmans dans les textes omeyyades. Il leur a fallu presque un siècle pour qu'ils se définissent comme « soumis », soit « musulmans ». Est-ce le besoin politique de pacification interne qui a favorisé la mise en avant des versets ordonnant la soumission (S. 5, 3) en remplacement de ceux ordonnant la guerre dans le sentier de Dieu  (S. 9, 111) ? En effet, dans bien des domaines, le Coran dit tout et son contraire. Chacun peut donc y puiser ce qu'il souhaite en fonction des circonstances. Tolérance (S. 2, 256) – intolérance (S. 47, 4) ; connaissance (S. 7, 199) – ignorance (S. 5, 101-102) ; égalité (S.  49, 13) - inégalité (S. 33, 6) : ces concepts sont tous défendus tour à tour par des versets coraniques qui peuvent être mis en avant selon les besoins et les circonstances.

Dans un autre domaine, le nom de « Mohamed » apparaît enfin dans un texte arabe. Deux papyrus arabes du début du VIIIe siècle sont parvenus jusqu'à nous. Sur aucun de ces papyrus son nom n'est suivi des formules de bénédiction qui deviendront habituelles quelques siècles plus tard. L'un de ces papyrus ne fait que huit lignes, il évoque la bataille de Badr*. Le nom de Mohamed y est cité deux fois. Un autre papyrus de vingt pages traite des débuts de Mohamed à Médine, de ses négociations en vue de son arrivée et d'un engagement armé entre Ali et la tribu de Khath'am**.

La conquête arabe se répand dans toutes les directions. En 706, elle s'arrête en Ouzbékistan. À Samarcande, les artisans détiennent le secret du papier inventé par les chinois. Emprisonnés et torturés, les ouzbeks livrent leur secret. La Chine lointaine continue son parcours loin des influences étrangères. Seule la route des marchands musulmans l’atteindra un jour permettant à l'islam d'y créer quelques têtes de pont. La Chine reste l'empire du milieu, globalement confucianiste, quoique tentée marginalement par le bouddhiste ou l'islam, après avoir été effleurée par le manichéisme et le nestorianisme. Mais en Ouzbékistan les conversions sont nombreuses pour échapper à l’impôt. Pour ralentir les conversions qui mettent en péril les recettes fiscales, les conquérants réclament aux convertis d'être circoncis et de connaître le Coran.

En 710, l'Espagne est conquise par la dynastie omeyyade, grâce à la trahison d'un wisigoth, Julien, qui a appelé à l'aide le berbère Tariq. L'armée musulmane envahit l'Espagne. L'Hispania chrétienne disparaît en 716. Elle est remplacée par la prestigieuse 'al-Andalus musulmane.

De 717 à 720, Omar II règne de Damas sur l'empire omeyyade. Les dhimmi juifs et chrétiens sont exclus de son administration.

En 719, les Omeyyades entrent en France. Ils prennent Narbonne, Carcassonne et Nîmes. Ils pillent Autun en Bourgogne en 726, puis Bordeaux en 732. Le 25 octobre 732, le premier jour du Ramadan, Charles Martel, le chef des armées franques, interrompt une razzia à Poitiers. Les incursions arabes n'iront pas plus loin. Pendant les 80 ans suivants, les Francs combattent les sarrasins sur le sol de France et les repoussent.

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La Bataille de Poitiers en 732 (manuscrit du XIVe siècle ; Bibliothèque royale de Bruxelles).
Devenue mythique, son importance est davantage symbolique que militaire.

À l'Est, l'empire Byzantin doit également se défendre contre l'empire musulman. Il est envahi sur ses frontières Est et doit payer tribu au Calife. L'empire byzantin ne protège plus ses frontières Ouest. Les lombards en profitent pour attaquer le Nord de l'Italie qui appartient toujours à l'empire byzantin. L’évêque de Rome est menacé. Le roi des francs, Pépin le Bref, vient à son secours. Il repousse les lombards et conquiert un territoire qu'il donne au pape en 756. Ainsi naissent les états pontificaux en Italie. Ils sont indépendants et cessent de reconnaître l'autorité de Constantinople et de l'empire byzantin. Le pape, évêque de Rome, vient d'obtenir les moyens matériels de son autonomie spirituelle.

Le 28 juillet 754, Pépin le Bref est sacré roi par le pape Étienne II dans la basilique Saint-Denis, au nord de Paris. Son soutien au pape lui a permis de légitimer sa prise de pouvoir. Roi et pape marchent main dans la main mais resteront chacun maître de sa propre institution. Jamais les pouvoirs temporel et spirituel ne seront fusionnés en terre chrétienne.

En 801, Charlemagne, le fils de Pépin le Bref, chasse définitivement les arabes au delà des Pyrénées en prenant Barcelone.

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Statue équestre de Charlemagne
(cathédrale de Metz, IXe siècle ; Musée du Louvre).

Après leur conquête fulgurante, l'empire des arabes aurait pu être sans lendemain, comme l'ont été les conquêtes de tant de nomades, comme celles d'Attila ou des Mongols. Mais les Omeyyades ont su fonder un état solide avec une capitale, une langue, une administration, une monnaie, une législation et des voies de communication. N'est-ce pas le génie omeyyade, issu du solide bon sens des marchands mecquois qui a permis à l'empire musulman de durer ?

Quant à la tolérance tant vantée de l'islam ... Préservez la foi des autres peuples lui permet de les assujettir à tribut. La tolérance de l'islam ne se réduit-elle pas finalement à la préservation des rentrées fiscales ?

* :  Islam, p. 126, Bernard Lewis, Gallimard, 2005.
** : Les fondations de l'islam, entre écriture et histoire, p 35-39, Alfred-Louis de Prémare, éditions Points, 2002.
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 7:17

CHAPITRE 13 : DEUX CIVILISATIONS S’AFFRONTENT.
De 632 à 1099.



13. 1.  En 632, entre anarchie et guerre sainte, les compagnons de Mohamed assument sa succession.
13. 2. La mise par écrit des Corans, entre pluralité et piété.
13. 3. La mise par écrit du Coran officiel, entre épigraphie et archéologie.
13. 4. La mise par écrit du Coran : que nous dit la linguistique ?
13. 5. La dynastie omeyyade gouverne de 660 à 750.

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13. 6. La révolte des non-arabes : la bataille du Grand Zab donne le pouvoir aux Abbassides.
13. 7 . La Sīra ou la Biographie de Mohamed est rédigée au VIIIe siècle par Ibn Ishāq.
13. 8. La renaissance carolingienne.
13. 9. Le libre arbitre des hommes nuit-il à la toute puissance d'Allah ?
13. 10. Le mutazilisme (813-848).
13. 11. En 848, le mutazilisme politique a vécu, le sunnisme triomphe. Le libre-arbitre devient une hérésie qui contrevient à la toute puissance divine et le Coran acquiert son statut officiel de livre incréé.
13. 12. La médecine est la seule science indispensable : dans le Dār al-Islām, les chrétiens dirigent les hôpitaux.

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13. 13. Prédestination de l'homme ou prescience de Dieu ? Les chrétiens eux-aussi s'interrogent.
13. 14. Au IXe siècle, Rome est pillée par les musulmans et le pape est assujetti au paiement d'un tribut.
13. 15. L'esclavage.
13. 16. Bukhārī et les Hadiths.
13. 17. Au Xe siècle, Tabarī structure l'exégète sunnite.
13. 18 . Le soufisme.

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13. 19. Grandeur et décadence dans le Dār al-Islām, les dhimmi subissent la loi de leurs maîtres.
13. 20. En 1009, les portes de l'ijtihād se ferment... et le tombeau du Christ est détruit.
13. 21. Les croisades : impérialisme chrétien ou légitime défense ?

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Dernière édition par Pierresuzanne le Dim 6 Avr 2014 - 10:11, édité 4 fois
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 7:18

CHAPITRE 13 (SUITE) : DEUX CIVILISATIONS S’AFFRONTENT.

De 632 à 1099.


13. 6. La révolte des non-arabes : la bataille du Grand Zab donne le pouvoir aux Abbassides.

La dynastie omeyyade est fragilisée par de multiples conflits : entre tribus rivales, entre chiites et sunnites, entre purs arabes et non-arabes. Les convertis à l'islam doivent demander à être adoptés par des arabes pour devenir musulmans. Ils subissent une pression fiscale supérieure. Ils sont nommés « mawani », comme des esclaves affranchis. Ils forment donc une sous-catégorie de musulmans. Ce fait est totalement ignoré, voire nié, par les musulmans de nos jours, mais l'islam des origines n'était pas égalitaire. Deux hommes musulmans libres - non esclaves - n'était pas égaux : leur statut dépendait de leur appartenance ethnique (*1).
Mais les purs arabes, au sein des musulmans, deviennent rapidement minoritaires en raison de la polygamie généralisée  avec des esclaves, souvent des prises de guerre, qui ne sont pas arabes.

En 750, la révolte des musulmans non-arabes part d'Iran : elle sera appelée la révolte du grand Zab. Un descendant d'un oncle de Mohamed, Abu al-abbas en prend la tête. La révolte gagne Damas, la capitale omeyyade. Abbas fait exterminer 80 princes omeyyades. Selon ce que raconte Tabarī, Abbas fait recouvrir les princes omeyyades d'un tapis. Pendant leur agonie, il fait servir un repas par dessus. Un seul prince omeyyade, Abd-al-Rahman, échappe au massacre. Il gagne l'Andalousie où il perpétue à partir de 756 la dynastie omeyyade de Cordoue.

En 750, la victoire d'Abbas est totale et il fonde la dynastie abbasside.

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Un prêche dans une mosquée sous la dynastie abbasside, identifiée par ses deux drapeaux noirs.
(Les
Makamat de Hariri, peintures exécutées par Yahyā-ibn-Mahmūd-al-Wāsitī, 1237 ; BnF).

Les musulmans deviennent alors tous égaux entre eux, quelles que soient leurs races ou leurs ethnies ... à condition naturellement de ne pas être un esclave ou une femme. Le verset du Coran qui justifie la supériorité de la famille de Mohamed sur tous les musulmans perd de sa pertinence et est oublié. Ailleurs, le Coran affirme opportunément que les hommes des tribus sont tous égaux : « Oh, les gens. Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle et nous vous avons désignés en nations et en tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Oui, le plus noble des vôtres, auprès de Dieu, c'est le plus pieux des vôtres. » (S.  49, 13). Muhammad Hamidullah explique que l'interprétation sunnite a vu dans ce verset la marque de l'égalité des musulmans. Cette égalité au sein de l'oumma deviendra un mythe fondateur. Il a cependant fallu la révolution abbasside pour que la suprématie de la famille de Mohamed - et à défaut celle des arabes - soit oubliée.

La dynastie abbasside couvre cinq siècles, de 750 à 1258. Elle perdurera jusqu'à la destruction de Bagdad par les mongols au XIIIe siècle, en 1258.
Les califes abbassides confirment la centralisation du pouvoir et la réunion des pouvoirs temporel et spirituel entre leurs mains. La structure même de leur nouvelle capitale est un éclatant symbole de ce centralisme. En 758, le calife al-Mansour (754-775) déplace sa capitale de Damas à Bagdad. « Il traça le plan de la cité et lui donna la forme du cercle », ainsi tous les quartiers étaient-ils à égale distance du palais du calife. L'architecture exprime la philosophie de la dynastie.

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Plan de Bagdad à l'origine, la ville ronde,
symbole de la centralisation de tous les pouvoirs.

Même dans le domaine religieux, la pluralité est combattue et le pouvoir religieux revient au calife abbasside. Al-Mansour refuse de reconnaître le califat des imams chiites ; ils avaient pourtant soutenu la révolution abbasside en espérant recevoir ce califat, ce droit à dire la vérité divine pour leur fidèle. Les pouvoirs politique et religieux restent regroupés entre les mains du calife comme sous les omeyyades. Finalement, la seule différence entre les deux dynasties se trouve dans l’égalité entre musulmans. Comme la conversion à l'islam des non-arabes ne passe plus par leur adoption par une famille arabe, les conversions se multiplient. La proportion des musulmans dans la population de l'empire double pendant le règne d' al-Mansour, passant de 8% à 15%. Les musulmans restent donc largement minoritaires dans l'empire qu'ils gouvernent. Ils s'assurent la paix civique - nécessaire à leur maintien au pouvoir - en tolérant les trois autres monothéismes rivaux, judaïsme, christianisme, mazdéisme. Cette tolérance, d'une nature bien particulière, est au prix d'une imposition supplémentaire. Cela explique que les conversions à l'islam n'aient pas été favorisées en raison de la perte fiscale qu'elles entraînent.

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Un zoroastrien adore le feu ('Ağayib al-maḫlūqāt, Mahmūd Hamadānī, manuscrit persan, 1577 ; BnF). Le Coran
autorise trois religions autres que l'islam : le judaïsme, le christianisme et la ... religion des sabéens, ce
qui semble inclure le culte des mages. Les zoroastriens bénéficieront donc de la tolérance de l'islam.

L'empire est immense. Il va jusqu'à  l'actuel Ouzbékistan et englobe plusieurs cultures, en particulier la culture perse, appelée maintenant persane. La civilisation musulmane subit une mutation, elle devient citadine. Al-Mansour est le premier calife à s'intéresser aux sciences. Il fait venir à sa cour Jurjis ibn Bakhtīshu, un médecin iranien. L'écrit prend alors une place prépondérante. Les premières grammaires et lexicographes arabes apparaissent. La Sīra, la biographie du Prophète, est écrite. Il est probable que le Coran voie sa rédaction s'achever à ce moment. En effet, les Corans qui nous sont parvenus datent tous de la fin du VIIIe siècle ou du début du IXe siècle.

Jusqu’en 780, sont mises en place la charī'a et la loi relative au djihad.

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Cadi rendant une justice fondée sur la charī'a (Les Makamat de Hariri ; par Yahya ibn Mahmoud al-Wasiti,
1237 ; BnF). La charī'a a été élaborée dans les deux premiers siècles de l'islam à partir d'une
interprétation de la parole coranique.

Dans la vision des musulmans de la fin du VIIIe siècle, le monde se partage en deux, entre le Territoire de l’Islam (Dār al-Islām) et le Pays de guerre (Dār al-Harb). Les musulmans sont convaincus que leur domination sur la terre est inéluctable et qu'elle surviendra rapidement par la lutte armée. Promesse divine, leur victoire totale par les armes leur semble inéluctable (*2).

Mais la fin des conquêtes musulmanes oblige les juristes à revoir cette position.
Au IX siècle, ils définissent donc une Terre  intermédiaire entre le territoire de l'Islam et le Pays de la guerre, il s'agit de la Terre de Trêve ou de pacte (Dār al-Sulh ou Dār al-‘Ahd). Il s'agit d'états non musulmans qui ont établi une trêve permanente avec le Territoire de l’Islam, le Dār al-Islām *. Ces états de la Terre de Trêve paient tributs au Dār al-Islām, mais gardent une certaine autonomie politique.

Au centre de Bagdad, la ville circulaire, règne le calife abbasside. Tous les pouvoirs, politique et religieux, sont entre ses mains.


* : Islam, *1 : p. 297 / *2 : p. 772 ; Bernard Lewis, Quarto Gallimard. 2005.

13. 7 . La Sīra ou la Biographie de Mohamed est rédigée au VIIIe siècle par Ibn Ishāq.

La première version de la biographie de Mohamed a été écrite par ibn Ishāq qui est mort en 768, plus de 130 ans après Mohamed.
Un second biographe s'est inspiré de la Sīra d'Ibn Ishāq : il s'agit d'Ibn Hichām qui est mort en 830.

Le théologien du XIIIe siècle, Ibn Khalikān, raconte qu'Ibn Hichām « résuma les « Expéditions militaires » et les « Gestes exemplaires »  écrits par d'Ibn Ishāq » (Wafayāt, III, 177). La  Sīra d'Ibn Hichām – quoique tardive - est devenue officielle dans le sunnisme, même, si son inspirateur, Ibn Ishāq (mort en 768), est qualifié par Ibn Khalikān d'imposteur et accusé de « transmettre à partir des juifs et des chrétiens ». Les sources des informations de la Sīra sont donc contestées par les exégètes musulmans eux-mêmes.
La raison en paraît évidente, la Sīra raconte la vie de Mohamed d'une façon très choquante pour des esprits civilisés.


Les multiples razzias dans le Hedjāz qui permettent aux exilés de survivre à Médine, sont racontées crûment par la Sīra et sans les précautions de langage que nos esprits délicats du XXIe siècle trouveraient nécessaires. On y voit Zaïd Ibn Haritha envoyé par le Prophète à l'oasis de Qarada pour s'emparer d'une caravane des Banū Bakr. Il rapporte leurs bêtes et leurs chargements au Prophète (Sīra Il, 50-51).

D'autres passages de la Sīra sont plus volontiers repris par les musulmans du XXIe siècle, d'autant qu'ils expliquent et justifient les cruautés du Coran. Ainsi la Sīra raconte comment les Qaynuqā, des membres de la première des trois tribus juives de Médine, auraient importuné une femme voilée. Ils auraient ensuite assassiné un musulman venu à son secours (Sīra, II, 47-50). Abdallah ibn Ubayy, le protecteur arabe de la tribu juive, aurait négocié pour que les juifs aient la vie sauve en échange de 20% de leurs biens versés à Mohamed. Le Coran n'avait reproché aux Juifs qu'une divergence de doctrine.
On a déjà vu comment la Sīra raconte la torture de Kinanā, un Nadīr, de la deuxième tribu juive de Médine martyrisée par Mohamed. Kinanā ayant refusé de dire où était caché son trésor, il est décapité (Sīra II, 136-137). Sa jeune veuve de 17 ans, Safiyya, est épousée par Mohamed le soir même (Sīra II, 636). Elle avait vu dans la même journée, son père, ses frères et son mari se faire tuer par les hommes de Mohamed et sur son ordre.

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Scène de massacre
(
Al-tavārīḫ Gami, par Rašid al-Dīn, manuscrit persan, 1430 ; BnF).

La Sīra raconte comment Mohamed menace les habitants de la Mecque qui s'opposent à lui verbalement : « Écoutez moi, hommes des Quraysh, j'apporte le sabre par lequel vous mourrez égorgés ». (Sīra 289-291).
Après la victoire de Badr, le poète juif âgé de Médine, Ibn Al-Achraf critique Mohamed dans des poèmes et pousse les médinois à s'opposer à lui. Il est poignardé par les compagnons de Mohamed (Sīra II, 51-58).
Mohamed participe lui-même aux violences. Il décapite Huyavv, un homme blessé et ligoté « On le fit venir Huyavv devant le Prophète les mains ligotées, tailladé de toutes parts. « Je ne regrette absolument pas d'avoir été ton ennemi, dit-il ». Puis il s'assit et le Prophète lui trancha la tête » (Sīra II, 241).
Les hommes de la tribu des Qurayza, la troisième et dernière tribu juive de Médine, sont condamnés à mort par Mohamed qui « décréta que les hommes seront tués » (Sīra II, 239-240). Mohamed participe à leur exécution : « Le prophète ordonna de faire descendre de leurs fortins les Banū Qurayza et de les enfermer… ils étaient 600 à 700 hommes... ; et le prophète ne cessa de les égorger jusqu’à leur extermination totale. » (Sīra II ; 240, 24). La Sīra (II, 244-245) raconte la répartition de leurs biens entre Mohamed et ses compagnons. Mohamed garde 20 % pour lui.

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Ali décapita Nadr ibn al-Harith en présence du prophète
(Al Dari's,
La vie du prophète, volume IV, XVIe siècle, miniature ottomane).

« Le prophète ordonna de tuer Uqba qui lui demanda avant de mourir : « - Mohamed, qui va nourrir mes petits enfants ? » « - Le feu », répondit-il et Ali lui trancha la tête. » (Sīra I, 643-646).

La Sīra, avec les Hadiths et le Coran, forment la sunna, sur laquelle repose la foi musulmane. De nos jours, les musulmans apprennent une version édulcorée de la vie de leur Prophète. À mesure que les musulmans aspirent à la démocratie, Mohamed se pare de toutes les vertus : il est doux, pacifique, tolérant et miséricordieux. Les convertis à l'islam issus des pays chrétiens ont, en général, une vision de la vie du Prophète Mohamed qui n'a plus grand chose à voir avec ce qu'en dit la Sīra dans sa version du IXe siècle.

13. 8. La renaissance carolingienne.

Le récit de la vie de Saint Jean Damascène (676-749), devenu docteur de l’Église, donne un bon aperçu des possibilités d'éducation au VIIIe siècle en Sicile. Jean Damascène est issu d'une famille arabe vivant à Damas, mais il a été éduqué par Cosmas, un précepteur sicilien. Cosmas a été enlevé par les musulmans à l'occasion d'un raid en Sicile, puis vendu comme esclave à Damas au père du futur saint. Cosmas raconte son propre apprentissage en Sicile. « Moi qui ai scruté la morale, celle d'Aristote et celle d'Ariston, moi qui ai étudié tout ce qui est accessible à un être humain dans les sciences de la nature, moi qui ai appris l'arithmétique, moi qui ai appris à fond la géométrie, qui ai combiné avec succès les accords de l'harmonie et de la musique, moi qui sais le mouvement céleste et la révolution des astres, et grâce à ma connaissance de la grandeur et de la beauté des créatures, je peux passer par analogie à l'étude du Créateur, moi qui en suis venu aux mystères de la théologie que les grecs nous ont transmis. » (*1).

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La Dialectique symbolisée par une jeune femme qui enseigne à deux écoliers. L'éducation grecque classique
a survécu en Europe.
(Martianus Capella, Les Noces de Mercure et de Philologie, Xe siècle en Italie ; BnF).

Les écoles de philosophie grecque ont été fermées dans l'empire byzantin sous l'empereur Justinien (527-565), mais le savoir grec antique a été partiellement conservé en Europe. Les monastères ont servi de bibliothèques et les moines ont continué à dispenser l'enseignement. Ce savoir intéresse maintenant les souverains. Pépin le bref (règne 751-768), obtient du pape Étienne II des livres grecs de liturgie, de grammaire, d'orthographe, de géométrie et des œuvres d'Aristote. Il les destine à l'éducation de sa fille Gisèle et au monastère de Saint Denis (*2).

Le 25 décembre 800, Charlemagne, fils de Pépin le Bref, est sacré Empereur d’Occident dans la basilique Saint Pierre de Rome, ce qui prive la dynastie byzantine de son titre.

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Couronnement d'un prince (Sacramentaire
de Charles-le-Chauve, en 870 ; BnF).

Depuis trois ans, une femme, Irène, règne à Constantinople après avoir déposé son fils. En tant que femme, elle ne peut pas porter le titre d'empereur. Le désir d'un empire chrétien, successeur de l'Empire Romain, se prolonge avec Charlemagne ; il se poursuivra avec le Saint Empire Romain Germanique, puis avec le Tsar (le César) de Russie. Mais jamais dans aucun de ces empires, le pouvoir temporel ne sera réuni au pouvoir spirituel qui restera entre les mains du pape, des évêques ou des patriarches.

Charlemagne veut donner une administration compétente à son empire. Il va s'appuyer sur deux colonnes du savoir : les acquis de l'antiquité et l'érudition des religieux. La dialectique, imaginée par Aristote, permet de raisonner avec logique, d'argumenter de façon rationnelle et d'exprimer ses idées dans un vocabulaire et une grammaire précis. À la demande de Charlemagne, en 782, le moine Alcuin fonde une école dans le palais d'Aix la Chapelle, la capitale de Charlemagne. Les sept arts libéraux de la Grèce antique y sont enseignés. Ces sept arts libéraux se partagent entre les trois disciplines littéraires (le Trivium) : grammaire, rhétorique et dialectique ; et entre les quatre disciplines scientifiques (le Quadrivium) :  arithmétique, géométrie, astronomie et musique. Virgile, Horace, Sénèque et Cicéron y sont étudiés comme aux belles heures de l'enseignement classique.

En 789, Charlemagne demande à l'évêque d'Orléans Théodulf (755-821) de réformer l'enseignement. Théodulf appartient à une famille savante qui a fui l'Espagne wisigothe lors de la conquête musulmane. Il organise les écoles en trois niveaux dans tout le royaume. Les écoles paroissiales sont gratuites et délivrent l'enseignement primaire. Dans tout le royaume, les garçons de tous les milieux peuvent apprendre à lire, écrire, compter et chanter. Les évêchés délivrent l'enseignement secondaire autour des écoles cathédrales. L'enseignement supérieur, destiné aux cadres de l'empire carolingien, est dispensé dans les monastères.

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Raban Maur et Alcuin présentent un système, comme il est expliqué à coté, pour compter
jusqu'à 20 000 avec ses doigts...

(
Raba Paur, IXe siècle ; Österreichische Nationalbibliothek Wien) - (De numeris de Raban Maur, XIIIe siècle ; Lisbonne).

Dans le royaume carolingien, certaines femmes sont également instruites et pas seulement celles destinées à la vie religieuse. Ainsi, la reine Judith (800-843), mère du roi Charles le Chauve, est-elle réputée pour son intelligence, son érudition et son talent musical. Dhuoda (800-843), épouse du marquis de Septimanie, écrit en latin, vers 835, le premier ouvrage de pédagogie qu'elle destine à son fils Guillaume.

En 780, Charlemagne réforme l'écriture et demande à l'érudit Alcuin de définir une écriture minuscule qui sera nommée la caroline. Les lettres deviennent plus lisibles et un espace sépare les mots. Désormais, les chartes sont diffusées dans cette écriture. Les monastères de Lorsch, de Würzbourg, de Richeneau ou de Saint-Gall s'emploient à copier les manuscrits antiques en caroline. Les manuscrits sont protégés par des couvertures d'ivoire sculpté et ornées d'enluminures. Les arts se développent avec le savoir (*3).

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Sacramentaire de Drogon, avec une couverture en ivoire sculpté
(IXe siècle, BnF).

Charlemagne fait venir à Mayence les Kalonymus, une famille de savants juifs toscans. Il désire s’entourer de savants. Le fait que la famille Kalonymus soit juive n'est pas un obstacle. Chrétiens et juifs s'affrontent au sujet de leur foi, jamais de leur race : ils sont d'ailleurs issus des mêmes pères. L'antisémitisme d'état est une invention tardive qui n'apparaîtra qu'après l'an mille, suite aux croisades. Il n'est d'ailleurs justifié par aucune réalité biologique ou historique. Ainsi au VIIIe siècle, un peuple tatar, turcophone, se convertit-il au judaïsme. De ce royaume Khazar proviennent une partie des juifs européens. L'idée que les juifs forment une race est un préjugé qui sera tristement repris par les nazis. En fait, au cours des siècles, des juifs se sont convertis au christianisme et d'autres à l'islam. Des romains sont devenus juifs, et maintenant un peuple turc se judaïse. Le judaïsme est une religion, pas une appartenance ethnique.

Ce que les historiens à venir appelleront la renaissance carolingienne a permis de faire revivre le savoir grec antique en Europe. L'éducation du peuple est favorisée. Le christianisme est le ciment de l'empire. Cependant, la participation des moines érudits à la gestion de l'état carolingien ne conduira jamais à la fusion des pouvoirs temporel et religieux entre les mêmes mains.

Le pape et l'empereur règnent sur deux univers différents, même s'ils peuvent être alliés.

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Le Pouvoir spirituel et Le Pouvoir temporel représentés symboliquement par des figures humaine et
séparés sur le
Décret de Gratien (XIIIe siècle ; BnF).

* : Aristote au Mont Saint-Michel, *1 : p. 38 / *2 : p. 35 / *3 : p. 59 ; S. Gouguenheim, Seuil. 2008.

13. 9. Le libre arbitre des hommes nuit-il à la toute puissance d'Allah ?

L'islam est divisé entre sunnites (fidèles au calife), chiites (fidèles au courant fondé par Ali) et Kharidjites (bédouins rebelles au pouvoir centralisé).
Au sein du sunnisme, se posent des questions théologiques. Certains préfèrent les résoudre par la théologie et la philosophie, plutôt que par la guerre entre musulmans. Leur chef emblématique se nomme Wassil ibn Ata, un marchand de Basra, né en 700. La Kalām, la théologie spéculative, apparaît alors. Elle s'appuie sur la logique et la philosophie grecques. Wassil ibn Ata conseille la Kalām, la théologie, pour définir l'islam de façon homogène, plutôt que de régler les conflits doctrinaux par des guerres, même saintes, qui ravagent l’oumma depuis un siècle. Le mutazilisme est né.

Au cœur de la réflexion de Wassil ibn Ata, la question du libre arbitre se pose. Dieu décide-t-Il de chaque acte humain ou bien les hommes choisissent-ils eux-même de se conduire bien ou mal ? Plus tard, un hadith rapporté par Abu Dāwud  (817-888) présentera une opinion opposée à celle de Wassil ibn Ata : « ce que Dieu veut est et ce que Dieu ne veut pas n'est pas ». Tout événement terrestre viendrait donc de Dieu. Cette position deviendra la position officielle du sunnisme, l'islam qui est majoritaire de nos jours. Mais Wassil ibn Ata, lui, n'image pas que Dieu puisse conduire un homme à mal agir. Pour lui, l'homme agit de son propre chef. L'omnipotence de Dieu consiste alors à connaître à l'avance ce que chacun va choisir librement. Il s'agit de la prescience de Dieu. Wassil ibn Ata envoie des missionnaires dans tout l'empire pour prêcher sa vision de l'islam. Il fait des émules qui nourriront une réflexion interne dans l'islam pendant des siècles. Le mutazilisme est né. Il meurt en 748, à la veille de la révolution abbasside.

Plusieurs doctrines religieuses coexistent donc dans l'empire musulman. Le calife abbasside détient tous les pouvoirs et il définit la vérité religieuse. Les archives de l'empire désignent par le mot de « zandaqa » l'ensemble des doctrines polymorphes qui sont considérées comme déviantes par le pouvoir abbasside*.
C'est en 742 que ce terme de zandaqa apparaît pour la première fois quand Al-Jad ibn Dirham est crucifié sous le califat d'Hišām (691-743)*. Il avait affirmé que le Coran était créé, alors que le calife préférait le dire incréé.
Un autre courant, inspiré de Wassil ibn Ata, défend l'idée du libre arbitre des hommes. Ses promoteurs sont les qadariya. Ils sont eux-aussi considérés comme hérétiques. En effet, pour légitimer son pouvoir absolu, le calife a besoin que chacun de ses actes soit considéré comme d'origine divine. Les qudariya sont donc à leur tour déclarés hérétiques, ou zinqui. En 757, le moraliste ibn Muqaffa est exécuté dans des conditions atroces : il est découpé peu à peu en morceaux qui sont jetés au feu les uns après les autres.

Lors de son règne, qui s'étend de 775 à 785, le calife Al-Mahdī institutionnalise la persécution. En 779, il crée la fonction de grand inquisiteur. Dans tout l'empire, des fonctionnaires d'état, les Sāhib-al-Zanādiqa, persécutent les opposants, qu'ils appartiennent ou non à l'islam. Les Sāhib-al-Zanādiqa exécutent, décapitent et écartèlent des chiites et des musulmans hérétiques*. À Alep, de simples opposants politiques, des musulmans pas forcement hérétiques, sont pendus et leurs livres sont lacérés. En 784, Bashshar ibn Burd et Sali ibn ‘Abd al-Quddus, des poètes musulmans, sont exécutés. Mais, les non-musulmans sont également persécutés, qu'ils soient zoroastriens ou manichéens*. Les manichéens sont alors très nombreux. Persécutés pendant trois siècles, ils disparaîtront du Dār al-Islām au XIe siècle.

Le dogme musulman orthodoxe n'est pas défini par un ensemble de savants réunis dans ce qui pourrait être l'équivalent des conciles chrétiens, mais par le calife. Al-Mahdī fait introduire un nouveau devoir dans la cérémonie d’investiture des califes. Le calife s'engage « à combattre l’hétérodoxie (qui inclut l’athéisme) et la zandaqa »*. Certes, le calife  s’appuie sur le travail théologique, mais il demande que ce travail soit accompli pour démontrer le dogme qu'il a lui-même défini. Ainsi, Al-Mahdī demande-t-il que soient établis des argumentaires contre le manichéisme et le zoroastrisme.

L’histoire a conservé la mémoire d'un débat organisé par Al-Mahdī avec Timothée Ier (780-823), le patriarche des Syriens nestoriens. En cette circonstance, il semble que l'échange d'idées ait prévalu sur la violence. Lors du débat, Al-Mahdī s'appuie sur un texte juif écrit au VIIe siècle. En effet au VIIe siècle, les juifs, heureux de voir l'empire byzantin défait, inventèrent après coup une prophétie pour expliquer la conquête arabe. Ainsi au VIIe siècle, ils firent parler Siméon ben Yohaï, un rabbin du IIe siècle : « Ayant vu le royaume d'Ismaël qui devait venir, [Siméon] se mit à dire  « N’était-il pas assez que le méchant royaume d'Édom nous ait été infligé, que nous méritions aussi le Royaume d'Ismaël ? »
Aussitôt l'ange supérieur Mératron lui  répondit en disant : « Ne crains pas, fils d'homme ; le Tout-puissant amènera le royaume d'Ismaël en vue de vous délivrer du méchant royaume d'Édom. Surgira un prophète selon sa volonté, qui conquerra pour eux-mêmes la terre »... « Comment sait-on qu'ils sont notre salut ? »
Métatron lui dit : « Le prophète Isaïe n'a-t-il pas dit qu'il a vu « un char attelé de deux chevaux, un cavalier sur un âne, un cavalier sur un chameau...
» » (Le livre des Secrets, écrit au VIIe siècle et attribué à Siméon ben Yohaï )**.

Voulant exploiter cette fausse prophétie juive du siècle précédent, le calife Al-Mahdī  questionne le patriarche Timothée. Il lui demande qui était l’homme monté sur un âne et qui était le second, monté sur un chameau, ceux dont aurait parlé Isaïe. Al-Mahdī pense que Jésus était le prophète venant sur un âne, puisque les Évangiles le montrent parfois à dos d'âne (Luc 19, 35, Jean 12, 14). Et, naturellement, le second cavalier venant sur un chameau serait Mohamed.

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Entrée de Jésus à Jérusalem... sur un cheval, et de Mohamed à la Mecque qui est, lui, bien sur un chameau,
(mosaïque du XIIe siècle, chapelle du Diaconicon ; Palerme) - - (Siyer-i-Nebi,
La Vie du Prophète, 1588 ; TopKapi).

Mais, Timothée refuse de surinterpréter le livre d'Isaïe (Isaïe 21, 7). En effet, cette prophétie d'Isaïe, censée annoncer la venue victorieuse des arabes, raconte l'arrivée d'une armée sous les murs de Babylone. Le texte d’Isaïe ne prédit pas la venue de Mohamed, mais décrit les montures (au pluriel) de l'armée conquérante : « Place un guetteur ! Qu'il annonce ce qu'il voit : il verra de la cavalerie, ces cavaliers deux par deux, des hommes montés sur des ânes et des hommes montés sur des chameaux... Elle est tombée, Babylone, elle est tombée. ». (Is 21, 6-8). Timothée trouve dans le Livre de Daniel la métaphore des empires désignés par des noms d’animaux. L’homme sur l’âne serait Darius le Mède, fils d’Assuérus, et l’homme sur le chameau, Cyrus le Perse. Selon l'interprétation choisie, on peut donc faire dire tout et n'importe quoi aux versets d'Isaïe.

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Nabuchodonosor rêve de quatre animaux. Daniel lui expliquera son rêve et le symbole
des empires à venir
(
Beatus de Saint-Sever, XIe siècle ; BnF).

De 786 à 809, règne le calife Hārun al-Rachīd. C'est le cinquième calife abbasside, celui du conte des Mille et une nuits. Il est le premier calife à ne pas assurer lui-même la direction de la Khutba, la prière du vendredi. En arrivant au pouvoir, il déclare une amnistie générale, mais les hérétiques en sont exclus. Les persécutions se poursuivent sur fond de querelles de pouvoir. Son empire est fragilisé sur ses frontières. À l'ouest, la première dynastie marocaine émerge. À l'est, les byzantins refusent de payer tribut. Hārun al-Rachīd part en guerre contre l'empire byzantin. Il pille les monastères en terre byzantine entre 782 et 806, dans le but d'obtenir les manuscrits grecs renfermant le savoir antique***.

Entre philosophie et répression, entre dialogue et intolérance, l’islam naissant hésite.


* : Islam p. 855-857, Bernard Lewis, Quarto Gallimard. 2005.
** : Les fondations de l'islam, entre écriture et histoire, p. 163, Alfred-Louis de Prémare, éditions du Seuil, 2002.
*** : Aristote au Mont-Saint-Michel, p. 129, Gouguenheim, Seuil, 2008.

13. 10. Le mutazilisme (813-848).

Le sunnisme, tel que nous le connaissons de nos jours, n'est pas encore fixé comme étant l'islam orthodoxe. Inspiré de la réflexion de Wassil ibn Ata, le mutazilisme gagne du terrain. Selon les mutazilites, la croyance en un Coran incréé, existant depuis toute éternité auprès de Dieu, revient à diviniser le Coran et contredit la croyance en l’unité de Dieu. Les mutazilites pensent également que l'homme exerce son libre arbitre. En effet, selon eux, Allah ne peut inspirer aux hommes de mal agir, ce sont les hommes qui, librement, choisissent le mal. La toute puissance d'Allah consiste alors à savoir à l'avance ce que les hommes vont faire. Les mutazilites croient donc en un Dieu étrangement proche de celui des chrétiens et les juifs, Yahvé, le Créateur du bien et de la liberté humaine. Leur référence à la vérité est également plus proche de celle des chrétiens et des juifs. Elle n'est pas définie par un livre fixé depuis toujours auprès de Dieu. Certes, selon les mutazilites, le Coran reste bien la parole sainte de Dieu, mais il perd ce caractère de « Parole éternelle » contenu dans le concept de Coran incréé qui servira à définir la vérité du sunnisme.

En 813, le calife al-Ma’mūn (813-833) succède à Hārun al-Rachīd. Il adhère à la doctrine mutazilite. À son tour, il crée un tribunal religieux, la minha qui est chargé de juger et de condamner les tenants d’un Coran incréé. Le fondateur d'une des quatre écoles du sunnisme - Ahmad Ibn Hanbad - est flagellé et emprisonné, il mourra en 855. Le Cadi de Damas, Mishar al Ghassani, est torturé à mort. En raison de la cruauté et de l'intolérance du calife, le mutazilisme ne se répand pas davantage car il est discrédité auprès du peuple.

Les Maisons de la Sagesse, bayt al-ḥikma (بيت الحكمة).
Le calife Al-Ma’mūn ne divinise pas le Coran. L'homme exerce son libre arbitre. Seul l’exercice de la raison lui permet de discerner le bien du mal. La vérité doit donc être interrogée, recherchée, étudiée par l'exercice de la raison, pour permettre à l'homme d'exercer son libre-arbitre. En 832, Al-Ma’mūn crée les Maisons de la Sagesse à Bagdad, sa capitale. Les Maisons de la Sagesse servent de bibliothèques mais pas uniquement, il s'agit également de centre d'étude et de discussions libres. Elles préservent les ouvrages de toutes les cultures, sans distinction de religion ou de langue. Qu'ils soient perses, indiens ou grecs, les ouvrages scientifiques du monde connu y sont réunis et étudiés. Néanmoins, il semble bien que seuls des savants musulmans y aient eu accès (*1).

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Abu Zaïd à la bibliothèque de Bassora (al-Maqâmât (Séances), Iraq, 1420 ; BnF).

- Les Maisons de la Sagesse collectent les traductions en arabe des livres de sciences. Les musulmans parlent uniquement arabe, la langue rendue sacrée par la rédaction du Coran. Ce sont donc des chrétiens et des juifs qui traduisent en arabe les ouvrages scientifiques du monde antique pour les savants musulmans des Maisons de la Sagesse. Une longue liste de savants juifs et chrétiens nous est connue par les archives musulmanes : Masarjawayh (né en 636), Hunayn ibn Ishāq (809-873), Qūsta ibn Lūquā, Istifan ibn Basil, Jean Mésué (776-855), Théodore Abū Qurra (836-901), Théophile d'Édesse, Yahya ibn al-Batrīq, Māsā 'allāh (mort en 815)(*2). C'est donc par leurs travaux que la science grecque parvient aux musulmans arabophones. Les chrétiens sabéens de Harran traduisent les ouvrages de mathématiques, les chrétiens nestoriens, ceux de philosophie, les chrétiens melkites, nestoriens ou monophysites, ceux de médecine (*2). Au moment où les monastères byzantins et romains conservaient en terre chrétienne une partie du savoir grec, les savants chrétiens et juifs le transmettent dans sa totalité aux musulmans. Seule La Politique d'Aristote ne sera jamais traduite en arabe. En effet, elle introduit les concepts de citoyen et de citoyenneté qui sont incompatibles avec la vision politique de l'islam qui revendique la soumission d'« esclaves » spirituels face à la charī'a d'Allah.

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Kitab al-Hayawân d'Al Jahiz achevé en 847 : ouvrage de sciences
naturelles inspirées du savoir grec.

- Les Maisons de la Sagesse servent également de centres d'études philosophiques : on y discute à partir des apports des philosophies grecque et persane. Les savants réfléchissent à partir des outils rationnels de la philosophie grecque ou persane et de la logique, sans préjuger de la supériorité des unes ou des autres en fonction de critères de foi. La philosophie sert d'outil fondateur à la recherche de la vérité. Al Kindi (801-873) est le premier philosophe de la civilisation musulmane. Il reprend une vision très proche de celle d'Aristote dans la recherche de la vérité basée sur la logique et l'observation de la réalité. Il fonde la Falsafa, la philosophe musulmane inspirée d'Aristote et de Platon, dont al Fārābī (872-950), Avicenne (980-1037) ou Averroès (1126-1198) seront les figures emblématiques.

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Ouvrage sur les constellations connues des grecs
(manuscrit bouyide au Xe siècle ; BnF).

- À Bagdad, les mathématiciens vont trouver dans les Maisons de la Sagesse un espace pour s'épanouir. Les mathématiques permettent de comprendre le fonctionnement du monde par le calcul et de transmettre le savoir en langage universel car rationnel. Les mathématiques sont la base théorique du savoir scientifique et elles ont toujours été à l'origine du développement des grandes civilisations. Ainsi en premier, les civilisations égyptienne et mésopotamienne, ont-elles mis en place les bases du calcul à partir de 3200 avant JC. Quoique nées en même temps, les mathématiques égyptiennes et mésopotamiennes n'ont jamais fusionné : elles ont évolué parallèlement. Les égyptiens calculent en base décimale sans le zéro et la Mésopotamie en base 60. Le concept de zéro est néanmoins connu en Égypte plusieurs siècles avant notre ère. Le zéro est signifié par un espace vide, mais il n'est pas nommé. Les égyptiens pratiquent les fractions avec talent. Leurs connaissances mathématiques sont concrètes, en lien avec l'architecture et les volumes. C'est la performance de l'outil mathématique égyptien qui a permis la construction des pyramides. De même, le calcul précis des surfaces a été utile à l'imposition foncière, dans un état où les pierres de bornage étaient déplacées à chaque crue du Nil. En Mésopotamie, les mathématiques sont plus théoriques et vont jusqu'au calcul astronomique.
Après la conquête de l’Égypte, les grecs mettent en théorèmes les acquis empiriques du calcul égyptien. La légende veut que Thalès, au Ve siècle avant JC, établisse le théorème qui porte son nom en observant son ombre rapportée à celle d'une pyramide. Plutarque (50-125) écrit : « Les plus sages d'entre les Grecs, Solon, Thalès, Platon, Euxode, Pythagore voyagèrent en Égypte et y conférèrent avec les prêtres du pays. On dit... que Pythagore fut instruit par Enuphis l'Héliopolitain. ». C'est bien en Égypte que sont nées les mathématiques grecques et elles vont maintenant être transmises à la civilisation musulmane par l’intermédiaire des Maisons de la sagesse.

Al-Khawarizmi (783-850) est né à Khiva, dans l'actuel Ouzbékistan, dans une famille perse convertie à l'islam. Il est mathématicien, géographe, astrologue et astronome. Il termine sa vie à Bagdad au sein de la Maison de la Sagesse où il va faire la synthèse des mathématiques grecques et indiennes. Il travaille à partir des travaux grecs de Diophante d'Alexandrie et écrit sur la résolution des équations. Il est surnommé « le père de l'algèbre » en raison de son ouvrage le Kitābu 'l-mukhtaṣar fī ḥisābi 'l-jabr wa'l-muqābalah, (كتاب المختصر في حساب الجبر والمقابلة). Ce livre de mathématiques ne contient aucun chiffre, chaque notion mathématique y étant exprimée en toutes lettres. Il travaille également à partir des notions mathématiques indiennes et s'approprie les chiffres indiens qui deviennent les chiffres dits arabes. En particulier, il importe d'Inde le zéro ou « 0 », pour nommer ce que les égyptiens n'avaient su que signaler par un vide. Le mot « algorithme » est inspiré de son nom.

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Ouvrage d'Al-Khwarizmi : Kitāb al-muḫtaṣar fī ḥisāb al-ğabr wa-l-muqābala
(dédicacé au calife Al Ma'moun (813-833) ; manuscrit dit d'Oxford).

Les Maisons de la Sagesse sont ouvertes aux apports internationaux, grecs et indiens, à la philosophie d'Aristote et aux mathématiques. Les savants qui y travaillent réfléchissent librement à la nature du Coran (*1).

Le Dār al-Islām vient de se doter des deux outils intellectuels – la philosophie et les mathématiques - qui sont à la base des sciences exactes et du développement technologique.

Que va-t-il en faire ?


* :  Aristote au Mont-Saint-Michel, *1 : p. 135  / *2 : p. 207 à 210 ; Gouguenheim, Seuil, 2008.

13. 11. En 848, le mutazilisme politique a vécu, le sunnisme triomphe. Le libre-arbitre devient une hérésie qui contrevient à la toute puissance divine et le Coran acquiert son statut officiel de livre incréé.
Les deux califes qui succèdent à Al-Ma’mūn restent fidèles au mutazilisme.

En 848, le calife Al-Mutawakil (848-860) accède au pouvoir. Il déclare le mutazilisme hérétique. En effet pour lui, un verset du Coran suggère qu'il est incréé : « Ha. Mim. Par le Livre clair ! Oui, nous en avons fait un Coran arabe !... Il existe auprès de nous, sublime et sage, dans la Mère du Livre. » (S. 43, 1-4). Le Coran aurait donc existé près d'Allah avant sa révélation à Mohamed.
Le Coran affirme aussi la Toute-puissance d'Allah. C'est Lui qui décide de tout sur terre, du bien comme du mal : « Dis : « Tout vient de Dieu. » » (S. 4, 78). Le Coran précise également qu'Allah sait à l'avance ce que l'homme va choisir : « Nulle calamité n’atteint la terre ni vous-même, sans que cela ne soit écrit dans un Livre, avant même que d’être créé. » (S. 57, 22).

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Dirham d'argent de Mutawakkil de 236 après l'hégire (soit 858 de l'ère chrétienne).

Néanmoins, le sunnisme va hésiter entre deux conceptions de la Toute-puissance divine, tant l'abandon du libre arbitre de l'homme pose problème. Une conception veut qu'Allah choisisse plusieurs futurs possibles pour chaque homme. L'homme exerce alors son choix entre des possibilités acceptées d'avance par Allah. C'est la position de Ma'bad al-Juhani. À la fin du VIIe siècle, il avait ainsi élargi les limites étroites du libre arbitre sunnite. Il est possible qu'il ait subi l'influence des chrétiens.
La seconde conception du sunnisme est plus rigoriste … et ce sera elle qui s'imposera. Elle veut que l'homme subisse la volonté divine dans toutes les circonstances de sa vie, bonnes ou mauvaises, et dans chacune de ses actions, y compris les plus malfaisantes. C'est l'école acharite, fondée par Al-Ach'arī (874-936). Tout ce qui se passe dans le monde, le bien comme le mal, est conforme à la volonté divine. Même si on observe que les humains ont une volonté, en fait, ils n'agiraient qu'en conformité avec ce qu'Allah a choisi. Il s'agit de la prédestination. Cela signifie tout de même que, quand Hitler fait jeter des nouveau-nés dans la chambre à gaz, c'est Dieu qui l'a décidé ! Allah, le maître des enfers, retrouve toute son activité ! La volonté humaine serait dépendante de la volonté de Dieu, selon le hadith d'Abu Dāwud  : « Ce que Dieu veut est, et ce que Dieu ne veut pas n'est pas. ». C'est ce courant qui deviendra majoritaire et nourrira le sunnisme officiel des siècles à venir.

Allah ne doit pas être interrogé sur Sa volonté. La Loi parfaite d'Allah, la charī'a, permet seule de distinguer le bien du mal. « Il faut croire parce que cela est écrit ! » dit  Al-Ach'arī. Le croyant se soumet à la volonté d'Allah sans avoir besoin de réfléchir davantage. Ce point de vue semble confirmé par le Coran : « Ne vois-tu pas ceux à qui les conversations secrètes ont été interdites ? Puis, ils retournent à ce qui leur a été interdit, et se concertent pour pécher, transgresser et désobéir au Messager » (S. 58, 8).

On ne doit donc pas interroger Allah sur sa volonté, voilà la base de l'acharisme (*1). Un second courant, le maturidisme, insiste davantage sur l’intelligence de Dieu. Les quatre écoles théologiques sunnites naissent de ces deux courants (*1). Elles pratiquent l'Ijtihād, l'effort de compréhension et d’interprétation de la Sunna et du Coran, à la base de toute la jurisprudence. Elles sont dénommées en fonction de leurs fondateurs, Abu Hanīfa (702-767) pour le hanafisme, mālik ibn Anas (708-796) pour le malékisme, al-Chafi'i (767-820) pour le chaféisme et Ahmad ibn Hanbal (780-855) pour le hanbalisme.
L’illusion que la transmission orale est parfaite, que le Coran terrestre est fidèle au Coran céleste incréé, que les hadiths sont conformes aux paroles du Prophète, devient la foi officielle. Toutes les questions doivent maintenant trouver leur réponse dans l'interprétation de la Sunna qui réunit Coran et Hadiths dans la même sanctification.

Dans le chiisme, la question du libre arbitre de l'homme se résout par une pirouette sémantique : « Ni contrainte, ni libre arbitre total, la vérité se trouve entre les deux extrêmes ». Cette « Voie intermédiaire » (Amrun Bayn-al-Amrayn) est complexe. Elle contient effectivement en elle-même sa propre contradiction. Il est donc admis qu'elle ne puisse être comprise de tous !

Mais l'absence de libre-arbitre des hommes n'est pas le seul point de rupture du sunnisme par rapport au mutazilisme. Dans un autre domaine, différent mais complémentaire, la théologie change également : le Coran devient officiellement « incréé ». Ces deux éléments doctrinaux si particuliers vont avoir des répercutions infinies sur le développement de la civilisation musulmane et certainement non prévisibles au IXe siècle.

Les sunnites prennent le relais des mutazilites. Ils pratiquent, eux-aussi, la recherche philosophique, le Kalām (*2). Mais le Kalām sunnite se réduit désormais à la proclamation de l’unité divine. Maintenant que le Coran est devenu officiellement incréé et parfait, rien de son contenu ne peut plus être erroné. Par l'exercice du Kalām, les exégètes musulmans vont maintenant employer leur intelligence à démontrer que le Coran ne contient aucune erreur. La présence d'une seule erreur dans le Coran devient la preuve qu'il ne provient pas d'Allah : « Ne méditeront-ils donc pas le Coran ? S’il avait été d’un autre que Dieu, ils y auraient trouvé maintes contradictions. » (S. 4, 82).
Cependant, entre les versets mecquois, plus tolérants, et ceux récités à Médine, plus intransigeants, les contradictions sont multiples. Ces incohérences internes se trouvent expliquées par la mise en avant du concept de versets abrogés et de versets abrogeants : « Si Nous abrogeons un quelconque verset ou que Nous le fassions oublier, Nous en apportons un meilleur, ou un équivalent. Ne sais-tu pas que vraiment Dieu est capable de tout ? » (S. 2, 106). Grâce à l'abrogation des versets litigieux, le Coran retrouve sa cohérence interne.

Mais une fois de plus, le Coran dit tout et son contraire. En effet, certains versets avaient affirmé que les incohérences internes du Coran sont là pour donner l'occasion aux croyants de démontrer leur parfaite soumission (S 2. 143 ; S. 3, 7). Ces versets reconnaissent qu'il y a bien des incohérences dans le Coran et ils leur donnent une utilité spirituelle. La mise en avant du concept – pourtant à peine suggéré dans le livre saint - de « Coran incréé » (S. 43, 1-4), oblige désormais les sunnites à oublier cette première solution proposée pour expliquer les approximations du Coran. Malgré les multiples erreurs qu'il contient – scientifiques (S. 7, 54 ; etc.), historiques (S. 12, 20 ; etc.), théologiques (S. 29, 46 ; S. 9, 30 ; etc.), philosophiques (S. 50, 5-8 ; etc.) - maintenant qu'il est proclamé incréé, le Coran se doit d'être parfait. Les exégètes sunnites, obligés de démontrer la perfection du Coran, vont basculer dans une conception de l'objectivité dévastatrice pour l'avenir des sciences musulmanes. Prisonniers de la véracité coranique, les musulmans se voient condamnés à affirmer, proclamer et démontrer la parfaite exactitude du Coran. La vérité dans l'islam se trouve maintenant figée : tout dans le Coran devient exact... « Ne méditeront-ils donc pas le Coran ? S’il avait été d’un autre que Dieu, ils y auraient trouvé maintes contradictions. » (S. 4, 82). Une partie essentielle de leur travail d'interprétation va se voir soumis à l'obligation de démontrer la véracité parfaite du Coran.

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Coran d'Inde moghol (XVIIe siècle) :
le Coran sacralisé devient une œuvre d'art d'exception.

Les sciences exactes vont cependant continuer à se développer au sein des Maisons de la Sagesse, au moins au début du sunnisme triomphant. Nés au début du IXe siècle, les trois frères Banū Musa sont des mathématiciens musulmans de génie qui ont grandi avec le mutazilisme. Ils écrivent un livre sur la mesure des figures planes et sphériques, qui sera traduit en latin au XIIe siècle et sera alors transmis à l'Europe. Leurs innovations en mécanique se retrouvent dans leur Livre des procédés ingénieux. L’aîné, Muhammad Banū Musa, sympathise avec Théodore Abu Qurra (836-901), un sabéen. Théodore Abu Qurra est l'auteur de 34 livres de mathématiques, 30 d'astronomie, 5 de météorologie et huit d'astrologie. Il traduit des ouvrages de Ptolémée, d'Archimède et d’Euclide. Il met au point le premier théorème sur les nombres amiables (**1). Il calcule l'intégrale de la fonction « racine de x ». Il progresse en calcul infinitésimal et dans le calcul de la surface des paraboloïdes.

La Falsafa mutazilite, la philosophie issue d'Aristote, est toujours pratiquée en parallèle de la Kalām sunnite. Elle donnera encore quelques philosophes d'exception.

L'instaurateur du sunnisme, le calife Al-Mutawakkil (848-860), persécute les mutazilites, les juifs, les chrétiens et les chiites. Il rase églises et synagogues. Les Maisons de la Sagesse périclitent peu à peu devenant de simples bibliothèques où plus aucune discussion libre ne peut s’épanouir depuis qu'on ne discute plus sur la nature du Coran.

À partir du Xe siècle, les Maisons de la Sagesse ne laissent plus aucune trace et semblent avoir disparu (*2).

* : Le choc Jésus-Mohamed, *1 : p.248 / *2 : p. 247 ; Christian Makarian, CNRS éditions. 2011.
** : Aristote au Mont-Saint-Michel, * 1 : p. 98 / *2 : p. 135 ; Gouguenheim, Seuil, 2008.

13. 12. La médecine est la seule science indispensable : dans le Dār al-Islām, les chrétiens dirigent les hôpitaux.
En raison de l'inéluctabilité des maladies et de la mort, la médecine est la plus universelle des sciences. Une civilisation peut se passer d'astronomie, de mathématiques, d'optique, d'imprimerie et bien sûr d'informatique, mais aucune civilisation n'a fait l'économie de la médecine. Dès le début de l'ère musulmane et bien avant la parenthèse mutazilite, le savoir médical a donc intéressé les califes. Le premier écrit arabe de médecine date du début du VIIIe siècle. Il s'agit d'une traduction d'un traité de médecine grecque, le Kunnash d'Ahrun, réalisée par un médecin juif, Masarjawayh, qui soignait le calife Abd-al-Mālik.

Jusqu'au XIe siècle, les médecins des califes abbassides sont tous chrétiens nestoriens, jacobites ou sabéens. Ils créent des écoles liées à des couvents où sont enseignées la philosophie, la médecine et la théologie. À Bagdad, Yuhanna ibn Masawayh - aussi appelé Jean Mésué (776-785) - est un médecin chrétien nestorien. Il se voit interdire la pratique de la dissection par les califes et les juristes au nom de la fiqh, la jurisprudence musulmane. En 806, le premier hôpital musulman est fondé par le calife Al-Rachīd ; il est confié à un médecin nestorien, Jibra'il ibn Bakhtīshu. Sa famille y règnera pendant huit générations (*1).
Un autre savant chrétien nestorien, Hunayn ibn Ishāq (Johannitius), se rend célèbre en guérissant le calife Al-Mutawakkil (847-861), le premier calife officiellement sunnite (*2). Hunayn ibn Ishāq écrit une centaine d'ouvrages de philosophie et de médecine et traduit l'intégralité d'Aristote : il parle arabe, grec et syriaque. Ses travaux en ophtalmologie (l'opération de la cataracte) et en soins dentaires seront repris par Rhazès, son élève. Avicenne, dans son Canon, emprunte ses découvertes sans le citer, pratique usuelle avant les lois sur les droits d'auteur.

Al-Razi, ou Rhazès (865-932), naît en 865 à Téhéran. C'est un persan musulman qui vit au début du sunnisme officiel. Il se forme auprès du savoir grec, nestorien et syriaque, puis il dirige l’hôpital de Bagdad. Il enseigne au chevet des malades dans la première école de médecine créée dans la Dār al-Islām. Il est à l'origine d'une innovation remarquable. Il impose à ses élèves de confronter leurs connaissances théoriques avec la réalité et l'examen du malade : « Tout ce qui est écrit dans les livres ne vaut pas l’expérience ». Il écrit une encyclopédie médicale en 22 volumes, basée sur l’observation et qui sera transmise à la chrétienté par la traduction de Gérard de Crémone (1150-1187). Va-t-il être à l'origine d'une école de médecine novatrice en terre d'Islam dès la naissance du sunnisme officiel ? La médecine musulmane va-t-elle devenir le phare de la médecine universelle ? Le rigorisme de la Kalām sunnite va-t-il s'effacer face au pragmatisme de la médecine, la science qui est, par nature, utile à tous ? Mais, la foi musulmane de Rhazès est teintée de scepticisme ; cela nuit à son influence. La parenthèse mutazilite est bien close. Faut-il observer la nature ou bien se plier à une vérité révélée ? Pour l'instant, l'islam sunnite a choisi. Une école de médecine musulmane aurait pu naître du pragmatisme de Rhazès et de son sens de l'observation, mais cela n'a pas eu lieu.

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Venin de serpent servant d'antidote
(copie du XIIe siècle d'un ouvrage du IXe siècle,
Livre de la thériaque ; BnF).

Avicenne (980-1037) est né à Boukhara. C'est un chiite formé par l'apprentissage par cœur du Coran. Mathématicien, philosophe adepte de la Falsafa et médecin, il travaille pour plusieurs princes musulmans qui le persécutent tour à tour en raison de sa liberté de pensée nourrie de la Falsafa mutazilite. Avicenne étudie et compile les écrits grecs. Dans son Canon (ou Qanūn), il réunit les connaissances médicales de l'antiquité, beaucoup plus, en fait, qu'il n'innove. Mais son Canon est une somme médicale qui devient rapidement indispensable. Le Canon d'Avicenne est traduit en latin par Gérard de Crémone au XIIe siècle. Il sert de base à l'enseignement de la médecine en terre chrétienne jusqu'au XVIIIe siècle. Le plus ancien exemplaire connu du Canon, daté de 1052, est conservé au musée de l'Aga Khan à Toronto.

En Espagne, au Xe siècle,  Al-Harrami, un sabéen originaire de Bagdad, crée une école de médecine à Tolède. Des juifs et des chrétiens nestoriens y exercent la médecine : Jawād, Khāalid, Ibn Yazid ibn Ruman, Muluke, Ishāq.... Toujours en Espagne, Avenzoar (1091-1162), un musulman, décrit les drogues, la pharmacopée et la trachéotomie. À partir du XIIe siècle, des médecins musulmans pratiquent leur art aux côtés des juifs et des chrétiens, mais ils seront toujours considérés par leurs propres frères en islam comme des médecins de second ordre (*3).

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Traité de chirurgie arabe recopié pendant des siècles (manuscrit ottoman ; BnF).

L'attirance des chrétiens pour l'exercice de la charité et les soins aux plus faibles peuvent s'épanouir librement dans le Dār al-Islām. Ils pourront exercer leur savoir médical aux cotés de leurs frères musulmans. Mais aucune école de médecine autonome, basée sur l'observation des réalités naturelles et affranchie de l'étude préalable de la théologie, ne naîtra en terre musulmane. L'étude au chevet du malade préconisée par Rhazès reste une expérience sans suite.

* :  Aristote au Mont-Saint-Michel, *1 : p. 94 / *2 : p. 97 / *3 : p. 96 , Gouguenheim, Seuil, 2008.
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Pierresuzanne

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CHAPITRE 13 : DEUX CIVILISATIONS S’AFFRONTENT.
De 632 à 1099.


13. 1.  En 632, entre anarchie et guerre sainte, les compagnons de Mohamed assument sa succession.
13. 2. La mise par écrit des Corans, entre pluralité et piété.
13. 3. La mise par écrit du Coran officiel, entre épigraphie et archéologie.
13. 4. La mise par écrit du Coran : que nous dit la linguistique ?
13. 5. La dynastie omeyyade gouverne de 660 à 750.

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13. 6. La révolte des non-arabes : la bataille du Grand Zab donne le pouvoir aux Abbassides.
13. 7 . La Sīra ou la Biographie de Mohamed est rédigée au VIIIe siècle par Ibn Ishāq.
13. 8. La renaissance carolingienne.
13. 9. Le libre arbitre des hommes nuit-il à la toute puissance d'Allah ?
13. 10. Le mutazilisme (813-848).
13. 11. En 848, le mutazilisme politique a vécu, le sunnisme triomphe. Le libre-arbitre devient une hérésie qui contrevient à la toute puissance divine et le Coran acquiert son statut officiel de livre incréé.
13. 12. La médecine est la seule science indispensable : dans le Dār al-Islām, les chrétiens dirigent les hôpitaux.

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13. 13. Prédestination de l'homme ou prescience de Dieu ? Les chrétiens eux-aussi s'interrogent.
13. 14. Au IXe siècle, Rome est pillée par les musulmans et le pape est assujetti au paiement d'un tribut.
13. 15. L'esclavage.
13. 16. Bukhārī et les Hadiths.
13. 17. Au Xe siècle, Tabarī structure l'exégète sunnite.
13. 18 . Le soufisme.

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13. 19. Grandeur et décadence dans le Dār al-Islām, les dhimmi subissent la loi de leurs maîtres.
13. 20. En 1009, les portes de l'ijtihād se ferment... et le tombeau du Christ est détruit.
13. 21. Les croisades : impérialisme chrétien ou légitime défense ?

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Dernière édition par Pierresuzanne le Dim 6 Avr 2014 - 10:12, édité 4 fois
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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 7:26

CHAPITRE 13 (SUITE) : DEUX CIVILISATIONS S’AFFRONTENT.

De 632 à 1099.


13. 13. Prédestination de l'homme ou prescience de Dieu ? Les chrétiens eux-aussi s'interrogent.

Au IXe siècle, les théologiens de la renaissance carolingienne réfléchissent eux-aussi au salut.
Loup de Ferrières (805-862), le précepteur du futur roi Charles le Chauve, fait part de ses réflexions au sujet de la prédestination, de la liberté de pensée et de la rédemption dans De tribus quaestionibus. Dieu choisit-Il à l'avance qui sera damné et qui sera sauvé ? Ou bien Dieu se contente-t-il de savoir à l'avance qui sera sauvé ? On appelle prescience de Dieu, la faculté divine de savoir à l'avance ce qui va se passer et de connaître donc par avance qui sera sauvé. On appelle prédestination de l'homme, la conviction que les hommes sont conditionnés à agir par la Toute-puissance divine et sont donc dépourvus de libre-arbitre.

En 849, au Concile du Quierzy, Godescalc est condamné. Il pensait que certains étaient prédestinés au salut et d'autres à la damnation. Selon lui, Dieu sait, mais aussi choisit qui est sauvé et qui est damné. Or si Dieu choisit qui sera sauvé, cela interdit le libre-arbitre de l'homme. La position de Godescalc est donc jugée hérétique. Dans le christianisme, l'homme exerce son libre-arbitre. Dès la fin du IVe siècle, Saint Augustin l'avait d'ailleurs affirmé. En effet, Dieu ne saurait être responsable du mal. « Dieu a conféré à sa créature, avec le libre arbitre, la capacité de mal agir, et par-là même, la responsabilité du péché » (De libero arbitrio, Saint Augustin).

À la suite du Concile du Quierzy, Hincmar, archevêque de Reims de 845 à 882 et conseiller de Charles le Chauve, réfléchit lui-aussi à la prescience et à la prédestination. Il est convaincu que la prescience de Dieu supplante la prédestination. Dieu sait d'avance ce que l'homme va choisir, mais Il ne le destine pas Lui-même à cet avenir : l'homme choisit librement. Sa thèse est néanmoins critiquée au concile de Valence en 855, qui souligne que Dieu semble bien avoir prédestiné au salut ceux qui reçoivent le baptême. C'est ce qui est appelé l'élection divine depuis Saint Augustin.

Le salut par la grâce divine reste donc la base du christianisme. Face à la grâce divine, la foi chrétienne préserve une place au libre arbitre de l'homme. L'homme a donc la liberté de bien ou de mal agir, mais c'est la grâce de Dieu qui le sauve et pas la somme de ses bonnes actions rapportées aux mauvaises.
Mais, alors, est-il utile de bien se conduire puisque seule la grâce divine est salvatrice ? Comment articuler la nécessité d'avoir une vie morale avec le salut par la grâce ?
La question se pose.
En fait, le Nouveau Testament donne des pistes.
Paul, lui aussi, affirme que seule la grâce divine sauve : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. » (Éphésiens 2, 8). Cela signifie que, même un homme au comportement parfait, ou supposé tel, exactement fidèle aux prescriptions morales des Dix Commandements, aura tout de même besoin de la miséricorde divine. Prétendre le contraire reviendrait à dire que la mort du Christ en croix a été inutile à certains : « Je ne rends pas inutile la grâce de Dieu ; car, si par la Loi, on atteint la justice, c'est donc pour rien que Christ est mort » (Galates 2, 21).
Néanmoins, les apôtres Jacques et Pierre (dans sa première épître), suggèrent que les œuvres sont nécessaires au salut. La foi ne suffirait pas : « À quoi bon, mes frères, dire qu'on a de la foi, si l'on n'a pas d’œuvres ? La foi peut-elle sauver, dans ce cas ? Si un frère ou une sœur n'ont rien à se mettre et pas de quoi manger tous les jours, et que l'un de vous leur dise : « Allez en paix, mettez-vous au chaud et bon appétit », sans que vous leur donniez de quoi subsister, à quoi bon ? De même, la foi qui n'aurait pas d’œuvres est morte dans son isolement. » (Jacques 2, 14-17).
Voilà deux points de vue qui semblent inconciliables. Finalement sommes-nous sauvés par la foi en la Rédemption acquise sur la Croix, ou bien par nos bonnes actions ? Il semble bien que la synthèse se trouve dans la première épître de Jean : « Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, ne saurait aimer Dieu qu'il ne voit pas. » (1 Jean 4, 22).
C'est donc bien la grâce de Dieu qui sauve l'homme et à condition que cet homme accepte librement cette grâce divine par la foi. Et un homme qui a une foi authentique en Dieu aura forcement les œuvres de charité, puisque personne ne peut dire qu'il a la foi et qu'il accepte la grâce divine du salut, s'il ne fait pas de bien autour de lui. Les œuvres sont donc le signe et la preuve qu'un homme croit réellement dans le Dieu Trinité et dans la Rédemption acquise par la croix.

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Une soupe populaire à Montréal en 1931, pendant la grande récession.

Suite à Saint Augustin, l’Église croit donc que Dieu choisit que certains seront sauvés. Il s'agit de l'élection divine. Cependant, une question se pose : Dieu prédestine-t-Il certains à la damnation ?
La mort du Christ en croix éclaire cette question. Jésus est mort en croix pour sauver l'humanité entière et la grâce salvatrice du Christ Rédempteur est répandue en espérance sur l'univers entier. À chacun, librement, de l'accepter ou de la refuser. Si Dieu a élu certains pour les conduire au salut, le sens spirituel de la crucifixion de Jésus signale, sans aucun doute possible, que cette élection divine s'étend à l'humanité entière.

Dieu ne peut avoir prédestiné quiconque à la damnation. Il est mort en croix pour le salut du monde, signifiant définitivement que la grâce du salut est proposée à tous. Dieu prédestine l'humanité entière au salut. Aux hommes de saisir librement cette grâce rédemptrice par l'exercice de leur libre-arbitre. Sa Toute Puissance, sa prescience, consiste à connaître à l'avance ce que l'homme choisira librement.
Au moment où l'islam hésite entre mutazilisme et sunnisme, entre libre-arbitre et prédestination, la chrétienté est parcourue par le même débat. La réponse de la chrétienté est très différente de celle de l'islam.

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Le Christ sauveur du monde (Bernardino Luini ; Le Louvre).

13. 14. Au IXe siècle, Rome est pillée par les musulmans et le pape est assujetti au paiement d'un tribut.

Au cœur même du Dār al-Islām, le pouvoir est disputé. Loin de la capitale Bagdad, des émirats se créent, mais ils restent soumis au califat : les Rustāmides à Tahart en Algérie actuelle et les Idrīssides à Fès au Maroc. Dans la région qui deviendra la Tunisie, la dynastie aghlabide est en proie aux dissensions internes. L'émir aghlabide, Ziyadat Allāh Ier, prend le pouvoir. Il lance des travaux de prestige. Il rénove la grande mosquée de Kairouan et fortifie la région. Mais son émirat reste agité. En 825, il saisit l’occasion de la trahison du commandant byzantin Euphémius pour exporter la violence vers la Sicile. Révolté contre le pouvoir byzantin, Euphémius appelle les Aghlabides à l'aide, comme le wisigoth Julian avait appelé Tariq à l'aide en 711, faisant le lit à la conquête musulmane de l'Espagne.

En 825, la conquête de la Sicile débute, les siciliens fuient devant l'avancée arabe et se réfugient en Italie pour ne pas être réduits en esclavage. Monastères et bibliothèques sont pillés et détruits comme en témoignent les lettres du moine Théodose à l'archidiacre Léon (BnF, Ms gr. 3032).
Rapidement, les Aghlabides sont suffisamment implantés en Sicile pour lancer des raids vers l'Italie. En 846, 73 bateaux chargés de 10 000 musulmans prennent Ostie et remontent le Tibre pour attaquer Rome *. La basilique Saint Pierre et la Basilique Saint-Paul sont pillées en 846. Pendant deux ans, le pape doit payer tribut. Un petit émirat musulman est fondé en Italie du Sud, à Bari, en 847**.

En 848, le premier appel à la Croisade est lancé lors d'un synode réuni en France. Rome a été pillée et le pape est soumis à tribut. Il a fallu que la chrétienté soit attaquée en son cœur pour que la notion de guerre sainte apparaisse chez les chrétiens. Les souverains chrétiens sont ainsi appelés à lutter contre « les ennemis du Christ ». Le pape Léon IV promet le paradis aux soldats qui seront tués en luttant contre les musulmans. En 849, la flotte chrétienne bat la flotte musulmane devant le port d'Ostie. L'empire musulman ne s'étendra pas plus au nord. Seul le Sud de l’Italie, de 882 à 915, connaîtra des razzias et quelques colonies musulmanes s'y implanteront**. Des monastères seront pillés, tel celui du Mont Cassin ou celui de Farfa en 883. Les moines de Saint-Vincent au Vulturne sont égorgés en 881 lors d'un raid musulman.

En 896, les byzantins renoncent à défendre la Sicile et abandonnent les siciliens à leur propres forces*. Les siciliens continuent à lutter pendant un siècle. En 965, Rametta est la dernière ville sicilienne à se rendre au pouvoir musulman. Une dernière tentative internationale a lieu en 982 quand l'empereur germanique Otton II, soutenu par le pape, échoue à reprendre l’île.

Mais la politique interne du Dār al-Islām reste agitée. À partir de 908, la révolte ismaélienne gagne la Tunisie **. Une nouvelle dynastie d'inspiration chiite, la dynastie fatimide, y prend le pouvoir. De la Tunisie, elle conquiert l’Égypte. En Sicile, le pouvoir musulman se déchire lui-aussi entre sunnites et fatimides. Malgré cet état de guerre permanent, la Sicile s'enrichit grâce au commence avec le Dār al-Islām auquel elle appartient désormais. Des arabes et des berbères colonisent l’île et s'y installent comme chez eux. Il faut noter qu'à partir du XXe siècle, on a vu apparaître l'opinion - rapidement généralisée - que la colonisation européenne de l'Asie ou de l'Afrique au XIXe siècle était un comportement indigne et incompatible avec les droits de l'homme. La colonisation de l'Espagne, de la Sicile, du Maghreb, de la Perse, de l’Ouzbékistan et de l'empire byzantin par la conquête arabe des VIIe au Xe siècles, est strictement de même nature et devrait donc faire l'objet du même jugement.

Les peuples nomades et voyageurs sont encore nombreux à l'aube du Moyen Âge. Au VIIIe siècle, à l'autre extrémité de l’Europe, en Scandinavie, un autre peuple s'apprête à prendre la mer pour piller et conquérir des terres plus tempérées.
Les Vikings, les hommes du Nord, partent en drakkar dans toutes les directions explorer les côtes de l'Europe du Nord. D’île en île, en passant par l'Islande et le Groenland, ils découvrent l'Amérique au Xe siècle. Les archéologues ont retrouvé les traces de leur implantation fugace au Labrador, sur les côtes du Canada actuel. Les Vikings ravagent les côtes de France et remontent la Seine, attirés par la richesse des villes et des monastères. Les pillages se poursuivent pendant un siècle. Les vikings implantent des têtes de pont dans le Cotentin et jusque à Bayonne, sur la façade atlantique.
En 911, pour acheter la paix, le roi de France Charles-le-simple leur octroie quelques terres autour de leur implantation en Normandie. Ces terres sont l'embryon du duché de Normandie qui est fondé en 933. Cela correspond au début de la conversion au christianisme des Normands. De Normandie, ils partent à la conquête de l’Angleterre saxonne. En 1066, Guillaume le Conquérant s'installe sur le trône anglais. Ses descendants y règnent toujours. Le même mouvement d'exploration, de pillage et de colonisation les conduit en méditerranée. Les Normands sont désormais chrétiens, mais leur voyage conquérant vers le sud n'est pas une croisade. Les Normands gardent les mêmes motivations qui les avaient conduits en France, en Angleterre ou en Amérique.
À partir de 999, les premiers Normands s'installent en Sicile. Selon leur tactique habituelle, ils créent des têtes de pont. Au cours du siècle qui suit, pendant tout le XIe siècle, ils reprennent progressivement l'île aux musulmans. Ils sont aidés par la population restée chrétienne*.
Le royaume de Sicile est fondé en 1061. La culture arabe se mêle à l'art normand pour fonder la remarquable civilisation arabo-normande**. Le royaume de Sicile devient un carrefour entre les cultures byzantine, normande et musulmane. Les rois de Sicile respectent la pluralité religieuse et l'islam se maintient sur l’île jusqu'au XIVe siècle. Beaucoup de musulmans préféreront néanmoins rejoindre le Dār al-Islām. Ceux qui choisiront de rester en Sicile ne connaîtront jamais sous gouvernement normand chrétien, ni l'humiliation, ni la précarité d'une institution comparable à celle de la dhimma.

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Manteau de couronnement de Roger II, le roi de Sicile, portant une inscription en arabe
avec la date notée d'après l’Hégire : 528, soit 1133 de l'ère chrétienne.

Les Normands sont désormais devenus de fervents chrétiens et ils participeront activement à tous les engagements de la Reconquista, de l'Espagne à la Terre Sainte.

* : Le Pouvoir et la Foi, questions d'Islam en Europe et au Moyen-Orient, p. 233, B. Lewis, Odile Jacob histoire, 2011.
** : Islam, p. 169, Bernard Lewis, Quarto Gallimard, 2005.

13. 20. L'esclavage.
L'esclavage a existé pendant  toute l'histoire de l'humanité. Le christianisme et l'islam ont des conceptions différentes de l'homme ; leurs relations à l'esclavage vont donc être différentes.

Dans le Dār al-Islām, l'esclavage est légitimé par le Coran. Rapidement, l'esclavage spécifique des noirs va être plus spécifiquement encouragé par l'invention de la « malédiction de Cham ».
Dans la Bible, Canaan, est le fils de Cham, lui-même fils de Noé. Cham n'est pas noir (Genèse 9, 1-27). Cannan devient l'esclave de ses frères en raison de ses péchés, mais il reste blanc (Genèse 9, 20-29). En fait, la Bible punit le racisme dès l'Ancien Testament. Ainsi, Myriam, la sœur de Moïse, devient-elle lépreuse (blanche livide) pour avoir critiqué la femme noire de Moïse (Nb 12, 10). Le Cantique des cantiques dit : « Je suis noire et belle » (Cantiques 1, 5). L'Ancien Testament n'est pas raciste, et le Nouveau a affirmé l'égalité de tous (Galates 3, 28).
Le Talmud est le premier à parler de la réduction en esclavage de Cham mais sans jamais dire qu'il est noir (*1).

En fait, c'est un écrit musulman qui signale pour la première fois que les hommes de Canaan dont devenus noirs. Ibn Qutayba (828-889) écrit : « Wahb ibn Munabbih a dit : « Ham, le fils de Noé, était un homme blanc, beau de visage et de stature, et Dieu tout puissant changea sa couleur et celle de ses descendants en réponse à la malédiction de son père. Il partit, suivi de ses fils, et ils s’installèrent près du rivage où Dieu les multiplia. Ce sont les noirs. » »* (2). Il dit avoir trouvé cette idée dans un écrit totalement inconnu de Saint Éphraïm (mort en 373) dont il reproduit un extrait : « Maudit soit Canaan et que Dieu rende noir son visage » (*3).
Voilà donc les noirs devenus les descendants d'un homme pécheur et leur couleur devenue symbole de leur punition. En fait, le Coran ne notait pas de différence entre les hommes selon la couleur. On ne peut donc pas le qualifier de raciste, même s'il a légitimé l'esclavage de toute l'autorité de son origine supposée divine. Un seul verset coranique signale la supériorité du blanc, mais on peut penser qu'il s'agit d'un symbole : « Au jour où certains visages s’éclaireront tandis que d’autres visages seront noirs. On dira à ceux dont les visages seront noirs : « Avez-vous été incrédules après avoir eu la foi ? » » (S. 3, 102)*. On trouve ici la même image que dans l'écrit attribué à Saint Éphraïm.

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L'iconographie est porteuse des convictions de la civilisation musulmane : les hommes noirs seraient
infiniment moins civilisés que les blancs, vêtus, arabes et musulmans
('Ağayib al-maḫlūqāt par Mahmūd
Hamadānī, manuscrit persan, 1577 ; BnF).

Le Coran a essayé d'adoucir la condition des esclaves en conseillant leur affranchissement et des hadiths suggèrent également de bien traiter les esclaves. Mohamed aurait dit : « Crains Dieu, regardant ceux que tu possèdes. Nourris-les comme tu te nourris, habille-les comme tu t’habilles, et ne leur assigne pas des tâches au-dessus de leurs forces. Ceux que tu aimes, garde-les ; ceux que tu n’aimes pas, vends-les. Ne tourmente pas les créatures de Dieu. Dieu t’a fait leur possesseur ; et, s’Il l’avait voulu, Il aurait pu faire qu’ils te possédassent. ».

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Une scène joyeuse où l'ont voit l'espiègle Abu Zaïd dévaliser des voyageurs dans une auberge.... mais dans le coin opposé, une femme noire danse presque nue, dans l'indifférence générale (Les Makamat de Hariri, par Yahyā al-Wāsitī, 1237 ; BnF)... Et si l'on regarde mieux, une autre femme, avec un simple fichu, fait le service. Est-elle également esclave de l'auberge ? Les femmes ont elles-aussi été victimes de l'esclavage ; ce qui implique leur mise à disposition sexuelle, selon la prescription coranique :  « Ne contraignez pas vos esclave femmes à la prostitution si elles veulent
le mariage. Les contraint-on ? Dieu est alors, quand elles ont été contraintes, pardonneur, miséricordieux, vraiment ! » (S. 24, 33) ...


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 Les deux femmes se regardent...

Les conditions de vie des esclaves sont effroyables : entre travaux pénibles et nourriture insuffisante. Au IXe siècle, une grande révolte d'esclaves noirs se déroule en Arabie. De 869 à 881, les Zandj, les esclaves noirs, conquièrent plusieurs villes d’Arabie et s'y maintiennent quelques années (*4).

En 982, un traité perse de géographie dont l'auteur est inconnu, décrit différentes catégories d'esclaves. On trouve d'abord les Zanj dont il est précisé que « leur nature est celle des animaux sauvages. Ils sont extrêmement noirs ». Les Zabaj leur sont comparés : « Les habitants de ce pays sont tous comme les Zanj, mais plus proches de l’humanité ». On voit là pointer dans l'écrit la conviction que les noirs ne sont pas des êtres humains, ou pas tout à fait. Les « Sudan » sont les tristes victimes des pratiques négrières : « la plupart vont tout nus. Les marchands égyptiens leur apportent du sel, du verre et du plomb ... Les marchands leur volent leurs enfants et les emmènent avec eux. Puis ils les castrent, et les importent en Égypte » (*5).
Au XIIe siècle, Idrisi (1110-1165) confirme ces pratiques esclavagistes : « Les Zanj redoutent fort les Arabes... Ceux qui voyagent dans leurs pays volent leurs enfants grâce aux dattes ; ils les attirent avec des dattes et les conduisent de place en place jusqu’à ce qu’ils puissent s’en saisir, les sortir du pays et les transporter chez eux. Le chef de l’île de Kich, dans la mer d’Oman, lançait des expéditions en bateau vers le pays des Zanj, où il faisait de nombreux captifs. ». Idrisi note que les marchands marocains de Takrur « apportent du bois, du cuivre et de la verroterie, et remportent des minerais d’or et des esclaves castrés » (*6).

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Peuple noir et tacheté d'Afrique vivant dans la crainte des autres hommes
('Ağayib al-maḫlūqāt par Mahmūd Hamadānī, manuscrit persan, 1577 ; BnF).

Les musulmans ont donc inventé la malédiction de Cham pour renforcer la légitimité de l’esclavage des noirs en leur ôtant une part d'humanité. On verra qu'en Europe au XVIe siècle, des chrétiens reprendront cette même malédiction de Cham pour légitimer la traite des noirs.

En terre chrétienne, malgré la christianisation de l'empire romain, l'esclavage s'est maintenu pendant le premier millénaire. Il était un rouage essentiel de l'économie et il a fallu longtemps pour qu'il disparaisse. Néanmoins, le Nouveau Testament affirme l'égalité parfaite de tous et les religieux et les hommes d'état chrétiens ont travaillé pendant des générations pour l'amender puis finalement le supprimer.
Le premier, l'empereur Constantin édicte des lois luttant contre l'esclavage. Il facilite l'affranchissement des esclaves, mais il n'abolit pas l'esclavage.

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Homme travaillant aux champs, très probablement esclave
(mosaïque du Grand Palais de Constantinople, Ve siècle).

Les invasions barbares relancent la pratique de l'esclavage. Goths, Burgondes, Saxons, Vandales, Wisigoth et Huns sont tous esclavagistes. Les vaincus, en particulier les paysans, sont réduits en esclavage.
De nombreux évêques vont donner l'exemple en vendant leurs biens pour racheter des esclaves. Deogratias, évêque de Carthage au Ve siècle, rachète des captifs aux Vandales. Épiphane, évêque de Pavie au Ve siècle, en rachète aux lombards.
À la fin du Ve siècle, Clovis, le roi des francs, se convertit au christianisme. En 482, Rémi, évêque de Reims, lui écrit  : « Toutes les richesses de vos ancêtres, vous les emploierez à la libération des captifs et au rachat des esclaves. ». Mais, cela reste un pieux conseil, les Francs pratiquant l'esclavage malgré leur conversion. Il faudra encore quelques siècles pour que les conseils évangéliques des évêques soient retranscrits dans le droit des peuples.

Néanmoins, les évêques essaient d'inciter à l'abolition de l'esclavage par des décisions prises en conciles.
En 511, le concile d’Orléans précise que l’esclave en fuite ne sera rendu à son maître que si celui-ci renonce à le punir. Un esclave ordonné prêtre ou diacre, même sans l'accord de son maître, est libéré d’office. Mais l’évêque est néanmoins tenu de dédommager son maître.
En 524, les conciles de Lyon interdisent de réduire en esclavage un homme libre, sous peine d'excommunication.
En 581, le premier concile de Mâcon, sous l’égide du roi Gontran, décide que chaque esclave chrétien peut être racheté pour douze sous. Mais en 585, la famine sévit en Gaule et les pauvres acceptent d'être réduits en esclavage contre de la nourriture.
Le pape Grégoire Ier le Grand (590-604) affranchit ses propres esclaves. Aulus, évêque de Viviers en Ardèche, Domnus, évêque de Vienne sur le Rhône, Valentinien, évêque de Coire en Suisse, ou Germain, évêque de Paris, rachètent et libèrent des esclaves. Mais ce ne sont que des décisions individuelles d'hommes de foi.
Il faut attendre le VIIe siècle pour que les premières lois contre l'esclavage soient promulguées dans les royaumes européens.

Le premier souverain à légiférer contre l'esclavage est une femme. Au VIIe siècle, Bathilde (630-680), la veuve de Clovis II, devient régente du royaume des francs. Ancienne esclave elle-même, elle interdit par la loi la vente et l'achat des esclaves, mais elle n'affranchit pas les esclaves existants.
En France, les esclaves deviendront peu à peu des serfs. La christianisation leur a rendu leur place dans l'humanité ; ils cessent d'être vendus comme des objets. Ils peuvent fonder une famille qui ne sera jamais éclatée par la vente de l'un de ses membres. Néanmoins, ils restent attachés à leur terre de naissance par le servage. Les enfants ne bénéficient de l'héritage de leurs parents qu'à condition de rester sur la terre qui les retient en servage.
En 1006, dans le Saint-Empire Romain Germanique, le roi Henri II et la reine Cunégonde interdisent les marchés aux esclaves.
En 1066, avec la conquête normande de l'Angleterre, l'esclavage saxon y est aboli.

Pendant tout le Moyen Âge, les vénitiens n'hésitent pas réduire en esclavage des peuples restés païens et à les vendre aux abbassides. À Constantinople, la castration des hommes réduits en esclavage est habituelle. En 1100, les slavons se convertissent au christianisme : ils cessent d’être capturés par les vénitiens.
Le 3 juillet 1315, le roi de France Louis X édicte une loi proclamant que « selon le droit de nature, chacun doit naître franc ». Depuis lors, « le sol de France affranchit l'esclave qui le touche ». Que cette loi ait eu besoin d'être promulguée démontre que des esclaves devaient bien être de temps en temps « importés » en France au XIVe siècle. Désormais, il n'y a plus d'esclave sur le sol de France.

On voit que la légitimation coranique de l'esclavage a favorisé son développement en terre d'Islam, là où la foi chrétienne a encouragé sa suppression progressive tout au long du Moyen Âge. Mais le désir de lucre des hommes en ressuscitera la pratique dans le nouveau monde avec la découverte de l'Amérique. Les noirs subiront alors une « déshumanisation » pour justifier leur réduction en esclavage.

* : Islam, *1 : p. 322 / *2 : p. 324 / *3 : p. 322 / *4 : p. 327  / *5 : p. 317 / *6 : p. 315 ; Lewis, Gallimard, 2005.

13. 16. Bukhārī et les Hadiths.

Mohamed Ismaïl al-Bukhārī (809-870) est un sunnite né à Boukhara. D'après la légende, il sait le Coran par cœur à six ans. Puis à l'âge adulte, pendant 16 ans d'itinérance, il collecte 600 000 hadiths. Il retient ceux qu'il estime authentiques en fonction de la connaissance précise de leur « chaîne de transmetteurs » (l'isnād). C'est la liste des hommes qui, sur 250 ans, se seraient transmis les paroles de Mohamed. Les exégètes non musulmans du XXe siècle ont analysé ces noms. La plupart sont des noms d'emprunt ou des nouveaux noms attribués à des convertis. Ils ne permettent pas de retrouver de généalogie certaine. Au Moyen Âge, les savants musulmans n'ayant pas vu d'incohérences dans ces listes, ont conclu à l'authenticité des hadiths de Bukhārī. Encore faudrait-il que le raisonnement initial soit correct ! En effet rien ne prouve qu'une transmission orale, en particulier sur deux siècles, soit exacte.

Initialement, le Coran a été récité dans un milieu tribal de nomades vivant de razzias. Les abbassides sont devenus citadins : les hadiths permettent la nécessaire adaptation législative.
- L'obéissance due au calife est exigée avec une insistance particulière : « L'apôtre d'Allah a dit : Celui qui m'obéit obéit à Allah, et celui qui me désobéit, désobéit à Allah et celui qui obéit au chef que j'ai nommé, m'obéit, et celui qui lui désobéit, me désobéit. » (Bukhārī 89, 251). Le Coran avait été moins précis, il semblait dire que toute autorité préexistante était légitime : « Obéis à Dieu et obéis au Prophète et à ceux qui parmi vous détiennent l'autorité » (S. 4, 59).
- Le travail est préférable aux razzias : « Le Prophète d’Allah se nourrissait du fruit de son travail » nous dit Bukhārī dans un Hadith jugé authentique. Pourtant, jamais le Coran ne laisse pressentir la moindre activité professionnelle chez Mohamed. Dans le Coran, ses revenus proviennent de razzias et de l'impôt religieux.
- Le vol est puni de mutilation, comme dans le Coran, mais une somme minimale est maintenant fixée : « Le Prophète a dit : La main doit être tranchée pour un vol au-dessus du quart d'un dinar. » (récit d’Aïcha, Bukhārī 81, 780-791). Le dinar a été frappé pour la première fois en 697. Mohamed est mort en 632.
- La circoncision n'est jamais évoquée par le Coran. Dans aucun verset coranique parlant d'Abraham, de Jésus ou de Mohamed, il n'est fait état de leur circoncision. Le Coran prescrit de nombreuses obligations mais jamais la circoncision n'est ordonnée. Bukhārī va néanmoins reprendre cette pratique traditionnelle en Arabie et la légitimer dans un hadith supposé Sālih : « Cinq pratiques sont inhérentes à la nature humaine : la circoncision, l'épilation du pubis, la taille des moustaches, la coupe des ongles et l'épilation des aisselles ». Les hadiths de Bukhārī multiplient des rituels de purification, encouragent la phobie des chiens et développent le mépris des dhimmi.

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Lors du mi‘rāj, Mohamed rencontre, en traversant les sept cieux, un ange en forme de coq (Mir Haydar, mi‘rāj-nameh, Herāt, 1436 ; BnF).
L'islam devient une mythologie, mais estompe la rudesse du Coran par une interprétation plus pondérée.

Le travail théologique de Bukhārī complète le Coran. Mohamed voyage sur Burāq, le cheval volant (Bukhārī 5, 58, 227), lors de son voyage mystique qui était évoqué de façon ô combien elliptique au début de la Sourate 17. Dans les hadiths, on voit  Mohamed bénéficier enfin des miracles que le rabb, le Seigneur du Coran, lui avait refusés. Mohamed s'envole sur un cheval surnaturel en compagnie de Gabriel. De nos jours, la Tradition musulmane veut que le Dôme du Rocher ait été construit en 692 pour commémorer le voyage nocturne de Mohamed vers Jérusalem. Mais cette hypothèse est contestable puisque plusieurs raisons politiques ont présidé à l'édification du Dôme du rocher au VIIe siècle, sans que jamais le voyage mystique de Mohamed ne soit alors évoqué. En effet, aucun témoignage du VIIe siècle ne garde le souvenir que des musulmans aient cru que Mohamed se serait envolé de Jérusalem sur le dos de Burāq, une nuit des années 610, pour rencontrer Dieu face à face et visiter l'enfer. Ce n'est qu'au IXe siècle que l'on trouvera ce récit sous la plume de Bukhārī. D'ailleurs, l'analyse du vocabulaire de Bukhārī montre que le nom d' « al aqsa », la lointaine, donnée à la mosquée de Jérusalem pour renforcer le mythe de l'isrā' de Mohamed, est une dénomination très tardive. En effet, au IXe siècle, Bukhāri lui-même nomme la mosquée de Jérusalem autrement : « On ne se mettra en route (pour le pèlerinage) que pour se rendre à trois mosquées : à la Mosquée sacrée (la Kaaba) ; ma mosquée (à Médine) et la mosquée de Bayt al-Maqdis (à Jérusalem) » (Sahīh Bukhārī, 30, Sawn, 67 ; Ya'qūbī, Tārīkh, II, 261 ; trad. A. L.de Prémare). On voit ici Bukhārī nommer la mosquée de Jérusalem « Bayt al-Maqdis », le temple du sanctuaire, et non « al aqsa », la lointaine.

La Mecque est en train de s’approprier le statut de Jérusalem.
Dans la théologie musulmane, c'est désormais Ismaël qui a été proposé au sacrifice par Abraham. Quelques années avant Bukhārī, Ibn Hanbal (780-855) avait encore raconté que le fils proposé au sacrifice était Isaac. Maintenant, c'est à la Mecque qu’Abraham aurait voulu sacrifié Ismaël. En délocalisant à la Mecque le sacrifice d'Ismaël, l'exégète musulmane dépouille Jérusalem de sa sacralité. En effet, les juifs pensent d'Abraham a voulu sacrifier Isaac que le mont Moriah, là où le Temple de Jérusalem a été édifié. Les sages musulmans restaure la sacralité de Jérusalem en inventant le voyage nocturne de Mohamed à Jérusalem : Mohamed pose désormais un pied sanctificateur sur le Rocher de Moriah. Les chrétiens et les juifs convertis à l'islam peuvent donc garder un attachement acceptable pour Jérusalem.
Désormais, les musulmans se croient fils d'Ismaël. La Mecque a supplanté Jérusalem. L'islam a dominé judaïsme et christianisme et l’exprime en s’appropriant son lieu de culte.


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Vue de l’intérieur du Dôme de Jérusalem. Il protège le rocher où Abraham aurait voulu sacrifier Isaac, selon les juifs et les chrétiens. Pour les musulmans, Mohamed aurait posé son pied dessus en descendant de Burāq, le cheval volant censé l'avoir amené de la Mecque une nuit des années 610. Le Coran n'avait rien raconté de cette histoire extraordinaire qui se trouve largement développée dans les écrits de Bukhārī et de Tabarī.

Sous la plume de Bukhārī, Mohamed poursuit son travail d’appropriation des éléments de foi des monothéismes antérieurs. Les images illustrant la gloire du Christ sont attribuées à Mohamed : « Mon exemple en comparaison aux autres prophètes avant moi, est celle d'un homme qui a construit une maison bien et admirablement, excepté un endroit d'une brique dans un coin. Les personnes vont autour et ils admirent sa beauté, mais disent : Quelle brique doit être mise dans son endroit ? Ainsi je suis cette brique et je suis le sceau des Prophètes. » » (Bukhārī 20, 21). L'image de la pierre d'angle avait déjà été prise par le Christ pour affirmer sa primauté (Luc 20, 17-18). Il semble bien que Bukhārī ait lu les Évangiles alors que Mohamed n'y avait pas eu accès.
Dans d'autres domaines, les Hadiths de Bukhārī confirment le Coran. Le Coran ordonne de tuer les apostats (S. 4, 89) et un hadith proclame : « Celui qui change de religion, tuez-le. » (Bukhārī,  9. I.84, n° 57).

Le plus ancien ouvrage de Bukhārī qui soit parvenu jusqu'à nous est à Berlin. Il date du XVe siècle. Il a été écrit par al-Badrani qui a recopié la reconstitution d'Alī al-Yūnīnī. Au XIIIe siècle, al-Yūnīnī avait restitué les hadiths de Bukhārī à partir de quatre manuscrits et de trois traditions orales.

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Recueil de Hadiths de Bukhārī du XVe siècle (produit au Caire ; BnF).

Abolhossein Muslim (816-876) a lui aussi collecté des hadiths. Ils sont considérés, avec ceux de Bukhārī, comme les plus authentiques, même s'ils ont été écrits 250 ans après la mort de Mohamed. Un corpus de hadiths antérieurs, celui du Yéménite 'Abd-al-Razzāq, mort en 826, n'est pas reconnu par le sunnisme quoiqu'il ait été rédigé à une période plus proche de la vie de Mohamed

Bukhārī est supposé avoir retenu par cœur 200 000 hadiths avec leurs isnād. Il est un bon exemple du type d'intelligence qu'admire et développe l'exégète sunnite. Il s'agit d'avoir une mémoire phénoménale qui s'éduque par l'apprentissage par cœur du Coran.

13. 17. Au Xe siècle, Tabarī structure l'exégète sunnite.

Tabarī (839-923) est un exégète du Coran et un historien sunnite. Il vit et travaille à Bagdad.
En 920, il écrit les Annales des prophètes et des rois qui racontent l'histoire du monde dans une perspective musulmane, puis il publie Tafsīr at-Tabarī, un commentaire du Coran en 3000 pages.

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Commentaire du Coran par Tabarī (ouvrage persan, XIIIe siècle, BnF).

Des personnages secondaires de la Bible, que le Coran ignore, sont introduits dans la foi musulmane.
Canaan serait le fils de Noé, mort noyé (Ta’rīkh, I, 199) (*1). Le Coran ne l'avait pas nommé et la Genèse (9) affirmait que Noé n’avait que trois fils, Sem, Cham et Japhet. En fait, Cannant (avec cette orthographe dans la Bible) est le petit fils de Noé dans la Bible (Genèse 9, 18)(*1).
Tabarī donne un cinquième fils à Noé : Abir. Dans la Genèse (Gn 10, 21), Eber est le fils de Sem, encore un petit fils de Noé (*1).
Quelques confusions sur la descendance de Noé apparaissent donc dans l’ouvrage de Tabarī. Tabarī complète l’histoire de Noé en racontant comment Dieu a fait bouillir les eaux pour punir les notables qui se moquent de Noé (S. 11, 40 ; S. 23, 27).
Dans un texte plein de fantaisie, Tabarī raconte que les eaux du déluge sont sorties bouillantes du four d’Ève dont aurait hérité Noé. Ce four de pierre se trouverait en Inde ou à Kūfa, l’actuelle Kerbela… (Ta’rikh, p.193-194) (*2).
Tabarī complète ce récit en expliquant que la Kaaba et la Pierre noire auraient été soulevées vers le ciel pour échapper au déferlement des eaux (Ta'rīkh, I, 193). Tabarī semble ignorer que l'histoire de Noé est une légende mésopotamienne polythéiste appartenant à l’épopée de Gilgamesh.
Des mythes perses sont également relus pour les faire correspondre à des personnages coraniques. Salomon est assimilé au prestigieux roi perse Feridoun. L'exégète musulman Al-Mas’ūdī (mort en 956) reprendra la même lecture dans les Prairies d’or.
L'isrā, le voyage mystique de Mohamed de la Kaaba jusqu'au paradis en passant par Jérusalem, est raconté par Tabarī. C'est par la commémoration de cet isrā' mythique que Tabarī justifie la création du pèlerinage rival de Jérusalem par Abd-al-mālik : « Ce rocher, dont on rapporte que l'envoyé de Dieu posa dessus son pied lorsqu'il monta au ciel, vous tiendra lieu de Kaaba » (Ya'qūbī, Tārīkh, II, 261 ; trad. A. L.de Prémare).

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Le Dôme de Jérusalem et son rocher, protégés par deux anges ('Ağayib al-maḫlūqāt par
Mahmūd Hamadānī, manuscrit persan, 1577 ; BnF). Au XVIe siècle, le mythe est bien installé.

En se réappropriant les mythes sumériens, perses, arabes, et même chrétiens ou juifs, le sunnisme tend vers la mythologie.

Par ailleurs, Jérusalem n'est pas encore Ville Sainte de l'islam au IXe siècle.
Tabarī en témoigne en racontant une anecdote où l'on voit le calife Omar accuser un juif tout fraîchement converti à l'islam, d'être un mauvais croyant, un mauvais musulman. En effet, le nouveau converti se déchausse avant d'aborder l'esplanade du Temple de Jérusalem, comme seul un juif pieux le fait (P515 Al-Tabarī, Ta’rikh…,op. cit., I, pp. 2408-2409 ). Jérusalem ne deviendra « Ville Sainte de l'islam » qu'après sa reconquête sur les croisés.

Une autre des préoccupations de Tabarī consiste à retrouver dans la Bible une annonce prophétique de Mohamed. Il y emploie tout son talent. Trois siècles après l'existence de Mohamed, il faut toute une construction théologique pour trouver dans la Bible ce qui n'a été encore manifeste pour personne.
Dans son ouvrage Al-radd 'alà n-Nasārà (En réponse aux Chrétiens), Tabarī extrapole sur le Deutéronome pour expliquer que Mohamed est le Prophète attendu par Peuple Élu. En effet, on trouve dans le Deutéronome : « Je leur susciterai du milieu de leurs frères un Prophète semblable à toi [Moïse], Je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que Je lui commanderai » (Dt 18, 18-20). Comme Moïse descend d'Isaac, le frère d'Ismaël, et que Mohamed est censé se trouver dans la descendance d'Ismaël, Tabarī voit dans ces versets du Deutéronome l'annonce prophétique de la venue de Mohamed, le « frère » au sens large du peuple juif. Tabarī ne tient compte, ni qu'Ismaël n'a pas d'enfant dans le Coran, ni que le Coran affirme que les prophètes naissent dans la descendance de Jacob (S. 21, 72-73 ; S. 19, 49). « Nous donnâmes Isaac et Jacob, et désignâmes dans sa descendance la fonction de prophète et Le Livre. » (S. 29, 27). Tabarī a oublié ou ignore que la croyance en Ismaël, père des arabes, est une légende inventée au VIIe siècle par le Patriarche arménien Sebèos et qu'elle est en contradiction avec le Coran.

La fausse prophétie attribuée au rabbin du IIe siècle Siméon ben Yohaï, mais qui a été inventée et écrite par des juifs au VIIe siècle, est remise en selle … si l'on peut dire. Et voilà à nouveau Jésus sur un âne et Mohamed sur un chameau. Tabarī affirme à nouveau que le texte d'Isaïe (Is. 21, 6-8), qui parle des soldats (au pluriel) venant prendre Babylone, est l'annonce prophétique de Jésus qui est monté parfois sur un âne et celle de Mohamed qui se déplaçait habituellement à dos de chameau.

Mohamed, le Beau modèle, doux et pacifique, acquiert une bonhomie que, ni le Coran, ni la Sīra n'avaient laissé présager. Tabarī voit dans une prophétie d'Isaïe (Is 42, 1-4) le portrait de Mohamed. Depuis déjà bien longtemps, les chrétiens y voyaient l'annonce prophétique du Christ : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu, en qui mon âme se complaît. J'ai mis sur lui mon esprit et il présentera aux nations le droit. Il ne crie pas, il n'élève pas le ton, il ne fait pas entendre sa voix dans la rue, il ne brise pas le roseau froissé, il n’éteint pas la mèche qui faiblit, fidèlement il présente le droit ; il ne faiblira ni ne cédera jusqu'à ce qu'il établisse le droit sur terre. ». Ce que nous savons maintenant de la vie réelle de ces deux personnages historiques, Jésus et Mohamed, permet à chacun d'avoir son opinion personnelle.

En fait, la Bible n'annonce jamais Mohamed et son nom n'y est jamais cité. Sa prédication, elle-même, n'y est jamais évoquée, ou alors pour signaler qu'il s'agit d'une hérésie (Galates 1, 6-9). De plus, aucun des critères de l'Ancien et du Nouveau Testaments pour définir un prophète authentique, ne correspond à la prédication de Mohamed (Ézéchiel 13, 2-3 ; Michée 3, 5-8 ; Zacharie 11,15-17 ; Jean 10, 11-18).
En surinterprétant des versets du Coran (S. 5, 13-15), Tabarī raconte donc que la Bible a été falsifiée : « ils détournent le mot de ses sens et oublient une partie de ce par quoi on les a rappelés ». Tabarī maintient que la Bible annonce la prophétie de Mohamed, même s'il a besoin d'attribuer à sa falsification le fait qu'elle n'en parle jamais. Tabarī nous donne ici un bon exemple de la logique sunnite à laquelle sont condamnés les musulmans depuis que le Coran est incréé.

* : Le Coran décrypté, *1 : p 165 / *2 : p 167 ; J. Chabbi, Fayard. 2008.

13. 18 . Le soufisme.

Le soufisme est la voie mystique de l'islam pour tous les musulmans, sunnites, chiites et druzes. Le soufisme est une pratique mystique qui recherche l'union à Dieu et conduit à croire en la présence de Dieu au cœur de chaque croyant. Mais cette foi en la présence divine en chaque homme est une entorse à l'unicité de Dieu. Cela conduit le soufisme à être considéré comme hérétique par tous les courants de l'islam.

Le premier grand mystique soufi est une femme, Rabia al-Adawiyya (714-801), une esclave affranchie. Elle prône l'anéantissement de soi face à la grandeur d'Allah ; elle a donc laissé peu de traces. La première au sein de l'islam, elle parle de l'amour divin. Elle reste célibataire par amour de Dieu : « Entre l'amant et le bien-aimé, il n'y a pas de distance, ni de parole, que par la force du désir ; ni de description, que par le goût. Qui a goutté a connu. Et qui a décrit ne s'est pas décrit. En vérité, comment peux-tu décrire quelque chose, quand en sa présence tu es anéanti ? Quand en son existence, tu es dissous ? Quand en sa contemplation, tu es défait ? Quand en sa pureté, tu es ivre ? ».
La peur de Dieu est bannie de sa conception de la foi : « Mon Dieu, si je T'adore par crainte de l'enfer, brûle moi dans ses flammes et si je t'adore par convoitise de ton paradis, prive-m'en. Je ne T'adore, Seigneur, que pour toi. Car Tu mérites l'adoration, alors ne me refuse pas la contemplation de Ta face majestueuse. ».

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Rābiʻa al-ʻAdawiyya al-Qaysiyya, la première femme soufie,
(représentée dans un manuscrit persan).

Un autre maître soufi est Al-Hallāj, né en Iran en 858. Il est formé à Bagdad au soufisme puis devient missionnaire et voyage jusqu'en Inde pour proclamer la Religion du vrai. Selon lui, l'essence même du monothéisme est l'amour de Dieu et toutes les religions se valent pour atteindre l'union à Dieu. Il prêche ses convictions publiquement. Al-Hallāj connaît des extases et proclame son union mystique avec Allah. Le dīwān de Hajjāj est un recueil de ses poèmes réunis par ses disciples après sa mort : « J'avais le cœur plein de désirs dispersés, et depuis que l'œil t'a vu, les voici rassemblés. Ceux que j'enviais en sont venus à m'envier, car je règne sur les hommes depuis que tu es mon maître. Mes amis comme mes ennemis m'ont réprouvé seulement à cause de leur indifférence devant l'ampleur de mon tourment. J'ai abandonné aux gens leur usage et leur religion pour me dédier à ton amour, toi ma religion et mon usage. » (Trad. S. Ruspoli, le Message de Hajjāj, l'expatrié, Cerf, 2005).

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Soufi pratiquant la danse mystique des derviches censée le mettre en contact avec Dieu
(calligraphie soufie d'origine inconnue).

De retour à Bagdad, il proclame son union avec Allah et sa conviction que toutes les religions mènent à Dieu. Il subit l'opposition de l'islam traditionnel. Il préfère le martyre au reniement de ses convictions et meurt crucifié le 27 mars 922 sous le calife Al-Muktafī.

Au XIIIe siècle, le soufisme inspire Ibn Arabī qui base sa mystique sur le hadith : « J’étais un trésor caché et j’ai aimé être connu. Alors, j’ai créé les créatures afin d’être connu par elles ». Dans Le chant du désir ardent, Ibn Arabī proclame : « L’amour est ma religion et ma foi. ».

L'expérience sensible de la foi que le soufisme offre, séduit le peuple. Le soufisme permettra d'islamiser en douceur l'Inde lors de la conquête moghole au XVIe siècle. Le mot soufi vient du terme arabe « sūf » qui veut dire laine. En effet, les soufis pratiquent l’ascèse au point de se vêtir d'un simple manteau de laine. Mais leur rigorisme moral les conduit à s'opposer aux puissants en allant parfois jusqu'à la violence. Ainsi, Ouloug Beg, le génial émir de Samarcande, finira-t-il un jour victime des excès dogmatiques des soufis.

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Le maître soufi Yāqūt ibn ʿAbd Allāh al-Rūmī (1179-1229) rencontre son disciple
Shams pour la première fois
(Shams ud-Dīn, Tabriz, 1502-1504 ; BnF).

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MessageSujet: Re: HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES.   HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES. - Page 2 EmptyDim 6 Avr 2014 - 7:34

CHAPITRE 13 : DEUX CIVILISATIONS S’AFFRONTENT.
De 632 à 1099.


13. 1.  En 632, entre anarchie et guerre sainte, les compagnons de Mohamed assument sa succession.
13. 2. La mise par écrit des Corans, entre pluralité et piété.
13. 3. La mise par écrit du Coran officiel, entre épigraphie et archéologie.
13. 4. La mise par écrit du Coran : que nous dit la linguistique ?
13. 5. La dynastie omeyyade gouverne de 660 à 750.

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13. 6. La révolte des non-arabes : la bataille du Grand Zab donne le pouvoir aux Abbassides.
13. 7 . La Sīra ou la Biographie de Mohamed est rédigée au VIIIe siècle par Ibn Ishāq.
13. 8. La renaissance carolingienne.
13. 9. Le libre arbitre des hommes nuit-il à la toute puissance d'Allah ?
13. 10. Le mutazilisme (813-848).
13. 11. En 848, le mutazilisme politique a vécu, le sunnisme triomphe. Le libre-arbitre devient une hérésie qui contrevient à la toute puissance divine et le Coran acquiert son statut officiel de livre incréé.
13. 12. La médecine est la seule science indispensable : dans le Dār al-Islām, les chrétiens dirigent les hôpitaux.

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13. 13. Prédestination de l'homme ou prescience de Dieu ? Les chrétiens eux-aussi s'interrogent.
13. 14. Au IXe siècle, Rome est pillée par les musulmans et le pape est assujetti au paiement d'un tribut.
13. 15. L'esclavage.
13. 16. Bukhārī et les Hadiths.
13. 17. Au Xe siècle, Tabarī structure l'exégète sunnite.
13. 18 . Le soufisme.

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13. 19. Grandeur et décadence dans le Dār al-Islām, les dhimmi subissent la loi de leurs maîtres.
13. 20. En 1009, les portes de l'ijtihād se ferment... et le tombeau du Christ est détruit.
13. 21. Les croisades : impérialisme chrétien ou légitime défense ?

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Dernière édition par Pierresuzanne le Dim 6 Avr 2014 - 10:13, édité 2 fois
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