Le secret de Iohanân
(Poème évangélique de VESUNA24))
Deux femmes se retrouvent.
Elles sont cousines
et s’apprécient.
L’une est très âgée
et attend son premier enfant
– miracle jamais élucidé.
L’autre est très jeune,
vierge et enceinte,
– second prodige souvent moqué
mais pareillement mystérieux.
Lorsque la jouvencelle
pénètre en chantant dans la maison,
tourbillon de clarté et de joie,
sa vieille parente
qui peine à se lever
à cause de l’arthrose et de son ventre plein
s’écrie toute excitée :
— Sitôt entrée, petite,
mon enfant a bondi en moi.
Il a reconnu Celui qui est plus grand que lui.
Bénie sois-tu, la plus grande des femmes,
et béni le fruit de ton ventre !
Et soient aussi bénis tous ceux qui croient sans voir ! »
La vieille prophétesse étreint alors sa jeune cousine
et pousse un strident you you.
En relisant cette nuit l’évangéliaire
à nouveau entrouvert après tant d’années,
l’enfant qui sommeille en moi
a bondi aussitôt au creux de sa nostalgie.
Foi balbutiante
grosse de pourquoi ?
et aussi de comment ?
— Dis-moi, Jeannot,
toi qui ce jour-là n’étais pas encore né
et qui soudain exploses de joie,
que t’est-il arrivé ?
Que veux-tu nous dire ?
Pourquoi une telle impatience ?
Quel est donc le secret qui t’a fait bondir au-dedans ?
— C’est que, vois-tu, je ne supportais plus de rester captif
dans le ventre de maman.
Envie moi aussi de crier et de prophétiser.
Et quand ma future tatie est entrée,
si joyeuse, si jolie...
Oh ! sursaut d’allégresse car survient le Verbe
que j’ai tant hâte d’annoncer !
Car la lumière venait de franchir le seuil de notre humble maison
et moi, dans la poisseuse nuit où je me morfondais,
j’ai soudain été calciné par le Soleil de Justice
qui entrait chez nous !
C’est pourquoi j’ai tant voulu crier
sans pouvoir encore.
J’ai essayé de sortir
tout en restant captif.
Quelle impuissance ! Quelle impatience !
Il est donc arrivé
Celui qui brisera nos liens,
et moi, pauvre fœtus, je resterais captif !
Il est donc advenu
Celui qui sonorisera la Vérité,
et moi, pauvre minus, je serais condamné au silence ?
Il est enfin revenu chez les siens
le Créateur de l’univers qui va bientôt prendre chair
et moi, son précurseur, je resterais là-dedans, à l'étroit, dans l’obscurité,
sans broncher et bouche cousue ?!!!
C’est alors que, sans parole encore, entortillé de nuit,
oui, de préscience j’ai frémi, d'espoir j’ai bondi, et je n’arrête plus, j’y prends goût,
je fais des culbutes, j’essaie le saut périlleux, et même le salto arrière
dans le ventre de ma pauvre vieille mère
qui suffoque de douleur et se tord d’allégresse.
Car immense est le mystère qui s’accomplit :
l’acte d’Amour Éternel
l'Emmanuel
qui échappe à la compréhension de l’homme,
minuscule mortel. »
Miriâm demeura encore trois mois environ
chez sa cousine Elishèba’
pour l’aider à préparer la naissance de Iohanân.
Puis elle revint dans sa maison à Nasèrèt
pour y mûrir la venue de son Iéshoua’,
– ce petit d’homme qui, trois mois plus tard, allait devenir Dieu.
Écrit dans la nuit du 19 au 20 décembre 2015. D’après le récit de Luc, chapitre 1,39-45 et une homélie de Jean Chrysostome (dit “Bouche d’Or”) prononcée à Constantinople, vers 400 après J.-C.
Extrait du recueil poétique CE QUE ME CONFIE LA NUIT aux Éditions du Net (2023).