SUITECet accord reflète, aux yeux de la chercheuse Annick Cizel, le positionnement « paradoxal de la Turquie, écartelée entre la défense du monde musulman en Méditerranée et celle de ses intérêts financiers, commerciaux et sanitaires qui passent par la Chine ». « L’intérêt national turc tel que le définit Recep Tayyip Erdogan commande de sacrifier les Ouïghours pour maintenir à flot la puissance turque », analyse la spécialiste de politique étrangère.
Le Congrès mondial ouïghour, organisation d’exilés basée en Allemagne, se mobilise pour empêcher la ratification par le Parlement turc. « Même si la Turquie s’est engagée dans une voie de plus en plus autoritaire, la pression populaire joue encore sur le gouvernement », assure Dilnur Reyhan, enseignante à l’Inalco et porte-voix des Ouïghours en France.
« Autrefois, le soutien venait surtout de la droite traditionnelle et nationaliste, et donc de l’AKP. Depuis que les informations ont filtré sur les camps d’internement, la gauche et l’extrême-gauche ont repris le flambeau, analyse la chercheuse. La Chine utilise la “diplomatie de la dette”. Mais nous avons l’espoir que l’opposition se fasse entendre. »
Cet engagement envers le peuple ouighour s’atténua avec le rapprochement stratégique entre Pékin et Ankara, déjà vérifié en novembre 2018 : en marge du sommet du G20 à Buenos Aires, Recep Tayyip Erdogan et son homologue chinois s’étaient félicités du renforcement de leurs relations et appelaient à leur consolidation.
En fin politique, le président turc n’oublie toutefois pas la sensibilité d’une partie de son électorat à la cause ouïghour. Elle s’est notamment illustrée, en juin 2015, quand des drapeaux chinois ont été incendiés à Istanbul par solidarité avec des étudiants ouïgours au Xinjiang empêchés d’observer le jeûne du Ramadan.
Cette solidarité repose en grande partie sur le « panturquisme », qui exalte les liens de la Turquie avec les peuples d’Asie centrale au nom d’une parenté linguistique et culturelle. Une idéologie dominante au sein du MHP, parti ultra-nationaliste et allié du parti de la justice et du développement (AKP) de Recep Tayyip Erdogan. « Erdogan a besoin de ce parti car sans lui, il n’a pas de majorité au parlement », rappelle Jean Marcou, spécialiste de la Turquie et chercheur à Sciences-Po Grenoble.
Un besoin d’autant plus fort à l’approche des élections municipales, le 31 mars. « Ce ne sont que des élections locales, mais le pouvoir de Recep Tayyip Erdogan se nourrit des scrutins, il faut qu’il en gagne en permanence », poursuit Jean Marcou.
À cette solidarité transfrontalière au nom d’une parenté turque s’en ajoute une autre, au nom de l’islam celle-ci, que partagent Turcs et Ouïgours. « Recep Tayyip Erdogan se place aussi en défenseur des droits de l’homme au sein du monde musulman, explique le chercheur. Il fait la synthèse des nationalismes en Turquie. » Une occasion de renvoyer de la Turquie une image de grande puissance rayonnant jusqu’aux confins de l’Asie et de l’islam.
Sans surprise, les déclarations turques ont irrité Pékin, qui a démenti la mort du poète Abdurehim Heyit, en publiant une vidéo sur Twitter d’un homme se présentant comme étant l’artiste. Une porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois a également rappelé que « la Turquie est un pays multiethnique, qui fait également face à la menace du terrorisme ». Une allusion à la guérilla du PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan, et à la répression d’Ankara dans l’est du pays, à majorité kurde.
« Recep Tayyip Erdogan sera prudent car les relations commerciales sont importantes », assure aussi Jean Marcou, rappelant que « les satellites turcs sont lancés par des lanceurs chinois ».
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