ceux de Damas :
Médecin dans un hôpital de Damas, Tariq pourrait parler « jusqu’à demain » de la désastreuse situation sanitaire dans son pays. Il n’a pas de statistiques, mais il constate la résurgence de la tuberculose ou de la polio, ainsi qu’une hausse faramineuse du nombre des cancers. Certains s’expliqueraient, selon lui, par l’habitude qu’ont prise les habitants de la Ghouta orientale, pendant le long siège, de brûler le plastique récupéré dans les immeubles détruits « pour obtenir du mazout ou de l’essence ».*
Résurgence des symptômes post-traumatiques
Mais pas tous. « Les patients viennent à l’hôpital pour une maladie physique. En réalité, ils souffrent des symptômes post-traumatiques », assure-t-il. Après des années de violence, de peur, de déplacements forcés, « les traumas ressortent », estime Vincent Gelot, le délégué de l’Œuvre d’Orient qui revient d’un séjour en Syrie, frappé lui aussi par l’augmentation des maladies graves et du « désespoir » des populations.
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et à Alep
À Alep, le mal-être des parents se ressent sur les enfants accueillis par la communauté mariste et ses jeunes bénévoles : hyperactivité, agressivité, troubles de l’attachement… « Les petits de 4 à 6 ans ont une peur terrible d’être séparés de leurs parents. Certains subissent des violences familiales », rapporte le frère Georges Sabé. Avec l’aide d’une psychologue, il a mis sur pied un « programme d’appui » destiné aux adolescents, avec l’espoir de les aider au moins à « exprimer leurs sentiments ».
Insécurité alimentaire
Une goutte d’eau dans un océan de détresses. Le bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU évalue à 11,1 millions le nombre de Syriens (sur 17 millions au total) ayant besoin d’une aide humanitaire. Pour moitié environ, ce sont des déplacés, contraints par les combats à quitter leur foyer. L’hiver et ses températures négatives ont été particulièrement éprouvants pour eux, qu’ils s’entassent dans des camps, des logements surpeuplés, ou qu’ils n’aient eu d’autre choix que de rentrer chez eux, dans un immeuble plus ou moins détruit.
« On estime que 6,5 millions de Syriens souffrent d’insécurité alimentaire », rappelle Chiara Saccardi, responsable de la zone Moyen-Orient pour Action contre la faim. « Les besoins sont énormes, même dans les zones contrôlées par le gouvernement : le climat général, encore loin d’être pacifié, empêche le retour à une vie normale ». Aide d’urgence, réparation des réseaux d’adduction, redémarrage de l’agriculture… l’ONG est sur tous les fronts et sans doute encore « pour longtemps ».
À l’aube de cette dixième année de conflit, la reconstruction évoquée dans les enceintes internationales reste un vain mot pour les Syriens interrogés par La Croix. Maher, l’étudiant, n’a « aucune idée à ce sujet » : il n’a rien vu autour de Damas « en dehors de quelques opérations de nettoyage des routes ».
Depuis la Ghouta orientale où il vit, Ali, 19 ans, confirme. « Plusieurs bâtiments de ma rue sont toujours détruits, car personne n’a la possibilité de les restaurer », relate le jeune homme, qui a perdu son père, ses deux frères et « beaucoup de voisins et d’amis » lors du siège de la région en 2018. Dans son quartier, l’électricité n’est pas revenue. Comme l’immense majorité des Syriens, il utilise un générateur « seulement quelques heures par jour ».*
Crise économique
Ailleurs en Syrie, les témoignages glanés concordent. Les familles, qui étaient propriétaires de leur logement, ont fait « quelques réparations ». « Mais on ne peut pas parler de reconstruction. Il manque l’argent », constate un Syrien, qui voit bien qu’« à chaque rebondissement militaire, tout est freiné ». Pour Maher, la priorité n’est même pas là : même à Damas, « les gens sont surtout occupés à gagner de quoi acheter leur nourriture ».
Alors que l’essence et le fioul de chauffage étaient déjà rationnés, les Syriens ont renoué avec les tickets pour le riz, le sucre, l’huile et le thé. « Une famille a droit à 4 kg de sucre par mois au prix subventionné (250 LS) mais doit s’approvisionner, au-delà, au tarif normal (450 LS) », raconte un Alépin. Le prix des médicaments importés « en contrebande » s’est envolé, lui aussi, et « une petite opération chirurgicale banale coûte le triple du salaire moyen ».
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Une guerre civile aux multiples ramifications
Mars 2011. Premières manifestations en faveur de la démocratie à Damas, puis à Deraa. Réprimée par le régime, la contestation tourne en rébellion armée. En juillet, l’Armée syrienne libre (ASL) est fondée.
2012 et 2013. Soutenus par la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar, les États-Unis et la France, les rebelles s’emparent de la majeure partie du Nord et de l’Est. L’ASL est progressivement supplantée par des groupes islamistes ou salafistes.
2012. Le Parti de l’union démocratique prend – avec sa branche armée, les Unités de protection du peuple (YPG) – le contrôle des régions kurdes.
2014. Daech s’empare de près de la moitié du pays et proclame le « califat ». Rakka, sa capitale, est reprise par les Forces démocratiques syriennes (FDS), principalement kurdes, soutenues par la coalition internationale le 17 octobre 2017.
2015. La Russie entre dans le conflit en soutien au régime. L’armée syrienne est victorieuse à Alep (décembre 2016), Homs et Deir Ez-Zor (2017), dans la Ghouta et à Deraa (2018), en attendant Idlib.