LE CARÊME, LA CLÉ DE LOURDES
Du livre ' A Ciel ouvert ' Patrick Sandrin
L’étude de la répartition des apparitions de Lourdes permet de constater qu’elles semblent soigneusement ordonnancées autour des quarante jours du Carême. Quatorze apparitions sur dix-huit se déroulent au cours de ce temps liturgique, qui constitue de fait la colonne vertébrale de l’ensemble.
Cette centralité est renforcée par la disposition des quatre apparitions restantes : elles « encadrent » cette période ; deux survenant avant et deux autres venant se positionner après. Un autre signe de l’importance décisive de cette période est le fait que Marie parle pour la première fois à Bernadette au cours de l’apparition qui suit le mercredi des Cendres, jour par lequel débute le Carême.
Elle lui demande alors :
« Voulez-vous me faire la grâce de venir ici pendant quinze jours ? »
C’est alors que vont se succéder treize apparitions, entrecoupées par deux coupures d’une journée, répartissant ces apparitions en trois séries.
Survient ensuite une coupure de trois semaines avant la quatorzième et dernière apparition du Carême, celle où Marie se présente en prononçant la phrase-clé de ses visites à Lourdes :
« Je suisl’Immaculée Conception. »
Ces mots sont délivrés le jour même de la fête de l’Annonciation. C’est au cours de cet ensemble de treize apparitions, les premières du Carême, que Marie appelle à prier pour les pécheurs, demande leur conversion et insiste sur la pénitence. Cette pénitence touche à la fois le corps et l’esprit. À la septième visite, qui prend place au centre exact de cet ensemble, Bernadette s’humilie en obéissant aux instructions de la Mère de Dieu. Elle exécute des gestes apparemment absurdes et rebutants, tels que baiser la terre, se traîner à genoux, se mettre de la boue sur le visage, se laver à la source, manger l’herbe qui pousse dans la grotte (de la dorine), tout en essayant de boire l’eau boueuse qui émerge du sol et qui, après que Bernadette a creusé la terre, deviendra la célèbre source miraculeuse.
Les personnes présentes sont consternées, beaucoup tiennent la petite bergère pour folle. Ce rabaissement frappe d’autant plus qu’il intervient dans un contexte de déconsidération sociale pour la famille Soubirous.
Le fait de manger de l’herbe n’est pas sans évoquer le comportement de certains animaux, qui se purgent par cette pratique. Ce geste tout comme la présence de l’eau évoquent les rituels de purification traditionnels. Ils prennent tout leur sens en cette période de Carême, qui est un temps de jeûne et de sanctification avant Pâques, et dont l’austérité nourrit la conscience du péché.
Il fait écho à l’extrême dénuement auquel est confrontée Bernadette en cette année 1858, dénuement s’inscrivant dans une vie marquée par la piété, la simplicité et un jeûne forcé.
Toute son existence fut en fait un temps de Carême. Par ailleurs, on observe que le climat entourant la naissance du Christ à Bethléem (qui signifie étymologiquement « la maison du pain » en hébreu) peut être transposé d’une certaine façon à Lourdes : la famille Soubirous, tout comme la Sainte Famille, est confrontée au rejet, à la pauvreté et à la difficulté de trouver un logement.
Les thèmes de la grotte et du blé (lié au métier du père de Bernadette) sont également présents. Les quarante jours que dure le Carême évoquent la traversée du désert si présente dans la Bible. Ils symbolisent la période de maturation nécessaire pour prendre conscience de ses péchés et s’en purifier, en vue de se préparer à la réconciliation avec Dieu.
C’est un temps où chacun est appelé à dépasser son horizon quotidien pour porter son regard davantage vers les hauteurs.
L’examen de conscience, les notions de sacrifice et de pénitence y sont plus valorisés qu’à l’accoutumée. C’est le temps où le grain meurt en terre, le temps de la patience et de l’épreuve qui permettent le mûrissement et la régénération.
Il est illustré tout particulièrement par l’Exode des Hébreux qui durent tout quitter pour s’enfoncer au cœur du désert. C’est au cours de cet épisode que Moïse recevra la Loi de Dieu au sommet du Sinaï.
La première génération, celle qui est sortie d’Égypte, fut condamnée à mourir au terme de quarante ans d’errance en raison de sa désobéissance et du poids de ses péchés.
C’est à la génération suivante, symbole de renaissance, qu’il sera permis d’accéder à la Terre promise. Le Christ a également valorisé ce temps d’approfondissement spirituel en se retirant quarante jours dans le désert pour y puiser les ressources nécessaires avant d’entamer sa prédication.
Le Carême est de ce fait un temps de préparation à la célébration de Pâques, moment où, par sa mort et sa Résurrection, le Christ a détruit toutes nos morts et nous a fait renaître à la lumière en prenant nos péchés sur lui.
« L’être humain que nous étions auparavant a été mis à mort avec le Christ sur la croix, afin que notre nature pécheresse soit détruite et que nous ne soyons plus les esclaves du péché. » (Rm 6, 6)
C’est cette préparation que vient souligner Marie en mettant l’accent sur sa nature sans péché :
« Je suis l’Immaculée Conception. »
En choisissant de se présenter ainsi à l’occasion de sa dernière apparition du Carême, Elle s’inscrit doublement dans le mystère pascal et nous invite par extension à nous laver de nos péchés et à retrouver le chemin de la sainteté : « Ce que Dieu veut, c’est votre sanctification. » (1 Th 4, 3)
Marie ouvre une porte lumineuse dans la vie de Bernadette, tout comme le Christ a effectué à l’occasion de sa Passion et de sa Résurrection une brèche dans le monde du péché et de la mort. Pâques est tout autant source d’expiation et de purification que de fécondité dans la grâce.
« Il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt manifester en nous. » (Rm 8, 18)
C’est ce dernier aspect que les apparitions de Fatima, dans le prolongement de celles de Lourdes, mettront en exergue.
UN THÈME TRÈS PRÉSENT : CELUI DU PASSAGE
Pâques vient du mot hébreu Pessah qui signifie « passage ». Force est de constater que ce thème est omniprésent dans notre petite localité des Pyrénées. Commençons par les symboles qui peuvent être qualifiés de secondaires, mais qui, conformément à ce que nous avons vu du mode de communication mariale, ne sont pas à négliger. Marie apparaît pour la première fois à Bernadette alors que celle-ci s’apprêtait à traverser le Gave qui la séparait de la grotte. Ce lieu correspond lui-même à un carrefour, c’est en effet là que se rejoignent le petit canal du Moulin et le Gave de Pau. L’emplacement du village, situé au pied d’une frontière naturelle (une chaîne montagneuse) et politique (l’Espagne) rappelle également cette notion de passage.